Les Noirs seraient-ils des incapables? par Albert Kisonga Mazakala

La liberté des Haïtiens n’aura servi à rien sinon à accoucher des régimes tyranniques.

Le terrible séisme qui a détruit la
capitale d’Haïti focalise de nouveau l’attention de tous les médias sur
la situation catastrophique de ce pays, le plus pauvre des Amériques,
un des plus pauvres du monde. Haïti est le premier pays noir, si pas
l’unique, à s’être libéré des chaînes de l’esclavage grâce au génie
militaire de son leader Toussaint Louverture, il y a 219 ans. Pourtant,
loin d’avoir permis le développement de leur pays, la liberté des
Haïtiens n’aura servi à rien, pourrait-on dire, sinon à accoucher des
régimes tyranniques tout juste aptes à appauvrir leur peuple et, au
contraire, à favoriser l’enrichissement des dirigeants.

La
situation d’Haïti est en tous points semblable à celle de la plupart
des pays d’Afrique noire, en ce compris, bien évidemment, sur le plan
racial. D’où la pathétique question que tout le monde se pose tout bas
mais qui est dans tous les esprits : les Noirs ne seraient-ils que des
incapables ? Oser poser publiquement la question me vaudra probablement
la remontrance de beaucoup de mes frères de couleur, étant donné
l’extrême susceptibilité dont nous faisons généralement montre. En
effet, on se rend compte maintenant, après le demi-siècle des
indépendances africaines, combien la maxime de Léopold Senghor fut
juste : "L’émotion est nègre, la raison hellène".

Beaucoup de
cadres africains comprennent aujourd’hui que c’est la difficulté de
gérer nos émotions qui nous empêche de prendre les bonnes décisions
pour une meilleure gestion de nos pays. En considérant notre allergie à
la critique, nos détracteurs concluent à l’infériorité du Noir. Nous
sommes bien obligés, même à notre corps défendant, de convaincre qu’on
nous juge mal, non pas en proférant des menaces donquichottistes mais
en apportant les preuves de notre volonté d’essayer de bien faire. Pour
ma part, j’ai tenté de donner réponse à cette question dans un ouvrage
(Africains, nous devons changer) paru l’année dernière chez l’Harmattan
à Paris.

Pour commencer, il est peut-être nécessaire
de rappeler que de nombreuses études scientifiques faites dans le monde
ont démontré que tous les êtres humains, abstraction faite de la
couleur de leur peau, ont les mêmes aptitudes au point de vue de
l’intelligence. En revanche, notre culture apparaît comme un handicap
ne favorisant pas un comportement rationnel en matière de gestion d’un
Etat moderne. A mon humble avis, notre vision du monde et le rapport au
pouvoir qui en découle semblent toujours obéir à la tradition, alors
même que nous sommes en charge de gérer des pays modernes que,
malheureusement, nous n’avons pas créés mais qui l’ont été par le
colonisateur.

Dans nos traditions, le pouvoir du chef (le roi)
était absolu, au-delà de ce qui pouvait se concevoir dans d’autres
cultures. Les biens (terres et bétail, là où il y avait élevage) et les
hommes, donc aussi les femmes, appartenaient au roi, qui en disposait
comme bon lui semblait.

A ce jour encore, même bardés
de diplômes universitaires, beaucoup de nos dirigeants considèrent le
pays comme leur "chose" pour laquelle ils n’ont de compte à rendre à
personne, et encore moins à l’étranger. C’est ainsi que pourrait
s’expliquer, par exemple, l’extrême susceptibilité des dirigeants
congolais, de Mobutu à Kabila. Comment ne pas donner raison à ceux qui
accusent nos dirigeants de se moquer des conditions de vie de leur
peuple ? Si cette culture a traversé les siècles malgré les
bouleversements de l’histoire, c’est certainement parce que nous
n’avons pas pu nous approprier la culture du développement économique
et technologique ayant accompagné le colonisateur.

C’est
simple : jusqu’à ce jour, dans la plupart des pays d’Afrique noire tout
comme à Haïti, les instruments de production demeurent la houe et la
machette, les déplacements se font à pied, le transport des
marchandises à dos d’homme. Or, ce qui contribue à la mutation de la
culture, ce sont, essentiellement, les outils et les rapports de
production. L’existence d’un secteur économique moderne, bien souvent
géré par les étrangers, ne suffit apparemment pas à induire le
changement de culture, parce qu’il n’est pas intégré par la population,
sinon rien que par la consommation. Il est certain que si les
populations acquièrent la possibilité de produire des biens en
quantité, d’accéder à des meilleures conditions de vie, elles auraient
une autre compréhension de la gestion de la chose publique; seraient
par conséquent plus désireuses de se choisir des dirigeants aptes à
promouvoir l’intérêt général, et donc éventuellement, à se battre pour
sanctionner les dirigeants corrompus et inefficaces.

Le
drame de Haïti soulève une autre interrogation, au regard du silence
assourdissant des pays africains au moment où le monde entier se
précipite au chevet de ce pays éprouvé. Dans leurs fréquents
déplacements à l’étranger, les Chefs d’Etat africains voyagent en avion
spécial, accompagnés d’une nombreuse délégation pour des coûts onéreux
en millions de dollars. Prétendre que c’est un manque de moyens qui les
empêche d’aller au secours d’un pays frère éprouvé relève de la pure
hypocrisie. Aussi, si l’indépendance a été une chance historique dont
il faut absolument se féliciter, il faudrait maintenant que nous ayons
le courage de constater que notre culture n’est pas à même de favoriser
le développement, voire est antagonique au développement(…)

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