Vous avez dit « méthode historique » ? ou Jean Stengers pris la main dans le sac, par Guy De Boeck.

L’histoire de l’Histoire – eh oui !, tout ce qui est
humain a son histoire et donc l’Histoire et les historiens eux-mêmes n’y
échappent pas, ou si l’on préfère, l’histoire de l’historiographie, montre que
ces méthodes ont varié au cours du temps. Certains documents[1], étudiés par de nouvelles techniques,
ont gagné ou perdu en crédibilité, ou même livré des informations nouvelles. La
manière même dont ces documents se présentent, la quantité différente que nous
en avons, suivant les époques, influent sur la manière de les considérer.

 

Ainsi, durant assez longtemps, les cours de « critique
historique » que l’on inflige à tous les candidats en Philosophie et
Lettres, ont été fortement marqués par les médiévistes parce que le début des
études historiques modernes, au XIX siècle, ont été avant tout le fait
d’historiens du Moyen-âge, et en particulier de l’Ecole des Chartes. Pour cette
période, on est devant des temps d’où relativement eu de documents nous sont
parvenus, et où les faux (pour appuyer des prétentions à un titre de noblesse,
établir des droits contestés…) n’ont pas été rares. De sorte que la critique
historique y revêt un peu des allures de chasse aux faussaires et fait assez
largement appel à des sciences auxiliaires.

Pour des périodes plus récentes de l’histoire – notamment
celle où se situe la période coloniale – on est au contraire souvent submergé
par le nombre de documents et, pou les historiens des idées et de l’opinion
publique, cela prend l’allure d’un raz-de-marée puisque la pesse de ces
années-là nous est largement parvenue. Dès lors, les problèmes qui se posent
snt différents : il s’agit bien plus de choisir, parmi des documents
certainement authentiques, les plus significatifs, ou même, de se livrer dans
la masse d’archives disponibles, à de véritables sondages, assez analogues aux sondages
d’opinion (et présentant, d’ailleurs, les mêmes risques d’erreur).

Comme on le voit, il n’y a pas UNE méthode, garantissant une
certitude absolue à condition d’avoir appliqué les bonnes techniques suivant
les bonnes recettes, mais bien des approches multiples, permettant de faire le
tour de la question.

 

Il reste que l’historien, curieux incurable, n’en sait
jamais assez à son goût, et qu’il persiste des zones d’ombre. Et quand
celles-ci couvrent de leurs ténèbres la prise de décisions politiques importantes,
il les trouve vraiment gênantes, et toute allumette lui est bonne pour tenter
de les éclairer. C’est bien sûr particulièrement vrai quand il s’agit d’un
homme qui a cultivé avec amour le secret et les décisions imprévues, comme
Léopold II.

Se pose alors le problème de savoir comment interpréter la
règle qui veut que « nous savons » soit synonyme de « ces faits
sont attestés par des documents irréfutables ».

Que faire lorsque nous n’avons pas le moindre bout de papier
relatant comment la décision a été prise et pour quelle raison ?

Il y a deux solutions. La première est de s’imposer le
silence et de ne rien en dire puisque les documents font défaut. La seconde est
d’extrapoler d’après ce que nous savons par ailleurs de la manière dont la
personne concernée prenait ses décisions, des arguments auxquels elle était
sensible, des sentiments qui étaient les siens, des pressions qui à ce moment
là pesaient sur elle, etc…

Si l’on veut comparer l’enquête historique à l’enquête
judiciaire, disons que la première méthode consiste à constate que l’on n’a pas
de témoin des faits eux-mêmes. La seconde consiste à se baser sur les
témoignages dits « de moralité » pour tenter de déduire, de ce que
disent ceux qui l’ont bien connu, ce qu’il était susceptible de faire en
réaction à une circonstance donnée. En Justice, on y voit une cause d’erreur
dans la mesure où l’on risque de condamne un homme comme « capable du
fait », sans prouve qu’il en est coupable. L’Histoire n’étant pas un
tribunal, il n’y a guère matière à s’inquiéter, et les justiciables seraient,
en toute hypothèse, depuis longtemps hors de portée de tout jugement humain.

 

Recourir à des extrapolations basées sur les manières
habituelles d’agir et de décider d’une personne, à son caractère, extrapoler en
un mot, à partir de sa psychologie, ou ne pas le faire. Tel est le choix. Il y
a des arguments en faveur de l’une comme de l’autre position. Il faut choisir
et chaque choix est défendable.

Mais quand on a choisi, il faut s’y tenir. Car il n’est pas
logique, ni licite, toutes choses étant égales, d’adopter tantôt l’un des
points de vue, tantôt l’autre. Dans ce cas, C’est l’historien lui-même qui
s’expose à être soupçonné d’avoir cédé à d’autres considérations que son strict
devoir de reconstruire, au mieux de ses capacités, les faits du passé.

 

Une dernière remarque enfin : les faits dont il va être
question concernent deux personnages de première grandeur, puisqu’il s’agit de
Léopold II et d’Otto von Bismarck-Schoenhausen.

Cela s’est passé au « tournant du siècle »,
c'est-à-dire dans les dernières années du XIX ° et les premières années du XX°
siècle. C’est une époque où tous les collaborateurs des grands hommes – et même
un certain nombre des auxiliaires d’hommes qui se croyaient simplement tels –
ont relaté leurs souvenirs et même, souvent, plaidé leur cause. Il en est resté
aussi beaucoup de papiers privés. Les extrapolations ont donc bien des matières
sur lesquelles s’appuyer.

 

Les frontières de
l’EIC

 

L’expression
« le partage de l’Afrique par la Conférence de Berlin » est devenue un tel
poncif que l’on oublie
que le comte Otto von Bismarck-Schoenhausen,
Chancelier du Reich allemand n’a pas lancé des invitations « à venir à
Berlin pour se partager l’Afrique ». Son souci principal concernait la
sécurité européenne.

Bismarck (l’homme d’Etat européen qui a joué pour
l’organisation du monde colonial naissant le rôle capital). comprenait une
chose essentielle: la progression anarchique des conquêtes coloniales par les
différents Etats nationaux d’Europe mettait en danger la Sainte-Alliance
des pouvoirs réactionnaires en Europe même. En d’autres termes: par un curieux
retour des choses – une « ruse de l’histoire » dirait Hegel – les campagnes
coloniales affaiblissaient la capacité de résistance des gouvernements
bourgeois face aux forces de la révolution socialiste montante en Europe. Dans
le dernier quart du XIX° siècle, les nouvelles formes économiques, sociales et
politiques que revêt la société suscitent, chez tous ceux qui sont attachés à
l’ordre ancien, ou qui souffrent des changements, l’anxiété, la peur ou la
colère : nouveaux modes de vie qu’engendrent le progrès technique et la
société industrielle, exode rural et exploitation ouvrière, difficultés causées
aux entrepreneurs et aux commerçants par le capitalisme en plein développement,
par « la dure loi des banques », la misère des uns et la ruine des
autres, l’écrasement de tous par un système économique inhumain et insolent.

Et l‘histoire devait donner raison à Bismarck :
le partage de Berlin devait bien éviter que les impérialismes concurrents
s’affrontent en Afrique, mais leur conflagration, en 1914, pour des raisons qui
n’ont rien de colonial, devait effectivement mener, entre autres, à la création
du premier état socialiste : l’URSS.

 

En fait, rien ne prédisposait le premier chancelier
de l’Empire allemand à porter ses regards sur l’Afrique : Bismarck est un
aristocrate de Prusse orientale, son horizon est strictement européen. Après la
victoire de la Prusse
sur la France
en 1870, son ambition est double : s’affirmer comme l’homme d’État
européen par excellence, l’arbitre du « Concert européen », à la
manière de Metternich au début du siècle ; mais aussi tisser
inlassablement, avec l’Autriche-Hongrie, la Russie ou l’Italie, un réseau d’alliances afin de
marginaliser la France,
de la tenir à la lisière du système européen. Bismarck est même prêt à
encourager Jules Ferry dans ses ambitions coloniales : que la France redéploie ses
ambitions, qu’elle les consacre à la constitution d’un empire colonial, qu’elle
oublie la « ligne bleue des Vosges » et les provinces perdues
d’Alsace et de Lorraine ! Bismarck est longtemps rétif à toute prise de
gages outre-mer : en 1874, il a refusé de répondre aux propositions du
sultan de Zanzibar, Sayyid Bargash, qui, par hostilité aux Britanniques,
s’engageait à accepter le protectorat allemand… Ce désintérêt pour la
colonisation de l’Afrique ne heurte pas les traditions allemandes, lesquelles
furent d’abord commerciales, dirigées vers l’établissement de comptoirs. En
1887, dans les régions du Dahomey annexées par la France ou placées sous son
protectorat, ce ne sont pas les produits des manufactures françaises qui sont
vendus, mais les étoffes et les alcools de Hambourg ! Mais peut-on, en cette
fin du XIXe siècle, se tenir strictement au domaine commercial,
exclure toute projection de souveraineté, alors que la compétition pour la
conquête du monde en vient à modifier les équilibres et les rapports de force
au sein même du Concert européen ? Toute l’Europe semble s’être mise en
marche. Il s’agit d’engager, selon Kipling, le struggle for life, la
lutte pour la vie d’où émergera le peuple le plus fort, le plus entreprenant.

Soumis aux pressions des commerçants des villes
hanséatiques, Bismarck pose le premier acte officiel de la politique coloniale
allemande… Une littérature coloniale se développe en Allemagne, autour du
pamphlet de Frédéric Fabri, l’Allemagne a-t-elle besoin de colonies ?
L’influence du conseiller de Bismarck, von Kusserow, acquis aux idées
coloniales, se révèle décisive. Bismarck change de posture et entre dans ce que
Jules Ferry a appelé la « course au clocher » pour
l’appropriation des terres africaines. Malgré cette percée fulgurante, la
politique coloniale de l’Allemagne est encore floue lorsque Bismarck est
contraint d’abandonner ses fonctions, en mars 1890. Le chancelier de l’Empire
allemand restera finalement réservé sur sa propre action africaine :
« Von Kusserow m’a entraîné dans le tourbillon colonial »,
dira-t-il. En fait, il n’a soutenu les souhaits des milieux d’affaires que pour
ne pas se laisser déborder par le parti nationaliste. Son successeur, Caprivi,
fait preuve de la même prudence : « Est-ce en plantant notre
pavillon que nous devrions agir, ou par la création de factoreries, ce qui me
paraît bien préférable ? 
» C’est Guillaume II qui fera preuve
d’un vrai volontarisme, dans le cadre de sa Weltpolitik : « Mon
devoir, envers la nation, est de lui donner une place dans le monde 
». 

Mais Bismarck, mieux que quiconque parmi ses
collègues à la tête des autres gouvernements d’Europe, comprit les dangers de
l’heure. La montée des forces ouvrières et révolutionnaires obsédait sa
vieillesse. La raison solidaire des travailleurs progressait rapidement.
Seigneur de la police la mieux organisée d’Europe, Bismarck connaissait
parfaitement les progrès de l’implantation, de l’organisation, de l’influence
du mouvement ouvrier dans chacun des pays en voie d’industrialisation. Et
Bismarck, à l’opposé de presque tous les autres dirigeants politiques de son
temps, n’était point hanté par le rêve colonial. Son souci exclusif et constant
était la consolidation de la fragile unité allemande, la puissance et la gloire
de l’Etat allemand. Visionnaire, il comprit que les conflits qui naissaient
presque quotidiennement de l’anarchique occupation européenne de l’Afrique
risquaient de bouleverser – en Europe même – sa savante et complexe stratégie
des alliances par laquelle il tentera – trente années durant – d’assurer la
permanence et la grandeur de cet Empire. Bismarck voulait, avant de mourir,
créer pour les conquêtes coloniales des règles de partage et de légitimité. Il
organisa la Conférence
coloniale de Berlin pour des raisons essentiellement «européennes». Il est
hanté par la possible destruction de son œuvre: le complexe édifice des
alliances qui doit garantir pour des siècles à venir la grandeur, la
précellence du Reich sur le continent.

 

Or, le ciel des colonies semble au Chancelier tout
chargé de lourds nuages orageux dont les flancs sont lourds de toutes les
foudres de la guerre. Au fur et à mesure qu’elles progressaient,
s’amplifiaient, s’étendaient jusqu’aux confins du monde, les campagnes
coloniales produisaient sur la société européenne des effets inattendus: la
rapacité des marchands, guerriers et financiers, le fanatisme des missionnaires
devenaient tels qu’ils mettaient en danger la paix civile en Europe et
l’équilibre entre les Etats. Déjà dans le Haut-Dahomey, aux confins du Soudan,
aux bords du plateau voltaïque, les troupes françaises faisaient face aux envahisseurs
anglais, les officiers de la
République
invectivaient les envoyés de Sa Majesté. Entre les
colonnes des capitaines Chanoine et Rolland d’une part, et les bataillons de
Fergusson de l’autre, la guerre menaçait d’éclater sur les vastes plateaux Mossi.
Au Gourounsi, le lieutenant Voulet affrontait Bokara-Naba dont l’armée était
équipée, financée, encadrée par des Anglais. Il n’existait, en effet, aucune
loi, aucun critère juridique, aucune règle coutumière qui auraient permis de
séparer, de délimiter, de définir les zones de conquêtes et d’influence
respectives des différents Etats d’Europe en Afrique. L’agressivité des
militaires, la soif de conquête, les séductions de gloire mondaine, mais aussi
les intérêts économiques en jeu et les messianismes idéologiques (laïques ou
religieux) transformaient ces campagnes d’Afrique en véritables épopées où
s’affrontaient les orgueils « nationaux « , la « dignité » des
Etats, la « crédibilité » des gouvernements. Le moindre incident entre
troupes anglaises et françaises, marchands portugais et explorateurs allemands
dans un quelconque coin reculé des steppes sahéliennes ou des montagnes de
Benguela résonnait dans l’opinion publique européenne et prenait invariablement
les dimensions d’un conflit majeur.

 

En 1885, il convoqua à Berlin une conférence
coloniale qui devait donner à l’ordre colonial mondial, et notamment africain,
sa légitimité et sa légalité[2],
mettre fin aux occupations « sauvages » en instituant des règles visant à
déterminer entre Etats européens concurrents le droit de la « première
occupation », ouvrir à la navigation internationale les grands bassins
fluviaux; contrôler la traite des esclaves et plus généralement le traitement
de la main-d’œuvre autochtone. Une présomption de droit international était
créée par l’accord final de la
Conférence
: un territoire sur lequel flottait un drapeau
européen était considéré propriété légitime de l’Etat en question. Un Etat
européen concurrent qui, lui aussi, revendiquait le même territoire devait
prouver devant une instance arbitrale la plus grande validité de ses propres
titres de propriété (accords de protectorat conclus avec des chefs autochtones,
contrat d’achat, etc.). En bref grâce à la Conférence coloniale de
Berlin naît un véritable système mondial : avec ses règles d’occupation et de
conduite, ses instances arbitrales, son idéologie de légitimation, sa légalité
fondée par un corpus de droit que promulgue le cartel. C’est ce système
colonial homogène, structuré, cohérent que l’on met alors en place, et le Congo
(en ce compris la taille du Congo) en fait partie.

 

Lorsqu’on craint une guerre, le premier souci est
d’éviter les possibilités de friction directe. Quand on est assis sur un baril
de poudre, on craint les étincelles comme la peste. Cela se traduit notamment
par le fait d’éviter les situations où les belligérants potentiels ne seraient
séparés que par une frontière ou une ligne de démarcation. Plus près de nous,
nous avons connu cela pendant la Guerre
Froide
 : l’attention était surtout braquée sur l’Europe
centrale, parce que c’était le point où Américains et Soviétiques se trouvaient
en contact direct. Partout ailleurs, on s’est parfois fait la guerre « par
peuples interposés », mais le risque estimé le pire, c’était que les deux
superpuissances en viennent directement aux mains. 

Une crainte identique sévissait vers 1885, à propos d’une confrontation directe
entre les trois Grandes Puissances de l’époque : La France, la Grande-Bretagne et
l’Allemagne. Là aussi, les organisateurs de la Conférence se
montrèrent bons prophètes. Le choc frontal qu’ils craignaient finit par se
produire ; treize ans plus tard, à
Fachoda[3] et,
sans les règles de conduite édictées à
Berlin, il n’aurait pas été exclu qu’une guerre s’ensuivît. Le célèbre incident
fut d’ailleurs provoqué par un fait déjà connu en 1884 et qui sans doute fut
l’une des raisons pour lesquelles Bismarck prit l’initiative de sa
Conférence : le danger que représentait le croisement des axes de
colonisation français (d’Ouest en Est) et britannique (Nord / Sud) en Afrique
centrale, c’est à dire au Congo. L’expédition Marchand passa d’ailleurs par le
Congo-Brazzaville.

 

Le contexte de Berlin 1885 est celui de ce que l’on
appelle en anglais le « scramble » (bouscule ou brouiller) et en
français « la course au clocher », c’est à dire une compétition
chaotique entre des impérialismes concurrents, sur fond de nationalisme
exacerbé, qui faisait qu’en cas du moindre incident international, même aux
Antipodes, tout gouvernement était sûr d’être poussé dans le dos par une
opinion publique patriotarde et chauvine ne demandant qu’à en découdre et
réclamant du sang au nom de « l’honneur de la patrie ».

Il est donc normal qu’on ait jugé que pour séparer
tous ces grands agressifs, il fallait comme amortisseur un tampon de grande
taille. Et quand il s’agit de « voir grand », les Allemands n’ont pas
tendance à y aller de main morte. Bismarck soutint donc ce que Léopold II
appelait « le grand tracé » des frontières de l’Etat Indépendant du
Congo c’est à dire l’étendue qui correspondait à ce que le Roi estimait pouvoir
réclamer au maximum, dans l’hypothèse la plus favorable. Cela revenait à
« neutraliser », du point de vue de la colonisation et des conflits
qui pouvaient en découle, la partie la plus centrale de l’Afrique, sur 2 345
000 km2

Quelle que soit l’alliance régionale dont le Congo
fait partie, à l’exception de la
CEEAC
, il en semble toujours un membre un peu
« bizarre », étant si « central » qu’une autre
qualification ne lui convient !

 

Jean Stengers, dans un de ses articles plus tard
repris en recueil[4], s’est penché sur
l’acceptation par les Puissances de ce
« grand tracé ». On sait que l’acceptation française tint à une
mauvaise estimation d’une situation que l’on espérait
« juteuse » : la
France
était persuadée que Léopold II allait échoue au Congo,
devoir vendre son EIC, et disposait d’un droit de préemption. La réponse
positive de l’Angleterre résulta d’un accident : l’absence des principaux
employés du Foreign Office fit tomber la lettre de Léopold II entre les mains
d’un intérimaire incompétent. La réponse allemande, au contraire, vint de
Bismarck lui-même, qui prit connaissance de la lettre et minuta l’essentiel de
sa réponse de sa main sur le document
lui-même. Voilà les faits qui nous sont connus, au sens strictement historique,
c’est à dire « attestés par des documents irréfutables ».

Mais Stengers se mêle alors de reconstituer les
pensées du Chancelier de Fer et de reconstituer les motifs de cette
acceptation. Il s’agirait, nous dit-il, d’une contrepartie, sans laquelle
l’Etat Indépendant qui par sa lettre acceptait de se soumettre à toutes les
obligations découlant de l’Acte de Berlin, n’aurait reçu aucun avantage en
retour… En un mot, Léopold faisait un effort, et le Comte Otto, en gentleman,
lui renvoyait l’ascenseur.

C’est une opinion qu’on peut avoir, encore qu’elle
prête bien des délicatesses de sentiment à un homme qui a plutôt une réputation
de cynisme brutal. Ce n’est quand même pas par des fioritures romantiques que
l’on obtient des sobriquets du genre de « Chancelier de Fer » !

Une autre hypothèse pourrait parfaitement être
défendue : si Bismarck a accepté sans discussion le « grand
tracé », c’est parce que son but premier était d’éviter que se produise en
Afrique le choc entre impérialismes concurrents
qui pourrait dégénérer en guerre européenne et que de ce fait l’étendue des
possessions de Léopold II l’intéressait moins pour les territoires eux-mêmes –
largement inconnus, surtout quant à leurs richesses géologiques -, que pour
l’étendue de la « zone tampon » qu’il se proposait de mettre entre
l’impérialisme français et l’impérialisme britannique.

De toute manière, que l’on penche pour
« Bismarck au cœur tendre » ou pour « Bismarck à la tête
politique », le fait est qu’il n’y a aucun document permettant de pencher
pour une hypothèse ou pour l’autre. Aucun de ces deux faits ne nous est connu,
au sens strictement historique, c’est à dire « attesté par des documents
irréfutables ». C’est purement et simplement du roman. Roman historique
peut-être, mais roman quand même. On voudra bien note, cependant, qu’en cette
occasion, Jean Stengers estime qu’il est permis à l’historien de faire des
extrapolations psychologiques, et que celles-ci sont favorables à Léopold II,
qui apparaît comme un homme d’honneur (alors qu’il jettera les articles de
l’Acte qui le gênent par-dessus bord six ans seulement plus tard).

 

Cela devient cependant très curieux, lorsque l’on
examine l’attitude du même historien, commentant une piéce relative à la
reprise du Congo par la Belgique,
la « Note pour Monsieur Baerts ».

 

Léopold II
abdique en faveur de la Société Générale

 

Le roi Léopold II a vécu longtemps. 74 ans pour être
précis, de 1835 à 1909, et régné 44 ans. C’est un avantage quand il s’agit de
se hasarder dans la psychologie d’une personne. La longueur des années permet
de faire la distinction entre les tendances durablement implantées et les
caprices momentanés.

L’idée de
« l’agrandissement de la
Belgique
 » l’a hanté très tôt. En 1854, encore duc de
Brabant, l’ambition personnelle pour son pays du futur Léopold II s’annonce
déjà. Il conçoit le projet d’une guerre contre la Hollande. Il présente
cette agression comme l’explosion du sentiment national, permettant entre autre
de récupérer le Limbourg perdu en 1839 (et la délivrance des frères soumis au
joug ennemi), conquérir les provinces catholiques des Pays-Bas et annexer les Indes néerlandaises. Le duc
compte sur le soutien de la
France
dans cette opération. Ses projets ne se réaliseront
jamais. Rien n’indique que le roi de l’époque ait été mêlé à cette affaire.

A partir de 1861, le duc se résigne et il accepte la
place de la Belgique
en Europe. Mais ses aspirations expansionnistes se tournent vers les autres
continents. La politique d’acquisitions outre-mer est lancée et ne s’arrêtera
jamais. Nombreux seront les échecs, mais le public retiendra de ce phénomène la
seule victoire du Congo ! Il faut d’ailleurs remarquer à ce propos que, si
la colonisation était déjà le rêve de jeunesse de Léopold, l’accomplissement de
ce rêve a été l’œuvre de sa maturité, et la reprise de la colonie par la Belgique, celle de la
vieillesse. Il y a, dans l’histoire de cette dernière période, des épisodes où
le roi a des attitudes que l’on ne peut appeler autrement que « des
entêtements de vieux monsieur ».

L’obstination était un trait important de son
caractère. On dirait volontiers qu’il était têtu comme une mule, si cet animal
n’était pas un piètre coursier royal. Obstination ne veut pas dire rigidité.
Léopold II était intelligemment diplomate, manœuvrier et tacticien. La
duplicité et la pensée à tiroirs multiples ne lui sont nullement étrangères. On
le voit au fil du temps opérer des volte-face, se montrer parfois souple. C’est
vrai. Il est conscient des réalités et s’y adapte en fin tacticien.

Mais, précisément, c’est de la tactique. La
stratégie, la ligne de force qu’il suit, ne change pas. La souplesse de Léopold
II, c’est celle de l’homme qui va d’un point à un autre et rencontre un
obstacle. Va-t-il le surmonter ? Va-t-il le briser ? Tentera-t-il
peut-être de passer au-dessous ? Trouvera-t-il un moyen de le
contourner ? Une chose est sûre, il continuera de progresser vers
l’endroit où il va ! La souplesse tactique, chez Léopold II, est au
service d’une stratégie qui ne varie pas, parce que les objectifs sont
fixes, parce qu’ils sont assis sur des
certitudes. Et certaines de ces certitudes sont en fait des dogmes. Et des
dogmes erronés !

 

Il y a donc lieu de s’étonner lorsque l’on apprend
qu’à un certain moment, Léopold II est censé avoir changé d’avis ! Et ceci
non à propos d’une broutille, mais à
propos de la reprise du Congo par la Belgique.
Il
s’agissait donc de la grande œuvre de sa vie.

Schématiquement, le Roi passa l’année 1906 à
batailler pour le maintien de son EIC, ou du moins pour une formule de reprise
par la Belgique
qui eût consisté à le rebaptiser
« Congo Belge » sans trop rien y changer. Pour les hommes politiques
belges , la reprise se veut une rupture d’avec le système léopoldien. Il est
désormais question de reprendre le Congo pour faire cesser les abus, et Léopold
sait fort bien que cela ne pourra pas se faire, sans jeter bas une notable
partie de son système. Il va donc le défendre avec bec et ongles car, il faut
bien en être conscient sous peine de ne rien comprendre aux événements, c’est
au maintien de ce système, c'est-à-dire à une colonie dégageant des surplus
financiers au profit de la métropole, qu’il tient par-dessus tout.

Le gouvernement De Smet de Naeyer étant tombé, les
premiers mois de 1907 furent occupés par la formation du gouvernement présidé
par Jules de Trooz[5]. Durant cette même
période, Léopold II change d’avis et appuie désormais le projet de reprise du gouvernement.

 

 Au cours des
tractations, parfois tendues et laborieuses, qu’il eut avec le gouvernement
belge, Léopold dit à plusieurs reprises qu’il avait eu largement le temps de se
lasser du Congo. C’étaient peut-être des réflexions tactiques. Mais on peut
fort bien croire qu’il l’a parfois dit en toute sincérité. Il ne défend plus
son Etat Indépendant, il défend une méthode de colonisation son « système
léopoldien », en dehors duquel il ne voit point de salut.

Ici intervient une « Note pour M. Baerts », écrite par Léopold le 25 avril 1907.

La note du Roi est adressée à Baerts, un haut
fonctionnaire de l’administration du Congo, qui avait des relations d’amitié
avec Paul Hymans, car ils avaient été camarades d’études à l’ULB. Au cours
d’une conversation, Hymans et lui avaient discuté de la question congolaise.
Mis au courant, Léopold II donne des directives à Baerts en vue d’un nouvel
entretien qu’il lui demande d’avoir avec le député libéral. Profiter des propos
« entre la poire et le fromage » pour glisser des idées était une
formule que Léopold affectionnait. Il suggéra donc à Baerts certains propos
« utiles à tenir ».

Voici ce qu’il écrit :

« Note pour M. Baerts… 25 avril 1907. – Quand vous rencontrerez M. Hyrnans,
dites-lui que vous m’avez rapporté
son entretien avec vous et que cela m’avait fort intéressé. Vous ajouterez que
je vous avais dit que si la
Belgique
annexait le Congo, je n’aurais que deux désirs 1°) que le nouveau régime soit établi de
façon à ce que le Congo ne soit jamais une charge pour le pays mais toujours
pour lui un grand avantage; que pour cela il était nécessaire que l’exécutif
puisse agir vite et administrer la dépendance comme cela se fait en Angleterre[6] 

» 2°) que le Roi ait désormais à intervenir
aussi peu que possible au Congo; qu’après 22 ans de grandes dépenses qui lui
pèsent encore lourdement et de soins constants, S.M. a eu du Congo plus que sa
pleine satiété.

«  Enfin, vous direz que le Roi ne se dissimule pas les avantages,
spécialement pour le Souverain, d’un Conseil Colonial bien constitué, mais que
son élection par les Chambres devrait faire craindre l’introduction dans
l’administration du Congo de nos luttes politiques.

« Le
contrôle pourrait sans doute être mieux trouvé dans la constitution même du
ministère des Colonies. Le ministre et l’administration centrale à Bruxelles
formeraient un budget belge spécial qui serait annuellement soumis aux
Chambres. D’autre part, l’exécutif, par les soins du ministre responsable des
Colonies, arrêterait le budget pour le Congo sans intervention législative…
»[7]

 

On trouve ainsi dans cette note « … que le Roi ait désormais à intervenir aussi
peu que possible au Congo; qu’après 22 ans de grandes dépenses qui lui pèsent
encore lourdement et de soins constants, S.M. a eu du Congo plus que sa pleine
satiété
 »

 Ce texte, à
vrai dire, pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Le Roi parle de la «pleine satiété » qu’il a du Congo et de
son désir d’y intervenir « aussi peu que
possible
 » après l’annexion. N’est-ce là qu’une habile tactique qu’il
emploie vis-à-vis d’Hymans (que Baerts devait rencontrer) ? Celui-ci, il le
sait, craint évidemment qu’après l’annexion, et sous le couvert de la Charte Coloniale,
l’ancien Souverain de l’Etat Indépendant ne conserve son pouvoir personnel.
Léopold II cherche-t-il simplement à dissiper ces craintes ? Il y a certes de
la tactique dans les propos qu’il fait transmettre à Hymans. Ainsi, le texte
contient une allusion, soigneusement soulignée dans le texte, à l’exemple
anglais, qui est destinée à flatter le goût bien connu d’Hymans pour les
institutions britanniques. Mais tout, dans le texte, n’est-il rien que tactique
? Ou, véritablement, est-ce un peu de son cœur que Léopold II livre à la
postérité lorsqu’il parle de sa « satiété
»

Jean Stengers commente ce document ainsi : « Comment, en réalité, oui, comment le savoir? Cette incertitude
au sujet de ce que le Roi pensait, et sentait réellement, est irritante, et
elle est d’autant plus irritante qu’elle nous empêche de bien saisir un élément
qui, dans le déroulement des faits, a eu incontestablement une importance
essentielle — tant de choses, en effet, dépendaient de l’attitude du Roi. Mais
elle appartient à cet ordre des incertitudes psychologiques, que nous avons
déjà rencontrées plus d’une fois, et auxquelles l’historien doit
savoir se résigner. Elles lui font éprouver
ses limites. Un fait est clair en acceptant l’extension du contrôle
parlementaire …, Léopold II faisait une concession. Il cédait. A-t-il cédé
simplement contraint et forcé, parce qu’il se rendait compte que la Charte Coloniale,
maintenue dans sa version primitive, serait certainement rejetée ? Ou ses
réflexions sur les perspectives du projet se sont-elles teintées d’une certaine
dose de fatigue, de la fatigue d’un Souverain qui après vingt-deux ans de
gouvernement personnel, vingt-deux ans de luttes et d’efforts, après avoir résisté
aux attaques et aux critiques, se sent soudain un peu « rassasié » et lâche un
peu la bride ? C’est le secret de l’homme.
 »[8]

Il semble pourtant que, surtout face à un caractère
dont les traits sont aussi affirmés et aussi constants que chez Léopold II, le
« secret de l’homme » se
laisse assez aisément percer. La lassitude est bien réelle. D’autant plus que
Léopold, qui a 72 ans, sait fort bien qu’il ne se bat plus pour des
prérogatives personnelles. Il défend un système qui lui paraît le seul garant
d’une colonie profitable pour la
Belgique
, et il défend l’image qu’on aura de lui lorsqu’il ne
sera plus. En d’autres mots, il veut que la postérité sache qu’il a eu raison
contre ses contemporains et que, seul contre tous, il les a enrichis malgré
eux. Seulement (et c’est peut-être ce qui empêche Jean Stengers de se risquer
sur « le terrain incertain de la
psychologie
 ») manifester autant d’attachement au « système
léopoldien » n’est logique que s’il en est l’auteur… et donc aussi le
responsable des crimes qui l’ont entaché.

 

En 1906, étant donné l’annexion
imminente du Congo par la
Belgique
, Léopold II modifia quelque peu ses plans. L’EIC
possédait des intérêts importants dans la Comité spécial du Katanga. Or, Léopold II n’était
partisan d’une telle importance économique de l’état que s’il pouvait dire
« L’Etat, c’est moi ! ». Il lui paraissait hors de question de
laisser les mêmes pouvoirs à un gouvernement à la merci de politiciens et de
parlementaires et, pour éviter que l’Etat belge n’en prenne le contrôle, le roi
chercha à les diminuer, en remettant un certain nombre de ses avoirs à la Société Générale.
Cette même SGB fut à la base de la fondation, toujours en 1906, des grandes
Compagnies coloniales. Enfin, encore la même année, entre au gouvernement de
Troz, comme ministre de la
Justice
, Jules Renkin, qui après la reprise sera ministre des
Colonies pendant 10 ans. Dépté de la « jeune droite », il a pour ami
Carton de Wiart, par qui il touche à la haute banque, notamment à la
SGB.
Dans
la force de l’âge, Renkin est
même parvenu à cc stade de la maturité politique où l’on peut jouer les
conciliateurs. La question coloniale, plus précisément la nécessité d’amender
le projet de Charte pour plaire à la
Chambre
sans pour autant braquer le Roi, va lui en donner
l’occasion. Cette question déclare-t-il à un journaliste à la fin d’avril 1907,
« n’est pas si difficile à résoudre qu’on
le croit; il est possible de s’arranger sur bien des points et même de
contenter tout le monde et son père
».[9]
.

Cette allusion qui n’est pas des
plus légères signifie que Renkin a en poche une formule de compromis. Cette
formule paraît avoir été élaborée en collaboration avec son ami Dupriez, un
éminent spécialiste du droit public, et sans doute faudrait il dire
« avant tout par Dupriez » [10] Mais
même s’il s’agissait d’un projet Dupriez, c’est Renkin, en tout cas, qui
l’introduisit comme élément de discussion politique.

Le système Renkin-Dupriez, ou
Dupriez-Renkin a joué un certain rôle dans la reprise du Congo, en débloquant
la situation à un moment où l’on pouvait se croire dans une impasse. Il eut
aussi une importance historique en ceci, qu’il attira l’attention de Léopold II
sur Renkin. Jules Renkin ne pouvait la présenter en personne au Souverain il
n’était pas encore assez gros personnage pour se faire recevoir au Palais au
début d’une crise ministérielle. Le Président de la Chambre, Schollaert,
accepta d’en parler au Roi. Il le fit sans doute au cours de la longue audience
que Léopold II lui accorda le 19 avril.[11]

Le projet intéressa Léopold II. Il réclamait peu
après à Schollaert la « note rédigée par
M. Renkin sur le futur ministère des Colonies, dont vous (m)’avez parlé
»[12]. Ce qui,
de fil en aiguille, mena celui-ci à devenir le premier ministre des colonies de
la Belgique. Plus tard, il sera Premier Ministre
et finira sa carrière à la direction de la Société Générale.

Ce faisceau de faits et ce que l’on sait de la
personnalité de Léopold II mènent à penser que, à labri des négociations pour
former un gouvernement, Léopold a été persuadé que :

  • la reprise du Congo ne serait pas l’affaire des
    « idéologues », mais des gens d’affaires, qui en maintiendraient
    la rentabilité au profit de la
    Belgique
    (celle qui compte : la Belgique des
    affaires). Le travail forcé continuerait sous un autre nom ;
  • le gouvernement soutiendrait devant es Chambres le
    « rachat » du Congo au moyen d’un énorme « Témoignage de
    reconnaissance » de 50 millions de franc-or ;
  • son pouvoir passerait en grande partie entre les
    mains des groupes financiers dont il était actionnaire ;
  • ses intérêts, tant quant à sa réputation que quant
    à son argent, seraient ainsi préservés.

 

Le Roi pouvait se laisser aller tranquillement à sa
lassitude. Il n’avait en fait, suivant son habitude, rien cédé !

 

L’hypothèse psychologique mènerait à des
considérations qui pourraient être en défaveur de Léopold II, abdiquant entre
les mains de la
Société Générale
après avoir assuré ses intérêts.

Si l’on se prive de ces extrapolations sous prétexte
qu’elle sont « psychologiques » et non basées sur des archives l’on
est alors contraint de s’en tenir à ce qui est dit explicitement dans la
« Note », on peut s’attendrir sur le vieil homme épuisé qui a
consacré sa vie et sa fortune à une grande œuvre… Et voilà que soudain
l’extrapolation psychologique devient chose proscrite dont l’historien doit se
garder scrupuleusement.

 

Conclusion

 

Si l’on rapproche les deux cas, on s’aperçoit que
Stengers suit une règle « historique » assez bizarre : la raison
de se prononcer pour ou contre le fait de se risquer dans « cet ordre des incertitudes
psychologique »,
semble être qu’on peut le faire quand cela permet de
dire du bien de Léopold II, mais qu’on ne saurait s’y risquer quand il s’agit
de le critiquer.

Cela revient à die qu’un texte au sujet de Léopold II
doit toujours être « aménagé » de manière à jeter su lui un jour
favorable. Soyons impartiaux : aussi favorable que possible. Stengers
n’irait pas jusqu’à la falsification. Il
reste néanmoins que son recours à la « méthode historique » pour
explique ses scrupules devant une extrapolation psychologique n’est qu’un
masque pour des précautions que nous dirons , par politesse
« patriotiques ». 

 

Voilà comment on écrit l’histoire !

 



[1] Le mot
« document », désigne ici indifféremment toute trace du passé, et pas
seulement les documents d’archives.

[2] Est-il besoin de dire
qu’il s’agissait d’une légitimité et d’une légalité aux yeux de la seule
Europe, qui apparaît a posteriori fort discutable ? Les principaux
intéressés, les Africains, ne furent évidemment pas invités. Cela prouve
simplement que nos arrière-grands-pères ne pensaient pas cette question de la
même manière que nous. Faut-il s’en étonner ?

[3] La crise de Fachoda est un incident
diplomatique sérieux qui opposa la
France
au Royaume-Uni en 1898. Son retentissement a été
d'autant plus important que ces pays étaient alors traversés par de forts
courants nationalistes. Elle a eu pour cadre le poste militaire avancé de
Fachoda, au sud de l'Égypte.

Dans l’imaginaire collectif français, la crise de Fachoda reste comme une
profonde humiliation infligée par l’archétype d’un Royaume-Uni triomphant et
hautain, forcément de mauvaise foi. En somme, l’image même de la « perfide
Albion » abondamment relatée par la presse et les caricaturistes de
l’époque. Cet épisode reste comme l’un des événements fondateurs mais surtout
représentatif de cette IIIe République naissante et fragile, au même
titre d’ailleurs que les scandales politiques et financiers qui ont émaillé le
dernier quart du XIXe siècle en
France. La droite s’est immédiatement emparée de cet événement et l’a exalté
afin de satisfaire ses visées nationalistes par le biais d’un colonialisme
triomphant.

Le site de Fachoda (ou Kodok) est situé à 650 km au sud de la capitale
soudanaise Khartoum. Fachoda est, entre 1865 – date de sa création – et 1884 –
année de son démantèlement –, un poste militaire égyptien destiné à lutter
contre les trafiquants arabes. Bien que désertée, cette place reste le
principal point de contrôle du Bahr el-Ghazal. Cette région du Soudan, depuis
le départ des Britanniques suite à la révolte mahdiste de 1885, est extrêmement
convoitée par les principales puissances coloniales européennes que sont le
Royaume-Uni, la France,
l’Italie et L’Etat Indépendant du Congo (c'est-à-dire : Léopold II). Ces
dernières cherchent activement un débouché sur le fleuve et, de la sorte, un
point d’ancrage vers l’Égypte.

En effet, le vide créé par le départ britannique, et au-delà des considérations
stratégiques inhérentes à cette position, s’opère à un moment où les occasions
d’acquisition de nouveaux territoires se font de plus en plus rares. Ainsi, les
projets d’expansion français vers l’est et les projets d’expansion britanniques
du Caire au Cap, selon les vœux de Cecil Rhodes, se sont heurtés à Fachoda ce
18 septembre 1898 ; ceci dans un contexte d’extrême ferveur
nationaliste de part et d’autre qui laisse d’ailleurs un moment craindre le
pire, à savoir un conflit ouvert. Mais Marchand et Kitchener purent éviter de
se tirer dessus et transmettre l’affaire à leurs supérieurs civils respectifs,
précisément parce que Berlin en avait établi l’usage.

[4] Stengers Jean: « Congo. Mythes et Réalités. 100
ans d’histoire ». Paris/Louvain-la-Neuve: Duculot, 1989

 

[5] Cela jette sur les faits une couche de
brouillard supplémentaire. Il est en effet d’usage, pendant les consultations
royales pour la formation d’un gouvernement, que la teneur de ces entretiens
reste confidentielle. Or, la question du Congo était le « gros
morceau » du programme de ce gouvernement.

[6] Ces 5 mots sont soulignés dans le texte par le Roi.
Hymans était très anglophile.

[7] Arch.M.C., Fonds I.R.C.B., Correspondance Léopold
II-Baerts

[8] Stengers, « L’élaboration… » , pp 141, 142

[9] Journal de Bruxelles, 29 avril 1907

[10] Sur le rôle de Dupriez, cf. spécialement Matin de
Bruxelles,
10
juillet 19
07, et Dernière Heure, 9 octobre 1907

[11] « L’entretien a
duré deux heures
 » (Matin de Bruxelles, 20 avril 1907).

[12] E. Carton de Wiart à Schollaert, 22 avril 1907; A.G.R.,
Papiers Schollaert. Helleputte, n° 125.

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