La lecture braeckmanienne de la mort de Tungulu et la fin de la pensée unique (JP Mbelu)

Ce fait apparemment anodin semble être porteur de
plusieurs messages. Avant d’en donner quelques-uns, revenons à la lecture que
Colette Braeckman fait de la mort d’Armand Tungulu Mudiandambu.

 

 

Une mort non suspecte

 

Pour Colette Braeckman, « au vu de cette
nouvelle mort, hélas non suspecte, on ne peut qu’avancer trois conclusions: la
campagne électorale précédant les élections de 2011 a déjà commencé, elle sera
dure et aura plusieurs facettes, dont les attaques directes contre Kabila, la
remise en cause de ses origines (thème connu), la contestation de son action, et
surtout la provocation. Sur ce terrain là, l’opposition jouera sur du velours:
les services de sécurité sont nerveux, répondent brutalement à la moindre
provocation; (…)  Mais on peut aussi se demander si le pouvoir
n’est pas séduit par le “modèle rwandais”, qui fait déjà école au Burundi:
développer le pays, essayer de le faire avancer à tout va, multiplier les
contrats, restaurer, autant que faire se peut, l’autorité de l’Etat et en même
temps serrer la vis à l’opposition, se montrer intolérant face à la contestation
et… ne pas craindre de tuer, plus pour l’exemple et la dissuasion que par goût
de la répression…. »

Dans ce texte, Colette Braeckman interprète la mort
d’Armand en relation avec les élections, le développement du Congo et la
restauration de l’autorité de l’Etat. Et quand elle ajoute, « ne
pas craindre de tuer, plus pour l’exemple et la dissuasion que par goût de la
répression… » sur « le modèle rwandais », elle crée un débat dans les camps de
ses lecteurs.

 

La lecture d’Evariste Mpwo , réponses de
Colette et de Pétronie Ntumba Mujinga

 

S’exprimant sur la toile congolaise, Evariste écrit (le
09 octobre 2010) : « chers tous, lecture et méditation faite, j'ai la conviction
que cet article de Colette est une incitation au meurtre, elle invite Kanambe
Kadogo (Joseph Kabila) à tuer pour faire l'exemple. Sachant ce qu'est la
Belgique pour le Congo, sachant ce qu'elle est dans le media, ses positions
influencent le comportement des dirigeants au Congo. Elle avalise les tueries au
Congo si cela doit s'accompagner du "développement". Personnellement, je crois
qu'elle doit être citée comme complice dans le procès d’Armand Tungulu et
Chebeya. On doit la considérer comme commanditaire. » Ce texte, bien qu’il n’ait
pas été le seul commentaire fait sur son article, a été lu par Colette Braeckman
et a provoqué sa réaction. Elle a écrit : « Cher
Monsieur,
 vous pouvez ne pas être d'accord avec mes papiers et
diffuser votre point de vue sur le net. Mais m'accuser d'incitation au meurtre,
alors que précisément, mon papier visait à dénoncer les méthodes des services de
sécurité, non seulement c'est une erreur d'interprétation, mais c'est une injure
grave. Je vous signale que je me réserve la possibilité de porter plainte pour
diffamation et que je transmets ce message aux services juridiques du journal Le
Soir. »

Plusieurs compatriotes ont écrit à Evariste Mpwo après la
réaction de Colette Braeckman dont une juriste Congolaise, Pétronie Ntumba
Mujinga. Elle lui dit entre autres ceci :
« 1. Cher compatriote Evariste
Mpwo, ne vous en faites pas. Cette dame ne fait que vous intimider, elle n'a
aucune chance devant une cour européenne. Ce serait même bien qu'elle este en
justice contre nous toutes et tous, pour que cette affaire et sa prose
nauséabonde contre la vie des Congolais reçoive la meilleure publicité! » Pétronie réajuste l’interprétation d’Evariste en ajoutant : « 2. En
effet, nous sommes plusieurs à avoir eu la même interprétation que vous, après
lecture de son article tendacieux. Elle n'a certes pas appelé directement au
meurtre mais elle y a incité, via un raisonnement justificatif spécieux, un
raisonnement pseudo-explicatif. » Elle explicite davantage sa lecture : « 3. En
effet, l'esprit général de son papier est que, d'une part le régime de Joseph
Kabila ne tuait pas "par goût de répression" mais "pour l'exemple et la
dissuasion", et d'autre part que cela pourrait être excusable pour les besoins
d'un développement économique (comme cela serait le cas, selon elle, au Rwanda
de Paul Kagame, copié par le Burundi de Pierre Nkurunziza – alors que les
indicateurs internationaux fiables n'ont pas encore classé ces deux petits pays
parmi les Etats économiquement développés, ni même en train d'émerger de la
pauvreté). »

Pour convaincre qu’elle-même, Evariste Mpwo et plusieurs
autres compatriotes n’ont pas commis une erreur d’interprétation,
 Ntumba Mujinga écrit : « 4. D'ailleurs, une indication que notre
interprétation de son écrit n'est pas abusive – et tombe même sous le sens de
n'importe quel lecteur francophone, c'est que les forumeurs kabilistes de nos
fora ont vite repris son écrit, l'ont répandu de manière triomphale (notamment
M. Yvon Ramazani, à qui j'ai répondu), en mettant en exergue cette phrase que
j'ai qualifiée de "horrible et terrible": "… tuer pour l'exemple et la
dissuasion et non par goût de répression". »

 

La fin de la pensée
unique

 

Colette Braeckman va-t-elle mettre sa menace à
exécution ? L’avenir nous le dira. Du reste, le débat provoquer par la
publication et la lecture de son papier est porteur de plusieurs messages. Là où
plusieurs compatriotes voient la main répressive de Joseph Kabila, Colette lit
la réponse des services de sécurité à la provocation de l’opposition pour faire
l’exemple. Sa lecture est partagée par certains joséphistes.
 Ce débat pose une question herméneutique de grande importance : la
question de la lecture du texte. Que signifie lire un texte ? Est-ce reproduire,
rejoindre l’intention de son auteur ? « L’expert du Congo » au
journal le Soir aurait voulu que la chose se passe de cette
façon-là. Colette est d’accord que ses papiers soient lus et les points de vue
qu’ils provoquent publier sur le net. Elle dit à Evariste : « Cher Monsieur,
vous pouvez ne pas être d'accord avec mes papiers et diffuser votre point de vue
sur le net. » Elle accepte le désaccord. Mais jusqu’à un certain niveau. Elle
dessine les frontières de l’interprétation de ses textes que ces lecteurs ne
devraient pas dépasser. Ainsi ajoute-t-elle un « mais » à son acceptation du
principe du désaccord. « Mais, note-t-elle, m'accuser d'incitation
au meurtre, alors que précisément, mon papier visait à dénoncer les méthodes des
services de sécurité, non seulement c'est une erreur d'interprétation, mais
c'est une injure grave. » Elle passe de » l’erreur d’interprétation » à « une
injure grave ». Pourquoi, au lieu de corriger cette « erreur d’interprétation »,
Colette Braeckman envisage la possibilité de traduire son lecteur
en justice ?

Quand y a-t-il « erreur d’interprétation » ? Colette ne
nous laisse-t-elle pas lire, à travers sa menace, un malaise ? Oui. Un malaise
provoqué par la fin de la pensée unique. La fin de l’ère où, à Kinshasa et au
Congo, les journalistes et les hommes politiques se promenaient avec les
articles de Colette Braeckman et ceux d’autres experts occidentaux sous les
aisselles  en les nommant « documents » (précieux ?). Notre lecture
va dans ce sens. Pourquoi ? Nous estimons que quand un texte est écrit et
publié, il n’appartient plus à 100% à son auteur. Il peut être lu de plusieurs
manières et à partir de plusieurs contextes. Un auteur qui voudrait participer
au débat suscité par son texte peut préciser sa pensée.

Dans le cas précis, l’un des horizons à partir duquel
Colette Braeckman est lue par les Congolais(es), c’est son passé-présent d’ 
« expert  des pays des Grands Lacs » et l’influence supposée ou réelle que ses
écrits ont eu (et ont) sur les politiques de son pays et ceux de
l’Afrique centrale. Faire comme si cet horizon n’existait pas relève du déni de
la réalité.

L’avènement de  la presse congolaise
alternative (les fora en ligne et les blogs entre autres) est en train de sonner
lentement mais sûrement le glas de « l’expertise exclusive» de Colette Braeckman
et de plusieurs autres spécialistes Belges du Congo. La presse alternative
congolaise vient déjouer, tant soit peu, la prise en otage de la pensée
politique de notre pays par la pensée unique dominante au travers des « petites
mains médiatiques ». La fin de cette pensée unique coïncide avec la fin du monde
unique. Elle risque de provoquer de dégâts. De part et d’autre.

Le monde multipolaire naissant invite davantage plusieurs
compatriotes à opter pour le métissage des pratiques et des intelligences. Les
nostalgiques du « règne sans partage de Colette » ne manqueront pas. Même s’ils
risquent de naviguer à contre-courant des pensées créatrices et
innovatrices. Cela étant, relire et interpréter (secondairement)
Colette Braeckman peut être de quelque utilité pour notre devenir commun, eu
égard à ses sources et à implication dans l’écriture « officielle » de notre
pays. Les questions que posent certaines des contradictions de ses chroniques
sont souvent révélatrices de la différence qu’il y a entre le
journalisme, la pensée politique et l’analyse (critique) politique. (Dans le contexte du rapport du HCDH, il serait par exemple intéressant
de relire C. Braeckman, Les nouveaux prédateurs. Politique des
puissances en Afrique centrale
, Paris, Fayard, 2003.)
Plusieurs lecteurs de Colette Braeckman semblent perdre de vue
qu’elle fait un travail de journaliste-chroniqueur (dominant ?). Qu’elle soit
choquée (ou fasse semblant d’être choquée ?) face aux différentes lectures que
sa lecture de la mort d’Armand a provoquée est un signe qui ne ment pas.

 

J.-P. Mbelu

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