29.11.10 Le Potentiel : Cinq questions à Liévin Ngondji Ongombe

1. La loi contre la peine de mort a été rejetée à l’Assemblée nationale. Est-ce la déception dans les rangs des abolitionnistes ?

Non. Le sentiment est mitigé. On ne peut qu’être préoccupé par cette réaction de nos élus. Je peux considérer en même temps que c’est un pas très important qui vient d’être franchi dans le combat pour l’abolition de la peine de mort dans notre pays. Il faut ici féliciter l’honorable Mbata qui a donné aux abolitionnistes l’opportunité de prendre rendez-vous avec l’Histoire. Parce que c’est pour la 1ère fois que cette loi a été présentée au Parlement. Mais, j’ai une préoccupation : celle de voir nos élus réagir beaucoup plus par émotion que par analyse. Or, les députés ne doivent pas avoir des sentiments pour légiférer. Et puisqu’ils n’ont pas de sentiments, alors je me demande pour quelle raison ils n’ont pas voulu regarder la vérité en face et dire cette même vérité à la population. En entre-temps, je persiste et j’insiste : la peine de mort a été déjà abolie dans notre pays.

2. Mais si elle a déjà été abolie, pourquoi avoir proposé une loi portant abolition de cette peine ?

Ma réponse est la suivante : la loi a été proposée pour modifier le code pénal qui doit être conforme à la Constitution. Trois députés ont dit que les articles 16 et 61 de la Constitution n’abolissaient pas la peine de mort. Ce sont les honorables Lutundula, Sessanga et Lumeya. En tant que juriste comme eux, je les mets au défi de me prouver le contraire de ce que j’affirme. La Constitution comme tout texte de droit s’interprète sur base d’autres éléments du droit. Pour vous en convaincre, je les renvoie aux travaux préparatoires de l’adoption de cette Constitution, c’est-à-dire l’avant-projet de Constitution adopté à Kisangani, texte dans lequel à l’article 15, il avait clairement dit que la peine de mort était abolie en RD Congo.

Ensuite, je les renvoie au prof. Evariste Boshab, actuel président de l’Assemblée nationale, qui dirigea la commission de l’Union européenne chargée de toiletter le projet de loi. Cette commission des experts a réinséré une phrase dans ce qu’on a appelé l’article 16 nouveau qui disait que la peine de mort était appliquée au Congo dans les formes et selon les conditions prévues par la loi. Je le renvoie au ministre Mende, rapporteur du Sénat de la transition et auprès du député Mbiango, président de la PAJ du Sénat de la transition. Cette commission a dit à l’art 16 nouveau que la peine de mort était abolie en RDC, sauf pour les cas d’homicide volontaire. Je les renvoie enfin à Mwando Nsimba, président de la PAJ de l’Assemblée nationale de transition et à Olivier Kamitatu, président de la même institution pendant la transition. A l’Assemblée nationale de transition, on avait estimé qu’il ne fallait limiter la peine qu’à une seule infraction. C’est donc un recul par rapport aux avancées de Kisangani. On peut aussi consulter le conseiller principal du chef de l’Etat, Raphaël Luhulu, rapporteur de l’Assemblée nationale à l’époque. Lors du vote, le président de l’Assemblée d’alors, Olivier Kamitatu avait dit que pour éviter le triomphalisme des abolitionnistes, il proposait qu’on ne fasse plus référence à la peine de mort.

3. A quoi servent tous ces exemples dans le contexte actuel ?

Tous les juristes savent que lorsqu’il y a difficulté, on fait appel aux annales parlementaires, on fait appel aux comptes rendus parlementaires, qui existent. Qu’on demande donc au rapporteur de produire ces textes pour vérifier ce que je dis. Si on affirme que la peine de mort n’a pas été abolie, c’est dire qu’on a la mémoire courte et on passe une évidence. C’est pour cette raison que l’honorable Mbata a demandé au président de l’Assemblée nationale, professeur de droit constitutionnel et l’un des experts de la constitution de faire appel à la Cour suprême pour avis consultatif comme cela a été fait pour la loi d’amnistie. Cela lui a été refusé.

4. A la lumière de ce développement que vous venez de produire, qu’est-ce qui peut avoir justifié le comportement des élus pour rejeter cette loi ?

D’abord, parce que toutes ces personnalités que j’ai citées ne sont plus au Parlement, sauf Boshab. Et en tant que tel, elles ne peuvent pas parler. Moi-même, en tant qu’expert et membre de la Coalition, je n’ai pas été invité… mais j’avais saisi le président de l’Assemblée nationale en lui demandant d’organiser une séance académique où des experts parleraient aux élus. Non seulement qu’il ne m’a pas reçu mais aussi il n’a pas répondu. Est-ce qu’il y a une idée derrière la tête ? Je ne sais pas. La vérité est que nous nous acheminons vers les élections, on peut chercher des arguments en manipulant l’opinion comme quoi il y a insécurité et ceux qui votent pour abolir la peine de mort sont ceux favorisent l’insécurité. Ce qui n’est pas vrai. On ne peut cacher les insuffisances des pouvoirs publics d’éduquer, de sécuriser les populations avec une sanction prononcée par le juge. Et puis, entre nous soit dit, la peine de mort est une sanction au pauvre. Citez-moi un seul riche de ce pays qui a été arrêté par l’opération Tolérance zéro.

5. Que préconisez-vous après le rejet de cette loi par la représentation nationale ?

Nous estimons que c’est une bataille qui semble être gagnée par eux, mais seulement ils refusent le débat. Et pourtant, lorsqu’on parle d’une représentation nationale ce qu’il y a démocratie. Mais a-t-on vu fonctionner une démocratie qui ne veut pas débattre ? Nous allons revenir vers eux avec d’autres arguments. Entre-temps, on se rappelle que le ministre de la Justice, avec sa commission permanente de réforme du droit congolais, prépare les réformes du code pénal. Et là-dedans, l’opinion est clairement levée et les résultats des travaux ont été même publiés. Donc, la peine de mort est abolie. Nous allons saisir certains sénateurs qui pourraient introduire eux aussi cette proposition de loi. Et comme c’est la Chambre haute, il y aura plus de sérénité et il y aura le débat. Nous sommes en train d’envisager de saisir la CSJ. Nous sommes dans la jubilation des retentionnistes et nous nous organisons pour donner une riposte dont l’ampleur n’aura d’égal que l’importance du vote, près de 90%.

Président de Culture pour la paix et la justice et la Coalition des Grands Lacs contre la peine de mort

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