Sud-Kivu : les députés nationaux se disent frustrés. Muzito, un bouc émissaire ? (suite et fin) par JP Mbelu

 

New Roman">En 2006, un Institut Néerlandais (Niza) publiait un
texte dont le titre résumait la situation que notre pays connaissait
pendant la transition (et cela jusqu’à ce jour). Ce texte était intitulé
L’Etat contre le peuple. Ce texte notait ceci : « A tous
les niveaux de l’appareil de l’Etat, la fonction publique est considérée
comme un moyen d’acquérir fortune personnelle et privilèges. Pour les
fonctionnaires de rang inférieur, qui sont sous-payés ou ne sont pas
payés, la petite corruption est une stratégie pour
survivre. Mais cette excuse ne vaut pas pour les pratiques corrompues
des leaders du pays, qui portent une grave responsabilité dans la
situation dont le prochain gouvernement héritera. »

New Roman">Cette étude évaluant la période de la transition
indiquait que « pendant toute la transition, les leaders de la RDC ont
proclamé un attachement de pure forme aux bailleurs de
fonds internationaux sur la question de la mauvaise gouvernance et la
corruption. Mais dans la pratique, les principes clés de la bonne
gouvernance- la participation, la responsabilité, la transparence- ont
constamment été ignorés. Dès lors, l’opinion publique congolaise
considère plus les mesures contre la corruption comme un instrument pour
éliminer les adversaires politiques que comme un effort authentique
pour servir les intérêts de la population. L’impunité, au lieu de la
responsabilité, semble être la règle.
 »

 

New Roman">Quatre ans après cette étude évaluant
prioritairement la période transitoire, un autre document très fouillé,
inspiré par les enquêtes de terrain vient confirmer le fait que notre
pays est loin de voir le bout du tunnel. Dans Congo : l’enlisement
du projet démocratique
(si projet démocratique il y a eu ?),
les chercheurs de Crisis Group reviennent entre autres sur la question
de la corruption et titrent un sous point de leur étude : lutte
anti-corruption contre justice
. Traitant de la question de
« l’assainissement  de l’appareil judiciaire » après le renvoi de 80
magistrats le 31 juillet 2009 et de la mise en retraite de 1212 autres,
Crisis Group note : « Alors que les magistrats sont ciblés et qu’il
est devenu courant de payer des parlementaires pour
faire voter des lois, susciter ou rejeter des motions contre les
membres du gouvernement ou des gouvernements provinciaux, aucun des
grands acteurs politiques impliqués dans des affaires de corruption
n’est jamais inquiété
. » Et il ajoute : « La lutte contre la
corruption devient aussi une arme politique. A l’automne 2009, le seul
gouverneur issu du MLC, José Makila, est renversé par une motion de
censure de l’assemblée provinciale suscitée par la révélation d’une
affaire de corruption tandis que le gouverneur du Nord Kivu fait l’objet
d’une manœuvre identique qui échoue temporairement au début de l’année
2010. Dans les deux cas, l’accusation de corruption a surtout fait
figure de prétexte pour évincer ou tenter d’évincer des gouverneurs
gênants. » Quatre ans après 2006, Crisis Group fait un
constat identique à celui de Niza : la lutte anti-corruption est une
arme
utilisée par les grands acteurs de la politique actuelle de notre pays
contre leurs adversaires en marge de toute justice équitable et aux
antipodes d’une éthique politique de la responsabilité, de la
participation citoyenne et de la transparence dans la gestion de la
chose commune. Et Muzito ferait partie de ces grands acteurs même si les
grandes décisions politiques du pays sont prises par le gouvernement
parallèle.

New Roman">L’avantage qu’il y a à relire ces deux textes (que
nous recommandons vivement à nos compatriotes soucieux de comprendre ce
qui se passent chez nous depuis 1996) et de rester à l’écoute de
certains de nos concitoyens est que cela nous aide à relire à nouveaux
frais le mémo des honorables députés du Sud Kivu et à reposer certaines
questions.

 

New Roman">En écrivant leur mémo, nos députés ne cachent pas le
fait qu’ils font partie de la majorité présidentielle. De toutes les
façons, ils disent qu’ils ne sont pas de l’opposition et qu’ils ont
contribué à l’élection de Joseph Kabila à 96% dans le Sud Kivu. Or,
c’est un secret de polichinelle que de soutenir que tout
au long de son règne, Joseph Kabila a participé l’enlisement du projet
démocratique dans le  paiement des parlementaires « pour faire voter des
lois, susciter ou rejeter des motions contre les membres du
gouvernement ou des gouvernements provinciaux ». Serait-il
honnête que la franchise avec laquelle les députés du Sud-Kivu ont
décidé de s’adresser à Muzito le 26 avril 2010 ne les conduisent pas à
battre leur coulpe pour avoir contribué –si pas
tous mais certains d’entre eux- à cet enlisement ? Avouons que le mémo
des honorables députés et la première partie de cet article ont suscité
un débat houleux dans les milieux des compatriotes qui essaient de lire
et de rester attentifs à notre histoire. Une petite
illustration.

New Roman">S’en prenant à un compatriote soulignant la
responsabilité des députés du Sud- Kivu dans la situation actuelle de
l’est (et du pays), Mwalimu Kadari Mwene-Kabyana juge cela « malheureux,
irresponsable et démagogique (…) ». Pour lui, l’exécutif est le seul
coupable. Il ne semble pas établir le lien de complicité entre
l’exécutif et le législatif tel que l’histoire immédiate de notre pays
nous l’enseigne. Un autre compatriote, Emmanuel M.A. Nashi, après la
lecture de la première partie de cet article m’écrit ce qui suit :
« Merci pour ton texte que j’ai lu il y a trois jours. Je suis d’accord
avec toi que non seulement les « dépités » se sont trompés de
destinataire, mais aussi qu’ils doivent assumer ce qui s’est fait
jusqu’à présent avec leur accord. La véritable
préoccupation de ces « élus dépités aigris », on l’a bien compris,
c’est que le régime redonne des postes aux Kivutiens, non parce que
ceux-ci sont animés d’une quelconque volonté de changer les choses
qu’ils dénoncent (à juste titre), mais pour que simplement ré-accéder à
la mangeoire (…). » Dans un autre e-mail, notre ami Emmanuel ajoute :
« J’aimerais surtout que tu soulignes l’idée suivante : on ne représente
pas le Kivu (ou tout autre province) simplement parce qu’on est
originaire de là-bas. Les personnes pour lesquelles plaident les députés
parce qu’ils ont perdu leurs postes (Kamerhe, Bahati, Cishambo, etc.)
ne représentent aucunement le peuple du Kivu, c’est-à-dire son opinion.
S’il en était ainsi, ils auraient dû faire amende honorable pour avoir
induit le peuple en erreur en l’appelant à voter pour Kabila dont ils se
réalisent aujourd’hui qu’il les a trahis.
Ils doivent donc assumer l’échec de la politique qu’ils fustigent
aujourd’hui car depuis les élections, en tant que députés, ils ont
manqué de courage chaque fois que l’intérêt supérieur de la nation était
en jeu ; ils ne se sont jamais levés pour contredire la moindre
décision prise par le PPRD et l’AMP. Et ce serait seulement à Muzito
d’assumer tout aujourd’hui ? Et Kamerhe qui fut président de l’Assemblée
nationale ! Son origine kivutienne devrait-elle suffire donc pour
l’absoudre de ses manquements ? Puisque cette leçon n’est pas apprise,
Kabila reprendra tous ces gens au moment des hypothétiques élections, et
une fois dans les rangs, ils recommenceront les mêmes égarements ! En
voilà encore d’autres qui regardent le doigt, plutôt que la lune… »

 

New Roman">Ces lectures du mémo des députés du Sud-Kivu, malgré
leur divergence, évoquent la question de la responsabilité politique
des gouvernants actuels du pays. Devant qui répondent-ils des actes
qu’ils posent au quotidien ? Faut-il attendre les élections pour
sanctionner les cas de vols flagrants, de crimes de guerre, de crimes
économiques, de crimes contre l’humanité et d’enrichissement illicite ?
Faut-il attendre les élections de 2011 pour permuter les généraux et les
autres officiers du CDNP semant la mort et la désolation à l’est de
notre pays ?

New Roman">Quelles sont les autorités indépendantes pouvant se
trouver au-dessus de toutes les institutions actuelles du pays pour en
être les juges? Il n’y en a pas jusqu’à ce jour. Les gouvernants actuels
peuvent-ils répondre de leurs actes devant une justice politisée, prise
en otage par « leur autorité morale », Joseph Kabila (et son
gouvernement parallèle) ? L’expérience montre que non.

 

Nous ne le dirons jamais assez : le
système politico-maffieux instauré chez nous depuis la guerre au cours
de laquelle l’AFDL a servi de cheval de Troie doit être défait
de fond en comble. Comment ? Pas en recourant au bâton de la rupture de
l’aide au développement comme semble le proposer l’étude de l’ICG.
Cette orientation a marqué ses limites. Les Congolais et les Congolaises
doivent réfléchir – les minorités organisées le font déjà – sur
l’indispensable rupture. Les élections hypothétiques de 2011 la
réussiront-elles ? Nous en doutons sérieusement. Comment ceux qui
refusent de répondre de leurs actes aujourd’hui et qui ont accumulé les
moyens matériels de leurs actions corruptrices accepteront-ils
de se soumettre du diktat de nos populations demain ?
Peut-être faudra-t-il compter sur le long terme…Mais tous les
compatriotes n’ont pas encore dit dernier mot…

 

New Roman">J.-P. Mbelu

 

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