Sud-Kivu : les députés nationaux se disent frustrés. Muzito, un bouc émissaire ? (JP Mbelu)

Avant de
soulever les questions que ce mémo pose, il sied d’indiquer que ceux qui
s’adressent à Muzito font partie de l’AMP et de
l’électorat de Joseph Kabila. Ils l’avouent sans ambages : « D’entrée de
jeu, nous volons vous rappeler, disent-ils à Muzito, trois choses :
d’abord, que le Sud-Kivu a voté à plus de 96% l’actuel chef de l’Etat ;
ensuite, qu’au sein de notre caucus il n’y a aucun Député de
l’opposition ; enfin, que nous entendons vous parler en toute franchise,
car nous avons la conviction que notre province est la mal aimée de
votre gouvernement, ce qui fait que nous sommes rongés par une très
profonde frustration. » (Lire le Mémorandum des Députés nationaux du
Sud-Kivu adressé à son Excellence Monsieur le Premier Ministre, chef du
gouvernement central de la République Démocratique du
Congo
sur www.congoforum.be)

 

Sans rentrer
dans les détails de neuf points autour desquels s’articule ce mémo (La
question sécuritaire, les manœuvres d’asphyxie et d’exclusion de l’élite
Sud-Kivutienne, la nouvelle tentative d’occupation du Sud-Kivu, la
déstabilisation des gouverneurs du Sud-Kivu, la xénophobie à l’égard des
Sud-Kivutiens évoluant au Katanga, les cinq chantiers, l’ancien Bureau
de l’Assemblée Nationale, la création des nouvelles entités et le départ
de la Monuc), nous voulons l’analyser en fonction des résultats
auxquels le processus enclenché en 2006-2008 a abouti. Notre
préoccupation majeure est de voir si Muzito devrait être le destinataire
de ce mémo. Il nous semble que les Députés du Sud-Kivu se seraient
trompés d’adresse.
Cela ferait que ce mémo soit classé sans suite comme tous les autres
rapports des Commissions que notre pays a vu défiler depuis plus de neuf
ans. Cela étant, ce mémo est franc et mérite d’être lu même s’il
revient sur certains lieux communs.

 

Ceux et celles
d’entre nous qui ont entendu Joseph Kabila et Lambert Mende parler du
retour de la paix chez nous peuvent avoir cru que celle-ci règne sur
tout notre territoire en dehors de quelques poches résiduelles des
forces négatives à l’Est. Nos Députés nationaux démentent cela.  « Au
sujet de la question sécuritaire, avouent les Députés du Sud-Kivu, nous
trouvons sadique et irresponsable que votre gouvernement déclare sans
gêne que la paix règne sur toute l’étendue du territoire national et
qu’il ne reste plus que quelques poches résiduelles des forces négatives
dans notre province. » Et ils ajoutent : « Chaque fois que vous le
dites, nous nous demandons si vous d’un côté, nos électeurs et nous de
l’autre, sommes sur le
même territoire national ou avons les mêmes informations de terrain. »
Pour instruire Muzito sur les informations de terrain, le Députés du
Sud-Kivu mentionnent quelques faits éloquents : « Dans presque tous nos
territoires, l’insécurité persiste, causée soit par les forces négatives
(FDLR, FRF,…), soit par des éléments des FARDC (…). A l’heure où nous
parlons, FIZI centre est complètement déserté : la
population a fui des affrontements entre militaires des FARDC de
l’ethnie tutsie et les Maï-Maï qui défendent leur territoire, etc. »

A lire le mémo
des Députés du Sud-Kivu, on dirait que cette insécurité
est entretenue par Kinshasa. Le sort infligé à certains militaires entraîne « la défection de plus en plus inquiétante des rangs
des FARDC de certains officiers, emportant avec eux armes, minutions et
militaires, et se livrant à des exactions habituelles (viol des femmes,
pillages, incendie, (…) ».  Le manque de contrôle des
bataillons entiers, la modicité de leurs soldes ou tout simplement leur
impaiement, le brassage et/ou le mixage fait à la hâte, tous ces
facteurs contribuent à l’insécurité. Il y a aussi le traitement
discriminatoire des ex-groupes armés. Il y a par exemple « la
frustration des éléments issus des ex-groupes armés Maï-Maï impayés et
non gratifiés, alors que ceux issus du RCD sont traités avec
bienveillance. » Il y a plus grave. « Toutes les positions stratégiques
de la Province, en ce compris les frontières et les ports, jadis
protégées militairement par nos forces armées, ont été sélectivement
confiées aux officiers militaires et hommes des troupes du CNDP. Que des
moyens matériels, humains, financiers et du temps perdus par la Nation
pour les combattre. Leur présence donne à penser qu’il s’agit d’une
conquête des terres sans combat bien planifiée. » Qui
aurait planifié cette conquête ? A première vue, les questions que le
caucus pose à Muzito pousseraient à croire que c’est le gouvernement de
Kinshasa. « Devons-nous croire aux propos de ceux qui disent que vous
voulez céder le Sud-Kivu au Rwanda ?
Si non, pourquoi votre gouvernement refuse d’opérer des permutations
des officiers et des troupes des FARDC sur toute l’étendue du territoire
national ? Jusqu’où irons-nous avec les soldats intouchables et pour la
plupart, anciens rebelles et tortionnaires. » Pourtant, une lecture
attentive du mémo indiquerait que Muzito et son gouvernement sont des
figurants. A Kinshasa, il existe un gouvernement parallèle dont
certaines missions sont déstabilisatrices. L’une des preuves est
la démission de deux gouverneurs de la province du Sud-Kivu, membres du
PPRD en plus. Et cette situation tend à se répéter. Pour
les Députés nationaux du Sud-Kivu, « cette situation à répétition nous
inquiète et soulève en nous des interrogations. Nous nous demandons
pourquoi Kinshasa tient toujours à imposer à notre province des
candidats
gouverneurs et à qui profitent leurs démissions. En déstabilisant ainsi
l’exécutif provincial, n’est-ce pas là une procédure sournoise adoptée
par le gouvernement parallèle en vue d’étouffer tout élan
d’autopromotion du Sud-Kivu ? Et pourquoi tient-on les Députés
Nationaux, Représentants légaux du peuple, à l’écart du processus de
choix des candidats Gouverneurs de leur Province ? » En sus, les
propositions faites par ces Députés pour la mise en œuvre des « cinq
chantiers » ne sont pas prises en compte. « Ici aussi, avouent-ils,
malheureusement, nous constatons, la mort dans l’âme, que le
Gouvernement que vous (Muzito) dirigez fait de ces préoccupations le
moindre de ses soucis. » Ils ajoutent : « S’il vous était encore
possible de vous mettre à notre place, vous comprendriez l’intensité de
notre frustration à l’idée que tous les projets que nous, les
Députés Nationaux, présentons par notre propre initiative ou même à
l’initiative de votre gouvernement ne sont jamais, et alors jamais,
réalisés. »

 

Pour tout
prendre, disons qu’il y a lieu de souligner, en marge de la frustration
éprouvée par les Députés Nationaux du Sud-Kivu, un grand problème de
dysfonctionnement des institutions issues du processus
(dit) démocratique de 2006-2008. La représentation nationale n’y a pas
sa place. Toutes les institutions sont gérées sadiquement et de manière
irresponsable à partir de Kinshasa par un gouvernement parallèle dont le
chef est Joseph Kabila et le Premier Ministre Katumba Mwanke. Muzito et
les autres Mende sont des garçons de course présents à la mangeoire
joséphiste.

 

Qui dit
démocratie ne dit pas simplement liberté de s’exprimer au sein des
institutions républicaines sans que cela ne porte de fruits escomptés.
Ailleurs, quand les élus se rendent compte qu’ils monologuent, ils
démissionnent. Les Députés du Sud-Kivu iraient-ils jusque-là ? Et
pourtant, ce n’est pas la première fois qu’ils écrivent un mémo !

Peut-être
qu’ils ont peur de la politique de la chaise vide ! Mais en s’adressant à
Muzito en lieu et place de Joseph Kabila et Katumba Mwanke, ne
passent-ils pas à côté de la plaque en se donnant l’impression d’une
tâche citoyenne accomplie ? A quoi sert-il de s’adresser à Muzito tout
en sachant que c’est Katumba qui un jour a dit : « On va gouverner sans
le Sud-Kivu » et de terminer en soulignant que « le pouvoir central a
craché sur les 96% des voix que la population avait accordées avec
confiance au Président de la République, Chef de l’Etat » ? La question
fondamentale que semble escamoter nos honorables est que le gouvernement
parallèle qui a un tant soit peu l’effectivité du pouvoir ne répond
devant aucune instance citoyenne, même pas devant
le Parlement. Il est de mèche avec Kigali, Kampala, Bujumbura et leurs
parrains occidentaux.

 

Si le mémo de
nos Députés Nationaux présente l’avantage d’être suffisamment clair sur
le dysfonctionnement des institutions actuelles du pays, il passe à côté
de la plaque en trouvant un bouc émissaire : Muzito. Ce faisant, il met
à nu le caractère hybride de la démocratie à la AMP. Sans des
mécanismes responsabilisant les gouvernants tout au long de leur mandat
et leur exigeant de rendre constamment des comptes, sans une rupture
radicale avec le système installé chez nous par l’AFDL-PPRD-RCD-CNDP,
les tonnes de mémos que nous produirons ne changeront rien au sadisme et
à l’irresponsabilité des gouvernants actuels face à la nation.
D’ailleurs, parler
d’irresponsabilité, c’est faire comme s’ils étaient là pour servir la
cause du Congo (RD). Non. Depuis qu’ils sont là, ils servent Paul
Kagame, Museveni et leurs parrains occidentaux. Les
Députés Nationaux du Sud-Kivu l’apprennent, à partir des faits, la mort
dans l’âme. Oseront-ils confesser publiquement un jour qu’ils ont opéré
un mauvais choix en élisant à 96% Joseph Kabila ? Que feront-ils si
leurs revendications restent lettre morte ? L’avenir nous le dira…(à
suivre)

 

J.-P. Mbelu

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