11.03.10 Le Potentiel / Cinq questions à Aminata Touré

 

1. Comment peut-on passer d’un poste de cadre dans une
société dakaroise au siège de la division Population des Nations unies?

Par un concours d’opportunités. Après avoir quitté le secteur privé,
je suis entrée à l’Association sénégalaise pour le bien-être familial.
C’est là que j’ai bâti mon expérience et mon expertise. Je suis partie
ensuite au Burkina Faso pour contribuer à un projet en tant que
conseiller technique du FNUAP, pour le compte du ministère de la
Condition sociale et de la Famille de ce pays, puis en Côte d’ivoire en
tant que conseiller technique régional du FNUAP. J’ai également
travaillé au Fonds des Nations unies pour la Femme à Dakar. En 2003,
j’ai rejoint le siège du FNUAP dont je dirige, depuis 2005, la branche
Culture, Genre et Droits humains.

2. Le fait d’avoir eu un père fonctionnaire de l’ONU a
peut-être facilité votre ascension.

Pas du tout. Mes parents m’ont donné l’éducation nécessaire et ont
aidé à développer mon capital confiance. Mon père par son travail à
l’OMS, ma mère par son travail de sage-femme. Elle a aujourd’hui
soixante-quinze ans, ce qui veut dire que son père était assez
futuriste. En ce temps-là, peu de femmes allaient à l’école en Afrique.
Et mes parents nous ont donné l’accès à des études en France, à mes sept
frères et soeurs et moi. J’ai quitté Dakar à l’âge de dix-neuf ans. Je
me suis mise là où je suis par mes qualités, à la force des poignets.
Mon mari actuel a aussi été d’un soutien extraordinaire. Sans lui, je
n’aurais jamais pu occuper ce poste. C’est plutôt lui qui élève nos deux
jeunes enfants. Le métier que j’ai choisi exige de l’empathie envers
les femmes marginalisées, dévalorisées et sans ressources. Je me demande
tous les jours ce que je serais devenue à leur place. Comment aurais-je
élevé mes enfants ? C’est cette empathie qui permet de supporter les
longues heures de travail ici.

3. Et le rythme de la vie new-yorkaise ?

La vie new-yorkaise se mène au pas de course. Elle est pourtant
exaltante. Cette ville est pour moi la capitale du monde, une ville où
l’on se sent bien en tant qu’étranger, où toutes les communautés
possibles sont représentées Quand je veux manger mon tié boudien, je
vais sur la 116ème rue il y a un excellent restaurant, sénégalais, des
boutiques sénégalaises, on parle wolof. J’aimerais profiter plus de New
York mais les journées au bureau durent généralement dix heures. Les
week-ends, quand je suis là, se pas sent en famille. Et je prépare un
PhD en Droit après avoir fini un PhD en International Business
Management, pour le plaisir et pour lé défi. Je me suis dit qu’ayant la
chance d’avoir ce que j’ai, et d’avoir une bonne santé, cet effort était
une toute petite façon de contribuer au développement des
connaissances, de motive les jeunes. A commencer par mes trois enfants.

4. Quel est votre rôle au FNUAP ?

M’assurer que les questions de culture, de genre et de droits humains
soient partie prenante de son activité dans les quatre régions du monde
au niveau national, régional et global. Le FNUAF élabore des stratégies
et les propose aux Etats afin qu’ils se les approprient. Nos budgets ne
suffisent pas à financer tous les besoins des pays. En revanche, il
nous arrive d’assister certains pays en fournissant des moyens de
contraception, de la logistique, une assistant technique…
Nous défendons en priorité les droits de femmes, particulièrement dans
les pays en développement, en essayant d’augmenter l’accès aux méthodes
de planification familiale, de prévention contre le Vih/Sida et contre
les infections sexuellement transmissibles, l’accès aux services de
santé pour la surveillance de la grossesse et l’accès à des conditions
d’accouchement décentes. Nous travaillons aussi beaucoup dans les
vingt-huit pays moins avancés où se pratiquent les mutilations génitales
féminines. Et nous assistons dans la mise en place, puis l’application,
de lois contre les discriminations et les violences faites aux femmes
et aux filles. Nous opérons en amont au niveau des stratégies de
développement pour faire prendre compte les questions de population dans
les objectifs de réduction de la pauvreté. Réduire la pauvreté implique
de traiter également les questions de population en donnant aux
individus le choix de planifier les naissances, de se protéger contre le
Vih sida et de prendre en charge leur santé de la reproduction.

5. Pouvez-vous mesurer les résultats de votre action?

En mars 2008, Male leadership network, la grande campagne contre la
violence faite aux femmes lancée par le secrétaire général de l’ONU, Ban
ki-Moon, a réuni des personnalités masculines, parmi lesquelles
plusieurs chefs d’Etat et Premiers ministres. Jusqu’à présent, cette
question était débattue au sein de structures restreintes. Les réactions
ont été positives, la campagne a pris son envol. Nous intervenons sur
la recherche. Y a-t-il des maisons d’accueil où abriter les victimes ?
Les agents de santé sont-ils formés au diagnostic et au traitement des
victimes ? Y a-t-il des lois en la matière ? Etc. Nous nous attachons à
supprimer cette mentalité terrible, toujours présente dans de nombreuses
sociétés on est un homme si on bat sa femme. Le défi est de savoir
comment y parvenir si l’environnement social est lui-même violent.
Le programme sur « Les hommes dans la santé de la reproduction », auquel
je travaille depuis plusieurs années, a lui aussi pris de l’ampleur.
L’objectif ici étant de mobiliser les hommes, je veux dire toute la
hiérarchie ceux qui décident, ceux qui allouent les budgets, les chefs
religieux, les chefs communautaires, les médecins…

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