Commémorer le 30 juin en RD Congo, cela peut-il faire sens ? (JP Mbelu)

New Roman">Avant d’en analyser quelques-unes, il nous
semble bon d’indiquer qu’une certaine confusion est entretenue entre
commémorer et fêter. Commémorer, selon le petit Robert, c’est rappeler
par une cérémonie le souvenir de (une personne, un événement). Ce rappel
peut revêtir plusieurs formes. Il peut être festif, méditatif ; il peut
inciter un peut plus au recueillement qu’à la fête ; elle peut pousser à
organiser des marches
et d’autres manifestations bouillantes ; il peut combiner l’aspect
méditatif et festif. Il peut se vivre sous forme de deuil, etc. Ce
rappel peut se vivre individuellement, en famille, entre ami(e)s, en
communauté, etc. Quand il s’agit de rappeler et de célébrer un
événement, les lectures que ceux et celles qui l’ont vécu, ceux et
celles qui s’y réfèrent ou leurs héritiers peuvent en faire peuvent être
différentes. Les différentes formes de célébration sont dictées par ces
différentes lectures.

New Roman">Ces petites explications étant données, la question
de savoir si commémorer la date du 30 juin en RD Congo et/ou par les
filles et fils de notre peuple peut faire sens mérite d’être posée.

 

Par les temps qui courent,
avec un peu plus de recul, plusieurs compatriotes sont d’avis que
l’indépendance à laquelle notre pays a accédé le 30 juin 1960 n’a été
que nominale. Les puissances néo-coloniales se sont arrangées pour
reprendre d’une main ce qu’elles avaient accordé d’une autre. Ils
situent les trois décennies de la dictature de Mobutu et les
quatorze ans de « la guerre d’agression » menée contre notre pays par
Laurent-Désiré Kabila et ses soutiens extérieurs dans la parenthèse
néo-coloniale ouverte après la mort de notre héros national, Patrice
Emery Lumumba.

Cette lecture a sa part de
vérité. Mais elle reste partielle dans la mesure où elle fait fi du fait
que cette indépendance, fût-elle nominale, n’a pas été accordée de
gaieté de cœur : elle a été l’aboutissement de toute un ensemble de
luttes menées par les Pères de notre quête ardente et idéaliste de
liberté. Les questions essentielles seraient peut-être celles de savoir
ce que les héritiers immédiats et tardifs de l’aboutissement de cette
lutte en 1960 en ont fait ? Avaient-ils les ressorts nécessaires pour
persévérer dans cette lutte ? En avaient-ils la maîtrise
des enjeux majeurs ? Les maîtres du monde devraient-ils croiser les bras
après cette première station de la lutte de nos Pères ? Comment ont-ils
procédé pour prendre d’une main ce qu’ils avaient
donné d’une autre, au point d’ouvrir une parenthèse que nous n’arrivons
pas (encore) à fermer pour devenir les véritables acteurs de notre
destinée ? Ces questions pourraient être remises à l’agenda de l’AN 1 de
notre autre indépendance pour leur étude approfondie.

 

New Roman">D’autres compatriotes estiment que le
30 juin 2010, il est bon d’organiser un deuil pour célébrer la mort de
notre rêve de liberté pendant cinq décennies et fustiger la
surexploitation dont notre pays est en proie de la part des puissances
impérialistes et leurs alliés. Pour ces compatriotes, nos cinquante ans
d’indépendance n’ont produit qu’une misère anthropologique dont nous
devrions être qu’honteux. Cette lecture nous paraît encore partielle
dans la mesure où la prise de conscience dont ces compatriotes font
preuve, même si elle n’est pas quantifiable, semble être un acquis
positif de ces 50 ans de misère anthropologique. Pour dire les choses
autrement, cette misère anthropologique n’a pas épuisé chez les « 
petits restes » et les autres
« minorités organisées » de notre pays la capacité
reprendre la flambeau de la lutte des Pères fondateurs de notre lutte
pour la liberté et l’égalité. Elle a participé de «leur indocilité »
face à la pensée monolithique des impérialistes. Elle a provoque leur
« résistance ».

 

New Roman">D’autres compatriotes encore pensent à la
méditation, au recueillement revêtant un caractère plus ou moins festif
pour conjurer, par la réflexion et le partage fraternel de la Parole et
du repas, le temps du formatage-déformatage néo-colonial et jeter les
jalons de l’AN 1 d’une autre indépendance de notre pays ; celle
qui viserait le désenvoûtement des cœurs et des esprits par une
thérapeutique de choc nourrie du métissage des expériences et des
pratiques, d’ une approche renouvelée des enjeux spirituels, matériels
et idéologiques ayant transformé « la gâchette du revolver de
l’Afrique » le ventre mou de notre continent.

 

New Roman">Il y aura sans doute plusieurs autres compatriotes
qui réduiront cette commémoration de l’accession de notre pays à son
indépendance ( ?) au simple moment de boire et de manger, sans plus. Des
critiques acerbes peuvent être formulées à l’endroit de cette approche
sans qu’elles détournent ses partisans de « leurs orgies ».

New Roman">Disons que face à cette commémoration, l’une des
tentations qui guettent plusieurs d’entre nous est qu’ils soient les
seuls maîtres à dicter une seule et unique manière de la célébrer. Ainsi
lutteraient-ils contre plusieurs lectures pouvant être faites de
l’événement qu’il y a eu chez nous le 30 juin 1960. C’est comme s’il y
avait dans leur approche un refus de la différence, un attachement malin
à la pensée unique, au refus de la pluralité de points de vue…

 

New Roman">A notre avis, la commémoration de la journée du 30
juin peut revêtir plusieurs formes. Elle aura du sens pour nous si,
forts de la connaissance que nous aurons acquise de nos 50 ans de
néo-colonialisme, nous optons fermement pour travailler davantage à
notre unité dans la lutte permanente pour la liberté et l’égalité. Une
lutte qui soit fondée sur la maîtrise des enjeux majeurs de notre misère
anthropologique et l’acceptation du pluralisme des convictions et d’ un
dialogue fécondant nos rêves pour une bonheur collectif partagé. Cette
lutte menée sur plusieurs fronts devrait davantage engager nos
compatriotes africains. L’AN 1 de notre véritable indépendance
devrait mobiliser toutes les énergies africaines, les alliés
Latino-américains et occidentaux. (Contrairement aux
apparences, nous en avons encore !)

Pourquoi ? Parce que l’Afrique a la
forme d’un revolver dont la gâchette est au Congo, disait Frantz Fanon.
La coalition des minorités africaines organisées qui agirait dans le
sens de libérer « la gâchette » du pouvoir ensorceleur de la cupidité
des néo-coloniaux et de leurs hommes et femmes liges aiderait
l’Afrique-mère à avancer dans sa lutte pour la liberté et l’égalité au
cœur d’ un monde formellement multipolaire. Dans cette lutte, « les
petits restes », «  les minorités organisées », et les autres ascètes
du provisoire Congolais ont un devoir sacré : se rappeler et entraîner
nos masses populaires à comprendre constamment qu’ils sont les héritiers
de Kimpa Vita, de Kimbangu, de Kasa Vubu, de Lumumba, de Mulele, de
Kataliko, de Munzihirwa, de Tshisekedi et de tous ces autres
compatriotes qui ont compris que dans la vie, il y a des moments où les
sacrifices de toutes sortes doivent être consentis pour
que se brisent les chaînes et que l’humain triomphe en
l’homme chez nous.

 

J.-P. Mbelu

 

 

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