06.01.10 Le Messager (Cameoun) – Roland Lumumba : le Congo, les assassins de mon père et moi
Quavez-vous éprouvé en rentrant au Congo trente et un ans après lassassinat de votre père ?
Dabord je vous remercie pour cet accueil. A travers vous, je peux
féliciter tous les Camerounais qui sont les premiers à passer au
cinquantenaire des indépendances. Mes félicitations vont également aux
Lions Indomptables qui vont participer dans quelques jours à la Coupe
dAfrique des nations en Angola. Je leur dis bon vent. Pour revenir à
votre question, durant les trente un ans passés en exil, on a été
dabord accueillis par le président Gamal Abdel Nasser (ensuite Sadate
et Moubarak) en Egypte où jai vécu pendant dix huit ans. Mes frères et
sœurs y ont vécu quant à eux entre une dizaine dannées et 34 ans.
Après, je suis allé à Paris pour poursuivre mes études darchitecture.
Après les études, entre le travail et les tentatives de rapprochement
du régime de lexilé politique que jétais. Après si longtemps, on
essayait de sensibiliser les uns et les autres à létranger que la
vision est différente. Il y avait de lamertume et de la tristesse. On
voyage beaucoup lorsquon est exilé. Nous avons été bien accueillis par
beaucoup de présidents comme Sékou Touré (Guinée-Conakry) Nasser,
Sadate et Moubarak etc. Beaucoup de chefs dEtat ont essayé de nous
soutenir pendant ce long exil et après on est entré en contact avec le
colonel Kadhafi qui a des idées qui concordent avec celles défendues
par mon père, Kwamè Nkrumah, Modibo Keita, Nasser, etc.
Cest la joie à larrivée au bercail de retrouver une famille que je
ne connaissais quà travers les lettres, il ny avait pas dInternet
avant. Jai retrouvé des personnes tout à fait différentes à part les
quelques unes que jai pu croiser en Europe. Jétais un peu
privilégié. Souvent, il marrive de penser quà quelque chose malheur
est bon. Rien ne se fait au hasard. Je considère quon avait une part
de responsabilité à construire ou à reconstruire notre pays. Cette
déconfiture quon a trouvée au pays, cétait pour dire que ce que tu
nas pas pu faire ailleurs puisque tu nétais pas chez toi, voila
loccasion qui test offerte.
Quels sentiments vous avez nourri à lendroit des gens comme
Kasavubu, Tshombé et Mobutu, présentés comme la main ayant servi à
éliminer votre père ?
Avec du recul, au niveau spirituel, je pense que Lumumba était un
homme qui avait une mission. Il la accomplie, il se définissait
lui-même en tant quidée, en disant « Je nai pas de père, je nai
pas de mère. Je nai pas de tribu, je nai pas de religion. Je suis une
idée, le Congo ma façonné et je chercherai à mon tour à le façonner ».
Il est passé. Mais ça nempêche pas quil reste biologiquement mon père
même si je peux parler de lui avec détachement. La seule des personnes
dont vous parlez que jai trouvée vivante à cette époque, cétait
Mobutu, les deux autres étaient déjà mortes. On ne sen prend pas aux
morts au risque de continuer de vivre dans lamertume.
Par rapport à Mobutu, cest quelquun contre qui jai un jugement
sévère car jestime quil y a certains dictateurs qui ont pu faire
quelque chose pour leur pays. Jessaie de lui trouver des excuses : il
essayait sans doute daccéder au pouvoir mais quen a-t-il fait pour ce
pays qui lui a tout donné ? Rien. Ce que je trouve encore plus
désolant, ce sont ces gens qui se revendiquent aujourdhui de lui. Lui
au moins défendait son existence. Quest-ce quils défendent eux ?
Jattends la réponse depuis.
Parlant justement de lhéritage de votre père, on nentend
pas trop parler de vous dans le paysage politique congolais ? Avez-vous
abandonné le combat sinon comment faites-vous pour perpétuer sa
mémoire ?
Je ne crois pas quon a abandonné quoi que ce soit. Nous sommes
quatre frères et sœur : François Lumumba, lainé dirige lancien parti
de notre père le Mouvement nationaliste congolais Lumumba (MNCL); le
deuxième, Patrice fait carrière dans ladministration ; La fille,
Juliana, a été pendant quatre ans ministre de Kabila père et de Kabila
fils et est aujourdhui secrétaire générale de la Chambre de
commerce de lUnion africaine au Caire en Egypte; quant à moi, jai été
député pendant une dizaine dannées. Par ailleurs, on a créé la
Fondation Patrice Emery Lumumba démocratie et développement. Dans sa
dernière lettre adressée à notre mère, lettre considérée comme son
testament politique, Lumumba lui-même disait : « A mes enfants que
je ne reverrai peut-être plus, jaimerai quon leur dise que lavenir
du Congo est beau et jattends deux, comme jattends de chaque
Congolais, laccomplissement de leur devoir sacré ». Ça voulait
tout dire : si tu es charpentier, tu peux servir ton pays en restant
charpentier et en exerçant ton métier au mieux. Cest vrai que dans les
pays du tiers monde, la politique est considérée parmi les secteurs qui
amènent le changement plus rapidement, mais ce nest pas la seule voie.
Trois de nous lont faite. Mais nous refusons de faire la politique
spectacle. Non, nous navons pas abandonné le combat ! Certes, nous
faisons face à ladversité, mais nos détracteurs ne peuvent agir à
visage découvert car Lumumba est devenu une icône, une légende pour le
continent. Il figure parmi la liste des cent personnes qui ont marqué
lAfrique pendant le XXè siècle. A lintérieur du pays quand quelquun
est contre Lumumba, il nose pas le dire à haute voix, il ne peut
quuser de son pouvoir sil en a un.
Quels sont aujourdhui vos rapports avec la Belgique, la puissance colonisatrice au moment de ce triste événement ?
La Belgique a joué un très mauvais rôle dans ce triste épisode de
lhistoire de mon pays. Une enquête parlementaire a été ouverte dans ce
pays pour montrer limplication de lEtat belge dans lassassinat de
Lumumba et le résultat de cette enquête a parfaitement établi sa
responsabilité. Et le pays a présenté des excuses officielles à la
famille Lumumba et sest engagé à aider au financement de la Fondation
Lumumba à hauteur dun certain montant. Encore une fois, les
dirigeants de la Belgique nont pas honoré leurs engagements depuis
2002. Je profite de cette tribune pour dire que nous navons rien
obtenu. Dans un proche avenir, nous allons chercher des voies et
moyens pour que justice soit faite. Quand les Européens sont affectés,
ils font tout pour que le préjudice soit réparé. LAllemagne paie
toujours la facture de la guerre mondiale. Il y a même lexemple de la
Libye avec lattentat de Lockerbie. On mène un combat contre un pays et
ce nest pas normal que nous les Africains soyons réduits au simple
statut de spectateurs. Je ne le dis pas parce que je suis un fils
Lumumba mais à travers le monde, il y a des millions de fils spirituels
de Lumumba car ce combat nest pas seulement celui des fils biologiques
de Lumumba. Sil y a des Camerounais et des Africains qui veulent
sengager, allons-y ensemble. Ensemble, nous vaincrons.
Parlons maintenant du Congo, votre pays. De lextérieur on a
limpression quil ny a pas un seul quartier au Congo qui ne soit en
guerre. Quelle est la situation réelle et selon vous quest-ce-qui
justifie cela ? Est-ce une guerre menée par des étrangers qui
convoitent les richesses du Congo ? La cohabitation entre les différentes ethnies est-elle possible ?
Je crois que dans chaque groupe humain, il y a toujours des
problèmes. Entre les Bamilékés et les Bassa, cest un exemple que je
prends au Cameroun, il se peut quil y ait des tiraillements. Dans un
pays comme le Congo qui est quatre fois et demi plus grand que la
France, il ne saurait en être autrement parce que cest comme ça la vie
mais est-ce quentre nous les problèmes se résument à se tuer comme à
lEst du pays où se concentre lessentiel des conflits ?
Le Congo est un pays très riche. Cest notre grand malheur. Quel est
le minerai qui nexiste pas au Congo ? Lor, le diamant, le coton, le
pétrole, le cobalt, luranium (qui sert à faire des bombes), tout y
est. Lagriculture prospère avec un vaste territoire ; nous avons de
leau partout et en abondance (cest le premier potentiel
hydroélectrique dAfrique), comme vous le savez, le combat de demain
sera celui de leau.
Or, certains pensent que le Congo ne devrait pas avoir toutes ces
richesses pour lui seul. Si on ne se laissait pas manipuler… Car là est
le nœud de tous ces conflits. Dès quon arrête un général rebelle, un
autre nait immédiatement. Ça veut dire que les belligérants se
fabriquent. Quand Kagame sest mis daccord avec Kabila, quarante huit
heures après, même pas une semaine, Laurent Nkunda était mis en
résidence surveillée. Quest-ce que ça veut dire ? Essayez de
réfléchir. Si on tombe en désaccord, on va trouver un autre Nkunda en
Equateur, au Kasai où que sais-je encore.
Vous ne pensez pas nécessairement aux puissances étrangères lorsque vous dites quil y a des gens qui lorgnent vos richesses…
Les pays voisins sont souvent appuyés par qui ? Le Rwanda
effectivement a des problèmes de terre. La plus grande concentration au
kilomètre carré, cest au Rwanda : plus de trois cent personnes au
kilomètre carré. Ils sont essentiellement éleveurs et agriculteurs,
deux métiers qui demandent de la terre. Sils sont aidés par des
grandes puissances pour résoudre leurs problèmes, ils aident ces grands
là à résoudre beaucoup dautres problèmes. Cest logique. « Its
businness » sur le dos du Congo.
Vous ne pensez pas quen négociant entre voisins pour une
meilleure répartition des terres, le Congo pourrait éviter ce genre
dingérence de lextérieur qui consiste à dresser un pays voisin contre
un autre ? Imaginons que les gouvernements de Kagamé et Kabila se
mettent sur une table pour que le Congo cède des terres aux Rwandais…
Cela sappellerait haute trahison. La terre que Kabila cède
appartient au pays, à des populations, pas aux dirigeants. Le Congo
cest comme le Cameroun. Essayons de faciliter aux lecteurs la
compréhension de la proposition que vous venez de faire. Un territoire
à côté du Tchad est cédé aux populations tchadiennes pour contenter les
dirigeants des deux pays. Cela na pas de sens puisque ces terres
appartiennent à des populations précises, Arabes choas, Peuls ou
Bororos, etc. Non, il nappartient pas aux dirigeants de disposer à
leur guise des terres des communautés. Après les indépendances, il y a
eu un découpage, peut-être arbitraire, malheureusement, cest devenu
notre référence. Je suis daccord quil faut trouver une solution mais
pas celle que vous suggérez car personne ne peut accepter même si cela
est fait pour lintérêt supérieur de la nation car les ressortissants
des régions ainsi cédées ne laccepterons pas aussi facilement et on
risquerait de se retrouver dans une spirale. Il faut trouver des
solutions et il faut que celles-ci soient africaines. Des solutions
quon trouve à Paris ou à Washington nont souvent aucune emprise sur
les réalités locales. Pour eux, nous ne sommes que des pions sur un
échiquier. Ils diront que ces Noirs là, pourquoi veulent-ils
sentretuer ? Il suffit de couper un peu ici et donner là-bas. Facile,
trop facile.
Est-ce que les frontières qui coupent un même peuple en deux ou trois parties, donc artificielles, ne peuvent être ignorées…
Je crois que vous faites des propositions auxquelles jadhère, pas
seulement par héritage. On cite aujourdhui les Nasser, Nkrumah, etc.,
en exemple. Cest quil ny a plus de place pour les petits ensembles.
Les Français quon regardait comme des dieux il ny a pas très
longtemps ont été obligés de sunir à lAllemagne, lennemi dhier et à
dautres pays européens pour faire face à linvasion asiatique et aux
Américains. Et nous autres Africains alors ? Quelle place aurons-nous
face à ceux qui étaient encore nos maîtres il y a cinquante ans ? On
fête aujourdhui cinquante ans qui ne représentent rien dans la vie
dun peuple. Beaucoup parmi nous ont vécu cela. Nos maîtres dhier, nos
Dieux pour les uns, cest la France, pour les autres le Portugal,
lAngleterre, etc. Ils narrivent pas à sen sortir seuls. Le Congo, le
Cameroun, le Rwanda, et les autres veulent se compliquer la tâche pour
avoir un petit visa comme si on allait au paradis. Pour vendre sa
marchandise à un pays voisin, il faut dabord quelle pourrisse au port
ou à laéroport. Il faut dépasser ces barrières inutiles. Que font les
voisins? Cette mondialisation, on dit quelle a été faite contre nous à
cause des accords quon a signés. La primauté des produits français
dans les échanges. Quest-ce que lAfrique échange ? Rien. Parmi les
pays qui essaient de faire des efforts, il y a déjà le Cameroun qui
refuse dexporter le bois brut, mais est-ce suffisant sur léchiquier
mondial ? Non.
Quelle est dans ce cas, la symbolique que revêt pour vous la célébration du cinquantenaire des indépendances en Afrique ?
Il faut aller vers lessentiel. La célébration, cest quoi ?
Quest-ce quon fera cette année et que fera-t-on lannée prochaine ?
Il faut penser les choses en profondeur. Quels échanges pouvons-nous
avoir avec lUnion européenne, ne parlons plus de la France ? Les
Européens parlent Europe et les Africains continuent à parler de pays,
de villages, de tribus, dethnies, etc. Arrêtons ça, vous voyez comme
on est petits et vulnérables ? On continue de parler de France. Cest
un déphasage complet qui honore la France seule pendant quelle-même
sest effacée en faveur de la Grande Europe. Réveillons-nous, le train
a démarré ! Halte au problème de leadership en Afrique. « Ce
Kadhafi-là même vaut quoi, entend-on ci et là ? Son pays na que cinq
millions dhabitants, il ne peut pas nous diriger tous. »
Pourtant, le fait est là, il sest investi pour penser, il a mis la
main à la poche. Ne critiquez pas si vous navez rien à proposer.
Formez un autre groupe si vous voulez mais allez toujours dans le sens
positif. Seul celui qui ne fait rien ne se trompe pas. Si on ne pense
pas union, on ne pense pas ensemble, tant que je serai emmerdé dans
lobtention dun visa pour arriver chez vous et que je vous rende la
pareille quand vous viendrez à Kinshasa ou Malabo, on ne va pas
avancer. Un homme daffaires européen na quà se rendre à laéroport,
il voit lavion prêt à partir et se déplace à sa guise. Mais si ce sont
nos milliardaires dici, ils vont se faire emmerder à laéroport, chez
eux en Afrique !
Revenons aux conflits quil y a en RDC. Il y a un ancien
ministre Congolais qui de passage au Cameroun avait dit que les
rebelles sont des vermines quil faut broyer.
Je ne peux pas suivre ses écarts de langage. Je suis parfaitement au
courant quil a tenu ces propos et des propos plus durs que ça que je
me réserve le droit de prononcer. Cest une tactique, quand tu es en
guerre, il faut tenir des propos populistes pour rassembler les gens.
Je ny adhère pas mais jexplique seulement car je ne suis pas son
avocat. Je suis pour quon ne sentretue pas. Parce que la violence
engendre la violence. Aujourdhui, il y a à lEst de la RDC cinq
millions de compatriotes morts. Cinq fois la population du Gabon, cest
la population de la Libye. Cest énorme. Au lieu de prendre les armes,
il faut discuter. Il y a des lois dures chez nous. La loi du sol
nexiste pas au Congo, pour acquérir la nationalité, il faut en faire
la demande. Aujourdhui, il faut peut-être se pencher sur le cas des
gens qui ont déjà fait quarante ans sur le sol congolais. Quel statut
pour eux ? Mais tout ça ressemble à de la manipulation. Beaucoup de ces
gens ont été dans le premier parlement, dans le gouvernement de mon
père. Il y a des réalités dont on sert pour faire de lamalgame. Mais
il sagit dun problème réel qui doit être résolu politiquement et
sociologiquement mas il ne faut pas sen prendre aux personnes
vulnérables quon pousse dans les bras de lautre ou bien que lautre
essaie de le manipuler.
Si on comprend bien, le Congo a aujourdhui un problème de statut civique des populations, un problème de nationalité ?
Il y a un problème de nationalité, oui. Même parmi les hommes politiques en vue. Notamment ceux qui ont acquis des nationalités étrangères à cause de lexil. Dans la loi congolaise, cela est
incompatible avec la nationalité congolaise. Imaginez un ministre de la
Défense ou un député qui na pas la nationalité congolaise ! Ces
derniers mois, il y a eu un ultimatum sur un certain nombre de députés
qui avaient pris la nationalité française ou belge.
Est-ce le gouvernement de Kabila a conscience de ce fait qui risque de faire imploser un pays comme on la vu en Côte-dIvoire…
Je ne suis pas membre du gouvernement pour savoir si les dirigeants
sintéressent à ce dossier. Selon mon observation, on ne voit pas
comment il gère ce contentieux. Il me semble quil essaie de caresser
la diaspora dans le sens du poil parce quelle était et est encore
hostile au régime en place à cause dun déficit, dit-on de
communication. Je pense que le gouvernement actuel nattaque pas le
problème au fond. Par ailleurs, il faut savoir quil y a aussi un
problème ethnique qui se pose. Car beaucoup disent que parmi nos 400
ethnies, on ne connaît pas les Banyamulenge. Les tenants de cette
hypothèse soutiennent que parmi les ethnies recensées par les Belges,
les Banyamulenge ny figuraient pas. Mais aujourdhui, cest devenu une
réalité quil faut gérer. Comment la gérer ? Je nai pas une réponse
définitive. Jusquà présent le gouvernement ne fait rien pour cela.
Sur le plan économique le gouvernement Kabila a conclu des
accords économiques tantôt avec la Chine tantôt avec les Etats-Unis,
tantôt avec dautres pays européens. Sans oublier le Brésil et lInde.
Ces démarches peuvent-elles prospérer et ensuite peuvent-elles être
efficientes pour le développement économique du pays ? Nya-t-il pas
plutôt un risque que cette multitude de conventions nexaspère les
problèmes de cohabitation dans la mesure où elle met face à face ceux
qui considérent le Congo comme leur chasse gardée ?
Cette question essaie déclairer un peu ce qui se passe en RDC. On
en parle jusquà la Banque mondiale qui vient de demander la révision
du contrat entre la Chine et la RDC, pour vous montrer à quel point le
Congo intéresse un groupe de gens. La plus grande mission militaire des
Nations unies y est installée. Pourtant cela na pas empêché la
rébellion de prospérer. Comment est-ce possible ? Les forces de lONU
se cachent et laissent les rebelles samuser comme ils veulent. Il y a
un problème. Comment les forces de lONU ny arrivent pas à arrêter ces
petits gangs quun groupe de maffieux les exterminerait en moins dune
semaine. A plus forte raison, lorsque ces groupes attaquent les
populations, violent (les femmes) et tuent, des horreurs qui finalement
deviennent une arme, et qui se perpétuent malgré la présence des
Nations unies sur place. Pour revenir à la question économique, ça nous
étonne mais ça montre également que le pays intéresse beaucoup de
puissances. Il y a même certaines langues qui disent que luranium que
lIran cherche à enrichir provient de la RDC. Ça ne métonnerait pas
car tant quil y aura de luranium, il y aura des acheteurs. Et
aujourdhui, le contrat chinois est un des derniers qui illustre lOPA
que des gens font sur mon pays. Il y a des Sud-Africains, des
Canadiens, des Australiens, même des Pakistanais qui viennent chercher
leur part en RDC. Ne parlons pas des Français, Belges et Américains.
Ils y sont depuis et se considèrent comme en terrain conquis. Mais
lorsque des hommes daffaires veulent venir y investir, on les
décourage en leur disant que le Congo est dangereux. En tant que
consultant international, pas seulement en architecture mais également
dans dautres projets plus à létranger que dans mon pays, souvent
quand je discute avec des Arabes ou des gens qui ne connaissent pas
bien lAfrique, cest toujours la même chanson : « chez vous il y a la guerre ».
Essayons une réflexion ensemble : Vous êtes au courant de la faillite
de Sabéna. Cette compagnie belge avait cinq rotations hebdomadaires au
Congo alors quAir France ny était pas encore. Après la faillite de
Sabéna, la compagnie française a juste traversé le fleuve pour deux
rotations par semaines quelle a augmenté à trois. Devenue entre temps
Sn Brussels, Sabéna est revenu avec deux rotations par semaine pour
monter à trois. On se dit quil ne peut pas atteindre son niveau
dantan car il faut rationaliser. Mais Sn Brussels monte à cinq vols
hebdomadaires et négocie une licence avec une compagnie congolaise et
compte aujourdhui sept vols par semaine dans un pays très très dangereux.
On y ajoute les trois vols dAir France, on obtient deux compagnies de
lespace Schengen qui y ont dix rotations. On ajoute ceux qui ne nous
ont pas abandonnés, Kenya et Ethiopian. Chacun a au moins deux à trois
vols hebdomadaires. Dans le même temps, la procédure pour lobtention
du visa est resté intact. Ça veut dire quil faut montrer patte blanche
pour avoir un visa. Cest toujours les mêmes Congolais qui voyagent,
entre ceux qui viennent passer les vacances et les autres. Mais qui
remplit donc ces avions là ? On se pose la question. Et pour aller où ?
Dans un pays aussi dangereux ? La vérité est quon cherche à nous
cloisonner, à faire de nous comme les réserves des Indiens, construire
un mur autour de nous. Cest eux qui encaissent les billets et décident
qui vient et qui ne vient pas. Tu ne prends pas des photos sinon tu
payes plus. Pas de caméscope. A tel endroit tu ne vas pas.
Pour en revenir au contrat chinois, le nouveau gouvernement y a mis
un point dhonneur. Pendant la transition dun président avec quatre
vice présidents, les dirigeants ont spolié, vendu dune façon honteuse
la carte minière de la Rdc. Je ne sais pas combien de contrats ont été
révisés mais le contrat chinois, Strauss-Kahn (Directeur général du
Fmi, ndlr) en venant a dit quon lui fasse une copie pour quil fasse
des propositions.
Daprès vous cette diversification de partenaires est-elle une bonne chose ?
Bien sûr, ce nest pas parce quil sagit des Chinois. Pourquoi
faut-il revoir le seul contrat chinois et pas celui des Américains, des
Belges et des Taïwanais, etc. ? Si on doit revoir celui des Chinois,
quon le fasse pour tout le monde. La Chine a lavantage de navoir pas
de culture à exporter. Chez eux, cest léconomie, le cash. Le danger
chez eux, cest quils sont très nombreux.
Avant les indépendances, on parlait de lAfrique Equatoriale
française et on se sentait comme dans un seul pays. Le leader de
lAfrique centrale sappelait Barthélemy Boganda. Il avait un projet de
créer la grande république centrafricaine. Ce quon appelle RCA
aujourdhui sappelait Oubangui-Chari. Cest lui qui a imaginé le nom
de la république centrafricaine quil voulait appliquer à toute la sous
région. Mais il est mort dans un accident mystérieux. On peut donc
penser que cest à cause de la France quil y a des barrières entre
nous. Votre point de vue, cinquante ans après lindépendance ?
Cest très facile à comprendre. Ces dirigeants sont sortis de
quelles écoles et continuent de sortir de quelles écoles occidentales ?
Toujours des mêmes écoles. On a lespoir peut-être avec la génération
Internet. Mais il faut que nous les parents, on leur facilite le
raisonnement, que ce nest pas une trahison daller vers une Afrique,
une RCA qui regroupe cinq à six pays. Au contraire, cest un mieux
être. Aujourdhui, on est dans lexclusion. Si un responsable parle de
céder un territoire à un tiers, sa tête serait mise à prix.
Jacques Chirac adit que la démocratie est un luxe pour les
Africains et il y a deux ans Nicolas Sarkozy disait à Dakar que
lAfrique nest pas entrée dans lhistoire. Quand vous observez la
manière dont les pouvoirs se font et se défont, est-ce que vous avez
limpression que la démocratie est une chose africaine? Y a-t-il
quelque chose qui manque ou faut-il la faire autrement ?
Ce genre de phrases ne mintéresse pas car ce ne sont pas Messieurs
Chirac et Sarkozy qui ont fabriqué les peuples dAfrique, ce sont de
personnes qui donnent leurs opinions sur ces peuples et elles peuvent
être erronées. Le problème, cest de savoir quelle démocratie pour nous
Africains et cest toute la problématique. Je pense pour ma part quil
faut la faire autrement. Le principe dune personne, une voix à
leuropéenne, adaptons la à nos cultures.
On constate depuis un certain temps que le passage de
témoins se passe entre fils. Eyadéma au Togo, Kabila en RDC et Bongo au
Gabon. Quelle lecture en faites vous?
Je devrais être mécontent que mon père ne mait pas transmis le
pouvoir (rires). Jai toutes des raisons dêtre virulent à ce sujet.
Cest le résultat de linadaptation du système à la mode (démocratie,
ndlr) à nos réalités. Vous voulez la démocratie, on va vous la faire.
Cest quoi la démocratie, cest un homme, une voix. Cinquante plus un,
il passe, ok on va vous faire ça. Quand je ne peux plus passer pour des
raisons X ou Y, je place les miens et quand les miens ne sont pas
encore au niveau idéologique approprié, je fais comme en Russie.
Poutine a fait ses deux mandats et comme il na pas un fils pour
diriger, il fabrique un fils à qui il a donné le pouvoir. Il continue à
gouverner officiellement car il est Premier ministre. Il ne sest même
pas mis à lécart. Il est encore au front et va revenir. Voilà le
système avec lequel on est entrain de nous tromper. Il faut sattaquer
à la racine du problème. Si ça peut changer lorientation.
Lancien chef de lEtat Congolais a été enterré loin de son
pays. Le rapatriement de sa dépouille selon vous constitue-t-il un
problème dEtat ou celui de sa famille tel que le disent les autorités
du Cameroun à propos des restes du premier président du Cameroun
Ahmadou Ahidjo ?
Même si je ne lapprécie pas car Mobutu a tué lEtat congolais
naissant, mais de là à priver sa famille de sa dépouille, cest tout un
autre problème. Je dis que sa dépouille doit revenir au Congo en tant
quAfricain, en tant que Bantou.
Une question sur la vie sportive. Nous savons que le Zaïre
était un grand pôle sportif en Afrique. On a encore en mémoire la
grande rencontre de boxe qui y a été organisée en 1976. Tout comme les
différentes mutations de dénomination, de Simbas à Panthère et même la
dénomination du pays a changé. Ces dénominations obéissent-elles à une
volonté politique ? Est-ce une volonté de Kabila de tout raser sur son
passage toute trace de Mobutu ? Quel espoir de réveil du Congo sportif ?
Le gouvernement Kabila veut effacer ce passage noir de Mobutu.
Cest clair. Çest Mobutu qui a changé le club Engelbert en Tout
Puissant Mazembé. Après, on a enlevé ce nom de Zaïre qui ne signifiait
rien pour notre pays, il faut dire les choses comme elles sont. Si ça
avait un fondement idéologique et historique, il y allait avoir des
défenseurs mais tout se résume dans la volonté dun homme deffacer une
époque en changeant tout. La période de 1974 que vous citez au niveau
du football a été prospère pour le Zaïre qui a tout gagné en football.
Coupe des nations, champion dAfrique des clubs et bien dautres. Ça
veut dire que rien ne nous a échappés. Mais à côté de cela, un Zaïre
valait deux dollars. Economiquement on était au top avec une grande
démographie. Comme le peuple aimait le football, le sport, des moyens
ont été mis par rapport à ça. Pour le passage de Simbas à Léopard, on
avait changé lemblème du léopard, on a mis le lion. Mais dans notre
signification de base, ça a été toujours le léopard depuis la première
république. Ça veut dire que Mobutu na rien inventé. Dans certaines
photos de Lumumba, il portait la toque de léopard. Mais il ne mettait
pas trop daccent là-dessus. Comme Mobutu a y mis trop daccent, cest
devenu une image identifiable à lui. Quand il y a un fond historique,
les choses reviennent à leur état initial. Cest Kabila père et ses
compagnons qui ont imposé lemblème du lion. Ce nest rien dautre
quun retour aux sources.
Est-ce que le gouvernement actuel accorde la même importance au football et au sport et y met les moyens pour que ça marche ?
Malheureusement non. Dès quon met un peu de moyens, tout avance. On
a vu le Tp Mazembé devenir champion dAfrique. Vous savez pourquoi ?
Parce quil a un gouverneur qui sintéresse au football. Il était
millionnaire avant datterrir dans la politique. Quand il a mis la main
à la poche, léquipe le lui a bien rendu. Cest la reconnaissance
mutuelle. Maintenant nous sommes leaders en musique. LEtat ne cherche
même pas à profiter. Le sport est un investissement, il faut dabord
dépenser pour gagner. Dans la musique, il suffit seulement dorganiser
et de ramasser les bénéfices. Ce quil ne fait pas. Hélas !
Un mot sur Obama… et la Guinée-Conakry pour clore cet entretien…
Je suis comme beaucoup dAfricains fier quun Noir soit président
des Etats-Unis et de lautre côté, jai souhaité quObama devienne
président pour quon soit désillusionné une fois pour toutes. Un
Américain rouge, jaune ou bleu reste un Américain. Donc si on attend
quelque chose de lui, vaut mieux rentrer dans la profondeur de soi-même
pour puiser dans nos forces pour le changement. Mes prières ont été
exaucées, jattends de voir si javais raison ou pas. Jusquà présent,
tout semble me donner raison.
Quant à la Guinée, nous avons une histoire assez particulière avec
elle. Je vous ai dit quà un moment donné, puisquil y avait des amis
de Lumumba, notamment le président Sékou Touré, jy allais souvent. Je
profite pour solliciter que la Fondation Patrice E. Lumumba que je
dirige soit partie prenante dans la recherche de la solution en Guinée.
La solution, quon le veuille ou non, réside dans la négociation. Il y
a dun côté ceux qui tiennent les armes et de lautre, la population.
Lun ne peut rien faire sans lautre. Il faut que les deux parties
sentendent. Le peuple de la Guinée ne mérite pas ces tiraillements
inutiles. Il faut quon commence par résoudre le problème par
nous-mêmes. Il ne faut pas attendre les Carter et autres pour quils
viennent nous dire ce quil faut faire, comment les différentes ethnies
doivent cohabiter. Tout dirigeant cherche le bonheur de ses
populations. Personne ne trouvera notre bonheur malgré nous. Il faut
donc que nous soyons impliqués.