Le style des documents « signés » par le Pasteur-conseiller du « roi » (JP Mbelu)

Notre
article s’intéresse à ce style. Il nous semble faciliter la
compréhension du fonctionnement (et/ou du dysfonctionnement) des
gouvernants aux affaires chez nous. Tous les deux documents sont
« riches » de citations bibliques. Le premier évoque la sagesse
biblique liée à l’accession, à la gestion du pouvoir ainsi qu’aux
« mesures disciplinaires du Créateur et Auteur du pouvoir ». Le deuxième compare l’initiative de dénoncer « la stratégie de l’ennemi » à celle de
« Mardochée  face à la criminalité des eunuques Bigthan et Théresh
ainsi qu’à la faillibilité du système vindicatif de Haman,
conformément » à certains versets bibliques
tirés du livre d’Esther.

Dans
le premier comme dans le deuxième document, les institutions issues des
élections dites libres, transparentes et démocratiques de 2006
disparaissent au profit d’une seule, la Présidence, et de sa Maison civile. La
« stratégie de l’ennemi pour faucher le Président Joseph Kabila » n’est
communiqué ni aux instances judiciaires, ni à l’Assemblée nationale. La Maison civile croit que cette question doit être réglée par «  le roi ». Et les versets bibliques
confortent le Pasteur-conseiller du
« roi » en cette matière. Il partage avec « le roi » les convictions
selon lesquelles « il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et
les autorités qui existent ont été instituées de Dieu ». Il ajoute :
« Celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et attirera une condamnation sur lui-même. » (cfr
Romains 13, 1,2 et 7). Le Dieu du Pasteur-conseiller du « roi » est
Celui qui a « créé l’ouvrier qui fabrique une arme pour son travail,
mais qui a aussi créé le destructeur pour la briser. » 

Dans
le premier document, le Pasteur-conseiller du « roi » énumère « les
mesures disciplinaires du Créateur et Auteur du pouvoir ». L’application
de ces dernières sert le pouvoir du « roi ». Dans
l’extrait de Jérémie 27, 6-8, le Créateur dit : « Maintenant, je livre
tous ces pays entre les mains de Nebucadnestar, roi de Babylon, mon
serviteur (…) Je châtierai la nation qui ne se soumet pas à
Nebucadnestar par la famine et la peste, jusqu’à ce que je l’aie
exterminée par ma main. »

Les extraits bibliques cités trahissent un langage martial caractéristique de  celui utilisé souvent dans gestion des affaires publiques par les gouvernants actuels. « Le roi » est créé par Dieu pour briser l’arme de l’ouvrier et sa cour doit « ôter le méchant de devant le roi ».

Dans
le deuxième document, en dénonçant « le comble de la ruse de
l’Ambassadeur Katumba », le Pasteur-conseiller du « roi » soutient que
son initiative est bibliquement fondée. Et que réclame-t-il bibliquement
pour « le rusé » ? Citant un extrait du livre d’Esther, il écrit :
« Qu’on prépare un bois haut de cinquante coudées, et demain matin
demande au roi qu’on y pende Mardochée ; puis tu iras joyeux au festin
avec le roi. (Comble de barbarie !) Cet avis plu à Haman, et il fit
préparer le bois. »

Ce recours à la Bible nous aurait laissé indifférent si le député national, Kiakwama Kia Kiziki, n’avait pas, indépendamment
de ce dossier, de l’intérieur des institutions actuelles, révélé la
façon dont fonctionne la majorité au pouvoir depuis 2006. Dans une
conférence tenue à Montréal le 24 juillet 2010, traitant de
la Majorité parlementaire et de son émanation, le Gouvernement,
Kiakwama disait : « Au-delà de sa structuration et de son organisation,
qui ne correspondent pas aux défis actuels posés par la démocratisation
et surtout le développement de
notre pays, notre gouvernement est affligé d’une tare congénitale et
rédhibitoire ; il pense être de droit divin, et agit comme tel.
Ceux qui nous gouvernent pensent tout savoir mieux que personne. Ils ont
tout compris, font tout à la perfection et refuse donc toute critique,
tout débat contradictoire public, tout contrôle, toute remise en
question.
Le Gouvernement et sa majorité au Parlement
développent une mentalité de forteresse assiégée qui induit une
crispation des rapports politiques, néfastes à la construction d’une
démocratie apaisée. A mon sens, l’instauration des 5 piliers de la
Démocratie dont je ne cesse de parler devrait faire l’objet d’un
consensus minimum, mobilisateur de toutes les énergies, car ils sont des
conditions nécessaires à la Démocratie et au Développement, mais
certainement pas suffisantes. » (Nous soulignons.)

Avoir au niveau de « l’autorité morale » un Pasteur-conseiller aide celle-ci à
asseoir son pouvoir et celui de ses dépendants sur « un choix divin ».
Comment, des gouvernants convaincus de détenir leur autorité de Dieu
peuvent-ils accepter de soumettre son exercice au débat
contradictoire public, au contrôle et à la remise en question ? Cela
étant, posons la question de savoir sur quoi repose cette conviction ? Elle
reposerait sur une falsification des résultats électoraux. Le choix
divin ayant été porté sur « l’autorité morale de l’AMP » avant sa naissance, les élections de 2006 n’ayant pas réussi à
le confirmer ont été « arrangées » autrement afin que  l’élection divine triomphe. Les témoins en sont les Pasteurs.

 

Cette approche divinisante
de l’autorité et du pouvoir qui en découle n’est pas partagée par
plusieurs autres Pasteurs dont l’Abbé José Mpundu, ami du prophète de la
Justice Sociale, Amos.

Dans sa conférence tenue à Kingasani (Kinshasa) le 29 juillet 2010 (et intitulé Et la femme congolaise engendra un autre Congo),
il soutient que le Congo actuel est dirigé par la maffia
politico-financière ; et non par « les élus de Dieu ». Citons-le. « Une
lecture attentive de l’histoire de notre pays, avoue José Mpundu, nous
montre que le Congo, hier et aujourd’hui, est le pays des autres. En
effet, depuis que Léopold II s’est approprié la terre de nos ancêtres et
en a fait son domaine privé qu’il légua ensuite à la Belgique, son
pays, le Congo ne nous appartient plus. Si hier, il était une colonie
belge, aujourd’hui, cinquante ans après l’indépendance, notre pays est
devenu plus que
jamais une « no man’s land » où toutes les grandes puissances viennent
se servir à leur aise. En somme, notre pays est devenu une « colonie
internationale ». Il est dirigé par la « communauté internationale » qui
n’est autre chose que la maffia politico-financière internationale qui
mène le monde d’aujourd’hui. »

A
son avis, « Dieu n’est pas le tout-puissant qui vient justifier tous
les pouvoirs autocratiques et dictatoriaux qui se réclament de lui.»
José Mpundu s’en prend à une approche de Dieu qui en fait un
bouche-trou, en ces termes : « Dieu n’est pas celui qui va faire tout à
notre place et n’est pas le bouche-trou de nos ignorances. Il a confié
la pleine responsabilité à l’homme pour poursuivre l’œuvre de création
qu’il a commencée. Il ne peut rien faire sans la collaboration de
l’homme. » Et pour lui, « le pouvoir est un service pour la croissance
et l’épanouissement de tout l’homme et de tous les hommes. Il ne peut
être considéré comme venant de Dieu que dans la mesure où celui qui
l’exerce le fait dans un esprit de service. D’où les modes d’exercice de
pouvoir qui sont tyranniques, autocratiques et
dictatoriaux dans la mesure où ils oppriment l’homme ne viennent pas de
Dieu. » Cette autre approche conduit à la promotion des valeurs de
l’égalité et de la liberté dans la pratique de l’autorité et dans la
gestion de la chose commune. Elle peut être apprise.

 

C’est
le député Kikwama qui, au cours de la conférence susmentionnée,
rappelle que la démocratie relève (aussi) de la culture. De celle que
nous avons acquise au contact avec l’Occident mais aussi de celle que
nous devrions hériter de nos ancêtres pour une gestion idoine de la
chose commune. Mais qui se réfère encore à la culture de nos ancêtres ?
Tout se passe comme si l’approche biblique de l’exercice du pouvoir
n’était pas plurielle, (culminant, pour les chrétiens dans
l’identification du pouvoir au service fraternel) ; tout se passe comme
si avant la Bible et l’invasion de nos terres par les négriers et les
autres colons, nos pays n’avaient pas étaient gouvernés !  C’est d’un.

 

De
deux, les deux documents étudiés prouvent à suffisance que la
Constitution de 2006 ne sert à rien dans la gestion réelle du pouvoir
actuel. Celle-ci est laissée à la discrétion du « roi » et de « sa
cour ».

De
l’analyse de ces documents, il ressort que dans l’imaginaire de « hauts
fonctionnaires de notre pays », le Congo actuel n’est pas un pays
démocratique ; il est fondé sur une théocratie taillée sur mesure et fondamentaliste ;
au service de la mort et de la prédation. Un pays où les conseillers de
« la cour du roi » disent au peuple : « « Ne t’élève pas devant le roi,
et ne prends pas la place des grands. » Si tu souffres de maladie et de
faim, c’est par ta faute : tu ne veux pas te soumettre au roi. Tu n’as
pas d’alternative : ou tu te soumets au roi ou tu meurs. » Comment
rompre avec ce fondamentalisme religieux déresponsabilisant et
obscurantiste marquant
l’imaginaire de la majorité de nos gouvernants et de nos populations
dans un monde où le capitalisme du désastre prospère là où triomphe la
religion-opium ? Quand il n’y a pas de débat public promoteur de la
solidarité et de la convivialité, de remise en question de la gestion de
la chose commune ou de son contrôle ? Il y a là l’un des multiples
défis à relever pour la re-naissance d’un autre Congo.

 

J.-P. Mbelu

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