05.03.10 RFI: Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI).

RFI : Depuis
le début de l’année, vous dites que la reprise de l’économie mondiale
est fragile. Est-ce qu’une rechute est possible ?

Dominique
Strauss-Kahn
 : Elle est peu probable.Ce n’est pas notre
scénario principal, mais elle n’est pas impossible surtout si on
retirait les différents stimulus qui ont été mis en place trop
rapidement.

RFI L’Afrique a été touchée
par cette crise. Beaucoup de pays ont perdu
deux points de croissance l’an dernier. Quelles sont vos prévisions
pour cette année ?

D.S.K. : Je suis
plutôt optimiste pour l’Afrique sub-saharienne. C’est vrai qu’elle a été
durement touchée par la crise mais les années de croissance
exceptionnelle depuis trente ans qui ont existé notamment en Afrique de
l’Ouest juste avant la crise avaient donné quelques marges en matière
budgétaire ou en matière monétaire selon les pays. Elles ont été
correctement utilisées. Et donc globalement, l’Afrique s’en sort mieux
qu’on n'aurait pu le craindre, et maintenant on voit dans la plupart des
pays le retour à la croissance.

RFI : La
Banque africaine de développement annonce que les pays à économie
diversifiée, comme le Maroc, ont mieux résisté et pourrait retrouver un
taux de croissance supérieur à 5%. Est-ce que vous faites la même
analyse

D.S.K. : Oui, c’est sûr. Un des
problèmes de certaines économies africaines, mais d’ailleurs ça existe
dans d’autres parties du monde aussi, c’est le fait d’avoir une économie
insuffisamment diversifiée, soit totalement énergétique, pensons au
Nigeria par exemple où la part du PIB, qui n’est pas le PIB pétrolier,
s’est beaucoup réduit au cours de ces dernières années, ou bien d’autres
exemples. Evidemment dans ces cas là, il est plus difficile de résister
à la crise. Plus les économies s’intègrent dans le marché mondial avec
une grande diversité de produits – vous citiez le Maroc, c’est un très
bon exemple, le Maroc a très bien traversé la crise, le Maroc va
retrouver une forte croissance, mais au Maroc beaucoup dépend des pluies
et de la partie agricole et il se trouve que ça s’est bien passé cette
année, donc c’est un cas un peu particulier – mais
globalement les économies les plus diversifiées s’en sortent mieux,
c’est exact.

RFI : En Afrique de l’Ouest,
le taux de croissance moyen l’an dernier était autour de 3%. Est-ce
qu’il pourrait retrouver les 5% des années précédentes ?

D.S.K.
: Il va les retrouver, pas immédiatement, mais il va les retrouver.
Notre prévision est au-dessus de ces 3%, là, pour l’année qui vient.
Donc on est sur la bonne pente. On ne va pas revenir au taux de
croissance des 5%, 6% qu’on a connus pour beaucoup de pays au cours de
la décennie précédente. On va les retrouver assez rapidement, sans doute
pas pour 2010, mais on va les retrouver assez rapidement.

RFI Parmi
les pays les plus touchés par la crise en Afrique de l’Ouest, il y a la
Côte d’Ivoire. Les délestages se multiplient, la pauvreté augmente.
Aujourd’hui, près
de la moitié des Ivoiriens vivent sous le seuil de pauvreté. Est-ce que
vous êtes inquiet ?

D.S.K. : Oui, la
Côte d’Ivoire est quand même une triste tragédie. C’est un pays qui est
très riche. La situation politique ne rend pas l’économie très
vibrionnante. Le climat des affaires n’y est pas excellent et il faut
absolument que la situation politique se rétablisse, sans doute par des
élections, le plus rapidement possible. C’est vraiment très dommage de
voir ainsi des années gâchées.

RFI : Et
vous avez accordé au mois de novembre dernier la deuxième tranche d’un
prêt global de plus d’un milliard de dollars. Est-ce que la troisième
tranche est à venir ?

D.S.K. : La
troisième tranche devra venir, cela dépendra de la façon dont nous
apprécierons la période qui s’est passée entre temps. Vous savez que
lorsqu’on nous déboursons des aides vers les pays en plusieurs
tranches, il y a des procédures de révision, de contrôle de ce qui s’est
passé dans l’intervalle. Normalement, cela devrait se passer comme il
faut. Mais c’est très important qu’on soutienne l’économie ivoirienne
qui est un poumon important de toute l’Afrique de l’Ouest.

RFI : Au
Congo Kinshasa, vous avez demandé aux autorités de revoir à la baisse
l’emprunt chinois de 9 milliards de dollars qu’elles avaient contracté
avec Pékin. Est-ce que c’est une condition indispensable à l’effacement
de la dette congolaise et à l’accès au fameux point d’achèvement de
l’initiative PPTE (des pays pauvres très endettés) ?

D.S.K.
: Oui, l’affaire est très intéressante parce que, à la fois, ils
avaient besoin de cet investissement chinois parce que cela allait
développer le secteur
minier et puis ensuite fournir pas mal de contreparties en termes de
construction de routes, d’écoles, etc… Et à la fois, il ne fallait pas
que cet investissement chinois mette à mal la procédure d’effacement de
dette parce qu’il y avait trois milliards d’effacement de dettes à
récupérer de l’autre côté et cela aurait été extrêmement dommage que le
fait de s’endetter de nouveau ou de fournir des garanties aux Chinois
empêche l’effacement de la dette.

Et moi, j’ai été à Kinshasa pour
dire à tout le monde, ce n’est pas l’un ou l’autre, ce n’est pas
fromage ou dessert, ce que je veux, ce sont les deux : et
l’investissement chinois et l’effacement de la dette. Et donc je leur ai
proposé une solution qui permettait de satisfaire les problèmes de
garanties qu’avaient les Chinois sans que cela soit sous la forme d’une
garantie de dette et du coup, maintenant on aboutit. Alors avec un
investissement
effectivement un petit peu plus faible, mais globalement on aboutit. Le
Congo Kinshasa était un des derniers pays à ne pas avoir bénéficié de
la grande procédure PPTE, sur l’effacement de la dette des pays pauvres
endettés. Enfin, on y arrive et cela va être un coup de pouce important à
cette économie qui reste une des plus pauvres d’Afrique.

RFI : Le
point d’achèvement en 2010. C’est possible ?

D.S.K. :
Oui, je pense.

RFI : En France, dans les
sondages, vous êtes l’homme politique de gauche le mieux placé pour
battre Nicolas Sarkozy en 2012. Qu’est-ce que ça vous fait ?

D.S.K. :
Oh, je mentirais en ne vous disant pas que cela me fait plaisir. Mais
ça n’est pas mon sujet d’aujourd’hui. Mon sujet d’aujourd’hui, c’est ce
que je fais au Fonds monétaire. Je n’ai
qu’une seule mission, celle-là et j’entends la remplir jusqu’au bout.

RFI : Au
Parti socialiste, vous n’avez pas que des amis. Beaucoup espèrent
justement que vous resterez à Washington et que vous ne vous présenterez
pas à la présidentielle de 2012. Est-ce qu’aujourd’hui, vous pouvez
leur dire « C’est vrai. Je vais rester au FMI, vous pouvez dormir
tranquille
 » ?

D.S.K. : Vous voulez
que je fasse plaisir à ceux qui ne sont pas mes amis, mais c’est quand
même une drôle de conception (rires). Ecoutez, je n’ai pas l’intention
de faire des déclarations, ni maintenant, ni plus tard sur la
présidentielle de 2012. J’ai une mission aujourd’hui qui est une mission
internationale. C’est un rôle qui me passionne et qui me suffit
amplement aujourd’hui.

RFI Dernière
question Dominique
Strauss-Kahn. Vu le calendrier des primaires au sein de la gauche
française, elles sont prévues au début de l’année prochaine, est-ce que
vous n’êtes pas obligé de prendre votre décision sur votre avenir
politique d’ici la fin de cette année ?

D.S.K. :
Mais je viens de vous répondre à cette question. Je vous dis, ce n’est
pas mon sujet aujourd’hui.

RFI : Un peu
plus tard on va dire ?

D.S.K. : Je
croyais que votre sujet, c’était l’Afrique…

Salutations,Léon
S.

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