14.06.10 Le Potentiel: Cinq questions à Mpaka Ban Silel (*)
1. Quelle lecture faites-vous de cinquante premières années
d'indépendance de la RD Congo ?
Les cinquante premières années ans ont été marquées par plusieurs
événements qui n'ont pas favorisé le développement de ce pays pourtant
promis à un bel avenir ; des événements qui se sont dressés comme des
embûches sur la route de l'éclosion d'une nation prospère au cœur de
l'Afrique. L'histoire de la RD Congo a évolué en dents de scie ; le pays
a connu des hauts et des bas. Bref, le Congo-Kinshasa n'a pas profit de
son potentiel économique, politique et socioculturel pour se propulser
au-devant de la scène des nations dites prospères. Il y a donc lieu de
tout revisiter afin de repartir sur des bases solides pour les cinquante
prochaines années.
2. A l'accession du pays à sa souveraineté nationale et
internationale, monts et merveilles avaient été promis aux Congolais.
Aujourd'hui, tout cela n'est qu'illusion. Quel commentaire avez-vous sur
le sujet ?
Il faut interroger l'organisation et le fonctionnement des
institutions mises en place par le législateur originaire ou les
représentants du souverain primaire qui ont signé l'acte fondateur de
l'Etat congolais ; c'est-à-dire la Constitution. Ce qui revient à dire
que les dirigeants de ce pays agissent en contradiction avec la volonté
du souverain primaire. Ils agissent pour assouvir leurs propres intérêts
et pour se faire du plaisir ; le contraire de ce qu'ils ont promis au
peuple. Ils ont pris le pays et le peuple en otage. C'est bien triste
pour des gens qui devaient consacrer leurs talents et énergies au
bien-être de la population.
3. L'Assassinat des hommes politiques, des leaders
d'opinion, des activistes des droits de l'homme, c'est une grille de
lectures qu'on peut faire de l'environnement sociopolitique en RDC.
Quelle explication en donnez-vous en votre qualité de chef coutumier ?
L'industrie criminelle dans ce pays a vu le jour quelques temps
seulement après l'indépendance, avec l'assassinat de Patrice Emery
Lumumba. Lequel a été suivi de multiples autres assassinats et martyrs
dont la litanie s'allonge chaque jour dans ce pays. Le cas le plus
récent c'est l'assassinat de Floribert Chebeya Bahizire que le monde
entier pleure aujourd'hui. Mais cela ne nous ferait pas oublier
l'assassinat de Pierre Mulele, Anany, Mahamba, Lubaya, Mpolo, Bamba, L.D
Kabila, F.Ngyke, S.Maheshe, etc. La liste n'est pas exhaustive. Ainsi
que les cinq millions de Congolais assassinés à l'Est du pays. L'ordre
divin de l'autorité traditionnelle estime que ces vaillants fils du pays
sont des autorités traditionnelles en leur qualité de chef de famille,
de clans, de villages, de groupements, de tribus et consorts. Et
lorsqu'on tue impunément une autorité traditionnelle, il s'en suit
toujours une malédiction dont les conséquences sont très fâcheuses dans
la marche d'une nation. Ainsi, j'exhorte les dirigeants de la RDC à
gérer dans le respect des normes. Car, selon la sagesse traditionnelle,
on ne sait pas attraper une bête dans une contrée où l'on a tué
innocemment de paisibles paysans.
4. L'autorité traditionnelle peut-elle suggérer des voies
de sortie pour le développement de ce pays ?
Je conseille au détenteur du pouvoir en RDC de trouver une nouvelle
formule, mieux une démocratie planifiée, concertée, apaisée,
participative et préétablie sans exclusion en tenant compte des gagnants
et des perdants. À titre d'exemple : les gagnants prennent la
présidence et les perdants la primature en prenant soins de dispatcher
les postes et les responsabilités à ces deux tendances.
Nous tirons cette expérience empirique dans le mode de règlement
de conflit ancestral ou sagesse ancestrale tant au partage d'une bête
abattue lors de la chasse. Pour éviter la bagarre, nos ancêtres
organisaient une trêve avec le mode préétabli de partage de la bête, la
tête revenait au tireur, la poitrine au propriétaire de la forêt, la
cuisse au propriétaire du chien et la jambe au chef coutumier.
5. Quel avenir entrevoyez-vous pour ce grand Congo, d'ici
les 50 prochaines années ?
Le Congo appartient à nous tous. Nous devrons en prendre conscience.
Nous devons compter sur l'apport de tout le monde. Personne ne peut
gérer ce pays dans l'exclusion. Vouloir ignorer le pouvoir coutumier
ainsi que d'autres forces vives de la Nation, c'est construire une
maison sans fondation et sur du sable mouvant.
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK LOKONI (STAGIAIRE)