30.08.10 Le Potentiel: L’Africom ne formera pas une armée congolaise intégrée

Pour le général, il est
préférable de continuer avec l’Africom pour bâtir une armée dont la
puissance dissuasive assurera la venue des investisseurs américains, car
leurs investissements seront sécurisés. Vous convergez tous les deux
dans un tunnel sans fin ; vous attendez tout, alors tout, des
Américains. C’est une caractéristique congolaise : attendre tout de
l’étranger. Quelle erreur de jugement !

Je ne suis pas officier d’Etat Major formé dans une académie
militaire de renom. Je ne suis pas non plus professeur de stratégie
politique. Mais, permettez que j’intervienne ici pour émettre une
opinion de bon sens et présenter un argument que plus d’un, j’en suis
certain, trouveront plausible.

L’armée d’un pays ne se construit pas avec le concours d’un
autre pays quel que soit le degré d’amitié, de pitié (coopération) ou
d’intérêt (exploitation). Une armée est toujours le reflet de la vision
et de la volonté des gouvernants d’un pays. Sa mission primaire est la
sécurisation du territoire et, seconde est de la défense des intérêts
nationaux à l’étranger. C’est pourquoi, on ne déclare pas la guerre
contre son propre pays, mais contre des ennemis qui ont violé
l’intégrité territoriale. On déclare aussi la guerre par une action
préventive, en représailles contre ou encore en poursuite de l’ennemi
au-delà de nos frontières.

Pour atteindre sa mission et les objectifs déclinés ci-dessus,
une armée se définit et se constitue comme un corps organisé et
structuré verticalement. Elle obéît aux règles simples d’uniformisation,
de standardisation, de formation et de motivation. Uniformisation se
traduit d’abord par l’adoption d’une langue pour faciliter la
communication entre les troupes, donc un langage commun. C’est ainsi que
la force publique avait imposé le lingala pour ceux qui ne le savent
pas ou veulent le méconnaitre. Il y a par exemple la tenue militaire,
elle distingue les différents corps d’armée. Standardisation veut dire :

a) mêmes types de formation de base ;

b) mêmes armes de combat avant intégration dans unités spécialisées ;

c) mêmes moyens de communication ;

d) mêmes critères objectifs d’avancement en grade ;

e) même organisation logistique…

De nos jours, la formation militaire se diversifie et intègre de
plus en plus toutes les branches sophistiquées dans des sciences
existantes. D’abord, le cursus de l’académie militaire obligatoire ne
devient pas général qui veut. Les formations appropriées et spécialisées
sont réservées à ceux qui disposent de l’intellect suffisant et des
compétences requises pour avancer aux grades supérieurs de commandement.
C’est pour cela, aujourd’hui, dans les grandes universités du monde, il
n’est pas rare de voir des majors, colonels et généraux défendre des
thèses de doctorat dans diverses disciplines. Il sied de souligner que
d’autres formations complémentaires sont liées à l’évolution des
technologies nouvelles et aux spécialisations en vertu des objectifs
purement opérationnels. En définitive, l’armée est un corps
d’intellectuels éclectiques et non un agrégat de désœuvrés. Dans les
pays développés, les colonels et généraux à la retraite se retrouvent
dans le management des projets, dans des entreprises privées ou mieux
dispensent des enseignements dans les instituts supérieurs ou dirigent
des recherches dans les différents centres ou laboratoires.

La motivation est le déterminant pour consolider et pérenniser
l’armée et surtout pour gagner les guerres. La sécurité intérieure
commence par la sécurité sociale du soldat et des officiers. Un soldat
même hyper armé, mal rémunéré et dont les conditions sociales sont
inférieures aux risques de sa vie, n’obéira point aux ordres. Il
deviendra un mutin, un danger pour la société. Souvenons-nous des
pillages de triste mémoire et des cas de viols de nos sœurs dans l’Est
du pays. La discipline est la mère des armées, mais elle repose sur des
conditions sociales minimum.

Est-ce que nos dirigeants intègrent ces quelques fondamentaux ?
Une armée nouvelle ne se bâtit pas par des mixages, brassages ou que
sais-je encore. Ils sont inopérants et contreproductifs. Ils
déstructurent la cohésion du commandement, frustrent les militaires
formés et démoralisent les non gradés. Par ailleurs, les grades ne se
distribuent pas. Ils se méritent à travers la formation, le leadership
et la bravoure dans l’action. Le chantier d’une armée nouvelle ne se
construit pas par une intégration des brigades éparses formées par les
Belges au Nord-est, les Américains au Nord, les Français à l’Ouest, les
Rwandais à l’Est, les Angolais où sais-je encore… Il va sans dire
qu’avec une absence de synergie, il n’y aura jamais uniformisation,
standardisation, formation homogène et motivation. Le résultat attendu
sera un regroupement de groupuscules désagrégés dotés des équipements
non standardisés ou avec des dispositifs non-interchangeables
incompatibles avec leurs missions primaires.

Les formateurs actuels de nos brigades viennent d’horizons
différents. Les méthodes des uns sont aux antipodes des autres. Les
armes et les équipements utilisés durant les formations ne sont pas
uniformes ou standardisés. L’Africom, un commandement de l’armée
américaine, ne peut pas construire notre armée. De la même manière que
la toute puissante armée américaine peine à construire une armée en Irak
après huit ans d’invasion. Les milliards de dollars des contribuables
américains sont engloutis pour rien. L’insécurité en Iraq est plus que
préoccupante. Elle est la résultante de la dissolution inconsidérée de
l’armée irakienne de Saddam Hussein, un corps alors organisé et
structuré verticalement malgré de l’embargo d’avant l’invasion.

Aujourd’hui, les investisseurs évitent l’Iraq en dépit des
profits potentiels énormes à y réaliser. Il ne suffit donc pas d’avoir
la plus puissante des armées pour attirer les investisseurs. Une armée
n’est qu’un des piliers du dispositif général de sécurité pour
l’économie d’un pays. Sous d’autres hémisphères, ce pilier est aléatoire
ou inexistant. Plusieurs pays ne disposent pas d’armée et d’autres
envisagent leurs dissolutions. En revanche, leurs économies sont des
plus prospères avec des PIB de loin supérieurs à ceux des pays dont les
officiers sont formateurs d’une de nos brigades. Singapour a un PIB, un
taux de croissance annuel de loin supérieur à la Belgique.

Ce qu’il faut exiger, c’est la sécurité juridique. Que nos
gouvernants respectent nos lois et y fassent appliquer toutes leurs
rigueurs aux contrevenants. Que l’Etat cesse de se confondre en Etat
puissance publique, Etat actionnaire et Etat justice. Que les
gouvernants cessent de signer des contrats un jour et les dénoncer le
lendemain. Doing business est une question de rigueur de respect de la
signature souveraine qu’on n’appose pas après une coupe de champagne
avec un étranger au détriment du Congolais. Un autre pilier pour attirer
les investisseurs est la qualité de l’éducation et la formation de la
population active. Aussi longtemps que nos gouvernants sont
manifestement complices dans la spoliation des écoles publiques et la
paupérisation de l’ensemble du corps enseignants, les investisseurs
hésiteront à venir. La création des richesses dépend aussi de la qualité
du capital humain capable de travailler.

Pour conclure, de nos jours, la gestion d’une armée ou la
création d’une armée nouvelle répond aux principes de management. Pour y
arriver, les leaders investis dans cette mission doivent avoir accumulé
des expériences de gestion de grands ensembles pour entreprendre la
restructuration, le redimensionnement ou la création d’une armée
nouvelle. Ce challenge revient de nos jours aux managers civils. Ils
procèdent aux restructurations des grandes armées du monde. Oui, les
managers civils sont ceux-là aussi qui dispensent les meilleurs
enseignements sur les stratégies dans les académies militaires les plus
réputées. Oui, toujours eux, les civils, ils fabriquent et mettent à la
disposition des armées tout ce dont elles ont besoin en équipements
militaires standardisés en passant par du papier toilette jusqu’à la
bombe atomique. Le débat étant lancé par un scientifique et un général
formé, moi, un civil et citoyen de mon pays, je donne aussi de la voix à
cette question fondamentale de la formation de notre armée nouvelle.

Leny Ye Nkoy Ilondo

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