Koli Jean Bofane, écrivain : Mathématiques congolaises ou Kinshasa la débrouille !

In
Koli Jean Bofane est l'auteur de Mathématiques congolaises. Il est né
en 1954 à Mbandaka, Province de l'Equateur en République Démocratique
du Congo. In Koli Jean Bofane vit en exil en Belgique depuis 1993.
Suite aux pillages de 1991 au sujet desquels sa propre maison d'édition
avait fait paraître des BD satiriques et des reportages
journalistiques. Depuis lors, l'écriture constitue l'essentiel de son
activité, le Congo sa principale source d'inspiration.

Sans
être matheux, Mathématiques congolaises fait partie de cette race
d’ouvrages pour lesquels j’ai flashé, j'ai beaucoup rigolé, reconnu
certaines rues de kinshasa…

In Koli Jean Bofane plonge le
lecteur dans la vie quotidienne de Kinshasa. Il sent les rues, le
rythme des musiques et des images de la ville. Les personnages
deviennent encore plus palpables grâce à la présence du lingala dont on
trouve la traduction au bas des pages.

« Mathématiques
congolaises », propose l'équation magique d'une ville, de la survie
d'un peuple. Une plongée romanesque dans la ville de Kinshasa, où l’on
sait que la vie n’est pas un long fleuve tranquille… Comme tous ses
compatriotes, le jeune Célio Matemona lutte chaque jour pour survivre
dans une cité en proie à la pauvreté, au chômage et à la corruption.
Mais il en faut plus pour éteindre la flamme des habitants de ce pays,
et il y a bien des manières de contourner le tragique, à commencer par
l’humour et le regard décalé de ceux qui cherchent un peu d’empathie
avec un monde si déréglé. Pour Célio, c’est un vieux manuel de
mathématiques qui sert de viatique, en même temps que de clé pour
sortir de toute situation embrouillée. Et c’est ainsi qu’il sera un
jour repéré par un sbire du régime, et embarqué dans les coups fumeux
du Bureau Informations et Plans, dont il sortira pourtant indemne, et
grandi.

Le héros de ce livre, c'est Celio Matemona, dit Celio
Mathematik. Il est jeune, il n'a pas étudié, il se débrouille dans
Kinshasa, comme des millions d'autres. Mais lui, il ne se sépare jamais
de son livre fétiche, le seul objet qu'il lui reste de son père
instituteur : un manuel de mathématiques. Il l'a dévoré, analysé,
appris par cœur et ce savoir d'autodidacte est devenu son bagage dans
la vie.

Cette science fait de Celio le héros du quartier, l'avocat de
plus pauvres que lui et finit par le désigner pour un destin inattendu
: rejoindre le club très fermé des conseillers du président, ces
stratèges en communication mensongère, en mobilisation des foules, en
coups tordus et autres faux coups d'état…

C'est que Celio, rompu aux équations, applique ses théories
mathématiques à la manipulation de l'opinion, avec des résultats
surprenants… N'en disons pas plus, ni sur l'intrigue, ni sur des
personnages comme le vieux soldat Bamba, maître tortionnaire qui aspire
à une retraite bien méritée, le Vieux Isemanga qui raconte des
histoires en grillant ses brochettes ou le « Gaucher » le très
débrouillard copain de Baestro…

 

En réalité, c'est à Kinshasa que ce livre est dédié, à ses dix millions
d'habitants qui statistiquement, devraient être morts alors qu'en dépit
du bon sens, ils se débrouillent pour vivre, Celio et ses
mathématiques, mère Bokeke et sa ribambelle d'enfants, Gregoire
Tshilombo, le redoutable conseiller du président, avec ses intrigues et
ses souliers en crocodile.

’In
Koli Jean Bofane décrit avec beaucoup de justesse la condition du petit
peuple de notre grand Congo, l'un des pays potentiellement les plus
riches de la planète dont les dirigeants ont réduit la plus humble âme
au racket et à la corruption. Dans ces conditions, l’ascension sociale
fulgurante de Célio Mathématik prend un sens particulier. Va-t-il
rentrer dans le moule après avoir connu les affres dévastateurs de la
faim ?

Extrait de la description de la faim par l'auteur:

Entre-temps la Faim, au milieu de la population gagnait du terrain,
faisait des ravages considérables. Elle progressait en rampant,
impitoyable comme un python à deux têtes. Elle se lovait dans les
ventres creusant le vide totale autour de sa personne. Ses victimes
avaient appris à subir sa loi. En début de journée, avant qu’elle ne se
manifeste, on n’y pensait pas trop, absorbé par le labeur qui
permettrait justement de manger et ainsi obtenir un sursis. On faisait
semblant d’oublier, mais l’angoisse persistait à chaque moment. En
début d’après midi, avec le soleil de plomb qui accélère la
déshydratation, cela devenait plus compliqué. L’animal qui depuis,
depuis longtemps avait pris la place des viscères, manifestait sa
présence en affaiblissant le métabolisme, se nourrissant de chair et
d’autres substances vitales. On était obligé de vivre sur ses maigres
réserves. L’effort faisait trembler les membres, rendait les mains
moites et froides, le cœur avait tendance à s’emballer . Pour calmer la
bête, on lui faisait alors offrande d’eau froide, pour qu’elle se sente
glorifiée. Cela ne durait pas, car juste après, elle jouait sur le
cerveau et d’autres organes de la volonté et du sens combatif. On
pouvait avoir tendance à mendier. Certains devenaient même implorants,
parce qu’elle laminait, de son ventre rêche, des choses aussi
précieuses que l’orgueil et la fierté. Elle omniprésence et
omnipotente. On ne conjuguait plus le verbe " avoir faim ". A la
question on pouvait aller la réponse était : Nzala ! la faim ! Elle
s’était institutionnalisée.

"La Faim ne justifie pas tout et surtout pas la corruption
généralisée. Beaucoup ont faim, mais tous ne sont pas corrompus. Et les
corrompus n’ont pas tous faim, loin de là" dit l'auteur.
C’est un roman magnifique, optimiste mais surtout non plaintif.

Le
lecteur apprend beaucoup sur la politique de la RDC : la corruption,
les manœuvres politiques qui servent à discréditer l'adversaire.Tout
est dans ce livre : la sorcellerie, qui empêche le vieux Bamba de
fermer l'œil, la ruse des puissants, la solidarité des pauvres, le
tumulte, le désordre apparent, les raisons d'une « corruption » qui est
aussi l'autre version de la solidarité. In Koli Jean Bofane offre une
diversité de points de vue sur certaines situations en fonction du
regard des protagonistes : barbouzes, politiciens, conseillers
occultes, épouses, éléments du petit peuple. On a toutefois
l’impression qu’il est difficile de définir une responsabilité
individuelle. Les peuples, les individus éprouvent des difficultés à se
prendre en charge. Une situation doit souvent les pousser à bout avant
qu’ils puissent prendre conscience qu’il faut agir, ou réagir.

Mathématiques congolaises, Actes Sud, 2008, 318 pages

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