50 ans de non indépendance des pays africains, ça se fête ? par Pauline Imbach
En Europe, les gouvernements et les grands médias des anciennes
métropoles, comme la France et la Belgique, ne manqueront pas ce
rendez-vous… Seul problème : il ne sera pas historique. Ces
commémorations officielles se feront dans un déni dhistoire pour les
peuples colonisés.
En Belgique la « grand-messe » se déroulera le 30 juin avec une
volonté
volonté
affichée de ne pas parler du passé qui fâche : la colonisation de la
République Démocratique du Congo (RDC). Chacun sy affaire, des
responsables politiques en passant par les grandes chaînes de
télévision,
télévision,
dont certaines diffuseront un journal télévisé spécial depuis
Kinshasa.
Kinshasa.
Les commémorations de lindépendance de la RDC seront festives,
artistiques et résolument « tournées vers lavenir ». Finalement rien
de
de
très étonnant, tout cela sinscrit parfaitement dans la vision
néo-coloniale que les Européens ont de lAfrique : un continent sans
Histoire mais aux folklores des plus fous. Cette vision raciste de
lAfrique se résume en deux phrases extraites du cynique discours de
Dakar
Dakar
prononcé par Nicolas Sarkozy en juillet 2007 : « Le drame de
lAfrique
lAfrique
nest pas dans une prétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa
culture (…) le drame de lAfrique, cest que lhomme africain nest
pas
pas
assez entré dans lHistoire ».
En France, Nicolas Sarkozy a confié à Jacques Toubon la mission de
mettre
mettre
en œuvre une initiative « 2010-Année de lAfrique », ayant pour
objectif,
objectif,
dans le cadre de la célébration du 50ème anniversaire de lindépendance,
«
«
de souligner et de confirmer lévolution des relations entre la France
et
et
lAfrique subsaharienne qui doivent rester privilégiées tout en étant
renouvelées, équilibrées et transparentes. » |1| Si lobjectif de
cette
cette
mission nest pas assez clair, il suffit de se tourner vers les deux
collaborateurs qui assisteront Jacques Toubon pour définitivement
comprendre que cest la Françafrique, et non les indépendances, qui
sera
sera
commémorée. Il sagit de William Bénichou, un cadre de la coopération
qui
qui
fut en poste en Centrafrique, au Burundi, au Togo et au Bénin, et de
Laurent Viguier, ancien numéro deux du Service dinformation du
gouvernement (SIG). J. Toubon, ancien garde des Sceaux, a déjà
rencontré
rencontré
une dizaine de chefs dÉtat africains, lobjectif officiel étant de
les
les
associer au maximum aux cérémonies dont lapothéose se déroulera le
14
14
juillet avec un défilé des contingents militaires africains sur les
Champs-Élysées, en présence des ces 14 chefs dÉtat…
Pourquoi aujourdhui lEurope enlèverait-elle enfin sa tenue de colon ?
La
La
camisole de force des pays africains a tenu jusquici… 50 ans de
fausses
fausses
indépendances ! Alors musiques, cortèges, folklores : le
néo-colonialisme
néo-colonialisme
a de beaux jours devant lui, puisque ce qui compte cest lavenir !
Voilà
Voilà
le refrain qui sera chanté lors des commémorations officielles…
Une autre chanson est possible
Plusieurs voix se sont déjà élevées contre cette mascarade, comme
celle
celle
dAmadou Seydou Traoré, le doyen de lUS-RDA (Union
soudanaise-Rassemblement démocratique africain) |2|, qui a déclaré en
octobre dernier, à loccasion dune conférence sur laccession du Mali
à
à
lindépendance que « le cinquantenaire du Mali est une injure à la
mémoire
mémoire
des combattants, des résistants à la pénétration coloniale et à la
mémoire
mémoire
de ceux qui ont donné leur vie pour que ce pays soit indépendant. (…)
Le
Le
cinquantenaire est en train dêtre fait contre nos concitoyens, avec
ceux
ceux
qui les ont persécutés (…) La France envisage cette année de fêter
sa
sa
générosité… ».
Il paraît essentiel que les citoyens européens sinscrivent en
solidarité
solidarité
avec les peuples africains pour dénoncer les commémorations de ces
indépendances par les gouvernements néo-coloniaux et
linstrumentalisation
linstrumentalisation
de ces dates historiques pour resserrer dun cran la vis/le vice
paternaliste. Il faut forcer les États colons à reconnaître leurs
responsabilités historiques et à changer radicalement leurs politiques
de
de
« coopération ».
Les commémorations doivent être historiques et doivent sinscrire dans
une
une
perspective de réparation
Les indépendances de 1960 nont malheureusement pas brisé les chaînes
de
de
loppression : le pillage des ressources naturelles, moteur de la
colonisation, perdure encore aujourdhui et les dettes des pays en voie
de
de
développement, héritage colonial, constituent un très puissant
instrument
instrument
de domination politique et économique. En RDC par exemple, lÉtat belge
et
et
la Banque mondiale ont organisé, en violation du droit international,
le
le
transfert de la dette coloniale à charge du Congo au moment de son
indépendance, avant de soutenir financièrement la dictature de Mobutu.
La
La
dette fait donc le lien entre la période coloniale et la situation
actuelle, elle est illégitime et doit être annulée sans condition.
Cette
Cette
injustice doit aujourdhui être connue par tous pour que la pression
citoyenne oblige les responsables politiques à rompre tous les liens
néo-coloniaux et à réparer les dommages infligés au peuple congolais.
A y regarder de plus près, lhéritage colonial (et le maintien de
lexploitation) est omniprésent dans le quotidien des Européens : des
produits de consommation (le chocolat belge) aux énergies (le
nucléaire
nucléaire
français) en passant par le paysage urbain (les noms de rues,
statues,
statues,
monuments…), beaucoup déléments rappellent le pillage des ressources
et
et
lexploitation des peuples.
Larchitecture urbaine et les noms des rues de nos villes sont un bon
exemple. En célébrant les « héros » de lépoque, ce patrimoine
commémore
commémore
de façon positive la colonisation en mettant en exergue le mythe de
la
la
civilisation. Le paysage urbain nest pas neutre, il représente à la
fois
fois
le pouvoir, qui en général en est le commanditaire, et la doxa «
cest-à-dire un ensemble dopinions, de préjugés populaires, de
présuppositions généralement admises sur lesquelles se fonde toute
forme
forme
de communication » |3|. Contester le patrimoine architectural urbain
apparaît dès lors comme un bon moyen de remettre en question
lhistoire
lhistoire
officielle tout en soulevant des questions de fond, comme le maintien
des
des
rapports de domination à travers notamment le mécanisme de la dette ou
le
le
pillage des richesses.
Les initiatives citoyennes se multiplient ici et là, notamment pour
que
que
les monuments coloniaux, vitrine de lhistoire officielle, soient mis
en
en
contexte et explicitent le rôle criminel des puissances coloniales.
Il
Il
faut que ces mouvements, porteurs de revendications fortes, se
renforcent
renforcent
pour sinviter dans les commémorations, trop propres, du passé colonial
de
de
nos pays |4|.
Ainsi, le 23 août 2009, à loccasion de la journée internationale du
souvenir de la traite des Noirs, plusieurs organisations françaises
lançaient une campagne nationale « Débaptiser les rues de négriers ? »
à
à
lendroit des principaux ports de la façade atlantique : Bordeaux,
Nantes,
Nantes,
La Rochelle et Le Havre. « Il sagit de sinterroger sur lhéritage
urbain
urbain
dun commerce florissant qui a fait la fortune des nations
européennes.
européennes.
Cest une démarche pédagogique et citoyenne en vue dune meilleure
appropriation urbaine et dune meilleure intégration sociale et
politique.
politique.
Mais aussi de réparation en tirant les conséquences juridiques et
sociales
sociales
de la qualification de crime contre lhumanité ».
En Belgique, le collectif Mémoires Coloniales, dont le CADTM est le
membre
membre
fondateur, travaille depuis plus dun an dans le même sens, en
réclamant,
réclamant,
entre autres, que soient apposées sur les monuments coloniaux des
plaques
plaques
explicatives. A loccasion du cinquantenaire de la non indépendance de
la
la
RDC, le collectif Mémoires Coloniales lance la campagne « 2010 : il
est
est
tant que la Belgique reconnaisse ses responsabilités historiques :
excuses
excuses
et réparations » et propose dinaugurer à Bruxelles le 30 juin un
monument
monument
« Patrice Lumumba » |5| en hommage aux combattants de lindépendance.
A
A
travers cette campagne et cette action, le collectif souhaite ouvrir
le
le
débat sur la question des excuses et des réparations de la Belgique
pour
pour
la colonisation et lingérence politique dont elle est encore
aujourdhui
aujourdhui
coupable. La question de lassassinat du leader indépendantiste
congolais
congolais
|6| sera remise à lordre du jour, notamment autour de la
revendication
revendication
pour la création de la Fondation Lumumba. En 2001, la commission
parlementaire belge chargée denquêter sur lassassinat de Lumumba a
reconnu le rôle que le gouvernement et le roi belges ont joué dans
celui-ci. Dès lors, selon les recommandations de la commission, le
gouvernement belge sétait engagé à financer une Fondation Patrice
Lumumba
Lumumba
à hauteur de 3 750 millions deuros, complétés par une dotation
annuelle
annuelle
de minimum 500 000 euros, dans le but daider au développement
démocratique au Congo. Le gouvernement belge na toujours pas tenu
son
son
engagement. La fondation devrait aujourdhui détenir une enveloppe
dau
dau
moins 4 millions deuros. La création de cette fondation pourrait
constituer un premier fonds de réparation.
Comme un caillou dans une botte coloniale, ces différentes actions,
bien
bien
que symboliques, envoient des messages forts et dérangent
profondément
profondément
ceux qui continuent de marcher sur lAfrique.
Rendons hommage aux peuples colonisés et levons-nous à leurs côtés
Les commémorations des 50 ans de la non indépendance des pays
africains
africains
offrent une occasion pour les peuples du monde entier de dénoncer
ensemble
ensemble
les multiples facettes du colonialisme et du néo-colonialisme. Cest
le
le
système capitaliste, qui porte en son sein la colonisation, quil
faut
faut
combattre. Que ce soit en Afrique, en Palestine, à Mayotte ou dans
dautres colonies, loppression et la négation des peuples se font
dans
dans
une logique de profit. Depuis 50 ans rien na changé, la « coopération »
a
a
montré ses différents visages : de la Françafrique à la Mafiafrique,
en
en
passant par le « développement » et sa mise en œuvre à travers des
fausses
fausses
politiques d« aide » publique, sans oublier le rôle des institutions
financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI qui
usent
usent
du mécanisme de la dette pour maintenir leur domination… Les pays
africains ont été colonisés au nom dun soi-disant idéal « civilisateur
»,
»,
ils le sont toujours au nom dun soi-disant « développement » basé sur
la
la
croissance et non la réalisation des droits humains fondamentaux…
Il est temps que cela cesse, il nous appartient de faire changer les
choses ! Commémorons nous aussi les indépendances, en créant aux côtés
des
des
Africaines et Africains et de tous les peuples colonisés, un front
commun
commun
solidaire, pour faire tomber les systèmes doppressions que nos
politiciens et leurs complices perpétuent en toute impunité.
Notes
|1|
|2| Le 18 octobre 1946, à Bamako, capitale du Soudan français
(actuellement le Mali), se tient un événement qui marque une étape
importante dans lévolution politique des peuples de lAfrique
française.
française.
Des centaines de militants, venus de toute lAfrique, assistent à
louverture dun congrès qui se terminera par la création du premier
mouvement politique panafricain : le Rassemblement démocratique
africain
africain
(RDA). Pour la première fois, des hommes politiques dAfrique
occidentale
occidentale
et dAfrique équatoriale françaises se rassemblent pour reconquérir
leurs
leurs
droits. Le 21 octobre, le RDA voit le jour sous la direction de
Houphouët-Boigny. Dans presque tous les territoires, il devient la
principale force politique. Mais son apparentement au Parti communiste
lui
lui
attire les foudres de Paris dès le début des années 1950. Sans pour
autant
autant
labattre complètement : ses sections restent à lavant-garde de la
marche
marche
vers lémancipation. Soixante ans plus tard, lhéritage du RDA
perdure
perdure
avec le Parti démocratique de Côte dIvoire (PDCI-RDA) créé à
lorigine
lorigine
par Houphouët-Boigny, et au Mali avec lUnion soudanaise (US-RDA)
fondée
fondée
par Mamadou Konaté et Modibo Keita.
|3| Source : wikipédia
|4| A loccasion de la Semaine anticoloniale, qui aura lieu du 18 au
26
26
février 2010, de nombreuses activités seront organisées. Voir
|5| Le collectif organise également une action en hommage à Patrice
Lumumba le 17 janvier 2010 à loccasion de lanniversaire de son
assassinat. Infos : pauline@cadtm.org
|6| Lire « LAffaire Lumumba, une seule interprétation possible : le
meurtre » par le Collectif Mémoires Coloniales.