La Réforme indispensable de lEtat congolais (BOKOMBA Kassa-Kassa)
traditionnelles négro-africaines, particulièrement chez les Bantous ;
laccès au pouvoir est soumis à des conditions qui passeraient
volontiers pour étranges, inhumaines et même sauvages aux yeux des non
avertis.
Parce quil est conçu, sur le continent
noir, comme la capacité spirituelle, intellectuelle, sociale et morale
de gérer les intérêts des membres dune communauté humaine, de fournir
des réponses à leurs interrogations et des solutions aux maux ainsi
quaux crises qui les affectent ; le pouvoir nest concédé ici quà des
personnes remplissant certaines conditions très strictes et ayant
satisfait à bien des épreuves.
En Afrique, les futurs candidats au
pouvoir subissent, en effet, des actes de mortification souvent dune
cruauté telle quils dépassent, en férocité, les peines quon inflige
aux criminels. Le but étant de sassurer que le futur chef ne trahira ni
les siens, ni leurs intérêts, ni leurs terres; quil ne dévoilera pas
un secret reçu sous la promesse du silence ; quil a compris la réalité,
la servitude et les tabous inviolables liés à lexercice du pouvoir.
A partir de ce moment, on peut vouer une
confiance absolue au chef que rien, ni la mort, ni la souffrance, ni
aucune espèce dintimidation ou de chantage ne peut contraindre à trahir
le serment prononcé lors de la séance dinitiation finale. Pratiquement
toutes les ethnies du Congo connaissent les redoutables
responsabilités, visibles et invisibles que doivent assumer les
dirigeants, mais aussi les qualités morales, la sagesse et les interdits
qui sont inséparables du pouvoir.
Nest pas dirigeant qui veut
A dire vrai, le choix des futurs dirigeants chez les Négro-africains est
programmé et connu avant même leur naissance, grâce aux oracles des
mages, aux prédictions des astrologues qui interrogent les astres, ainsi
quà linterprétation des rêves et de certains événements qui marquent
non seulement leur conception dans le sein maternel, mais aussi le jour
de leur venue au monde.
Diriger la destinée dune communauté
humaine, conduire et régenter la vie de femmes, dhommes et denfants ne
peut être laissé à une quelconque improvisation, ni dépendre des seules
qualités intellectuelles, ni se rapporter uniquement au monde visible,
ni être livré aux riches et abandonné aux puissances dargent.
Pour le Négro-africain, il existe une
part de divin en chaque être humain et donc, de spirituel et
dinvisible. Cest pourquoi, dans les sociétés traditionnelles du
continent noir, les femmes et les hommes chargés de conduire lexistence
de leurs communautés passent nécessairement par une période
dinitiation. Cest lunique porte daccès au sanctuaire où sont gardés
les secrets pour lacquisition de certaines facultés supra humaines.
Il sagit, en particulier de dons qui leur permettent de voir ce que le commun des mortels ne voit pas.
A part la clairvoyance, dautres initiés
acquièrent aussi la faculté de clairaudience pour entendre les messages
qui nous parviennent dun univers inaudible à loreille humaine
ordinaire. Dotés de telles facultés, les chefs négro-africains, quils
assument des rôles politiques ou remplissent des tâches religieuses,
peuvent ainsi servir dintermédiaires entre le monde des hommes qui est
visible et celui, invisible, des êtres desprit.
Par conséquent, le pouvoir spirituel
transcende tous les autres, quils soient de nature politique,
économique, financière ou morale.
Le sort ingrat des prophètes autochtones
A dire vrai, tous les prophètes, les vrais, à quelque race, religion,
nation ou continent quils appartiennent ; de même que les anciens
pharaons noirs appartenaient tous, sans exception, à la caste des
initiés. Il en va de même des shamans et… des sorciers. On comprend dès
lors le danger et même labsurdité dadhérer à la foi ou aux croyances
religieuses importées, provenant dautres races et nations. A contrario,
on doit sétonner du sort ingrat qui est habituellement réservé à nos
prophètes autochtones.
Pour le Congo, le cas du prophète Simon
Kimbangu, mais aussi le destin des adeptes de Kimpa Vita, des
Kitawalistes et de bien dautres courants politico-religieux illustrent
bien ce paradoxe. Ils existent, certes, mais noccupent pas la place
qui aurait dû leur revenir. Pour moi, tant que le pouvoir spirituel
dominant dans notre pays ne sera pas authentiquement congolais, le
pouvoir politique congolais dépendra toujours de loges occultes ou
dordres initiatiques étrangers, servira des intérêts allochtones et
souvent hostiles aux nôtres, éloignant du coup toute chance de
libération spirituelle, démancipation politique, de progrès social et
de développement économique.
Il ne sagit pas de renier, de rejeter
ou de condamner les religions dimportation, venues dautres continents
et fondées par dautres prophètes. Le propos ici, consiste simplement à
réajuster léchelle des priorités et à redonner aux prophètes, aux
initiés et aux fondateurs de religions nées de lhistoire et de
lunivers spirituel congolais la première place qui leur revient dans
notre société.
Dès le 30 juin 1960, les dirigeants
politiques congolais, depuis le Chef de lEtat jusquau bourgmestre
dune quelconque commune rurale, auraient dû trouver leur source
dinspiration, puiser leur force et bâtir leur puissance sur le socle de
nos valeurs spirituelles ancestrales. Il devrait, forcément, en aller
de même du pouvoir économique et financier au Congo. Ils seraient, de
la sorte, dépendants des seules autorités spirituelles nationales
congolaises, et non pas étrangères. Par conséquent, les décisions
engageant le destin du Congo et de son peuple ne leur seraient plus
imposées de lextérieur. Ainsi, conditionnés spirituellement pour le
service et le bien-être de nos populations, agissant en véritables
agents dEtat, ils pourraient, enfin, oeuvrer en faveur des seuls
intérêts du peuple congolais à qui ils accepteraient spontanément de
rendre des comptes.
Proclamer le caractère sacré de lhomme
me fait courir le risque de passer pour un bigot, un passéiste ou un
conservateur poussiéreux. En réalité, il nen est rien. A ceux qui
porteraient de tels soupçons sur ma modeste personne, je dis que je ne
renonce pas à cette théorie et que jen assume tous les risques. Pour
confondre mes éventuels détracteurs, je tiens néanmoins à leur affirmer
mon adhésion entière et totale à la thèse scientifique de
lévolutionnisme selon Charles Darwin.
Le travail inlassable de lévolutionnisme
Malheureusement, le grand savant barbu sest arrêté au règne humain ;
comme si, pour une raison inconnue, sa célèbre théorie cessait
brusquement de fonctionner à partir de lhomme. Certes, nous
représentons actuellement la crête de la pyramide des êtres vivants et
visibles sur la planète terre, mais la loi de lévolution reste toujours
opérationnelle au-delà de nous autres humains. A travers les races
humaines, au fil des siècles et des millénaires, elle travaille
inlassablement, occupée à transformer le genre humain afin de le
façonner pour de futurs destins ; oeuvrant à préparer les entités
humaines pour que, le moment venu, il puisse assumer une autre nature et
une autre identité.
Il arrivera nécessairement un âge où
lhomme, à force dévoluer conformément à la loi du darwinisme,
franchira la frontière du stade humain quil occupe actuellement pour
basculer dans le prochain règne. Cest pourquoi, je pense que lhomme,
physiquement, mentalement, moralement et surtout spirituellement,
évolue vers un statut supérieur à celui quil occupe aujourdhui et que,
dans quelques millions dannées, il deviendra à coup sûr un être plus
intelligent, doté de plus de pouvoir et donc de plus de volonté pour
lexercer. Simultanément, il manifestera plus damour. Je veux
travailler à lavènement de cet homme-là.
Le destin final de lêtre humain est
dabandonner sa condition actuelle avec ses limitations, ses pulsions
animales et ses illusions; pour accéder à un règne promis aux êtres plus
élevés, plus spirituels. Lhumanité séloignera alors définitivement
de lanimalité.
Cest la raison pour laquelle, à la
naissance des futurs chefs négro-africains, et tout au long des années
qui précèdent la cérémonie finale précédant leur accès effectif du
pouvoir, les futurs récipiendaires doivent traverser toutes sortes
dépreuves, les unes plus dures que les autres, afin de leur forger une
volonté dacier, inoxydable aux souffrances physiques et morales,
insensible aux tentations matérielles.
Aux yeux du profane, tout cela paraît cynique, gratuitement cruel, bête et méchant. Voire.
Parmi ces « tortures », lune des plus
féroces consiste à enduire le corps du futur chef de miel et à le placer
sur une fourmilière. Dévoré par les insectes, en proie à dindicibles
douleurs, lhomme apprend le silence et découvre la patience. Il sagit
de deux parmi les vertus les plus capitales dans la conduite des
destinées humaines et pour lexercice du pouvoir. Cest le bouquet
final.
Auparavant, dautres tests probatoires
lui auront enseigné le sens de la justice, de labnégation, de la
générosité, de lhospitalité, du sacrifice, du service, du partage, de
la générosité, de la sagesse et de lhumilité.
La trahison des clercs et des intellectuels
Rien de tel, depuis le 30 juin 1960, avec les ministres, les députés,
les sénateurs, les mandataires publics, les ambassadeurs, les cadres
militaires et surtout avec les Chefs dEtat congolais. Pour moi,
labsence dinitiation explique bien des actes dabomination, de
trahison, dinfamie et dignominie dont ils se sont rendu coupables.
Dans les sociétés traditionnelles négro-africaines, les chefs sont
souvent à plaindre. Par contre, depuis les indépendances africaines et
lapparition dentités étatiques dites modernes, les fonctions publiques
excitent les pires cupidités et font lobjet dune véritable guerre où
tous les coups sont permis.
La profession de guide ou de chef, quil
sagisse dun empereur, dun roi, dun Président de la république, dun
ministre ou du président directeur général dune entreprise
industrielle est un métier à haut risque. Les Négro-africains le savent
depuis des millénaires. Ils ont appris à ne pas la confier à nimporte
qui et prennent soin de sassurer, par linitiation et à travers une
longue série dépreuves physiques, mentales et morales ; que limpétrant
dispose de toutes les aptitudes requises pour assumer sa charge.
Pour quelle raison historique, morale ou politique a-t-on évacué de la direction des affaires de lEtat, dès le 1er
juillet 1960, les héritiers des anciens royaumes et empires installés
sur le territoire de lactuelle République démocratique du Congo, de
même que les autorités coutumières, les chefs traditionnels et les
propriétaires des terres qui avaient pourtant participé aux travaux de
la Table ronde de Bruxelles, à la veille de lindépendance du Congo, du
20 janvier au 20 février 1960 ? En ma connaissance, ils représentaient
les seules et vraies victimes de la politique domaniale du roi Léopold
II en 1885, à la Conférence de Berlin, 75 ans plus tôt.
La classe politique congolaise et ses
formations politiques nées, pour certaines dentre elles, lavant-veille
du 30 juin 1960, ont en réalité confisqué un pouvoir politique qui,
historiquement, naurait jamais dû leur revenir puisquelles étaient
notoirement absentes lors de la conférence internationale organisée en
février 1885 sur Wilhelmstrasse, à Berlin, lors de la reconnaissance de
lEtat indépendant du Congo, lEIC, propriété privée de lancien
monarque belge, sous légide du chancelier allemand Otto von Bismarck.
Il aura fallu un demi-siècle derrances
politiques et de tâtonnements à la recherche de solutions susceptibles
de guérir le Congo de ses maux, pour reconnaître la vanité de nos
efforts. De manière inexorable, le pays continue sa chute. Le présent
paraît compromis tandis que lavenir échappe à toute visibilité.
A la recherche dune clef égarée
Et si nous portions notre regard vers le passé, par delà les décennies
de colonisation et les siècles desclavage, pour interroger la mémoire
de nos ancêtres, pour fouiller au milieu des décombres de notre histoire
tourmentée ? Nous pourrions peut-être y découvrir la clef, quon
croyait à jamais perdue, qui permettra douvrir la porte donnant accès à
la paix des cœurs et des esprits, à la justice, au progrès social, au
développement économique, à lessor spirituel de notre peuple si fatigué
de souffrir.
Il nest même pas nécessaire daller si
loin puisquil nous suffit de baisser nos yeux pour apercevoir, assis à
nos pieds, les gardiens, longtemps réduits au silence et à un rôle
purement folklorique, de cet ordre ancien. Il sagit de nos rois,
reines, empereurs et impératrices, autorités traditionnelles et
notabilités, tous descendants autant quayants cause et ayants droits
des terres fusionnées sous la férule de lEtat indépendant du Congo,
jadis propriété privée de Léopold II et qui forment aujourdhui les
2.345.000 km² de la superficie de la République démocratique du Congo.
Les uns et les autres sont les détenteurs du seul pouvoir légitime au
Congo parce que antérieur à lentité étatique actuelle.
Le débat sur la place que les autorités
traditionnelles congolaises devaient tenir dans notre pays après le 30
juin 1960 avait été soulevé bien avant lorganisation de la table ronde
de Bruxelles. La controverse, totalement surréaliste, alimentée par des
politiciens démagogues, mit aux prises « les légitimistes » et « les
légalistes ». Les seconds, et cétait couru davance, lemportèrent.
Pour notre plus grand malheur, la question essentielle sur les
détenteurs authentiques, véritables et historiques du pouvoir dans le
nouveau Congo fut ainsi rapidement abandonnée, escamotée et étouffée
par la nouvelle classe politique. Ce faisant, nos futurs dirigeants ont
en réalité rejeté la pierre angulaire qui aurait permis dériger le
temple de lavenir dun pays à la fois stable et moderne.
Eloignés de lexercice du pouvoir dès le
30 juin 1960, écartés pendant 50 ans des responsabilités publiques à
léchelle nationale par le nouvel establishment politique, les
dirigeants traditionnels ont assisté à la descente aux enfers du Congo
indépendant, dans lattente que dans son mouvement pendulaire, le fléau
de la balance de lhistoire reviendrait un jour vers eux. Cest à
présent quasiment chose faite.
Face à léchec patent et à lincapacité
désormais avérée des pères de lindépendance, au milieu des
intellectuels désemparés et de la meute des arrivistes de tout bord, il
est temps dapprocher ceux quon a oubliés en chemin tout au long des
décennies qui viennent de sécouler, quon a écrasés sous le talon de
notre mépris et réduits à jouer des rôles dignes dun théâtre
dopérette.
Le temps de la réconciliation et le rôle de la Chambre des Chefs coutumiers
Désormais, lEtat congolais, ses ministres, ses grands commis et ses
petits agents doivent se dédouaner, faire amende honorable et tendre la
main vers les autorités traditionnelles. Lheure a sonné à lhorloge de
ces Chefs historiques du Congo afin quils deviennent non seulement des
acteurs politiques majeurs, mais aussi des interlocuteurs écoutés,
dignes et respectés sur la scène publique congolaise. Mais quelle place
leur confier, que rôle leur faire jouer, quels pouvoirs leur concéder et
quelles prérogatives doivent leur être dévolues ?
Il serait funeste, avant de répondre à
toutes ces interrogations, de considérer les détenteurs du pouvoir
traditionnel comme des quémandeurs et encore moins, comme partie
négligeable. Au demeurant, on compte dans leurs rangs de nombreux
diplômés duniversité, des juristes, des médecins et des ingénieurs. Dès
lors, cest dans le cadre de négociations et darbitrages à armes
équitables sinon égales que des réponses justes, sages et pondérées
peuvent être apportées à ces questions.
Dans un premier temps, il nous apparaît
indispensable dériger lensemble des autorités traditionnelles au rang
dune institution nationale disposant dun pouvoir et de prérogatives
politiques de très haut niveau. On pourrait ainsi leur confier les
fonctions de contrôle des actes, des arrêtés, des décrets et des
ordonnances du Chef de lEtat. Il leur incomberait ainsi la fonction et
la responsabilité dapprécier leur conformité avec les intérêts et les
exigences de légitimité des entités ethniques et tribales sur lensemble
du territoire congolais.
Après tout, pourquoi pas puisque les
femmes et les hommes qui se disent congolais dorigine sont
nécessairement et antérieurement membres de lune quelconque de ces
ethnies et tribus ? Dautre part, les terres qui forment aujourdhui la
superficie du territoire congolais furent, depuis les temps immémoriaux,
leur propriété exclusive, indivise et inaliénable jusquà la défaite
militaire que leur infligea, aux 18e et 19e siècles, la Force publique
de lEtat indépendant du Congo.
Sans vouloir chercher à récupérer la
plénitude de leurs pouvoirs politiques davant la colonisation ni la
jouissance exclusive de leurs terres, les autorités traditionnelles
devraient néanmoins sasseoir, désormais, aux premiers rangs, à côté
des autres dirigeants de lEtat congolais moderne, pour gérer ensemble
le destin de la République et la destinée de ses peuples dans une
communauté nationale qui a vaincu ses vieux démons séparatistes, qui a
tourné le dos aux forces centrifuges et qui est définitivement
réconciliée avec sa véritable histoire.
Destinée à camper au centre du cercle
formé par les autres institutions comme la présidence de la République,
le parlement, le sénat, larmée ou le conseil dEtat, lassemblée des
chefs traditionnels apportera un nouveau pilier pour léquilibre de
lensemble des pouvoirs à qui elle servira à la fois de lieu
géométrique, de source dinspiration et dultime recours pour relever
les défis, quils soient visibles ou invisibles.
Dûment dotées des pouvoirs spirituels
que leur confère linitiation, les autorités exerçant le pouvoir
coutumier savent, de science certaine, que les périls que nous
affrontons dans le monde visible puisent en réalité leur origine, et
donc leur solution, dans lunivers invisible, celui-là même qui leur est
familié.
Le secret de la remarquable stabilité
politique des royaumes comme ceux du Lesotho ou du Swaziland ainsi que
dune République comme le Bénin réside, selon notre entendement, dune
heureuse symbiose, dune coexistence apaisée, dun respect mutuel et
dun partage équitable des pouvoirs entre lEtat moderne et le pouvoir
traditionnel.
Toutes affaires cessantes, la République
démocratique du Congo doit explorer cette piste, si nous tenons à la
survie de notre pays au-delà des périls et des enjeux qui semblent
vouloir hypothéquer son existence.
Réduits à un humiliant rôle folklorique,
ravalés au rang de rois et dempereurs de cirque, ceux quon appelle
désormais, avec une pointe de mépris « les chefs coutumiers »
ne participent plus ni à la gestion, ni au partage de la moindre
parcelle de pouvoir politique de lEtat congolais indépendant. La
question de la légalité et de la légitimité du pouvoir au Congo, mais
aussi des personnes et des entités habilitées à lexercer attend
toujours dêtre posée et tranchée de manière définitive.
La clef de bien de tragédies qui ont
ensanglanté le peuple congolais depuis 1960, le mystère de nombreux
périls qui planent aujourdhui au dessus du Congo, allant jusquà
hypothéquer son existence en tant que nation se trouve dans le sort
infâmant réservé à nos « autorités traditionnelles », et dans loubli où elles sont maintenues.
Pour les dirigeants traditionnels
congolais, héritiers légitimes des droits, des terres et du pouvoir
politique légués à travers les siècles, de génération en génération ;
rien na changé, en réalité, depuis 1885, mis à part la couleur de la
peau des spoliateurs. Rien ne pourra nous empêcher de soulever ce débat
évident mais qui, jusquà présent, a été systématiquement escamoté,
échappant du coup à lattention de tous.
Deux conceptions du pouvoir
Il existe, selon mon entendement, deux différences fondamentales dans la
conception et surtout, dans la pratique du pouvoir entre les sociétés
qualifiées de traditionnelles et les pays dits civilisés et
démocratiques.
Dans le premier camp, la capacité de
diriger les communautés humaines et dassumer le pouvoir est innée,
dans ce sens que le futur chef est repéré avant sa naissance. Les
épreuves auquel il sera soumis ne servent quà confirmer ou à infirmer
cette prédestination. Dautre part, selon la conception
négro-africaine, le chef joue le rôle dintermédiaire entre les mondes
visible et invisible, entre les vivants et les morts, entre le matériel
et le spirituel.
Cest une différence fondamentale même
si, de nos jours, la fonction de médiation est laissée aux médiums.
Jadis, au dirigeant incombait la redoutable responsabilité déquilibrer
les deux univers et den harmoniser les rapports dans le plus strict
respect de la loi déquilibre qui gouverne la Nature. Nous avons
affaire ici à une vision fondamentalement spirituelle, cest-à-dire,
globalisante du pouvoir.
Par contre, les sociétés modernes, dites
démocratiques privilégient presque exclusivement le côté matérialiste
du pouvoir dont lexercice consiste essentiellement en la mise en œuvre
des forces de production destinées à créer les services et les biens
matériels, mais aussi à assurer leur distribution et à faciliter leur
consommation.
Il se fait que les modalités de
production et la clef de répartition des biens posent souvent problème,
induisent des frustrations, provoquent des déséquilibres, suscitent des
tensions et engendrent des crises sociales qui finissent par déboucher
sur des conflits armés. Cest la preuve que léquilibre entre le monde
visible et lunivers invisible a été rompu et que les principes qui
régentent la nature ont été violés. Le pouvoir, ici, est désacralisé.
La profanation du pouvoir
Quil sagisse des deux Guerres mondiales qui faillirent précipiter la fin de lhumanité durant le 20e
siècle, de la crise de la vache folle, de celle de la dioxine, du
réchauffement climatique, des gaz à effets de serre, du phénomène de
limmigration clandestine, des sans papiers ou de la crise financière
qui a ébranlé léconomie mondiale en 2009 ; tout indique en réalité un
mésusage du pouvoir, une profanation et une banalisation de ce don divin
concédé à lhumanité.
Depuis les Nations unies à New York
jusque dans lintimité des ménages et des foyers, on assiste désormais
au galvaudage du pouvoir et aux funestes conséquences de cette pratique.
Les critères du choix du secrétaire général de cette organisation
mondiale nimpliquent pas linitiation et nobéissent pas, de toute
évidence, aux préalables dhumanisme, de justice, de silence, de
patience et de sagesse comme lentend la tradition négro-africaine qui,
en matière de pouvoir, des conditions de son accès et de son exercice,
est infiniment plus qualifiée quon ne veut ladmettre. Le continent
noir na pas, en effet, abrité le premier berceau de lhumanité pour
rien. Par conséquent, il est censé posséder une durée et une somme
dexpérience sur le genre humain quaucune autre partie du monde ne peut
lui contester.
La même crise sobserve de plus en plus
au sein des couples, entre un homme et son épouse, où la tendance au
divorce se généralise, parce que le pouvoir y est mal compris et mal
assumé.
Lévidence du pouvoir surgit dès quil y
a un binôme, une paire dindividus. Cette exigence découle de la
nécessité détablir une hiérarchie entre les membres dune communauté.
Cest ici quintervient la première loi qui régente lexercice du
pouvoir au niveau de lunivers à savoir, « le premier sera le dernier et le dernier sera le premier ».
En dautres termes, le plus grand, cest-à-dire le chef, celui qui
exerce le pouvoir suprême sera le plus petit, autrement dit, le plus
humble, le plus prompt à servir, tandis que celui qui détient le moins
de pouvoir, le dernier de la communauté, sera le plus grand autrement
dit, sera électivement lobjet de la justice et de la protection du
dirigeant.
Il suffit de lire la chronique des
périodes passées et de contempler le spectacle des temps présents pour
se convaincre que nous sommes loin du compte, que le pouvoir, tel quil
aurait dû être exercé selon les lois déquilibre et dharmonie dans
lunivers est bafoué de manière systématique, que légoïsme individuel
et collectif, la recherche des honneurs et des privilèges, la
satisfaction des besoins matériels et des pulsions les plus inavouables
commandent les décisions des dirigeants. Les rois et les empereurs, les
tsars et les shahs, les guides éclairés et les timoniers, les « pères de la nation »
et les présidents de la République, les ministres et les députés
commettent ainsi de graves infractions envers le code qui régit le monde
à portée de nos sens et celui qui leur échappe.
Ne peut valablement assumer un pouvoir
quelconque, que ce soit depuis le sommet de lEmpire state building à
New York, siège de lONU ; dans le bureau dun chef dEtat, à la tête
dun ministère quelconque ou au sein dune famille que celui qui
connaît lêtre humain et qui est prêt à lui sacrifier sa vie.
Pouvoir, amour et mort
Le pouvoir est indissociable de lamour autant que de la mort, aussi
bien pour les donner que pour les recevoir. Une telle vision peut
sembler naïve, pleine de candeur et dangélisme. Cest pourtant, selon
ma modeste conception, lunique mode dexercice de cette faculté qui
puisse nous distinguer du règne animal. Autrement, en quoi serions-nous
différents du coyote, du répugnant dragon de Komodo ou du diable de
Tasmanie ?
Cest parce que des misanthropes, des
ennemis de lhomme et des personnes qui haïssent leurs semblables ont
accédé au pouvoir que lhumanité présente aujourdhui ce spectacle de
désolation, des guerres, des famines, dinjustice, des enfants qui
meurent de faim sur un hémisphère du globe terrestre tandis que sur
lautre moitié de la même planète, des adultes se demandent sils auront
le courage de continuer le régime basse calorie pour perdre leur
surcharge pondérale.
Les qualités essentielles requises pour
lexercice du pouvoir font de plus en plus défaut et la démocratie,
telle quelle est comprise et appliquée dans nos sociétés, loin
dapporter le correctif indispensable a, au contraire, contribué à
empirer la situation. Pour sen convaincre, il suffit découter les
discours des candidats au suffrage populaire et la liste des promesses
quils soumettent à leurs électeurs. Leurs programmes portent toujours
sur des questions classiques et matérielles comme laugmentation des
salaires, le plein emploi, la lutte contre la hausse des prix et
linflation, etc…
Et quand, daventure, des hommes
politiques abordent des sujets à caractère moral comme la liberté ou
légalité, cest pour les cantonner sur le plan physique grossier alors
quen réalité, il sagit de notions qui nous renvoient à des niveaux
plus élevés, plus spirituels.
Parce quil permet de modifier les
conditions de nos vies individuelles et collectives, lexercice du
pouvoir devrait sassigner pour principal dessein laccélération de
lévolution humaine et son passage au règne suivant. Dans le même temps,
il appartiendrait aux détenteurs du pouvoir de veiller à éviter
linvolution, cest-à-dire, la régression qui menace à tout moment de
nous précipiter de nouveau vers lanimalité.
Pour ce faire, le simple choix
démocratique ne suffit pas. Il na, par exemple, jamais empêché
lélection de monstres à la tête des Etats, autrement Adolphe Hitler et
bien dautres tyrans sanguinaires, les uns connus mais dautres ignorés,
nauraient jamais été portés au pouvoir.
Donc, lusage dune faculté aussi
cruciale pour nos destins devrait préalablement reposer sur linitiation
des futurs dirigeants. Et seuls ceux qui auront subi avec succès une
période probatoire pourront prétendre au redoutable honneur de mener les
hommes et de diriger nos sociétés.
A linstar des autorités traditionnelles
négro-africaines, tous ceux qui, de par le monde, accèdent aux trônes
reçoivent une initiation, si partisane, incomplète et empirique
soit-elle. Par contre, les animateurs des fonctions électives en sont
privés. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause du malaise
démocratique actuel. Et si on ne pense pas à y remédier, il ira en
saccentuant.