Affaire Chebeya : tout le monde souhaite une enquête impartiale, indépendante et crédible. Et si elle n’avait pas lieu ? (JP Mbelu)

D’aucuns répondraient que « la
foule est enfant » ; ses cris sont émotifs et elle est
capable de passer du coq à l’âne.  Soit ! Mais comment en
est-elle arrivée à crier ainsi tout en sachant que la police politique
veille à la protection du système mortifère mis en place chez nous
depuis « la guerre de libération » menée par l’AFDL, le Rwanda,
l’Ouganda, le Burundi et leurs parrains occidentaux ? Ces
cris ne sont-ils pas un signal fort lancé à l’endroit des initiateurs de
ce système et un témoignage du dépassement de la peur ayant empêché,
pendant un temps, l’expression libre chez nous ? Les
repas somptueux organisés à Kinshasa pour le Cinquantenaire du pays  par
« les minorités » au pouvoir risquent d’être un trompe-l’œil…

 

Revenons à l’enquête sur
l’assassinat crapuleux de Floribert Chebeya. Rappelons que cet
assassinat s’inscrit dans la logique des crimes de guerre, des crimes
contre l’humanité et celle des autres crimes imprescriptibles commis
chez nous depuis la guerre de l’AFDL jusqu’à ce jour. La stature
nationale et internationale de Floribert Chebeya a permis que le monde
entier se mobilise pour la défense de sa cause. Mais jusqu’où peut aller
cette mobilisation  qui a fait (et fait encore) défaut à nos millions
de morts ? N’oublions pas que pendant que notre attention
est focalisée sur l’assassinat de Chebeya, plusieurs de nos compatriotes
sont tués au quotidien à l’est de notre
pays. Et à travers tous le pays, les victimes collatérales de la guerre
d’agression à laquelle nous résistons se comptent par milliers.

 

Un peu d’histoire immédiate. Un mandat d’arrêt international a été lancé contre
Bosco Ntaganda et jusqu’à ce jour, ce criminel de guerre n’est pas
livré à la CPI. Les gouvernants en place à Kinshasa ont préféré la
paix « des cimetières » à une justice juste. Qu’est-ce que la
communauté internationale a fait après qu’elle ait essuyé le refus de
ces gouvernants d’envoyer Bosco Ntaganda à
la CPI ? Rien. Peut-être qu’il faudrait donner le temps au temps… 

 

Dans une lettre adressée à
Joseph Kabila le 2 février 2009, le Directeur exécutif de Human Rights
Watch, Kenneth Roth, crève l’abcès en indiquant que ce qui se passe au
Congo est tout simplement un rejet de l’Etat de droit. « L’Etat manqué »
du Congo a légitimé le crime. Citons un extrait de cette
lettre : « 
Les efforts des autorités congolaises pour légitimer
Ntaganda comme un « partenaire pour la paix » renforcent l’impression
dominante que ceux qui commettent des crimes abjects contre les civils
au Congo seront récompensés au lieu d’être punis. Au lieu d’encourager
le respect pour l’État de droit, de telles pratiques nourrissent la
culture cruelle de
l’impunité qui ravage le Congo depuis longtemps. Lors d’une conférence
de presse le 31 janvier à Kinshasa, vous (Joseph Kabila)  avez
déclaré que le choix était difficile entre la justice et la paix, la
stabilité et la sécurité dans l’est du Congo, et que votre choix était
de privilégier la paix. Nous voulons aussi voir la paix régner dans
l’est du Congo ainsi que la fin des atteintes terribles aux droits
humains qu’y subissent les gens depuis trop longtemps. Mais une paix
durable est rarement possible sans la justice. La paix et la justice
devraient être considérées comme complémentaires, et non comme
contradictoires. Favoriser le respect de l’État de droit est la seule
solution pour garantir la protection des citoyens congolais qui
supportent le fardeau des violations des droits humains. »

Dans ce contexte, la question majeure qui se
pose est celle d’un Etat de droit et celle des enquêtes lui est un
corollaire. Il est possible que certaines pressions
internes et externes conduisent à une enquête impartiale, indépendante
et crédible -encore faudrait-il en déterminer les critères- ait lieu sur
l’assassinat de Floribert Chebeya. Exploiter cette possibilité devrait
ébranler les fondations du système politico-mafieux
actuel, soutenues par le crime. 

 

Qui peut, au niveau international, travailler à
saper les fondations de ce pouvoir de la mort ? Dans un monde où
triomphe la cupidité et où  les hommes et les femmes politiques en vue
sont, pour la plupart, « des petites mains » du capitalisme sauvage ? Nous ne voyons pas…

 

Dans ce contexte, la (re)création d’une ou des
associations congolaises poursuivant la lutte pour un Etat de droit et décidées à batailler, contre vents et marrées, avec leurs
propres moyens, pour que l’humanité de l’homme défendue par Floribert
Chebeya soit respectée et promue devrait rentrer dans les priorités des
ascètes du provisoire Congolais, des «  minorités
organisées d’acteurs-créateurs » et d’autres veilleurs protecteurs de la
mémoire historique des populations congolaises. Solliciter les cours et
tribunaux à compétence universelle pour traduire en justice les
bourreaux de notre humanité  participe de cette lutte. Cela
est aussi un test ;
une vérification du réel pouvoir universel de ces
instances. De toutes les façons, l’histoire de notre esclavage, de notre
colonisation et de notre néo-colonisation nous somme, en cet AN 1 de
notre lutte pour notre véritable indépendance, de compter
davantage sur nous-mêmes et d’être les acteurs majeurs de notre
destinée.

 

J.-P. Mbelu

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