Les ats plastiques modernes à Lubumbashi
À l'origine de la publication Les arts plastiques de l'Afrique
contemporaine. 60 ans d'histoire à Lubumbashi (R-D Congo) – et de la
recherche dont elle restitue les principaux résultats – se trouve
l'interaction de trois dynamiques initiées par des personnalités très
différentes: Gaspard Mwewa Kasongo (UNAZA), dont le projet de doctorat
fut ruiné par la disparition prématurée, Léon Verbeek, infatigable
investigateur de l'oralité congolaise (Institut de Théologie Saint
François de Sales, Lubumbashi) et Bogumil Jewsiewicki (Université Laval,
Canada). Un quatrième acteur, le Musée royal de l'Afrique centrale
(MRAC), s'est efforcé d'appuyer leur volonté de valoriser un patrimoine
culturel et d'en faciliter la visibilité virtuelle.
La recherche conçue et dirigée par Léon Verbeek en République
Démocratique du Congo est unique et exemplaire. Elle est unique car elle
protège et rend accessible un patrimoine populaire qui risquait de
disparaître, tout comme les données qui le concernaient. Unique aussi
puisqu'elle fut portée localement par des collaborateurs motivés, qu'ils
soient ou non universitaires, qui l'ont nourrie d'un regard interne et
intime.
Ce travail de longue haleine est exemplaire car mené avec très peu de
moyens et dans des conditions ingrates, il n'en fut pas moins rigoureux
par la méticulosité du travail de terrain, par le souci constant de
s'assurer que le point de vue de l'acteur soit objectivé par la
comparaison et la mise en contexte.
Il prouve qu'une recherche autonome est aujourd'hui possible dans une
Afrique sinistrée par la globalisation moyennant une intervention
extérieure minime. Cette recherche indépendante exige des efforts
héroïques dont cette publication est le miroir.
Un autre point mérite l'attention du lecteur. Léon Verbeek est
depuis de nombreuses années connu comme historien et ethnologue du monde
villageois au sud de Lubumbashi où il a mené des enquêtes orales d'une
rare minutie. Passant du terrain rural à la grande ville industrielle, y
amenant certains de ses collaborateurs, il démontre ici la validité de
l'enquête orale en milieu urbain et portant sur les activités «
modernes ». Lubumbashi, une ville ouvrière, comparable jusqu'aux années
1980 aux cités minières d'Afrique du Sud, offre un milieu fécond pour
des recherches reposant sur la tradition orale et des enquêtes sur la
mémoire sociale.
La genèse du projet de même que l'analyse des données qu'il a
permis de rassembler sont publiées dans l'ouvrage Les arts plastiques
de l'Afrique contemporaine. 60 ans d'histoire à Lubumbashi (R-D Congo).
Pour le public lushois et congolais, l'importance de cette
publication tient de la richesse de l'information sur la créativité et
les créateurs en arts plastiques autant que sur la réception des oeuvres
et sur leur circulation. Ses auteurs apportent une preuve incontestable
de l'intensité, de la richesse de la vie artistique urbaine. La
création n'y est pas simple extension des arts villageois, mais elle ne
se pose pas non plus en opposition au village. Les artistes se voient
majoritairement comme artisans, se disent travailleurs de l'image, du
bois, de la malachite, sans que le goût, les préférences artistiques, le
jugement esthétique ne soient absents de leurs oeuvres ni de leurs
discours. Ils résonnent aussi dans les commentaires du public, à
condition de ne pas s'attendre à des formulations dupliquant le discours
occidental. L'autonomie de la production et de la consommation des
objets d'arts plastiques constitue probablement l'apport majeur de la
publication et de la recherche.
L'ouvrage est aussi la narration d'une recherche collective, son
autobiographie. Le lecteur pourrait y déceler un trait postmoderne, mais
cette histoire de vie d'une équipe, d'une recherche et de sa mise par
écrit est totalement exempte d'autosuffisance. Le récit débute avec le
projet d'une thèse de doctorat, jamais réalisée puisque la mort a frappé
son auteur, et se déploie par la reprise du projet par une équipe dont
les membres font intimement partie de la société étudiée. Cette histoire
est indispensable pour comprendre les conditions de production du
savoir en Afrique contemporaine. Elle permet de saisir ce qui est
spécifique, unique à la recherche qui ne bénéficie pas du luxe, et
échappe au piège, de la tour d'ivoire universitaire. L'autobiographie
détaillée de l'équipe et du projet permet également d'en saisir les
limites, dont la difficulté pour ne pas dire l'impossibilité de la
diffusion est la plus importante. Faite dans la société, avec la société
jusqu'à un certain point, la recherche se stérilise faute de moyens de
diffusion, faute de communication à l'interne et à l'externe.
Ne nous leurrons pas, l'intervention extérieure, telle la
collection dans laquelle paraît l'ouvrage chez L'Harmattan, permet
d'arracher le travail à l'oubli qui le menace, mais n'en garantit pas
totalement la circulation locale. Le livre imprimé dans le Nord demeure
trop cher. Il est aussi prisonnier des normes juridiques que la société
congolaise ne partage pas nécessairement. À titre d'exemple, il fallut
éliminer du volume la collection de récits de vie de peintres puisqu'ils
foisonnaient de renseignements privés sur les personnes qu'il aurait
été impossible de contacter à nouveau pour obtenir le consentement
explicite de publication. Pourtant, la circulation du récit, à la
manière d'un témoignage devant un groupe de prière, eût été une seconde
vie sociale succédant à la mort biologique de quelques uns.
La publication virtuelle de quelques outils de la recherche par le
MRAC apporte une solution précieuse mais partielle. Contrairement à
l'opinion répandue dans le Nord, l'espace virtuel est accessible en RDC,
à condition de ne pas exiger les logiciels de la dernière génération.
On navigue sur le web dans les cafés Internet, aux laboratoires
universitaires, dans les bureaux des ONG. Consulter sur le web coûte
moins cher qu'acheter un livre. Des membres de la société civile comme
les peintres, des écoliers du secondaire, possèdent une adresse
courriel. En vue de faciliter l'accès aux données et la visibilité
internationale de la recherche, le MRAC a spécialement créé le site
'Lubumarts' à l'occasion du centenaire du musée bâti par l'architecte
Charles Girault et du centenaire de la création de la ville de
Lubumbashi. Il abrite la banque d'images et la banque de données
consacrées à la collection d'art populaire de l'Institut de Théologie
Saint François de Sales à Lubumbashi, soit une partie représentative de
la collection de plus de 7000 peintures, céramique, objets, que Léon
Verbeek a constituée. L'internaute y trouvera également la bibliographie
consacrée aux arts en RDC, trop volumineuse pour être publiée dans
l'ouvrage, et les peintures analysées dans la publication.
Ni la publication aux Éditions L'Harmattan ni la publication
virtuelle du MRAC ne peuvent rendre accessibles les quelques 60.000
pages d'enquêtes et les 4.000 bandes de cassettes enregistrées
conservées à l'Institut de Théologie Saint François de Sales à
Lubumbashi. Le MRAC se trouvant en Belgique, il est soumis aux règles
juridiques générales de protection de la vie privée. Une banque de
données sur l'art dans la vie privée n'est pas accessible sur le site et
les banques de données ont été expurgées de données trop intimes. Pour
pouvoir consulter le matériel original, le lecteur est invité à
communiquer avec Léon Verbeek à l'adresse logic.theo@gmail.com
La présente mise en ligne est le fruit d'une collaboration entre le
MRAC (département d'Histoire, service Metafro, service des
publications), le Père Léon Verbeek, Sylvestre Cabala Kaleba
(Lubumbashi) et Bogumil Jewsiewicki.