Les Lubas Kasayi dans la politique du Congo (Mbaya J. Kankwenda)

Les Lubas Kasayi dans la politique coloniale belge

Durant la période coloniale, les migrations internes des Lubas sur
l'ensemble du Kasayi et surtout au Katanga étaient soit volontaires,
soit surtout organisées. Les razzias esclavagistes et les guerres
internes (clans, successions, terres, etc.) ont poussé les Lubas qui
occupaient les régions Est et Sud de la province à émigrer vers le Nord
et l'Ouest où le pouvoir colonial avait établi des postes administratifs
et missionnaires. Les Lubas y cherchaient protection contre
l'insécurité des razzias et des guerres diverses portées sur leurs
territoires. Mais en même temps pour répondre aux besoins toujours
croissants en main d'œuvre pour la mise en valeur coloniale, le pouvoir
colonial avait organisé le système de recrutements forcés et de
déplacements des populations du Kasayi vers le Katanga minier, la
construction du che­min de fer, les travaux dits d'utilité publique, le
portage etc. Il en est découlé un peuplement important de Kasaiens au
Katanga notamment.

N'ayant pas d'attache directe à la terre de leurs implantations, et
amenés comme main d'oeuvre dans les services dirigés par les agents de
la colonisation, les missionnaires et les chefs d'entreprises, les Lubas
du Kasayi ont vite appris aussi bien de manière formelle à l'école que
sur le tas, dans l'expérience pratique au travail. Dans les nouveaux
centres urbains ou extra coutumiers, ils faisaient aussi la gente des
premiers manœuvres, des ouvriers semi qualifiés, qualifiés, que surtout
des cadres proches de l'administration coloniale. Ils étaient devenus
les aides et assistants des chefs expatriés, les « kapitas » des
chantiers, etc. La politique coloniale envers les Lubas du Kasayi
consistait ainsi à les déraciner pour pouvoir bien exploiter leurs
aptitudes d'ouverture, de travail, d'organisation, de leadership … et
en faire une des sections de son armée d'aides, de commis et
d'assistants. Comme dans nombre de cas d'autres groupes à travers le
pays, ils sont progressivement passés de groupes soumis au groupe de
collaborateurs appréciés et parfois vantés. Ceux qui étaient restés sur
leurs terres étaient rivés à leurs champs pour assurer
l'approvisionnement des centres miniers et administratifs en produits
vivriers.

Au-delà des faits de l'histoire comme les migrations à la recherche
des refuges contre les guerres et les invasions esclavagistes, tout
comme les migrations organisées sous forme de recrutements forcés de
main d'œuvre en terre Luba Kasayi, il faut souligner aussi le rôle
important de certaines pratiques coloniales. En effet, sur base de
certaines études de l'anthropologie coloniale, certains groupes
ethniques étaient considérés comme ayant naturellement certaines
qualités et aptitudes que les coloniaux ont cherché à utiliser ou même
renforcer tant qu'elles leur étaient utiles, c'est-à-dire jusqu'à
l'approche des revendications et luttes pour l'indépendance.
L'anthropologie coloniale estimait donc qu'il y avait des groupes
ethnoculturels avec des talents de soldats, comme il y en avait pour
être dirigeants, cadres ou simplement ouvriers et paysans. Le cas des
Lubas Kasayi en est un parmi d'autres.

Mais cela était un couteau à double tranchant. De tempérament
contestataire ou rebelle, les Lubas Kasayi n'apprenaient pas que le
travail, et n'acquéraient pas que la formation et la qualification. Ils
apprenaient aussi les limites du colonisateur, et la conscience de leur
propre capacité, et en savaient davantage sur le système d'exploitation
mis en place par le pouvoir colonial. Ils étaient ainsi des révoltés et
des concurrents en puissance que le système colonial ne pouvait manquer
de remarquer plus tard, notamment avec les premières grèves historiques
d'Elisabethville au cours des années quarante. Elles étaient dirigées
par les Lubas du Kasayi. De l'autre côté, le statut d'aides affichés de
colons, de missionnaires, etc. contribuait à les distancer des autres
groupes sociaux ou socio ethniques, et cela pouvait facile­ment être
exploité comme clivage ethnique pour des raisons d'opportunisme
politique.

Pendant la colonisation, les Lubas du Kasayi comme tous les autres
peuples du Congo, ont occupé toutes les fonctions dans les différentes
catégories socioprofessionnelles, aussi bien comme manœuvres, ouvriers
semi qualifiés, ouvriers qualifiés que comme aspirants et cadres de
direction. Mais leur visibilité au Nord Kasayi et au Katanga surtout
dans les catégories des aspirants et cadres, doublée de leur engagement
dans les luttes pour l'indépendance, leur ont attiré les foudres tant
des pouvoirs coloniaux que des locaux assoiffés de pouvoir que
l'opportunisme politique portait à haïr les Lubas Kasayi. Grâce aux
manipulations politiciennes du pouvoir colonial dans sa triple identité
(Etat, trust et mission catholique), les Lubas Kasayi étaient autant
sinon plus haïs que les colonisateurs eux-mêmes durant ces périodes
troubles.

Présenté comme travailleurs intelligents, organisateurs, ouverts
d'esprit et capables de travailler en autonomie, ils étaient en même
temps victimes d'une autre présentation: peuple ou cadres dont il faut
se méfier car intelligents et contestataires, donc pouvant prendre le
pouvoir et le gérer de manière autonome, en éjectant le colonisateur.
Les alliances de fin de règne colonial ont fait le reste. Dans la
politique coloniale, les cadres Lubas Kasayi ont ainsi fait les frais de
cette double présentation ou perception. Comme dans le cas des cadres
d'autres groupes ethno­culturels ailleurs dans le pays, au Kasayi du
Nord et au Katanga, les cadres et aspirants cadres Lubas Kasayi étaient
ainsi facilement devenus les boucs émissaires des malheurs et des
colonisateurs, et des autres peuples du Katanga ou du Kasayi du Nord.
Ils sont restés ainsi assis entre deux chaises: techniciens dont on a
besoin, mais ne pouvant devenir dirigeants ni des uns ni des autres, et
encore moins dirigeants aimés ni par les uns ni par les autres. Et ceci
apparu aussi dans d'autre grandes villes du pays (Léopoldville,
Jadotville, Costermansville (Bukavu) … La politique coloniale
continuera cette stratégie d'éloignement des Lubas Kasayi du pouvoir
politique national, par des manœuvres directes et indirectes. Cette
situation a continué dans la période post-coloniale.

Les Lubas Kasayi dans la politique post-coloniale

Le Congo a connu trois régimes post-coloniaux: le régime de crise de
la décolonisation sous le président Kasa- Vubu, le régime du pré­sident
Mobutu, et enfin celui du président Kabila (I et II). De manière
générale, il faut dire que le régime du président Kasa- Vubu faisait
exception dans ce domaine. En effet, il était un pouvoir de transition
de la période de crise à la recherche et la construction d'un Etat
indépendant. Il était plutôt préoccupé, et se débattait pour asseoir une
légitimité et un pouvoir d'Etat effectif sur l'ensemble du pays. Le jeu
ethno politique l'a moins marqué, malgré l'héritage colonial dans ce
sens et l'existence des partis à base ethnique et ou régional, comme
l'ABAKO dont le président lui-même était issu

Il n'en a pas été de même avec les deux régimes politiques suivants.
Les régimes de « prédatocraties », ou régimes politiques de prédation
institutionnalisée se sont basés sur trois types d'alliances: l'alliance
avec le système international de prédation (SIP) qui les légitime et
les appuie sur les plans politique, militaire, économique et fmancier;
l'alliance interne basée sur la construction mythique de l'ethnie. Et ou
de la région, notamment dans la sélection des membres de la « clique
présidentielle» ou de la « confrérie régnante» ; et enfin l'alliance
avec des segments de l'élite ou de l'intelligentsia. Au-delà des
instruments internes et mécanismes institués de fonc­tionnement du
pouvoir politique, ces régimes entretenaient ce système d'alliance.
Elles font partie de l'économie politique de la pré­dation aussi bien
sous Mobutu que sous Kabila.

Par définition, il s'agit des régimes où les Lubas Kasayi ne peuvent
pas manquer d'être acteurs et pour plusieurs raisons. D'abord du fait de
leur technicité et parfois de leur capacité à faire du bruit, ils sont
généralement cooptés dans certaines sphères non pas de la clique
présidentielle, sauf exception, mais plutôt dans celle de la confrérie
régnante. Un homme politique congolais dont je tairais le nom avait dit à
ce sujet: « Moto na moto na Muluba na ye ». C'est dire que chacun a
besoin et utilise effectivement son technicien ou expert Luba dans son
cabinet ou service.

Ensuite parce que cela donne l'illusion de rassemblement, de partage
du pouvoir, et contribue à calmer les esprits et à faire limiter
certaines ambitions, ou tentations de rejet du régime. Dans leur pensée
et dans leur opinion, les Lubas du Kasayi mais ceci est valable pour
d'autres groupes aussi -, se sentiront dans l'alliance du pouvoir du
fait de la nomination de quelques un! d'entre eux. Par ailleurs ces
derniers ont la mission d'encadrer leurs groupes ethniques, et s'assurer
qu'ils sont bien dans les rangs des disciplinés du régime politique.

Enfin parce que cela répond aux aspirations humaines légitimes être
au pouvoir -, mais encore plus aux aspirations et tempéraments Luba :
friand du pouvoir, de l'autorité, et des positions de visibilité.

Les Lubas Kasayi ont ainsi été instrumentalisés dans l'exercice du
pouvoir politique des régimes qui ont dirigé le Congo au cours des
quarante dernières années. Mais en même temps on s'est gardé de les
laisser aller jusqu'à l'exercice du pouvoir politique décisionnel à des
niveaux cruciaux. Instruments du pouvoir des uns et des autres, ils
n'ont pas eu le pouvoir eux-mêmes. Bien au contraire on les en empêche.
Et là-dessus on dirait qu'il y a une sorte de consensus, basé sur les
pratiques qui viennent du pouvoir colonial certes, mais qui ont été
renforcées sous les deux régimes politiques majeurs de la période
post-coloniale. ,

C'est pourquoi, même cooptés dans les rangs de la confrérie régnante,
ils sont souvent l'objet d'une certaine méfiance de ceux qui tiennent
les vraies rênes du pouvoir. Ils sont acceptés plutôt comme
individualités, à la fois comme techniciens et individus a même
d'influencer leur milieu ethnoculturel, pour que ce dernier soit dans
l'appui populaire au régime. C'est l'un des objectifs ultimes de leur
recrutement! Cooptation d'ailleurs. Mais en même temps toute tentative
d'organisation de leur part en tant que groupe ethnoculturel pouvant
avoir des ambitions politiques est généralement combattue sur ce plan,
et cela varie avec les moments historiques que vit le régime politique
considéré. De ce fait ils sont diabolisés dans l'opinion, accusés d'être
tribalistes, même si Ce qu'ils font est bien ce que les autres font et
leur est reconnu.

La politique post-coloniale a fait donc des Lubas Kasayi, des
instruments de la politique et du pouvoir politique des autres, mais pas
détenteurs du pouvoir politique eux-mêmes. Et visiblement eux non plus
ne semblent pas s'en offusquer outre mesure.

Il y a lieu de noter ici un fait important dans la vie politique du
Congo. Pour des raisons liées à la nature prédatocratique du pouvoir, le
politique au Congo a été géré de manière privative et militarisée par
les deux régimes mobutiste et kabiliste. Cela a restreint le champ du
jeu politique en en faisant le terrain de l'ethno politique et du
mandarinat de cooptation. Les Lubas Kasayi n'ayant pas eu à exercer le
pouvoir réel, ne pouvaient échapper à la situation de nombreux autres
groupes ethno-culturels du pays en dehors des tenants du pouvoir.

Vers quels lendemains?

a) Sur le plan politique

L'avenir politique doit être appréhendé dans le sens non pas
d'appartenance ethnoculturelle ou régionale, mais dans le sens. de
pensée et de programme politiques de construction d'un idéal de société
au Congo. Dans ce sens je ne pose pas la question de l'avenir politique
dans le sens du pouvoir politique par les Lubas du Kasayi ou par
d'autres groupes ethniques ou régionaux. On sait comment cela a été
destructif pour le pays. A chaque changement de régime politique, le
suivant se dit, «c'est notre tour aussi », pour dire c'est notre tour de
piller aussi comme le faisait le précédent. Et cela continuera tant
qu'il s'agira des régime politiques prédatocrates.

Les Lubas devraient forger leur avenir· politique au Congo dans le
cadre de partis politiques honnêtes, engagés dans des causes nationales
nobles et justes, et déterminés à construire un pays d'avenir. En
entrant massivement dans un parti politique national de ce type, ils
peuvent alors l'influencer sans en faire un parti politique à base
ethnoculturelle. Je rappelle les origines de l'empire Luba, un pouvoir
politique avec un Etat basé sur un pouvoir territorial et non
ethnoculturel.

L'avenir ne peut pas être dans une sorte de repli sur soi, ni de
promotion de l'identité d'exclusion. Il est dans la promotion de
l'identité culturelle Luba dans un ensemble national multicommunautaire,
plurinational, pluri ethno culturel, et de construction d'une société
développée qui commence dans sa propre cour. N'est-ce pas un des dictons
guides de Leja Bulela: « Twadijila budimi kweba kumbelu » (commence le
champ à partir de ta cour)? L'avenir, y compris l'avenir politique, est
dans l'affirmation des Lubas Kasayi comme véritable force de
développement économique et social du Kasayi et du Congo.

b) Sur le plan économique

Les richesses économiques du Kasayi sont nombreuses, mais profitent
très peu aux peuples en terre Luba. Ceci est valable aussi bien pour les
richesses agricoles, forestières, hydrographiques, énergétiques,
minières, touristiques, environnementales, que surtout des richesses
humaines et financières accumulées par aussi bien les diamantaires que
d'autres hommes/ femmes d'affaires du Kasayi. Ces richesses et le
savoir-faire accumulé par les Lubas Kasayi depuis les temps coloniaux et
développés encore plus depuis l'indépendance du pays, n'ont pas
d'effets de développement sur la province du Grand Kasay!

Autrefois le Kasayi était le grenier et du Kasayi et du Katanga. Les
agriculteurs Lubas étaient comme des travailleurs à domicile des
entreprises et du système colonial dans l'ensemble du pays certes, mais
surtout du Kasayi et du Katanga. Aujourd­'hui les richesses minières du
Kasayi sont celles qui alimentent les caisses de l'Etat, et les cadres
sont partout dans le pays au service des structures post-coloniales.
Mais aujourd'hui le Kasayi est l'une des provinces ou des régions les
plus pauvres du pays. Il ne semble pas bénéficier des dividendes de
l'indépendance et de ses propres richesses. D'autres individus et
groupes, venant des structures centrales gouvernementales du pays et de
leurs alliés extérieurs, en bénéficient bien plus que les Kasayiens.

Je dois dire encore une fois que je ne prêche pas l'isolationnisme,
ni encore moins l'identité d'exclusion. Le Congo a besoin de tous les
bras de ses citoyens et partout où cela est nécessaire ou possible. De
même le développement économique en terre Luba du Kasayi a besoin des
bras des Kasayiens eux-mêmes certes, mais aussi des amis du Kasayi, des
autres congolais qui devraient être fiers de travailler dans leur pays, y
compris au Kasayi.

Ce que je voudrais souligner par contre, c'est que le lendemain des
Lubas Kasayi dans le pays commence par le lendemain économique du Kasayi
lui-même, et donc du travail des Lubas Kasayi dans le développement de
leur région. C'est cela qui en fera la terre où il fait bon vivre pour
les. Peuples du Kasayi, la terre où il fait bon investir aussi bien pour
les Lubas Kasayi que les autres investisseurs, qu'ils soient congolais
ou étrangers.

c) Sur le plan socio-culturel

Les valeurs sociales, morales et spirituelles, la cosmogonie, les
potentialités culturelles du Kasayi sont un peu connues dans le pays,
mais pas assez. Si les Lubas Kasayi eux-mêmes n'y prennent garde, elles
vont disparaître lentement mais sûrement, détruites ou marginalisées
dans la congolisation ou la mondialisation culturelles en marche. C'est
pourquoi ces valeurs et potentialités demandent à être développées,
promues et valorisées car elles ont beaucoup à apporter au développement
socioculturel du Congo.

Les exemples très connus des valeurs familiales, des rapports
communautaires des vivants ou avec les morts, de solidarité, de partage,
etc. tout comme les valeurs culturelles· exprimées dans des arts aussi
variés que la musique, la danse, la littérature orale ou écrite, la
sculpture, le tissage, etc. sont autant de productions reconnues et
appréciées dans l'ensemble du pays comme dans le monde. Le Mutwashi
n'est-il pas devenu une danse mondiale aujourd'hui? Et si les Lubas ne
sont pas assez créatifs et innovateurs dans ces domaines, même ce qui
leur appartient ou revient, sera approprié et développé par les autres
et au détriment des Lubas Kasayi.

C'est dire que l'exploration des lendemains possibles pour les Lubas
Kasayi doit tenir compte aussi bien des paramètres politiques,
économiques que socioculturels. Dans chacun de ces domaines il y a un
avenir pour la région du Kasayi et ses peuples. Mais c'est aussi dans la
conjugaison des efforts dans ces différents domaines que l'on pourra
assurer le développement du Kasayi et les chemins possibles du devenir
des peuples Lubas du Kasayi.

Grandeurs et faiblesses des Lubas Kasayi

Mais pour cela les Lubas Kasayi devraient aussi collectivement
remédier à leurs faiblesses, que les autres ont exploitées en conscience
ou pas, depuis le pouvoir colonial. Je vais m'arrêter ici à quelques
exemples pour illustrer les forces et les faiblesses des Lubas Kasayi.

L'incapacité de s'organiser collectivement. Cela va semble difficile à
accepter pour nombre d'entre les Lubas. En effet, ce qui fait la force
de ces peuples ou de leur culture est aussi ce qui porte les germes de
leur faiblesse. Les Lubas Kasayi croient tous et chacun qu'ils sont
capables individuellement de réussir leur vie, de se débrouiller, etc.
Et il y en a qui en ont nourri un complexe de supériorité par rapport à
leurs frères et sœurs, qu'ils soient du même groupe ou surtout d'autres
groupes. Ils ont ainsi contribué à semer ou alimenter une image non
positive du Luba Kasayi.

Il y en a qui adoptent une attitude péjorative vis-à-vis des autres
groupes ethnoculturels s'exprimant parfois avec hauteur et dans des
termes empruntés au vocabulaire du colonisateur. Ces groupes ou leurs
ressortissants sont considérés comme des non civilisés ou des barbares
en diminutif: ce sont des « twena cisuku », des «twena diitu », des
tupika ». J'ai personnellement entendu un grand chef politique luba dire
dans un meeting public en 1961 à Mérode: « Adula mmwana wa nganyi,
mulelela mu bwatu, meema mulelela mu maternité a mu Bunkonde ». Il faut
reconnaître qu'une telle attitude est de nature à alimenter ou justifier
le concept de « de Mulu vantard» aisément propager dans certains
milieux au pays et ne nous rend pas service.

La confiance en soi ou la croyance dans ses propres· capacités est
une qualité qu'il faut développer et c'est un atout pour un individu, et
encore plus pour un peuple ou une culture donnée. Mais chez les Lubas
du Kasayi, cette qualité va à l'encontre de la capacité. De se mettre
ensemble, de s'organiser collectivement pour une cause et de respecter
les règles de la hiérarchie de l'organisation qui en découle, simplement
parce que chacun se croît capable par lui-même. Pourquoi irait-il
suivre tel ou tel autre? Qui est-il lui ou qui est-elle elle? L'Enfant
ou la femme de qui? Est-ce que je mange chez lui/elle? Questions
courantes en langue Luba, mais inconnues chez les Bakongo par exemple.
Ces derniers sont capables de faire un, de suivre leur chef, et même de
garder le secret de leur organisation jusqu'au résultat final. Les Lubas
Kasayi ne sont capables de s'organiser collectivement ou pour une cause
commune que dans des situations où ils font face à un danger collectif,
à une menace de mort ou de leur existence en tant que groupe. Là ils
sont capables de prouesses organisationnelles étonnantes, de dévouement
et de sacrifices exceptionnels pour la cause de leur survie.

Dans ce cadre on peut citer quelques exemples: ils ont su s'organiser
pour se défendre en dehors de leur terre, et organiser leur retour bien
qu'entaché de beaucoup de difficultés vers le Kasayi pour ceux qui sont
venus du Katanga et ce à deux reprises: 1961-1962 et 1992-1993. Ils ont
su le faire pour partir du Nord du Kasayi vers le Sud lorsque des
conflits internes sont apparus entre eux. Des inventeurs ont su mettre
au point aussi bien des techniques de lutte que des armes. La ville de
Mbuji Mayi qui est aujourd'hui probablement le deuxième centre
commercial du pays et la deuxième agglomération sur le plan
démographique, est la seule capitale provinciale non laissée par les
coloniaux et c'est le produit de leur travail. Le lancement du mouvement
solidaire Muluba comme mouvement et non comme parti politique est un
autre exemple exaltant de ce genre de prouesse. Ce mouvement qui était
basé sur le sentiment de solidarité entre peuples Lubas du Kasayi a
réussi en 1959-1961 à sauver et évacuer des centaines de milliers des
Lubas Kasayi devant le danger collectif d'extermination dans nombre de
centres urbains du pays. De mêmeon peut citer aussi l'exemple de la
signification réelle de l'entente et de l'accord du type Ndondu organisé
au Congrès de Cibata entre Cibanda et Mukuna au Kasayi Oriental, ou au
Lac Munkamba entre les Lubas du Nord (le bassin de la Luluwa) et ceux du
Sud (bassins de la Lubi et de la Kaleelu) au Kasayi qui sont autant de
preuves de prouesses et de repères historiques de ce dont les Lubas
Kasayi sont capables quand ils se sentent en danger collectifs et au
sortir de ce danger. Mais passé le danger, et au lieu de construire sur
ces repères historiques et de les consolider, cette espèce de «naturel»
Luba revient en eux. Les mêmes questions (qui est-il/elle? pourquoi
lui/elle? etc.) réapparaissent. Le sens de la contestation réapparaît
avec force.

Lorsqu'un Luba Kasayi est en position de pouvoir quelconque, il
trouvera que parmi les premiers contestataires de son pouvoir, il y a
certainement les autres Lubas s'ils ne sont pas les premiers en ligne.
Et ceci s'explique par ce sens de la confiance en  Soi, de la
contestation de la hiérarchie, de l'ambition personnelle, de
l'affirmation d'un pouvoir à base territoriale et non ethnique, et donc
finalement la faiblesse de s'organiser collectivement sur une base
ethnique ou ethnoculturelle. Ce qui encore une fois n'est pas le cas
chez les Bakongo pour ne citer que cet exemple. Et les Lubas du Katanga
ou même au-delà, les ressortissants du Katanga, à quelques exceptions
près, démontrent le contraire aujourd'hui, comme les ressortissants de
l'Equateur notamment l'ont montré hier. Mais il s'agit là de mauvais
exemples que tous les congolais doivent combattre.

Et pour le pays dans son ensemble, c'est tout le jeu ethnique qu'il
faut changer en force positive. En effet la reconnaissance de
l'existence ou même de l'identité ethnique et culturelle ne devrait pas
être diabolisée .Elle est le premier pas dans la construction d'un
ensemble national congolais à base plurinationale ou multiethnique.
C'est une valeur en plus à accepter de manière positive et constructive,
mais dans une politique d'inclusion, et non dans celle
d'instrumentalisation, de marginalisation ou d'exclusion sociale
d'autres groupes ethnoculturels. C'est dans cette optique je vois
l'avenir politique des Lubas Kasayi dans l'ensemble national. Nombre de
questions restent encore à discuter, mais je dois être bref, car
l'objectif est d'aider l'Association ou ONG Leja Bulela à se définir une
nouvelle vision et une nouvelle stratégie d'action.

La ville de Mbuji Mayi est sans doute aujourd'hui la deuxième ville
du pays du point de vue démographique. C'est la seule ville construite
entièrement des mains des congolais, témoignage vivant du dynamisme et
de la détermination collective des Lubas Kasayi. Le dynamisme de cette
ville dans les affaires est connu et admiré de tous. Mais les faiblesses
et limitations du développement économique et social de cette ville et
du Kasayi en général sont l'expression d'une autre faiblesse des Lubas
Kasayi. Cette région est riche. Elle enrichit tous les exploiteurs
nationaux et étrangers des richesses de son sous-sol. L'exploitation du
diamant du Kasayi (Kasayi Occidental) ou de Lubilanji (Kasayi Oriental)
est la principale source de revenus de l'Etat congolais aujourd'hui.
Mais comme sur un mode d'exploitation coloniale, le diamant du Kasayi
enrichit les exploiteurs en appauvrissant la terre et le propriétaire.
Aucun mécanisme n'est mis en place pour que ce diamant assure le
développement de la ville (Mbujimayi ou Tshikapa par exemple), et encore
moins de la région sur le plan économique et social. Ce sont les Lubas
eux-mêmes qui doivent lutter pour cela et il ne faut pas s'attendre à ce
que l'Etat central si loin de ces réalités, plus prédateur que jamais
de par la nature du pouvoir qui le dirige, se mettra en tête une
préoccupation de développement local. Mais les Lubas Kasayi ne le font
pas non plus, parce qu'ils ne comprennent pas encore que cette
exploitation sur un mode d'appauvrissement menace leur existence
collective, seule circonstance qui les mobilise. Mbuji Mayi n'est-elle
pas restée une sorte de grand village ou de grand centre extra coutumier
à: cause de cela notamment? Et Kananga n'a-t-elle pas perdue sa
troisième place dans la hiérarchie des villes du pays?

Mais le développement du Kasayi ou d'un autre coin du pays est
fonction notamment de l'union ou la liaison entre le capital financier
investi dans la production, et le capital humain, c'est-à-dire
l'intelligence et le savoir faire. L'union de ces deux forces est
cruciale pour le développement. Au Kasayi les deux forces existent :
l'argent y circule et fait la preuve du dynamisme dans les affaires dont
je parlais tout à l'heure, et l'existence de l'élite de bien haut
niveau est connue. Mais ces élites (de l'argent et de l'intelligence) se
méfient l'une de l'autre, se prenant mutuellement d'en haut, incapables
d'unir leurs forces respectives dans un effort constructif. Si les
Lubas Kasayi pouvaient unir la force de leur richesse financière (les
hommes et femmes d'affaires) et celle de leur élite intellectuelle, ils
constitueraient une force de développement importante pour la région,
les provinces et le pays. Dans ces conditions ils seraient à même de
peser même sur l'échiquier politique du pays.

Mais c'est sans doute encore une fois à cause notamment de cette
incapacité de se mettre ensemble sauf en cas de menace de l'existence
collective qui conduit à cette situation.

La réussite individuelle en affaires, sur le plan intellectuel ou sur
le plan matériel est un motif de fierté légitime. Mais chez les Lubas
du Kasayi, cette fierté développe parfois une connotation d'orgueil qui
ne s'exprime pas qu'à propos, et est de nature à ne pas attirer que des
amis.

Cette faiblesse apparaît enfin dans un autre domaine crucial: Celui
de leadership. Au-delà de querelles de petite politique ou de politique
de basse classe, les Lubas peuvent et sont capables de développer un
leadership politique, économique, religieux, social ou culturel qui soit
visionnaire, mobilisateur autour d'idéaux nobles de développement
régional. Mais ils n'acceptent pas facilement de suivre ce leadership et
de s'organiser en conséquence. Comme pour les autres domaines
importants de manifestation de cette faiblesse, il y a ici encore
beaucoup à faire et des défis à relever.

Mbaya J. KANKWENDA

Communication préparée pour la XIIe Coriférence annuelle de Leja
Bulela asbl. Atlanta 2-3 juillet 2004 et maintenant pour la XIIIe
Conférence de LB, New Jersey 1-3 juillet 2005)

Mansanga – 2ère Année, N° 16, Novembre-Décembre 2005

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