30.09.10 Le Potentiel: Cinq questions à Olivier De Schutter

 

1. En Afrique, plus de 200 millions d’hectares de terres cultivables sont disponibles et très convoités. Est-ce inquiétant?

Après l’absence d’investissements depuis les années 1980, c’est vrai
qu’il y a un regain d’intérêt pour les pays du sud, là où la terre est
disponible et la main- d’oeuvre peu chère. Les pays de l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) craignent de ne plus
avoir assez de place pour cultiver et investissent massivement dans les
grandes exploitations. Mais la plupart des projets servent à développer
les exportations. Les retombées pour les pays hôtes sont
insignifiantes.

2. Comment améliorer le système?

Les concessions faites aux investisseurs sont considérables et sans
contrepartie. Regardez le Mozambique, qui, d’un côté, importe 305000
tonnes de blé pour sa consommation — ce qui le rend vulnérable aux cours
mondiaux —, et, de l’autre, offre des conditions très avantageuses aux
exploitants étrangers, comme l’exonération de taxes et de droits
d’entrée. Les bénéfices retirés pour le pays sont minimes. Les
investisseurs pourraient s’engager, auprès de petits exploitants, à
organiser des coopératives, développer les moyens de stockage. L’État
pourrait de son côté acheter les récoltes et faciliter l’accès au
crédit.

3. Pourquoi les États africains ne sont- ils pas plus fermes?

Ils ont besoin de cet argent, et les investisseurs font de la
surenchère d’un pays à l’autre. Il est très difficile pour les pays de
la région de faire front commun, car le degré d’intégration régionale
est insuffisant. Le rapport de la Banque mondiale [BM] publié le 7
septembre alerte sur les risques liés à la ruée vers l’or vert.
L’institution est-elle méfiante à l’égard des fonds d’investissement?
D’abord, le discours de la BM est contradictoire avec les actions de son
bras armé pour le secteur privé, la Société financière internationale
[SF1], qui encourage les Etats africains à limiter au maximum les
contraintes qui pèsent sur les investisseurs et à leur donner des
garanties juridiques fortes. Ensuite, à la question « les
investissements seront-ils bénéfiques à long terme? », la réponse de la
Banque mondiale est d’énumérer les conditions pour qu’ils le soient. Or
la vraie question est de savoir si les terres disponibles doivent
prioritairement bénéficier aux investisseurs étrangers ou aux paysans
locaux. L’accès doit être équitable. Car, l’important ce n’est pas
l’investissement mais la manière de faire reculer la pauvreté dans les
campagnes.

4. Les pays ne profiteront-ils pas de cette manne pour
acquérir technique et savoir-faire, devenir plus compétitifs et faire
reculer la pauvreté?

Il ne faut pas confondre productivité et compétitivité. Dans la
révolution verte opérée en Asie, la capacité de production a augmenté de
8 %, et la population malnutrie a augmenté de 9 %. En Amérique latine,
la proportion est de 8 % et 17%! Si on laisse se développer les grandes
exploitations, les petites vont disparaître, et les paysans vont
rejoindre les villes. La petite agriculture préserve l’emploi, la nature
limite l’exode, c’est la meilleure façon de faire baisser la pauvreté.

5. La petite agriculture peut-elle subsister dans la mondialisation?

Pas dans l’économie low cost, ni avec l’iniquité des règles du
commerce mondial, que je dénonce. Les pays de l’OCDE s’étaient engagés
lors du sommet de l’Organisation mondiale du commerce [OMC] en 2005 à
supprimer leurs subventions. En 2008, l’Union européenne les a
restaurées sur le lait. Les soutiens aux producteurs et les normes
faussent la concurrence. Le discours est : « Ouvrez vos marchés, vendez
vos produits, on les transformera ». L’Afrique dépend des importations
et est vulnérable aux prix mondiaux. Elle doit se diversifier, se
protéger et ne pas se laisser enfermer dans la production de matières
premières et développer son marché intérieur pour écouler sa production…

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