Du 24 avril 1990 au 24 avril 2010 : que sont devenus les souhaits des minorités organisées ? (JP Mbelu)
Selon la Radio
Okapi, « une centaine de policiers ont dispersé (…) sur le boulevard
triomphal à Kinshasa, les partisans des partis politiques ECIDé
(Engagement pour la citoyenneté et le développement) et UDPS (Union pour
la démocratie et le progrès social) ainsi que ceux de lUnion pour la
nation (UN). Ces militants voulaient commémorer le 20e
anniversaire du lancement officiel du multipartisme et de la démocratie
en RDC par feu maréchal Mobutu. Certains cadres et partisans de ces
partis ont été interpellés. Parmi les cadres interpellés
figuraient le député provincial de Kinshasa Martin Fayulu dECIDé et
Albert Moleka, cadre de lUDPS. Les partis organisateurs sétonnent de
lannulation brusque de cette manifestation, alors que lautorité
urbaine était informée depuis le 13 avril. »
Pourquoi, 20
ans après, les pratiques décriées sous la dictature mobutienne (répression,
brimades, dispersion des manifestations) ont-elles encore la peau
dure ? Des réponses simples peuvent être données à cette question :
« Mobutu, comme il aimait à le dire, na pas été un magicien. Il ne
suffisait pas quil dise quune page nouvelle de notre pays vient de
souvrir pour que cela se réalise. Le mardi 24 avril 1990, Mobutu lance
officiellement le multipartisme et le processus démocratique.
Officieusement, les caciques de son pouvoir vont récupérer ce processus
et le torpiller en sappuyant sur certaines forces de la société
civile ; officiellement Mobutu avait le pouvoir ;
officieusement, cest la troïka (USA, France et Belgique) qui dirigeait
notre pays, etc. » Les tentatives de la Conférence nationale souveraine
pour capitaliser les acquis de la lutte pour la démocratie et lEtat de
droit seront réduites à leur plus simple expression par cette coalition
des forces négatives avant que « la guerre de libération
de lAFDL », « cheval de Troie » des pouvoirs néocoloniaux représentés
par lOuganda, le Rwanda et le Burundi, ne vienne remettre les compteurs
de cette lutte à presque zéro.
Ces
explications plausibles sont insuffisantes. Il
faut avouer quavant que lAFDL ne vienne mentir sur le projet
libérateur quelle été censée porter, un leader charismatique et un
parti politique ont porté les espoirs de nos populations pour un autre
Congo/Zaïre. Etienne Tshisekedi et son UDPS avaient centré leur lutte
sur lavènement dun Etat de droit démocratique (respectant les textes fondamentaux) dans la non-violence. LAFDL les dribble en
chassant Mobutu avec les armes dautrui et sans une maîtrise suffisante
du projet dans lequel elle
sinscrivait.
Depuis 1996
jusquà ce jour, un autre projet tend à se réaliser dans notre pays.
Lopposition dite institutionnelle na pas réussi, jusquà ce jour, à
jouer le rôle assumé jadis par lUDPS dEtienne Tshisekedi
dans la mobilisation des masses populaires. Elle est moins redoutée
quand elle opère au Parlement que quand elle veut faire jonction avec
les autres forces du progrès restées en marge des institutions
instrumentalisées par lAFDL-PPRD-CNDP-RCD-AMP.
Ce qui sest
passé samedi 24 avril 2010 peut avoir valeur de symbole : un renvoi à ce
qui pourrait devenir le centre de nos luttes futures. Cest-à-dire une
jonction entre toutes les forces de progrès au sein dun grand Front de
Résistance contre le mensonge originaire de lAFDL-PPRD-CNDP-AMP. En se
mettant ensemble, Moleka, Fayulu, Kanku et les autres amis de la CCD
(Conscience Congolaise pour la démocratie) ont donné un signal fort :
rompre avec les institutions prises en otage par le pouvoir mensonger de
lancêtre du PPRD est lune des pistes à exploiter. Il y a
là une lutte à mener en la recentrant sur les acquis politiques des
années 90.
A nen pas
douter, Mobutu décrié comme dictateur, a posé en 90, un geste que les
rares démocrates du monde poseraient : aller à la rencontre des
« minorités organisées » et des indépendants, les consulter, recueillir
leurs avis et considérations, les dépouiller et les traduire en
préoccupations clairement exprimées. (Il y a toujours du bon dans le
pire dentre nous !) Dans son discours du mardi 24 avril 1990, après
l'analyse des mémorandums, Mobutu avait réussi à « déceler
d'autres préoccupations du peuple que voici :
1. La
réhabilitation des trois pouvoirs traditionnels, à savoir : le
Législatif, l'Exécutif et le Judiciaire. (Ici il aurait ajouté la
réhabilitation du quatrième pouvoir.)
2. Le
renforcement des pouvoirs de contrôle du Conseil Législatif et de tous
les organes délibérants.
3. La
responsabilisation de l'Exécutif tant au niveau central que régional
devant les organes délibérants.
4. La
dépolitisation de la Fonction publique, de la territoriale, des forces
armées, de la Gendarmerie, de la Garde civile et des services de
sécurité, exigeant pour ces derniers une profonde restructuration en vue
de garantir en toutes circonstances les droits fondamentaux des
citoyens et les libertés individuelles. »
Avant de
terminer son propos, Mobutu sétait résumé en revenant sur certaines
leçons tirées de la consultation populaire. Il disait : « A dater de ce
jour, mardi 24 avril 90, tirant les enseignements de la consultation
populaire à laquelle avaient pris part plus d'un million de zaïroises et
de zaïrois, et d'où sont sortis 6.128 mémorandums, j'annonce
solennellement au peuple zaïrois.
1. L'introduction
du multipartisme à trois au Zaïre, l'abolition de
l'institutionnalisation du Mouvement Populaire de la Révolution avec
comme conséquences : la suppression de son rôle dirigeant, la séparation
nette entre le parti et l'Etat, la réhabilitation des trois pouvoirs
traditionnels à savoir le législatif, l'exécutif et le judiciaire comme
les seuls organes constitutionnels, la dépolitisation de la fonction
publique, de la territoriale, des forces armées, de la
gendarmerie, de la Garde civile et des services de sécurité,
l'instauration d'un pluralisme syndical.
2. La désignation
d'un Premier commissaire d'Etat ou Premier ministre, si vous voulez,
suivie de la formation d'un gouvernement de transition.
3. La révision de
l'actuelle Constitution en vue de l'adapter à la période de transition
qui s'instaure.
4. La mise sur
pied d'une commission chargée d'élaborer la Constitution de la Troisième
République, Constitution qui sera sanctionnée par un référendum
populaire.
5. L'élaboration
enfin d'un projet de loi devant régir les partis politiques dans notre
pays et organiser leurs financements. »
De ces
dernières leçons, la prise en compte et lapprofondissement de la
première et de la cinquième pourrait encore participer du débat sur
les institutions dun autre Congo que nous voulons pour nous et pour
les générations futures.
Comme nous
lavons déjà souligné, même si ce beau discours na pas pu être
concrétisé, il a eu lunique mérite de sêtre inspiré dun acte
démocratique par excellence : la consultation populaire. Ce discours mis
en pratique aurait coupé lherbe sous les pieds des dinosaures de la
deuxième République, de leurs dépendants et de leurs parrains
occidentaux. Quand lAFDL arrive, elle na pas un
programme structuré à proposer à nos populations. Elle ne pouvait pas en
avoir parce quelle nétait qu « un cheval de Troie ». Le
PPRD-RCD-CNDP-AMP na pas pu changer la donne.
Les souhaits
des minorités organisées exprimées en 1990 peinent à se réaliser.
Certaines dentre elles se sont égarées en croyant dans les mensonges du
« cheval de Troie », en participant aux crimes organisés par les multi
et les transnationales pour effacer notre pays de la carte du monde.
En sortant des
institutions fondées sur un mensonge originaire pour aller coaliser avec
les autres forces du progrès Martin Fayulu et Dominique Kanku ont dit,
samedi 24 avril 2010, à leur manière, que persévérer dans ce mensonge
originaire de lAFDL est diabolique.
Il me semble
quil nous faudrait repartir comme vers les années 80 et 90 et fermer la
parenthèse de ce mensonge éhonté. Avec un leadership collectif avisé,
cest-à-dire fondé beaucoup plus sur les pratiques citoyennes
transformatrices du quotidien de nos populations que sur les beaux
discours ; un leadership collectif constamment à lécoute des minorités
organisées et promoteur des contre-pouvoirs indispensables à livresse
du pouvoir.
J.-P. Mbelu