Les élections de 2011 et les en-dessous de la circulaire de Mende (JP Mbelu)

De
nos sources à Kinshasa, nous apprenons que « dans une circulaire datée
du 29 juillet et adressée aux responsables     des  médias,  le ministre
de la Communication et porte-parole du gouvernement interdit la
diffusion des messages de propagande dans des médias audiovisuels et des
organes de presse opérant en RDC, en dehors de la période légale de la
campagne électorale. » Nos sources ajoutent : « Lambert
Mende part de ce constat: depuis quelques jours,  des  médias  diffusent
  des  messages  de propagande  relatifs  au  scrutin de  2011.
Le  ministre rappelle la loi n°06/006 du 9 mars 2006 qui stipule: « la 
campagne  électorale  est  ouverte 30  jours au  maximum  avant  la 
date  du  scrutin  et s’achève  24 heures  avant  cette  date". » Cette
circulaire intervient après la coupure du signal des télévisions et de
la radio de Jean-Pierre Bemba, mais aussi après la publication d’un
article dans AfricaNews numéro 482 du lundi 26-27
juillet 2010 sur la candidature de Guillaume Ngefa aux élections de
2011. Cet article aurait fait l’objet d’une analyse de l’Etat Major du
renseignement militaire en ces termes : « M. Guillaume Ngefa, candidat
indépendant, « un poids mouche » qu’on ne peut négliger, surtout s’il
attire vers lui l’attention des étudiants à
travers toute la République. En tant qu’activiste des droits de
l’homme, ces étudiants pourront se cacher derrière des organisations
internationales pour soutenir sa candidature à la présidentielle de
2011.  Pendant que la population a encore présent à l’esprit la mort de
Floribert Chebeya, son discours aura de la place et passera. »

 

Le
lieu où la candidature de Guillaume Ngefa aurait été analysée
interpelle. Comment l’examen d’une candidature à la présidentielle d’un
Congolais, membre de la société civile, peut-il être confié à l’Etat
Major du renseignement militaire ? Une interprétation est possible : les
acteurs mineurs de la guerre d’agression que les puissances
occidentales nous livrent par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi
interposés seraient conscients que cette guerre n’a pas encore atteint
complètement ses objectifs. C’est-à-dire que pendant que certains fils
et certaines filles de notre peuple croient en la démocratie naissante,
les acteurs majeurs et mineurs de la guerre d’agression chez nous
savent, eux, que celle-ci se poursuit. Par tous les moyens. Pour eux, le
passage par les urnes serait l’un des moyens et pas le seul.
Nous ne serons pas étonnés, après les présidentielles, d’entendre
les nègres de service, candidats à ces élections s’adressant à Etienne
Tshisekedi, Guillaume Ngefa, à Vital Barholere, à Oscar Kashala, etc. en
ces termes : « On va vous écraser ». L’expérience de Jean-Pierre Bemba
en dit long. Aussi, cette analyse prouve-t-elle que l’armée congolaise
(ou ce qui en reste) n’est pas neutre. Elle n’est qu’au service du
pouvoir en place. Néanmoins, le fait que cette analyse nous ait été transmise  de
l’intérieur de cet Etat Major du renseignement militaire est un signe
positif : le travail en synergie se fait et nous pouvons être informé,
en temps utile, de ce qui se trame contre certains d’entre nous. Que
cette analyse reconnaisse la force d’un discours qui serait
fondé sur la défense des libertés fondamentales , porté par nos
étudiants et à même de mobiliser nos populations,  surtout après la mort de Floribert Chebeya, elle ouvre une brèche…

 

Dans
ce contexte, le communiqué de Lambert Mende, « légalement correct » est
une tentative de contrôler l’espace public en y interdisant la
publicité autour des compatriotes capables de se substituer au candidat
« porteur des œufs ». Seuls peuvent dorénavant prendre la parole dans
cet espace public, « les rhinocéros de l’AMP »,  les
journalistes et les députés capables de vanter les cinq chantiers de la
République pour lesquels leur « Autorité Morale » ne ménagerait aucun
sacrifice. Et pendant que les médias récalcitrants sont rappelés à
l’ordre, nous apprenons de Kinshasa que « les images des meetings du
PPRD sont diffusées chaque soir sur les chaînes de
télévision proches du parti présidentiel. Il y a une semaine, le député
Pius Muabilu avait, au cours d'un meeting filmé par DigitalCongo,
la chaîne attribuée à la famille présidentielle, dit à haute voix que
le PPRD se prépare pour faire élire Joseph Kabila à 99, 98% lors du
premier tour. »  Ces images-là semblent  n’avoir pas été vues par Mende.

 

De
toutes les façons, Mende n’invente pas la roue. Il s’insère dans une
longue tradition de la propagande au profit des gouvernants en place.
L’objectif de cette propagande est clair : aboutir au conformisme et à
la subordination de nos élites et de nos populations. A ce point nommé,
il est intéressant de relire Noam Chomsky. Dans La doctrine des bonnes intentions,
il écrit : « Le langage est notre moyen d’entrer en interaction et de
communique ; il est donc naturel qu’on l’utilise pour tenter de modeler
les états d’esprit et les opinions et d’induire le conformisme et la
subordination. Il en a toujours été ainsi. Mais la propagande n’est
devenue une industrie organisée et parfaitement consciente d’elle-même
qu’au siècle dernier. » (p.27) Et
il précise : « Cette industrie, notons-le, a été créée dans les
sociétés (dites) les plus démocratiques. Le premier ministère
coordonnant la propagande, nommé « ministère de l’Information », a été
inauguré en Grande-Bretagne pendant dans la première Guerre mondiale. Sa
tâche consistait –ce sont ses propres termes- à « diriger la pensée de
la plus grande partie du monde ». » Pour atteindre cet objectif, il
fallait formater l’esprit des intellectuels Américains. Dans
les écrits de certains de ces intellectuels, ils attestent « qu’il
était possible contrôler l’ « esprit public », de contrôler les
mentalités et les opinions, et, pour citer la formule de Lippmann, de
« fabriquer le consentement ». » (p.29) La démarche de
Mende comme celle des médias
dominants au Congo et en Occident participe de cette « fabrique du
consentement ». Celle-ci participe de la falsification de notre
histoire.

 

Consentir aux acteurs mineurs de la guerre d’agression livrée à notre pays depuis 1996,  c’est
renoncer à la lutte pour notre autodétermination, pour la récupération
de notre terre-mère. Accepter de concourir avec eux aux élections de
2011 peut être assimilé à un acte de haute trahison de notre mémoire
collective : celle de nos millions de mort et de notre résistance.

 

Tout
en prenant au sérieux, « les légitimistes », « les légalistes » et
« les républicains » qui, comme Ngefa, soutiennent que la légitimité
politique passe par les urnes, nous les prenons à témoin, face à
l’implication de l’armée ethniquement dominée par « les rwandophones »
et leurs alliés dans le processus politique actuel au pays, et leur
disons : « Nos agresseurs ne recourent pas qu’aux urnes. Ils ont aussi
les armes, « le mixage et le brassage ».  Etes-vous prêts, dans votre pacifisme, de leur opposer, en plus des urnes,  « l’armée du peuple » ? Comment ? A quelles conditions ? » Car, aller aux élections à armes inégales avec les
acteurs mineurs de la guerre d’agression de notre pays peut être un acte d’inconscience ou de capitulation.

 

Traitant
de la guerre d’agression livrée à l’Irak, Chomsky note : « Il est
psychologiquement plus facile de s’organiser pour protester contre une
agression militaire que de s’opposer à un programme à long terme
d’ambition impériale, dont cette agression ne constitue qu’une phase, que d’autres vont suivre. Cela exige plus de réflexion, de dévouement,
d’engagement à long terme. C’est la différence entre se dire : « Demain
je manifeste et je rentre chez moi » et : « Je suis dans cette affaire
pour longtemps. » » Ce qui est dit pour l’Irak, peut, mutatis mutandis,
être appliqué au Congo dit démocratique. Les élections
organisées comme une
autre façon de poursuivre la guerre d’agression chez nous ne seront
d’aucune utilité pour nos populations. Nous dire ensemble : « Nous
résistons contre cette agression. Nous sommes dans cette affaire pour
longtemps », telle est « la folie » à laquelle plusieurs d’entre nous
voudraient renoncer en allant, comme en 2006, à la mascarade électorale
de 2011 dont la légalité principielle n’a rien à voir avec les
en-dessous d’une guerre d’agression (à long terme) savamment organisée.
S’il est vrai que la candidature de Guillaume Ngefa a été examiné par
l’Etat Major du renseignement militaire, ce qu’il ya là un signe qui ne
trompe pas.

 

Dieu merci ! Les « petits restes » veillent
et résistent. Les acteurs-créateurs, responsables de notre terre-mère
s’apprêtent, au quotidien, à en assurer la protection. A n’importe quel
prix !

 

J.-P. Mbelu

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