14.02.10 Reveil-FM : 10 Questions à Calixte Baniafouna / Par Feddy Mulongo


Calixte Baniafouna est docteur en
Informatique, diplômé de l’Université Paris-IX-Dauphine. Dans cette
même université, il y a passé une Maîtrise, un DEA, une
Expertise informatique et un Doctorat qui lui ont aidé à
intégrer le groupe France Telecom où il est actuellement cadre supérieur
et occupe des responsabilités techniques depuis 22 ans.
Malgré ses lourdes occupations, il n’a jamais oublié ses
origines africaines.

1. Réveil-FM: C'est quoi la
Françafrique pour vous ? Pourquoi existe-elle ? Pourquoi est-elle si
décriée par les intellos africains ?

Calixte Baniafouna: La
Françafrique est un ensemble de réseaux français, opaques et
d’influence, en Afrique, composés d’une partie de la classe politique
française, d’une certaine catégorie de chefs d’États africains
et de quelques hommes d’affaires français qui opèrent en Afrique, tous
agissant au nom de relations diplomatiques entre la
France et ses anciennes colonies africaines. Elle tire ses
origines de la bouche même de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny qui, en
1955, tout en militant pour l’indépendance de son pays,
souhaitait qu’après l’indépendance des colonies françaises
d’Afrique, celles-ci maintiennent de bonnes relations avec l’ancienne
métropole. Au lieu de cela, ces relations n’ont jamais été
qu’une forme de néocolonialisme déguisé et rendu très
opérationnel par la complicité d’une poignée de dirigeants que la France
installe et destitue (cas rare) à son gré à la tête des États
africains. Tout intellectuel africain patriote et intègre ne
peut que s’en indigner.

2. Réveil-FM: Pourquoi les pays
africains n'arrivent jamais à récupérer les Fortunes placées dans les
pays occidentaux des dictateurs Mobutu, Eyadema, Bongo,
etc..

Calixte Baniafouna: Par «
fortunes placées dans les pays occidentaux » j’ai bien compris que vous
parlez du patrimoine placé à l’étranger par les dictateurs des
pays africains (Mobutu, Eyadema, Bongo, Sassou Nguesso…) et
qui, pour fructifier, bénéficie des complaisances occidentales à leur
égard et du rôle délétère des banques, des paradis fiscaux
et judiciaires.

Eh ! ben, ce patrimoine ne peut
être récupéré que dans un cadre institutionnel organisé, qui suppose
l’existence d’institutions démocratiques. C’est ainsi qu’en
2000, les autorités suisses ont accepté de rendre en plusieurs
tranches au Nigeria, 700 millions de dollars de la fortune pillée du
peuple nigérian par le dictateur Abacha.

Tout comme au Mali, une partie de
la fortune du dictateur Moussa Traoré (2,7 millions de dollars) a été
gelée en Suisse, puis retournée en 1997 à l’État malien.
Quant à la fortune volée par les dictateurs des pays qui ne
veulent pas entendre la voix de la raison en matière d’alternance
démocratique, il ne faut pas rêver que cet argent reparte dans
les escarcelles des pays d’origine aussi longtemps que survivra
la Françafrique et que, par ricochet, la démocratie sera confisquée.

3. Réveil-FM: Pourquoi Mandela
après sa sortie de prison a-t-il rendu visite à Omar Bongo à Libreville ?
Pensez-vous que tout a été dit sur Bongo ?

Calixte Baniafounia: Je ne
donnerais pas de raison particulière à la visite, à deux reprises, de
Nelson Mandela à Libreville qui ne soit autre que celle liée à
la profonde considération que ce Grand Homme jouit en Afrique et
au reste du monde.

Voyez-vous, aucun chef d’État
africain ne voulait manquer l’occasion de laisser l’empreinte de son
règne sur l’honneur de l’ex-prisonnier le plus prestigieux de
la planète. Il s’était rendu à Libreville par l’invitation
d’Omar Bongo.

Certains dictateurs n’ont
d’ailleurs pas trouvé d’autre moyen de se taper un grain d’honneur sur
le nom de Mandela que de faire écrire un livre dont il aurait
signé la préface. Aïe ! Que les honneurs ont du prix !

Quant à savoir si tout a été dit
sur Bongo, que voulez-vous que je vous dise ? Je n’étais, ni ne suis,
dans le secret de sa cour. Si, pour le peu qui nous a été
dévoilé, le Maître de l’Élysée et sa justice parisienne crient
au non-lieu, pourquoi chercher à en savoir davantage ? Seule l’Histoire
dira tout ce qui reste à dire non seulement sur Bongo
mais aussi sur ses semblables, vivants et morts.

4. Réveil-FM: Dans vos deux
ouvrages, vous montrez que la France a besoin de l'Afrique pour exister
et les chefs d'États africains francophones ont besoin
d'être reçus sur le perron de l'Élysée pour se faire valoir dans
leur pays.

Calixte Baniafounia: La France a
besoin de l’Afrique pour exister, ça, oui, et comment ? Mais, que les
chefs d’État africains aient besoin du tapis rouge de
l’Élysée pour être bien vus de leur peuple, pas du tout. Cela ne
sera jamais écrit par moi, et si mes écrits sont compris comme tels, il
doit y avoir un réel problème de lecture. C’est bien
le contraire. Je ne connais pas un seul chef d’État africain,
marionnette identifiée et convaincue au service de la France, qui mérite
le moindre égard de son peuple sous prétexte qu’on lui
déballe du tapis rouge à l’Élysée.

Même les courtisans et les
fanatiques africains les plus mordus des intérêts individuels au
détriment de la cause collective sont un peu gênés du chapeau trop
ombrageux porté par leur demi-dieu pour le bonheur de la France,
quoique, pour se voiler la face, ils insistent sur le prétexte de
bonnes relations que la France entretiendrait avec le pays
tenu de main de fer en gardiennage par leur « guide éclairé ».

 

5. Réveil-FM: À la page 260 « Les
Noirs de l'Élysée, vol. 1 » on peut lire : « Les bons élèves doivent
demeurer impunis… Tuer pour élimer ses détracteurs,
taire le débat démocratique..". La françafrique est-elle tueuse ?
»

Calixte Baniafounia: Je pense
qu’il ne faut pas se voiler la face. J’ai dit tantôt que la Françafrique
agit au nom de la diplomatie officielle d’État à État
pour perpétrer des actes criminels qui se révèlent clairement «
terroristes ».

Quel mot me reste-t-il en effet à
employer quand on pense à la magistrale stratégie mise en place pour
assassiner Thomas Sankara au Burkina Faso ?

Ou bien, quand on pense au nombre
de morts occasionnés par la remise sur la sellette du dictateur Denis
Sassou Nguesso au Congo Brazzaville ?

Ou bien encore pour qualifier le
remplacement du choix des Centrafricains par le « bon élève » de
l’Élysée, François Bozizé ?

Sans oublier ce que cela coûte en
vies humaines pour imposer le système dynastique en République
Démocratique du Congo de Kabila fils, au Togo des Eyadema ou au
Gabon des Bongo et à qui le tour demain ?

Oui, la Françafrique est un club
dangereux des tueurs. Les crimes des disciples de la Françafrique ne
sont pas seulement humains, ils sont aussi économiques,
politiques, culturels et sociaux… en témoigne l’état des lieux
des pays africains maintenus à ce jour sous l’influence française.

6. Réveil-FM: Quelle relation
Françafrique et Francophonie ?

Calixte Baniafounia: Françafrique
et Francophonie sont des cousines de la même famille. Cela ressemble à
une famille des instruments à cordes : la Françafrique
est le violon, la guitare ou le luth, tandis que la Francophonie
est la caisse de résonance composée d’une table d’harmonie avec un fond
relié par des éclisses.

En d’autres termes, si la
Francophonie est l’instrument permettant de perpétuer la langue
française au-delà des anciennes colonies françaises d’Afrique, la
marge est tellement étroite pour que tout pays, ex-colonie de
quelque ancienne puissance soit-il qui se fait prendre au piège, glisse
consciemment ou inconsciemment dans la Françafrique. Le
Zaïre de Mobutu et la République Démocratique du Congo de Kabila
fils (du même au pareil) en sont l’exemple le plus révélateur.

7. Réveil-FM: Certains proposent
que Blaise Compaoré ait le Prix Nobel de la Paix, d'autres rappellent
l'assassinat de Thomas Sankara dont il est l'exécutant.
Blaise Compaoré est-il le produit de la Françafrique ?

Calixte Baniafounia: C’est une
non-question ! Le rôle de « facilitateur » que la France néocoloniale de
Jacques Chirac et son très fidèle continuateur, Nicolas
Sarkozy (mot pour mot dans le respect des dictateurs
serviteurs), a réservé à ce très spécial « bon élève », est à la mesure
de la facilitation qu’il a faite au Maître de l’Élysée d’avoir
éliminé physiquement celui qui, après Lumumba, a su tenir tête à
la Françafrique.

Quelle frayeur Thomas Sankara
a-t-il suscitée à la France néocoloniale qui voyait en ce courageux un
possible émancipateur du peuple africain ?

En 23 ans de règne (déjà !),
Blaise Compaoré a encore beaucoup à se faire cadeauter par plusieurs
successeurs à l’Élysée, tellement le morceau était énorme
!

Et comme la Françafrique ne
connaît pas la limite du ridicule, du respect de soi, de la gêne et de
la honte, rien n’exclut qu’elle nous réveille un bon matin au
son d’un Prix Nobel de la Paix décerné à l’un de ses obligés les
plus fidèles des fidèles.

On en a déjà vus dans les rangs
des « bons élèves » qui, au sortir d’une guerre néocoloniale de reprise
de pouvoir et pour avoir parfaitement exécuté l’ordre de
tuer ses compatriotes (10 000 morts), ont été pompeusement
nommés « président de l’Union africaine » sous recommandation, justement
de… la Françafrique !

 

8. Réveil-FM: Peut-on parler de
la reculade française à l'égard de Paul Kagamé ? Pourquoi la France lui
fait tant de courbettes ?

Calixte Baniafounia: Ce que vous
appelez « courbettes » de la France auprès de Paul Kagamé est, à mon
avis, un cas de conscience.

De la parole des témoins
crédibles et des experts chargés de l’enquête sur le génocide du Rwanda,
découle très clairement l’implication dans les crimes de la
France néocoloniale, ce que le rapport d’enquête du juge
français spécialisé dans la lutte anti-terroriste, Jean-Louis Bruguière,
a bien voulu escamoter.

Il était contrarié par un autre
Rapport de 500 pages mettant la France en cause.

Kagamé est un Tutsi alors qu’au
moment des faits, la France soutenait le président hutu, Juvénal
Habyarimana. Il est de toute évidence que pour des raisons
géopolitiques, stratégiques, de cas de conscience mais aussi et
surtout des intérêts économiques, la France ne puisse se passer de
Kagamé.

Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas été
animé par des idées quelque peu « permissives » qui lui poussèrent de
revendiquer haut et fort l’offre gratuite et gracieuse
d’une partie des richesses de la République Démocratique du
Congo, et donc d’une partie de la RDC tout court, en faveur du Rwanda ?
La conscience a un prix ! Et quel prix ?

9. Réveil-FM: Les fils remplacent
les pères au pouvoir en Afrique. Les dynasties politiques ne
montrent-elles pas les limites des élections sur le continent
?

Calixte Baniafouna: Le système
d’alternance dynastique en Afrique, initié en République Démocratique du
Congo, puis au Togo, par Jacques Chirac, et poursuivi
par Nicolas Sarkozy au Gabon et demain à qui le tour ? est la
forme achevée du néocolonialisme français sur ses anciennes colonies
d’Afrique noire, et la manifestation éhontée du mépris et du
refus de voir le peuple africain s’émanciper par le libre choix
de leurs dirigeants.

Je ne pense pas qu’il s’agisse là
d’une limite des élections en Afrique.

Car du fait des élections
observées ici et là dans ce pré-carré français, il ne s’agit ni plus ni
moins que des arrangements pour donner un semblant de
légitimité dans une parodie de démocratie à ceux-là qui ont
définitivement tourné le dos à la cause africaine.

Les pères ont confisqué
l’indépendance de l’Afrique pendant un demi-siècle et parmi eux existent
des demi-dieux qui ont encore du parfum de jeunesse comme
Sassou Nguesso, Compaoré, Bozizé, Deby et j’en passe.

S’il faut que leurs enfants
tirent aussi leur demi-siècle et ainsi de suite, vous imaginez les
barrières que la France dresse à l’avenir de ce sous-continent
!

D’où la nécessité d’une
révolution radicale et immédiate des mentalités. Et l’impératif des
intellectuels africains intègres de sortir de l’individualisme pour
insuffler du courage aux populations en vue d’organiser des
forces sociales et culturelles capables de booster dehors ces
traîtres-corrompus, de permettre le libre choix des dirigeants et de
mettre en place des institutions véritablement démocratiques
sans lesquelles aucun décollage, aucun développement ne sera possible en
Afrique.

10. Réveil-FM: Le 14 juillet
2010, pas moins de 14 armées africaines ex-colonies françaises vont
défiler sur les Champs Élysées, qu'en pensez-vous ?

Calixte Baniafounia: C’est
révoltant ! Très révoltant ! Mais, il faut restituer les faits dans leur
contexte.

En ayant promis la « rupture »
avec les dictateurs africains lors de sa campagne présidentielle de
2006-2007, Nicolas Sarkozy qui, acteur lui-même du temps où
il n’était que ministre, en voyait tant et tant des pratiques
des réseaux françafricains, y croyait réellement.

Avant même son accession à
l’Élysée, le duo Chirac-De Villepin lui a clairement signifié
l’impossibilité de gagner des élections de ce niveau sans l’apport des
financiers-dictateurs africains.

Comme il tenait à l’atteinte de
ses ambitions présidentielles, il était dans l’obligation de tomber dans
les bras du « doyen » de la Françafrique, Omar Bongo,
qui lui avait donné sa contribution en monnaie sonnante et
trébuchante.

Ce bakchich n’a rien de nouveau
dans les campagnes présidentielles de la Ve République. Simplement,
avant même l’élection présidentielle au point de n’en plus
se voiler la face en l’appelant en premier pour le remercier le
jour même de son entrée à l’Élysée, ses tout frais électeurs découvrent
aux dépens que le président Sarkozy n’est pas vraiment
à l’écoute du candidat Sarkozy.

Il n’aura d’ailleurs pas de temps
de répit puisqu’il sera d’emblée l’otage des caciques de la droite
française et de ses amis hommes d’affaires dont les plus
solvables opèrent en Afrique des dictateurs et à qui il
s’empressera d’offrir un paquet fiscal.

Impuissant face à l’hégémonie
incontestée des États-Unis et à la montée vertigineuse de la Chine,
celui qui vient de rompre avec la « rupture » ne compte plus
que sur la politique intérieure pour un baroud d’honneur.

Or, là encore, la crise monétaire
met illico au régime le pouvoir d’achat des Français : l’échec est
cuisant.

Il n’est pas en effet nécessaire
de sortir de l’ENA pour qu’en observateur modeste de la politique
française on comprenne que chaque discours du président
Sarkozy en efface un autre et que, de discours mielleux en
discours mielleux, il finit par faire pire que tous ses prédécesseurs
qu’il critiquait, en politique africaine de la France tout au
moins.

Dans ce fourre-tout que
représente cette « non-politique intérieure et extérieure » de Nicolas
Sarkozy, ce dernier a fait le choix non seulement de foncer dans
la continuité mais aussi de gratter le fond du tiroir des
pratiques néocoloniales pour essayer de faire tenir à la France un
semblant de place dans le monde des puissants.

Et la seule façon d’y parvenir,
c’est-à-dire de prolonger l’agonie d’une politique africaine de la
France désormais sans issue et vouée à être repensée, c’est
de se rabattre sur les marionnettes les plus attitrées des
anciennes colonies qui, à ce jour, sont les seules au monde à continuer
de considérer la France comme une grande puissance.

La seule façon de faire oublier
aux dictateurs décriés lors de sa campagne présidentielle les propos de
vilains petits canards qu’ils étaient à ses yeux, c’est
de les percher sur un piédestal encore plus élevé que celui sur
lequel l’ancienne métropole les avait placés jusque-là : blanchissement
de tout soupçon de vol des biens de leur peuple pour
les dictateurs les plus redoutables traduits en justice,
revalorisation par des élections arrangées des régimes aux mandats à
durée indéterminée, relance des sommets françafricains (en avril
prochain à Paris), défilé le 14 juillet sur les Champs Élysées
des armées néocoloniales d’Afrique, renforcement du système dynastique
en cas de fin de vie d’un guignol affranchi d’amour
propre, etc.

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