LHistoire du Congo vue par le Petit futé (édition 2010)
Certes ce guide – édité à Bruxelles, financé par des
encarts publicitaires de firmes essentiellement belges – est à lusage des
Belges, avant tout. En effet, tout autant que de donner des informations (utiles)
à un séjour en RDC, lune des raisons dexister de cet ouvrage, sans nul doute,
est de flatter lorgueil dune nation belge mythique en célébrant
l « œuvre » coloniale et en insistant sur la participation
belge au développement du Congo daujourdhui (p.73-78). Essayer de redorer le
blason dun pays dont lunité part en eau de boudin est certes louable –
surtout si lon se place du côté belge (et plus précisément wallon) – cependant
ceci nautorise pas les libertés que prend lauteur avec la vérité historique.
Car ce livre – dont on peut sétonner quil soit signé par un Congolais et
préfacé par un ministre congolais – est lexemple même du négationnisme en Histoire
quand il sagit de retracer laction de Léopold II et les premières années de
lindépendance de
Déjà, la première édition de 2006 sous la houlette
dauteurs belges, avait de quoi irriter le lecteur un tant soit peu averti de
lhistoire coloniale du Congo et des combats pour lIndépendance, mais celle de 2010 dépasse toutes les bornes
admissibles. On y trouvera absolument
rien sur lexploitation inhumaine de l « Etat indépendant du
Congo » par Léopold II, de 1885 à 1908 ; pas un mot sur les millions
de morts, les mains coupées, les viols et toutes les horreurs dont fut responsable la cupidité du souverain
belge qui mit le Congo, sa possession personnelle, en coupe réglée pour la
production du caoutchouc rouge. Le Petit
futé ignore superbement labondante recherche historique qui a établi,
depuis longtemps, laspect génocidaire de la colonisation léopoldienne. Ce
nest comme à regret quil mentionne – et seulement à partir de la seconde
guerre mondiale – que le « regard des Congolais se modifia à légard du
système colonial belge dont les traitements devenaient inhumains et
insupportables » (p.55).
Les luttes pour lindépendance sont évoquées
subrepticement, les événements du 4 janvier 1959, au cours desquels 300
Congolais au moins furent massacrés par
lobjet que dune simple notation neutre. Le rôle de Lumumba, pour
lindépendance de son pays, est totalement occulté, son discours fondateur du
30 juin 1960, passé sous silence. Sa victoire électorale du printemps 1960, qui
résulte délections libres – les seules que connut le Congo, jusquen 2006, est
oubliée, le rédacteur indiquant seulement, dans une approximation fallacieuse,
que « le 24 juin, à lissue dun vote au Parlement, Joseph Kasa-Vubu est
élu chef de lEtat et devient le premier président de
Lumumba, leader de la majorité parlementaire, occupe le poste de premier ministre
et chef du gouvernement ». On apprend, quelques pages plus loin (p.58) que
Lumumba fut assassiné le 17 janvier 1961 ; par qui ? Pour quelles
raisons ? Rien nest dit. En
revanche, Tshombe – qui a droit à une photo, tout comme Léopold II et Mobutu, à
la différence de Lumumba– est présenté comme le pacificateur du pays (p.57)
alors quau contraire, dès juillet 1960, avec la sécession du Katanga, il
précipita le désastre. Le lecteur ne saura pas que cette sécession fut le
résultat dun accord passé entre les féodalités locales, les colons et lUnion
minière du Haut-Katanga dans laquelle étaient concentrés les intérêts
économiques et financiers de
Belgique. Le
dEtat de Kasa-Vubu, dès la fin de 1960, du pronunciamiento
de Mobutu, « ce flic aux ordres des Belges » (JP Sartre) qui prit le
contrôle de
publique, de la partialité de lONU, du rôle des Etats-Unis craignant que le
Congo ne sallie, alors, avec lURSS, et qui, tous ensemble, feront assassiner
Lumumba par leurs séides, Tshombe et Munongo, parce que le premier ministre
représentait, vivant, le refus le plus total du néo-colonialisme.
On laura compris, pour sa partie historique, ce guide
2010 du Petit futé, est à rejeter
absolument parce que, loin dapprendre ce que fut lhistoire immédiate de
raccourcis abusifs, domissions scandaleuses, danalyses superficielles et
fausses qui induiront le lecteur en erreur. Il ne participe en rien, bien au
contraire, à la construction dune mémoire collective pourtant indispensable
aux Congolais, particulièrement à ceux – les plus nombreux – qui ne connaissent
rien des combats menés par leurs glorieux prédécesseurs pour lindépendance de
malheureusement, les autorités congolaises actuelles ajoutent à la confusion –
si bien illustrée par le résumé du Petit
futé – et brouillent le peu de conscience historique des Congolais :
dabord, en inaugurant à Kinshasa (pour le cinquantenaire de lIndépendance) un
monument à la mémoire de Kasa-Vubu, qui, en bon fédéraliste, fit passer
lunitaire Lumumba, père de lIndépendance, lun des héros du panafricanisme,
pour un apprenti-dictateur et qui géra entre 1961 et 1965, de concert avec
Tshombe, les intérêts occidentaux au Congo ; ensuite, the last but not the least, en tolérant que Lubumbashi, capitale du
Katanga, puisse élever une statue à Tshombe, fossoyeur de lunité nationale du
Congo. Alain BISCHOFF (Auteur de Congo-Kinshasa, la décennie 1997-2007, Paris,
Editions du Cygne, 2008).