04.01.10 Le Soir : Le Cinquantenaire, une refondation

Entretien

Kinshasa

De notre envoyée spéciale

L’historien congolais Isidore Ndaywel est le coordonnateur scientifique de
l’année du Cinquantenaire. A la veille du début des commémorations, ce lundi, il
a répondu à nos questions.

Quelle sera l’ampleur des manifestations du Cinquantenaire ?

Sur le plan officiel, nous allons chaque mois choisir un thème, par exemple
rappeler les héros de l’indépendance, ou évoquer l’Etat, ou le rôle des forces
armées. Des journées de réflexion seront organisées sur ces thèmes. Il y aura
aussi la célébration des principaux événements qui avaient marqué cette année
hors du commun. Nous n’allons pas évacuer les épisodes tristes, comme la
sécession et les rébellions – ils feront également l’objet de réflexions et de
célébrations : nous devons nous réapproprier l’ensemble de notre histoire, y
compris ses zones d’ombre…

Quelle place sera donnée à la Belgique dans ces commémorations ?

Les Belges sont ceux avec lesquels nous avons cheminé pendant si longtemps,
partagé des moments de joie et de peine. La population juge tout à fait normal
que dans ces circonstances les Belges soient partie prenante, d’autant plus que
nombre de Belges sont nés ici. En Belgique, dans presque toutes les familles, il
y a des gens qui ont des liens avec le Congo. Ce que nous souhaitons, c’est que
les Belges, longtemps considérés comme des « nokos », des oncles, deviennent des
cousins, avec lesquels nous entretiendrions des structures de réciprocité.

Second élément : nous insistons beaucoup sur le fait que cet événement soit
également la confirmation de notre indépendance. Le fait est que notre pays est
maintenant adulte, qu’il a développé des rapports avec d’autres pays, qu’il
croit beaucoup à la coopération Sud-Sud. La Belgique sera évidemment invitée aux
cérémonies du Cinquantenaire, mais il y aura aussi d’autres partenaires… Le
Congo est au carrefour de l’Afrique, il appartient à la fois à l’Afrique
australe et à l’Afrique centrale, et il a des rapports très suivis avec des pays
comme la Chine, l’Inde, le Brésil…

La date du 30 juin est-elle symbolique aux yeux de la population ?

Depuis quelques mois, le concept de « Cinquantenaire » fait son chemin. Je ne
serais pas étonné de voir apparaître des pagnes, des coiffures, des
manifestations d’art populaire qui traduiront un réel engouement pour
l’événement. En marge des commémorations officielles, il y aura beaucoup de
projets populaires, comme on sait en faire ici… Bon nombre de partenaires belges
prennent également des initiatives, qui s’inscriront dans le programme plus
large…

En cette année du Cinquantenaire, le Congo est-il guéri de la Belgique et
vice versa ?

C’est une belle formule… Je pense que le Congo est guéri de la Belgique en ce
sens que nous pouvons dorénavant avoir des rapports fraternels, cultiver notre
mémoire commune, réussir à être heureux ensemble…

L’image de Léopold II est-elle différente dans les deux pays ?

Le Congo est habité par une population jeune… Au niveau des souvenirs
personnels, on connaît mal la colonisation belge, elle est lointaine. Quant à
Léopold II, il y a eu durant longtemps une sorte d’embargo sur le personnage,
les gens ne savaient même pas à quoi il ressemblait. Les peintres le
représentaient parfois sous les traits de Mgr de Hemptinne, qui vécut
à Lubumbashi… En fait, dans le souvenir des gens, les rois qui ont marqué, c’est
d’abord Albert, puis bien sûr Baudouin. Lui, tout le monde s’en souvient…

Le roi Albert occupe une place spéciale dans le cœur et le souvenir des
Congolais. Beaucoup de citoyens nés dans les années 40 s’appellent Albert, ou
Astrid. Nos pères se coiffaient volontiers avec une raie sur le côté, ils
disaient qu’ils « portaient Albert » et ils appelaient leur coiffure « Alube »,
Albert…

Pour la génération des années 50-60, celui qu’ils appellent « le Roi », sans
devoir préciser de qui il s’agit, c’est évidemment le roi Baudouin… Pour eux, il
est le « roi de la décolonisation »… A leurs yeux, il est évident que son frère,
le roi Albert II, doit être présent le 30 juin prochain. La plupart des
Congolais ne comprendraient d’ailleurs pas qu’Albert II ne soit pas là…

Quant à la mémoire, nous réhabilitons actuellement les statues datant de la
colonisation, non en les replaçant là où elles étaient auparavant, mais en les
installant dans le musée de plein air du Mont Ngaliéma, qui sera réaménagé, avec
le Théâtre de verdure. Il y aura là le bateau de Stanley et sa statue, les
divers rois des Belges… Kinshasa veut garder sa mémoire, malgré les grands
travaux qui ont lieu en ce moment… Nous avons tout un programme de
réhabilitation des lieux historiques. Ainsi, par exemple, nous allons
réhabiliter le pont de Lodi, dans le Sankuru, le lieu où Lumumba a été arrêté
puis conduit à la mort, ou le tribunal de Mbanza Ngungu, où le prophète Simon
Kimbangu a été condamné en 1921… Sur la place YWCA, nous allons apposer une
plaque commémorative car c’est de là qu’étaient parties, le 4 janvier 1959, les
manifestations exigeant l’indépendance tout de suite…

C’est d’ailleurs ce lundi 4 janvier, première des dates symboliques, que
commencent les diverses célébrations du cinquantième anniversaire de
l’indépendance… Un anniversaire qui, pour nous tous, doit d’abord être une
refondation de notre pays…

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.