29.01.10 Polytech-News — Docteurs du bout du monde – Avoki Omekanda : Une passion pour la recherche, sans frontières
Jai bien connu Avoki lorsque je préparais
moi-même mon doctorat. Nous prenions des cours de musique ensemble. Javais vite
été frappé par sons sens des valeurs, sa capacité à aller rapidement à
lessentiel. Je ne sais toujours pas comment il a atteint cette forme de sagesse
tranquille que je lui ai toujours connue. Il était un peu mon « grand frère de
doctorat ». Il a mené sa vie privée comme sa vie professionnelle : avec
sérénité.
Je lentends encore me répéter « Il est important
de faire connaître ton travail» ou « Mon cher Thierry, pense à publier dans un
journal de lIEEE ». Nous ne savions pas encore à lépoque, ni lui ni moi, la
part importante que cette société fédératrice au niveau international prendrait
plus tard dans nos vies professionnelles.
Avoki Omekanda est membre de plusieurs comités
techniques de lIEEE (lappartenance à un seul est en soi une marque de
reconnaissance de ses pairs) et reviewer pour plusieurs revues scientifiques
dans le domaine des machines électriques. Il a obtenu récemment plusieurs prix
pour des articles sur la conception des moteurs à réluctance (ce qui était déjà
le sujet de sa thèse de doctorat !).
Avoki est aujourdhui citoyen américain. Si vous
cherchez « Omekanda » sur le web, vous trouverez aussi … son fils Simon,
Ingénieur électricien et star du football américain. Si ce nest pas de
lintégration, ça …
PN : Comment test venue lidée devenir ingénieur
à la FPMs?
AO : Je suis né à Kole, au Congo (Zaïre à
lépoque), dans une famille qui ne comptait pas dingénieur. Déjà tout petit,
jétais attiré par les mathématiques, et on me répétait souvent « toi quand tu
seras grand, tu seras ingénieur !». Malheureusement, vu les conditions
politiques au Zaïre à lépoque de mes études, luniversité a été fermée
plusieurs fois, et jai ainsi perdu 2 ans. Jai donc décidé de partir, et une
bourse du gouvernement ma permis partir au Maroc. La principale école
dingénieur (Mohamadia) étant de type militaire, ma bourse ne me permettait pas
de my inscrire et je me suis finalement retrouvé en physique à lUniversité
Mohammed V.
Javais entendu parler de la FPMs grâce à M. le
Prof. Ryquier, qui mavait donné cours en candi au Zaïre, et par M. le Prof.
Broche, qui donnait cours à lEcole Mohamadia, et que jétais allé trouver. La
situation au Zaïre ne sétant pas améliorée entretemps, jai une nouvelle fois
déménagé, pour Mons. Je suis entré à la FPMs en 3è année, et jai pris les
courants forts, pour pouvoir revenir au Zaïre plus tard. Jy ai (enfin !)
terminé mes études dingénieur, grâce à laide sociale de la FPMs (javais déjà
mes 3 enfants lorsque je suis arrivé à Mons !).
PN : Pourquoi un doctorat ?
AO : Il y avait une bonne ambiance au laboratoire. On y
trouvait toujours du monde même le samedi, voire le dimanche. Jai également
pris goût à publier des articles, à me donner à fond dans la recherche. Cette
passion ne ma toujours pas quitté.
PN : Comment sest passé ton départ aux Etats-Unis
?
AO : Jai assisté pendant ma thèse à une Conférence
Internationale, qui se déroulait cette année-là à Paris. Jy ai présenté 2
communications. La présentation de mes travaux ma valu pas mal dacclamations :
il y avait là pas mal de gens qui sintéressaient aux moteurs à réluctance, et
je crois que jai fait forte impression. Les gens de la R&D de General
Motors étaient présents, et mont proposé de venir donner un exposé à Détroit,
tous frais payés. Puis tout sest enchaîné : proposition demploi, déménagement,
… jy suis depuis plus de 10 ans.
PN : Avec le recul que tu as maintenant par
rapport aux diverses institutions universitaires que tu as fréquentées, comment
situerais-tu ta formation à la FPMs par rapport à celle de tes collègues
américains?
AO : Nous avons reçu une excellente formation à Mons ! Ainsi
par exemple, le niveau des ingénieurs Américains est inférieur ; un Ir. de Mons
correspond plutôt à un Ingénieur+Master aux Etats-Unis. Pour ce qui est du
doctorat, il supporte sans problème la comparaison. Je nai jamais eu aucun
problème avec mes collègues.
PN : Tu es auteur ou co-auteur de 11 brevets, plus
de 15 demandes de brevets en cours et dune quarantaine de publications
internationales dans des revues ou conférences de haut niveau ! Comment fais-tu
?
AO : Jai beaucoup de chance : je suis chercheur à temps plein.
Jai peu de tâches de gestion administrative, je dirige le projet dans lequel je
travaille moi-même, et jen suis toute les étapes : idée, projet, recherche,
développement, tests, prototypes, production). Ainsi par exemple, un de mes
capteurs est passé en production il y a deux ans, et un grand nombre de
véhicules aux USA en sont maintenant équipés. Je suis devenu senior member de
lIEEE, et je publie toujours beaucoup. Je serai même président de lIEEE
Electric Machines Committee dans 4 ans.
PN : Te sens-tu intégré aux Etats-Unis?
AO : Absolument ! Ce pays compte plus de 90%
dimmigrés… Si on possède une bonne formation, cest un endroit parfait. Par
contre, le contraire est à déconseiller : les classes pauvres sen sortent très
mal ici. Je me suis mis à l « American Culture » : je peux parler « SuperBall »
!
Mes trois enfants sont à luniversité ici, ça aide
beaucoup. Enfin, je suis citoyen US depuis juin 2005. Cétait indispensable pour
pouvoir travailler sur certains projets défense.
PN : Quel message voudrais-tu faire passer à nos
étudiants ou à nos chercheurs ?
AO : Une bonne recherche se développe dans une
ambiance propice. Il faut quon sente une ouverture chez les gens qui y
travaillent. On doit pouvoir y travailler de façon flexible (un chercheur ne
dépose pas sa recherche en sortant du labo).
Je conseille également de toujours se garder des objectifs
ambitieux. Chercher à faire rayonner ses idées. Aller publier dans les
meilleures conférences. Connaître dautres chercheurs ; le monde devient tout à
coup tout petit… On trouve également dans cette ouverture une forte sensation
daccomplissement.