Charles Onana dans les coulisses de la démocratie et de la justice internationale (JP Mbelu)

« Fanatiques
des élections », plusieurs d’entre nous questionnent rarement les
intérêts politiques, économiques et géostratégiques que couvrent les fondations
et les organismes occidentaux spécialistes dans « la lutte contre l’impunité »
et dans « la promotion de la démocratie » qui envahissent les pays du Sud. Que
valent les principes démocratiques dans un pays sous tutelle des ONG et d’autres
fondations financées par les spéculateurs financiers occidentaux ? Où se jouent
finalement les élections dans ce genre de pays ? Dans les urnes ? La lecture du
dernier livre de Charles Onana (
Menaces sur le Soudan et révélations sur le procureur Ocampo.
Al-Bashir et Darfour. La contre-enquête
, Paris, Duboiris, 2010, 475 p.) crée des
doutes autours de certaines réponses faciles données jusque-là à ces questions.
Il invite à repenser les politiques locales africaines, le panafricanisme, la
justice internationale, etc. Il incite à rompre avec l’analphabétisme
politique.

 

Au cours de ses
contre-enquêtes ( aux Etats-Unis, en France, au Soudan et au Canada) sur le
thème plus que médiatisé de la planification du génocide contre les Tutsis au
Rwanda et sur les menaces proférées contre le président soudanais Omar
Al-Béchir, Charles Onana en arrive à pénétrer dans les coulisses de la
démocratie made in Occident et dans celles de la justice (dite)
internationale. Il le fait en « questionnant les motivations des
« bienfaiteurs » médiatiques de l’Afrique » et en essayant d’interroger « les
différents enjeux politiques, économiques et stratégiques qui se posent au
Soudan (et ailleurs en Afrique) » (p.8)

Que
découvre-t-il ? Au sujet du Darfour, « j’ai découvert, écrit-il, que la
compassion démesurée à l’égard des « Noirs du Darfour » masquait souvent mal un
intérêt réel pour les richesses, notamment pétrolières et minières, du Soudan. »
(p. 8) Mais aussi de ses pays limitrophes comme la RD Congo. 

Dans ses
contre-enquêtes, Charles Onana est habité par plusieurs questions. « Je ne
comprenais pas pourquoi, note-t-il, le président soudanais, seul, était couvert
d’opprobre, alors que bien des tyrans peuplent la planète et trouvent grâce aux
yeux des Occidentaux. Je me demandais aussi pourquoi certains dictateurs et
certains criminels de guerre peuvent être accueillis avec tous les honneurs en
Europe et sur le continent américain sans que jamais on les menace de procès ou de prison. » (p.9) Charles Onana questionne la
politique de deux poids deux mesures. « J’étais intrigué, écrit-il, par cette
volonté de faire arrêter et de voir juger absolument le président Al-Bashir
alors que certains chefs d’Etat et de gouvernement occidentaux tels George W.
Bush ou Tony Blair peuvent passer entre les mailles de filet. Pourtant, ces
derniers sont à l’origine de l’agression contre l’Irak et de millions des morts
chez les Irakiens ainsi que de milliers d’autres parmi les soldats américains et
britanniques. » (p.9)

L’étude du
financement, du fonctionnement et des méthodes du TPIR et de la
CPI aide Charles Onana à comprendre que ces juridictions n’obéissent pas aux
exigences d’une justice universelle digne de ce nom.. La CPI
présente les mêmes défauts que le TPIR. Pour cause. « Elle procède
par une sélection politique et non juridique des accusés. (Le cas de Jean-Pierre
Bemba est plus qu’éloquent.) Elle privilégie la partialité dans le traitement
des accusés. Elle n’accorde que peu d’intérêt aux éléments de preuve dès lors
qu’ils ne confirment pas ses préjugés de départ. Elle fabrique de faux
témoignages et corrompt des témoins pour aider l’action du procureur. Elle agit
sur recommandation ou sous influence politique de certains Etats et de certaines
ONG. Elle manipule les dossiers judiciaires à des fins politiques et ce type de
comportement est devenu une tradition- ou plus exactement un code de conduite –
au cœur du bureau du procureur de la CPI. » (p.456) Au TPIR comme à la CPI, le
préjugé, le parti pris et l’arbitraire l’emportent souvent sur la vérité et
l’équité. Ces deux juridictions, sous couvert de la lutte contre l’impunité, se
soumettent aux agendas cachés des « maîtres du monde ».

Quel est leur
objectif majeur ? « Leur objectif majeur est bien d’assurer
l’impunité de certaines puissances et de leurs alliés impliqués dans les
conflits armés tout en renforçant la politique d’injustice sur la scène
internationale. C’est une manière grossière de recourir au droit pour régenter
les relations internationales et surveiller l’émancipation des Etats du
Tiers-Monde. » (p.464)

L’évocation de
la lutte contre l’impunité et la dictature sert de couverture à la propagande
médiatique, indispensable à la manipulation de l’opinion publique.

Les
contre-enquêtes de Charles Onana le conduisent à soutenir qu’ « en réalité, ces
juridictions ont toujours évité de mettre en cause ou de poursuivre certains
dirigeants politiques des Etats influents comme des responsables de groupes
économiques et financiers qui, au nom d’intérêts privés et souvent personnels,
planifient et orchestrent la déstabilisation des Etats africains et des pays en
développement. » (p. 465) Les dirigeants politiques du Tiers-monde au service de
ces Etats influents échappent, eux aussi, aux poursuites de ces
juridictions.

 

Comment se
fait-il que les fondements et les objectifs de ces juridictions internationales
ne soient pas questionnés par le grand public en Occident et en Afrique ? Pour
Charles, cela est lié au faible niveau de connaissance de la
réalité politique internationale. Et « à force de suggestion, beaucoup
finissent par intérioriser qu’il est davantage logique et légitime de poursuivre
un dirigeant du Tiers-monde plutôt qu’un dirigeant occidental. C’est une affaire
de hiérarchie et de complexes psychologiques
. » ( p.465. Nous
soulignons)

 

Qui finance ces
juridictions ? La CPI, par exemple ? L’Union européenne et des fondations
privées. L’une des fondations appartient à un spéculateur américain George
Soros. Officiellement, les soutiens à la CPI affirment lutter pour l’avènement
de la démocratie et le respect des droits de l’homme. L’un des organismes dont
l’UE se sert pour soutenir la CPI est l’Instrument Européen pour la Démocratie
et les Droits de l’Homme (IEDDH). Il est censé travailler à la
promotion de la démocratie et des droits de l’homme dans les pays autres que
ceux de l’UE. « Cet objectif avoué, note Charles, est déjà troublant car il
laisse supposer que « l’Europe démocratique » habitée par un élan de générosité
extrême éprouve le besoin irrésistible de répandre « la liberté » ou « la
civilisation » dans ces contrées presque « barbares » où règnent encore le chaos
et la confusion. » (p. 467) Or, souvent, le chaos et la confusion sont les faits
de tous ces organismes, pêcheurs en eaux troubles !

Que la fondation
de George Soros Open Society Institute ait été soupçonnée d’être
impliquée dans la soutien d’un candidat à la magistrature suprême en Guinée-Conakry au pire de la crise que ce pays a connue est révélateur
de l’esprit dans lequel elle travaille.

 

L’exemple du NED
(National Endowment for Democracy) est encore plus que parlant.
« Officiellement, le NED vise l’éducation et la formation à la démocratie à
travers le monde. Ses ressources proviennent cependant des dons privés et
surtout du Département d’Etat américain et sont votées par la Congrès
américain. » (p.472). Quel est le problème ? « Le problème est que cette
institution qui « éduque et forme à la démocratie » est une véritable machine de
guerre contre tous les régimes qui déplaisent à Washington ou à Tel-Aviv. »
(p.472) Elle a, en 2002, orchestré et financé un coup d’Etat
contre Hugo Chavez, le président vénézuélien.

Est-ce facile de
déceler les liens entre les juridictions internationales, les intérêts des
bailleurs de fonds qu’elles servent, la rhétorique sur la lutte contre
l’impunité qu’elles débitent, les coups tordus qu’elles donnent aux « ennemis »
de l’impérialisme intelligent, etc. ? Souvent, ce n’est pas facile.
L’ignorance aidant (kozanga koyeba ezali liwa ya mobimba), rentrer
dans le labyrinthe de ces organisations est une mer à boire. « Certains
dirigeants africains et même certaines élites africaines se perdent dans le
labyrinthe de ces organisations des droits de l’homme, leurs innombrables
discours sur la bonne gouvernance, l’Etat de droit et la démocratie et leurs
sponsors. Ils ne voient pas toujours les liens ni les objectifs politiques
et économiques que toutes ces organisations partagent secrètement entre elles.
Ils ne s’aperçoivent de rien avant d’être privés de leur liberté, de leurs
abondantes matières premières et de ressources naturelles
. » ( p.473.
Nous soulignons)

 

Comment, eu
égard à ce labyrinthe, lutter pour l’autodétermination de l’Afrique, son
indépendance et sa dignité ? Les dés sont-ils à jamais pipés ? Sur ces
questions, Charles Onana n’est pas très bavard. Il invite à ne pas baisser les
bras ; à distinguer, à la suite de Martin Luther King, « dans des montagnes de désespoir, un caillou d’espérance ». Mais en faisant quoi ?
Peut-être en étudiant ce que les autres ont fait. Comment, Hugo Chavez, malgré
l’implication du NED dans la coup d’Etat de 2002, a été reconduit à la tête du
Venezuela et se maintient au pouvoir jusqu’à ce jour ?

 

En demandant à
l’Afrique, à ses filles et à ses fils, de financer eux-mêmes leur
lutte d’autodétermination et d’indépendance.

Après 50 ans de
françafrique et de néocolonialisme, l’approfondissement des enjeux politiques,
économiques et géostratégiques liés à l’expansion de la démocratie capitaliste
devraient pousser les dignes filles et fils de l’Afrique-mère à douter des
bonnes intentions dont l’enfer de cette démocratie est encore pavé. Le double
discours de l’Occident civilisé et démocratique l’a décrédibilisé et
disqualifié. Approfondir ces enjeux et partager cet approfondissement, créer des
structures viables de financement de notre autodétermination (comme le Fonds
monétaire africain en gestation), recréer l’école et l’université en prenant en
compte plus de 50 ans de mensonge et de faux-semblants occidentaux aiderait
l’Afrique à gagner prioritairement sa lutte d’autodétermination. 

Cela exigerait,
peut-être aussi, d’identifier « nos alliés » parmi nos « multiples
bienfaiteurs » dans cet Occident aux multiples faces. Il y va de l’efficacité du
travail en réseau. Il est surprenant et de manière agréable de remarquer que
Georges Clémenceau ait pu contredire, en bon humaniste,  Jules
Ferry énonçant le discours sur les fondements de la colonisation à l’Assemblée
nationale française en 1885.

 

Fondant la
colonisation sur le droit des races supérieures à civiliser les races
inférieures, Jules Ferry entendra Georges Clémenceau lui rétorquer : «  Non, il
n’y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures.
Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu’à mesure que nous
nous élevons dans la civilisation nous devons contenir dans les limites de la
justice et du droit. Mais n’essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite
de civilisation ! Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous
préconisez, c’est l’abus pur et simple de la force que donne la civilisation
scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s’approprier l’homme, le
torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu
civilisateur. Ce n’est pas le droit, c’en est la négation. Parler à ce propos de
civilisation, c’est joindre à la violence l’hypocrisie
. » (P. Péan,
Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances, Paris, Fayard,
2010,  p.140)

Fort du soutien
des grands intellectuels de l’époque (comme Victor Hugo), le
projet civilisateur
de Jules Ferry l’emportera sur le discours humaniste de
Georges Clémenceau. La démocratie du nombre l’emportera sur le bon sens de la
minorité parlementaire française.

La
France
de Sarkozy s’alignant derrière l’impérialisme intelligent US joint encore aujourd’hui la violence à l’hypocrisie tout en parlant
de la fin de la françafrique. Soit !

Georges
Clémenceau croyait dans l’élévation dans la civilisation mettant des limites de
la justice et du droit à la loi de la jungle pour la vie. L’instrumentalisation
de la justice et du droit de ses héritiers et de leurs alliés reconduit la loi
de la jungle au nom des intérêts politiques, économiques et géostratégiques
inavoués.

Si l’Afrique
veut tirer son épingle de ce jeu des dupes, elle doit, comme le disait le
président Kasa-Vubu, devenir davantage elle-même, « remettre en honneur et
cultiver les valeurs de notre propre civilisation africaine, et créer une
conscience africaine. » (Lire J. M’POYO KASA-VUBU, Et si Kennedy était mort
pour l’Afrique ? Dédicaces présidentielles de John E. Kennedy à Joseph
Kasa-Vubu
, Bruxelles, KDS Editions, 2010, p.113.) Les valeurs
de solidarité, de coopération, de collectivité et de palabre fondées sur la
sagesse devraient nous aider à rompre avec celles de concurrence et de
compétitivité  propres à la sorcellerie capitaliste.

 

J.-P.
Mbelu

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