15.11.10 Het Belang van Limburg Le Sphynx retourne à Kinshasa

 A quelques semaines de son départ pour le Congo, Etienne
Tshisekedi, le président de l’UDPS (Union pour la Démocratie et le Progrès
Social) est confiant. Depuis novembre 2007, Tshitshi vit une sorte de repli dans
notre pays et il a dû quitter son pays natal à cause de problèmes de santé. Ces
problèmes sont maintenant derrière lui et Tshisekedi paraît plein
d’énergie.

Nous regardons ensemble des vieilles photos datant de novembre
1991 quand il fut pour quelques semaines Premier ministre de Mobutu. Le
photographe Luc Daelemans fut l’un des rares journalistes étrangers présent à
Kinshasa au cours de cette période mouvementée. Il en fit un rapport avec son
collègue Marc Van de Weyer. Luc a imprimé les photos sur grand format. On
découvre Tshisekedi, tête baissée, assis sur un mouchoir blanc sur les marches
du trottoir devant la primature, entouré de ses collaborateurs. «Je n’avais
aucun souvenir, aucune photo de cette période», a déclaré Tshisekedi qui a
examiné les photos pendant de longues minutes. Au Congo, dans son quartier de
Kinshasa, Tshisekedi est appelé le Sphynx de Limete.

Insulte
Méconnaissance de notre pays

Nous parlons après d’une interview à
sensation accordée par l’Ambassadeur de Belgique, Dominique Struys Swielande au
journal congolais Le Soft au début du mois de novembre. Struys, qui a succédé il
y a deux ans au limbourgeois Johan Swinnen, y sonne le clairon d’éloge de la
liberté de presse au Congo et loue la vision du roi Léopold II qui aurait fait
de son Etat Libre du Congo un eldorado de libre-échange. Struye dit aussi que
les relations entre la Belgique et le Congo ont atteint un point culminant (au
beau fixe). Tshisekedi secoue la tête d’incompréhension: «Je peux difficilement
être d’accord avec ça. Tant qu’il n’y a pas d’état au Congo, où les gens
respectent la loi, il n’y a pas d’état de droit. Nos dirigeants gouvernent le
pays de manière arbitraire, il n’y a pas de bonne gouvernance».

"Quelle
est la vision de Kabila pour l’avenir du Congo? Je voudrai bien le demander à
l’ambassadeur. Il ne pourra pas me répondre. Prenez maintenant le classement de
la Banque Mondiale (la corruption), l’indice Ibrahim (le climat des affaires),
le
«Rapport Mapping» de l’Organisation des Nations Unies (un catalogue
publié récemment du nombre des morts au Congo depuis 1993), des atrocités
indicibles qui s’y produisent encore. Bien que son nom ne s’y trouve pas, Kabila
est totalement impliqué dans ces massacres et atrocités. Comment pouvez-vous
dire qu’un "génocidaire", un assassin du peuple qui ne connaît rien de la
gestion d’un pays est sur la bonne voie? Si un ambassadeur dit une telle chose,
c’est une méconnaissance de notre pays.

Vous dites des mots durs

"Pas du tout, c’est la vérité. A l’occasion du cinquantième
anniversaire de l’indépendance, j’ai dit que notre pays a reculé de 50 ans au
lieu de progresser de 50 ans. Je comprends bien l’ambassadeur, il devait le
dire, mais ce qu’il a dit va directement à l’encontre de sa conscience, je peux
vous l’assurer.

On croirait entendre l’ancien ministre des Affaires
étrangères Karel De Gucht ..

C’est pourquoi De Gucht est aimé au
Congo. Il dit les choses comme elles sont, il dit la vérité, à la différence de
l’ambassadeur.

Le successeur de De Gucht, Vanackere n’est pas aussi
critique …

Nous n’en avons vu en tout cas aucune preuve. Malgré la
pauvreté et la misère au Congo, nous voulons être pris au sérieux, en tant que
peuple et personnes.

Kabila utilise bien le même discours que vous,
mais pour accuser De Gucht …

Kabila est mal placé pour juger De
Gucht. Kabila, un homme qui tue les gens comme des poules. Quelqu’un qui ne
respecte aucune loi, peut-on respecter une telle personne?

Pensez-vous
là à Floribert Chebeya, l’activiste des Droits de l’Homme qui a été tué en juin
dernier ?

Tout le monde parle de Floribert Chebeya parce que beaucoup
le connaissent. On ne parle pas des dizaines des Congolais anonymes qui sont
tués. Ces gens sont jetés au cachot et on les retrouve morts au matin.

Le dossier Chebeya est maintenant entre les mains de l’auditorat
militaire. Pensez-vous que l’enquête de l’affaire Chebeya sera menée jusqu’au
bout et que les responsables subiront leur châtiment?

Les vrais
responsables ne seront jamais punis. Il y a des policiers arrêtés, mais qui ont
agi au nom de Kabila. Ils ont convoqué Chebeya sur ordre de Kabila. Tout le
monde sait que ce sera un faux procès. Nous avons exigé qu’une enquête
internationale soit mise sur pied.

Suite à la publication du «Rapport
Mapping » de l’ONU, des voix s’élèvent qui veulent que le Congo ait un tribunal
pénal international. Etes-vous d’accord avec cela?

C’est en effet
nécessaire. La Cour pénale internationale à La Haye veut l’extradition du
président soudanais Béchir, à tort ou a raison ?, mais a cause des milliers de
morts dans la province soudanaise du Darfour. Je ne sais combien de morts
exactement dans le cas du Darfour, mais certainement pas 6 millions comme le
Congo. Nous demandons qu’une cour criminelle internationale traduise en justice
les auteurs, même s’ils vivent au Rwanda, en Ouganda ou dans d’autres
pays.

Piège du hors-jeu

Autant Etienne Tshisekedi a de la
compréhension pour Karel De Gucht, autant grande est son mépris pour son
prédécesseur, Louis Michel. Le libéral de Jodoigne avait voulu, au début de ce
siècle, dans son élan volontariste et en quelque sorte par des efforts
personnels, forcer les garnements congolais à se mettre à la table de
négociation pour signer un accord de paix, même si cela mettait hors jeu le plus
puissant mouvement rebelle (accord de l’hôtel cascade).

Tshisekedi ne
tomba pas dans le piège du hors-jeu de Louis Michel et conclut une alliance
(Alliance pour la Sauvegarde du Dialogue Inter-congolais ou ASD) avec les
rebelles du RCD-Goma qui contrôlait toute la partie Est du Congo jusqu’au nord
du Katanga, avec le soutien du Rwanda.

Paquêts de
Dollars

Cette période d’avril 2002 est gravée dans ma mémoire. Après
la signature de l’accord de Sun City en Afrique du Sud, le porte-parole
diplomatique de Louis Michel m’appela au téléphone – ce qui est très inhabituel.
Il voulait me convaincre que Sun City (accord de l’hôtel cascade entre Kabila et
Bemba ndtr) était un bon accord et que c’était le mérite de Michel. Mes
objections que Kabila et Bemba avaient obtenu la signature à l’accord de
l’opposition non-armée en leur faveur moyennant un paquet de dollars, ne firent
aucune impression.

Dans les années quatre-vingt et nonante, votre base
de pouvoir était localisée dans votre région natale du Kasaï, à Kinshasa et au
Sud Kivu. Les Kivutiens n’ont vraiment pas oublié l’alliance que vous avez
signée avec les ennemis jurés du RCD-Goma soutenus par le Rwanda. En avez-vous
des regrets?

Ce n’était pas du tout une erreur tactique. Nous étions
intervenus en ce moment-là parce que nous voulions que les trois parties
belligérantes acceptent de faire la paix dans l’intérêt du Congo. Mais Bemba et
Kabila avaient conclu un accord privé et non inclusif dans un hôtel en Afrique
du Sud par lequel Bemba serait premier ministre et Kabila président. Nous et le
RCD, nous étions mis hors-jeu. Mais le RCD était militairement beaucoup plus
fort. Si ce plan de Kabila et Bemba avait été mis en œuvre, le RCD-Goma aurait
cherché a les anéantir. Nous nous sommes alors ligués avec le RCD pour obliger
Kabila et Bemba à retourner à la table de négociation pour empêcher que cela ne
se transformât en un nouveau bain de sang.

Les gars de la RCD-Goma
n’étaient pas des anges, ils ont semé la terreur dans les régions qu’ils
contrôlaient.

Aucun groupe de ces belligérants n’était composé des
anges, tout le monde a semé la terreur. Votre fameux Louis Michel a fait en
sorte qu’une figure complètement inconnue, Z’Ahidi Ngoma, devienne le quatrième
vice-président, bien que cette fonction me revenait. Le résultat fut que le pays
fut gouverné par les personnes qui, entretemps avaient tué 6 millions de
Congolais. Est-ce que c’est ça la démocratie, gratifier ainsi les gens qui tuent
quand ils en ont envie?

Voulez-vous dire que Louis Michel a empêché
que vous deveniez vice-président.

Absolument. C’est
évident.

Qu’avait-il contre vous?

Il est clair que ces gens
veulent que le Congo soit dirigé par des gens qu’ils peuvent garder sous
contrôle, ce qui permet leur emprise sur le Congo. Ils veulent que le pays soit
gouverné par des personnes sans aucune expérience. Il connaît mon passé, il sait
qui je suis.

Lancement de la campagne

Dans les yeux, le
feu vif de l’opposant éternel continue à briller. Seulement quand il se lève
pour poser pour une photo, on voit à travers les jambes rigides que cet homme va
fêter son 78e anniversaire le 14 décembre. Hasard ou non, l’anniversaire tombe
le dernier jour du congrès du parti qui dure quatre jours. Indéniablement, ce
congrès signifie le début officiel de la campagne pour l’élection présidentielle
de Novembre 2011. Évaluer les chances de Tshisekedi, est impossible. En 2006, il
avait refusé de participer aux élections qu’il avait jugées
illégales.

Vous retournez à Kinshasa dans quelques semaines. Vous avez
été particulièrement actif dans les années 1980 et 1990. Ne craignez-vous pas
que les jeunes congolais ne vous connaissent plus? Par conséquent, ils ne
voteront pas pour vous?

À mon âge, je ne peux pas m’attendre à être
vraiment connu par les jeunes. Mais si vous tenez compte du combat que j’ai
livré contre Mobutu, ce que j’ai renoncé pour cela, ma lutte pendant la
conférence nationale souveraine, quand je fus nommé premier ministre, cela les
jeunes ne peuvent pas le savoir, mais ils l’apprennent des personnes âgées.
L’UDPS est bien connue, le parti possède des comités presque partout au Congo.

Diverses ailes se combattent au sein de l’UDPS. Comment pouvez-vous
concilier ces factions opposées?

Si vous écoutez les groupes qui se
sont séparés, ils parlent toujours en mon nom. Je n’ai jamais été contesté en
tant que leader. Ces personnes se disputent les uns avec les autres parce qu’ils
savaient que j’étais malade et vieux. Ils se sont battus pour me succéder.
Pendant le congrès, nous allons facilement surmonter les contradictions.

L’UDPS a présenté votre fils Felix comme représentant à la CENI (la
Commission électorale nationale Indépendante) – une fonction importante dans
l’organisation du scrutin. Des Congolais me disent que c’est une forme de
népotisme, c’est que vous préparez votre succession.

Ils peuvent dire
ce qu’ils veulent, mes enfants ont milité au sein du parti, ils se sont battus.
Mon troisième fils Félix est avec moi en Belgique, mais il est le secrétaire
national aux relations extérieures. Il a droit à un mandat comme tout un
chacunt. Ce n’est pas parce qu’il est le fils de Tshisekedi qu’il n’y a pas
droit". Par contre ce qui n’est pas dis, c’est que le poste de la CENI le prive
de tout mandat électif pendant 6 ans.

Une campagne est épuisante.
Vous n’êtes plus jeune. Êtes-vous physiquement assez fort pour
continuer?

Je ne dois pas personnellement mener ma campagne, le nom
Tshisekedi est suffisamment connu, avec tout ce que j’ai fait dans le passé.
Tout le monde dit maintenant que Kabila a déchu Mobutu, mais j’ai été à la base.
En 1990, Mobutu a reconnu le multipartisme sous notre pression. Le 24 avril
1990, il a fait ce que l’UDPS lui exigeait, le multipartisme. Je peux envoyer
des représentants dans tous les coins du pays et je peux donner des
instructions.

Vous n’êtes pas le seul candidat …(Rires)

Je n’ai pas lutté pour être le seul candidat. Je me suis battu pour le
multipartisme.

Il y a des rumeurs que le gouvernement de Kabila a
tenté de vous persuader de revenir à Kinshasa. Vous auriez une bonne retraite,
une maison et avoir une voiture. Est-ce exact?

Le gouvernement actuel
ne m’a pas approché. Mobutu a essayé quand je combattais son régime. Tout le
monde sait que chez moi ça ne passe pas. Ce serait insultant pour moi et pour
tout le monde. Mieux rester pauvre que d’accepter une chose pareille. Je ne vais
tout de même pas vendre ma conscience.

Propos recueillis par Roger Huisman

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