Un calendrier électoral anticonstitutionnel ? (L'Oeil Congolais)

Cet article se veut être une réaction aux propos tenus par le professeur
Jean Louis Esambo, professeur de droit de l’université de Kinshasa. Sic ! Ce
dernier a, au cours d’une interview accordée au quotidien « Le Potentiel »,
 déclaré, pinces sans rires, que la date fixée par la CEI pour le
premier tour des élections présidentielles est légale car conforme aux prescrits
de la constitution. Se référant à l’article 73 de la constitution, il déclare,
je cite : « Par rapport à cette institution, la Constitution est claire,
notamment en son article 73 qui stipule clairement que le scrutin pour le
poste du président de la République doit être organisé 90 jours avant la fin du
mandat du président en exercice.
Si on fait un petit calcul : le président
de la République a été investi le 6 décembre 2006 ; il faut reculer de trois
mois pour dire que la présidentielle devrait intervenir au plus tôt le 6
septembre 2011. Et dès lors qu’on a convoqué les élections pour le
choix de cette institution le 29 novembre 2011, cela me semble dans le délai et
ne me paraît pas être anti constitutionnel à ce point de vue… » 

De ce point de vue, on peut effectivement croire que la date du 29
novembre 2011 pour le premier tour de la présidentielle est constitutionnelle et
ne pose donc aucun problème.  Déjà à ce niveau je
tiens à dire que cette date pose un sérieux problème.

 

En réalité que dit l’article 73 de la constitution ? L’article cité
stipule : «  Le scrutin pour l’élection du président de la République est
convoquée par la commission électorale nationale indépendante,
quatre-vingt dix jours avant l’expiration du mandat du Président en
exercice.
 
».

C’est au niveau de l’interprétation de cet article que le problème se
pose.  En République Démocratique du Congo, nous avons l’habitude
et l’expérience de ce genre de conflit d’interprétation. Généralement ces
conflits tournent autour d’une virgule, d’une préposition etc.…

On se souviendra du débat suscité, lors du referendum portant adoption
de la constitution, autour de l’article 40 concernant le mariage.

 

 

 

Aujourd’hui la question que je pose est de savoir si l’interprétation
faite par le professeur Jean Louis Esambo est correcte. Cette question est
comprise dans une plus grande qui est de savoir si oui ou non le calendrier
électoral publiée par la CEI est légal ou pas. D’emblée je réponds par la
négative aux deux questions.

 

Je m’expliquerai plus bas.  Je vais d’abord examiner
quelques points connexes à cet article. Il serait utile, avant d’analyser
l’article 73 qui porte sur l’élection présidentielle, d’analyser les articles
concernant le mandat du président de la République. La compréhension du mandat
du présidentiel nous permettra de bien évoluer dans l’analyse de l’article 73.

 

Du mandat du président la République, La constitution de 2006 en son
article 70 déclare, je cite : « Le président de la République est élu au
suffrage universel directe pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. A
la fin de son mandat, le président de la République reste en fonction jusqu'à
l’installation effective du nouveau président élu
.
» et fixe la durée du
mandat du président de la République. 

 

Nous comparerons les mêmes dispositions dans les constitutions
américaine et française. La première parce réputée être la plus parfaite au
monde, et avec la seconde parce qu’étant celle de la patrie des droits de
l’homme et de la démocratie. Contrairement aux constitutions américaine et
française, l’article 70 de notre constitution de 2006 ne stipule quand est-ce
que commence et prend fin le mandat du président de la République. Il en fixe la
durée, mais sans en fixer le début ni la fin.

La constitution française stipule en son article … que le mandat du
président de la République commence dès la prise de fonction du président élu
lors de la cérémonie de prestation de serment qui intervient 10 jours après les
élections (publication définitive des résultats NDLR) et ainsi met fin au mandat
du président sortant.

La constitution américaine fixe le début du mandat du président élu au
20 janvier, date de la prestation de serment. Ici nous noterons que la
prestation de serment intervient près de trois mois après l’élection du nouveau
président. Il s’écoule près quatre-vingt dix jours durant laquelle les
administrations entrante et sortante procèdent aux actes de transition. Et
durant cette période, le mandat du président sortant est toujours en cours.

 

Au regard des constitutions de ces deux pays, la question du début et de
la fin du mandat du président de la république ne pose aucun problème et n’est
sujette à aucunes ambiguïtés.

 

Ce qui n’est pas le cas du mandat présidentiel en République
démocratique du Congo. En examinant l’article 70, nous pouvons y
déceler des insuffisances qui pourraient conduire la République vers un vide
juridique. En effet le manque de clarté de cet article ouvre la porte à de
multiples interprétations qui peuvent conduire le Congo vers de nouvelles crises
constitutionnelles.

En effet la seconde partie de l’article 70, dit ceci : « A la fin
de son mandat, Le président de la République reste en fonction
jusqu'à l’installation effective du nouveau président élu 
». De cette
portion de l’article nous pouvons deux distinguer deux irrégularités.

– La première, déjà cité plus haut, concerne le manque de précision
concernant le début et la fin du mandat présidentiel. Aucune période de temps
précise n’est donnée pour en déterminer le début et la fin.

– La seconde concerne le maintien en fonction du président de la
République après l’élection du nouveau président. En vertu de quel principe le
président sortant demeure t-il en fonction après l’élection d’un nouveau
président ? A la lecture de cette portion, nous pouvons déduire que le mandat du
président sortant prend fin à l’élection d’un nouveau président. Si tel est le
cas, le maintien, après élection du nouveau président,  du
président sortant est « illégal » car ce dernier n’est plus
constitutionnellement responsable.  

Néanmoins, L’article 74 peut nous apporter quelques clarifications
concernant le début du mandat présidentiel. En effet il fixe l’entrée en
fonction du président élu, lors de la prestation de serment qui intervient dix
jours après la proclamation des résultats définitifs. Même si contrairement aux
constitutions américaines et françaises, il ne déclare pas formellement le début
du nouveau mandat présidentiel.

A la lecture des articles 70 et 74, voici les conclusions
 que j’en tire :

 

1. Le mandat du président de la République commence lors de sa prestation
de serment, et prend fin à l’élection d’un nouveau président élu.

2. Pendant cette période de dix jours précédant l’entrée en fonction du
président élu, il existe un vide juridique et le maintien en fonction du
président sortant est illégal car n’étant plus constitutionnellement
responsable.

 

Toute cette analyse autour de l’article 70, me permet de revenir sur
l’objet de mon analyse qui tourne autour de l’interprétation de l’article 73.
 

Selon l’interprétation faite par le professeur Jean Louis Esambo de
l’article 73, l’élection présidentiel doit se tenir dans les quatre-vingt dix
jours avant la fin du mandat du président Kabila, qu’il suppose être le 6
décembre 2011, cinq ans, jours pour jour, après sa prestation de serment.
 Ici il est à relever le fait que ce furent les premières élections
présidentielles démocratiques au Congo, le mandat du président de la République
débuta le 6 décembre 2006 après sa prestation de serment.  Selon
l’article 70, le mandat du président Kabila devrait expirer en principe le 6
décembre 2011. Déjà a ce niveau, a la lecture de l’article 70, en fixant le
second tour de la présidentielle au 26 février 2012, la CEI viole la
constitution et rend ce calendrier anticonstitutionnel.

 

Mon problème se pose dans la fixation même de la date du premier tour de
la présidentiel. La CEI a fixé au 27 novembre 2011 le premier tour de la
présidentielle. En fixant cette date, elle serait dans la même logique que celle
du professeur Esambo qui veut que l’élection présidentielle soit organisée
« dans » les quatre-vingt dix jours précédant la fin du mandat de Joseph Kabila
qui se veut être le 6 décembre 2011.

 

Mais que dit l’article 73 concernant l’élection présidentielle ? Elle
dit ceci : « Le scrutin pour l’élection du président de la République est
convoqué par la commission électorale nationale indépendante,
quatre-vingt dix jours avant l’expiration du mandat du Président en
exercice
. »

 

Voici l’interprétation que je fais de cet article. Le premier tour de la
présidentielle doit être convoquée quatre-vingt dix jours « au plus tard » avant
l’expiration du mandat du président en exercice.  Donc c’est
normalement le 6 septembre 2011 au plus tard que le premier tour de la
présidentiel doit être organisée.

Sur quoi ce base mon interprétation ? Elle se base
premièrement sur des considérations grammaticales françaises. L’article 73 est clair, le scrutin … est convoquée … quatre-vingt dix
jours avant l’expiration du mandat du président en exercice.  De ce
point de vue, il est en effet difficile d’interpréter cet article en pensant
organiser le scrutin « dans » les quatre vingt-dix jours avant
l’expiration du mandat du président en exercice. A ce niveau de l’interprétation
apparait le problème concernant « la fin effective » du mandat présidentiel.
Selon la logique des constituants français et américains, nous savons
« clairement » que le mandat du président en exercice cours jusque lors de la
prestation de serment du nouveau président. Selon la logique du
constituant congolais, il nous est difficile de déterminer lorsque prend fin le
mandat du président. Mais si on doit se référer a une logique mathématique,
acceptant que le début du mandat c’est lors de la prestation de serment, et
qu’il dure 5 ans, alors la fin du mandat du président Kabila est le 6 décembre
2011. A cette date, la boucle sera complète.

 

A ce niveau de l’analyse, je vais poser deux logiques qui me serviront à
démontrer les fondements de mon interprétation de l’article 73 et démontrer de
facto le caractère anticonstitutionnel de ce calendrier.

 

– La première logique se base mes conclusions précédentes tirées de
l’interprétation des articles 70 et 74. Début du mandat : prestation de serment.
Et fin du mandat : à l’élection du nouveau président.

– La seconde logique se base sur l’esprit des constituants américains et
français, qui apparemment semblerait être celui du constituant congolais même si
ce dernier ne l’a pas clairement exprimé.

Début du mandat : prestation de serment. Et fin du mandat : Entrée
fonction du nouveau président lors de sa prestation de serment.

 

1. De ma première logique.

 

Selon le calendrier publié par la CEI, en cas de victoire au premier
tour, le président élu prête serment le 10 janvier 2012. Son mandat commencerait
donc le 10 janvier 2012. Le mandat du président Kabila prendrait donc fin à
l’annonce des résultats définitifs par la cour suprême de justice.
 Vu la situation géographique du Congo et les difficultés
rencontrées par la CEI qui proclama les résultats du premier 20 jours après,
soit le 20 Aout 2006 ; la situation n’ayant pas changée en 5 ans, nous pouvons
aussi supposer que la proclamation de ce premier tour pourrait intervenir 20
jours après, donc aux alentours du 19 décembre 2011 et mettrait ainsi fin au
mandat de Joseph Kabila. Et selon l’article 74, la prestation de
serment du nouveau président devrait avoir lieu le 29 décembre 2011 et non pas
le 10 janvier 2012. Rien que pour le premier tour nous pouvons déjà constater
l’anti-constitutionalité de ce calendrier. Non seulement le délai entre la
proclamation des résultats et la prestation de serment ne sera pas respecté,
mais aussi durant la période précédant la prestation de serment, le Congo se
retrouvera sans président légitime, car le premier ayant fini son mandat et le
second n’ayant pas encore prêté serment. Donc du 19 décembre 2011 au 10 janvier
2012, nous serons en plein vide juridique.

La période de vide juridique pourrait se prolonger en cas de second
tour.

 

2. De ma seconde logique, qui semble être universel à
toutes les constitutions, qui veut que le mandat du président sortant court
jusqu'à la prestation de serment de son successeur, j’ai pu faire
l’analyse suivante.

 

En cas d’organisation du premier tour au 29 Novembre 2011 et de victoire
au premier tour, quel que soit la date de publication des résultats, le fait que
la prestation de serment se fasse le 10 janvier 2012 pose déjà un problème
constitutionnel. En effet, entre la fin supposée du mandat présidentiel-6
décembre 2011- et la prestation de serment, le Congo se retrouvera techniquement
dans un vide juridique de 35 jours. 35 jours pendant lesquels le président
Kabila continuera d’exercer les fonctions du président de la République. Son
maintien sera illégal à deux égards. Premièrement, son mandat ayant expiré il ne
pourra plus occuper ce poste. Et deuxièmement, selon l’article 74, s’il est
interprété dans ce sens, il ne peut rester qu’en fonction pendant 10 jours et
pas plus. Si c’est le cas,  pendant 25 jours, soit du 16 décembre
2011 au 10 janvier 2012, le Congo n’aura pas de président légal. 

La situation serait encore pire s’il y a un second tour. Car en cas de
second tour, nous passerons de 25 à 107 jours de vide juridique. Et pendant
cette période, l’institution président de la République sera
constitutionnellement vacante. En cas de crise majeure international, le
président Kabila ne pourra ni légalement s’exprimer, et encore moins engager la
République démocratique du Congo. En cas de décès ou d’incapacité durant cette
période, l’article 75 ne saurait être d’application car le président du Senat ne
remplace le président de la République qu’en cas de décès ou de maladie dans
l’exercice de ces fonctions au cours de son mandat. N’ayant plus le droit légal
d’exercer cette fonction en dehors de son mandat, le président du Senat ne
saurait se prévaloir d’un quelconque droit à exercer un quelconque mandat. Et
durant cette période, même un coup d’état militaire contre le président Kabila
ne saurait être déclaré illégal car n’ayant renversé aucune institution légale.

 

Me fondant sur cette seconde logique, voici l’interprétation que je fais
de l’article 73. Le premier tour de l’élection présidentielle doit être convoqué
au « plus tard » le 6 septembre 2011. Et c’est du 6 septembre 2011 au 6 décembre
2011 que toutes les opérations électorales présidentielle, premier et second
tour, recours en annulation etc.…, devront se réaliser pour qu’au
7 décembre 2011 nous ne soyons pas dans un chaos juridique.  Ceci
va dans la même logique que le constituant américain qui a laissé une période de
trois mois entre la proclamation des résultats et la prestation de serment.
L’absence d’un second tour rend cette tache de transition plus facile.
L’organisation de l’élection présidentielle est l’une des taches d’un
gouvernement en exercice. Elles ne s’organisent pas en dehors de l’exercice du
mandat légal.

 

Comme nous pouvons le constater, dans ces deux cas de figures, le
calendrier électoral publié par la CEI est illégal, non seulement parce qu’elle
n’a plus le droit de poser un tel acte mais beaucoup plus parce que son
chronogramme est anticonstitutionnel.

 

Pour finir, je vais me permettre de faire quelques propositions au
pouvoir législatif congolais.

 

 Clarifier la question concernant le mandat présidentiel, son début et sa
fin.

 Pourvoir un cadre légal dans lequel s’exerce la période de transition
entre les deux présidents.

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