2001, 16 janvier Le jour où un simple "kadogo" a tué Laurent-Désiré Kabila

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Le 16 janvier 2001, le "Mzee" Laurent-Désiré Kabila est abattu par un simple soldat.

© AFP

 

Mardi 16 janvier, aux environs de 13 heures. Laurent-Désiré Kabila
travaille dans son bureau, au palais de Marbre, situé dans le quartier
huppé de Binza, sur les hauteurs de Kinshasa. Dans la  matinée, le
président congolais a accordé quelques audiences. « La routine », assure
un collaborateur. Des hommes d'affaires, quelques politiciens. Rien de
plus. À l'heure du déjeuner, il reçoit son conseiller économique, Mota,
qui doit normalement l'accompagner le lendemain à Yaoundé, où le
président prévoit de retrouver ses pairs africains et français pour le
XXIe sommet Afrique-France.

Parvenu au pouvoir en mai 1997, après avoir délogé le maréchal
Mobutu, Kabila a travaillé, dans un premier temps, au palais de la
Nation, à proximité du fleuve qui sert de frontière naturelle entre
l'ex-Zaïre et le Congo-Brazzaville. Puis, craignant de faire les frais
d'un éventuel obus tiré à partir de l'autre rive, l'ancien maquisard a
déménagé à la Cité de l'OUA. Mais, obligé de traverser tous les jours,
lors de ses déplacements, une caserne (le camp Tshashi, naguère réputé
pour avoir abrité la garde prétorienne de Mobutu), il choisira
finalement de s'installer au palais de Marbre, l'ancienne résidence des
hôtes de marque, où, pensait-il, sa sécurité serait mieux assurée.

Panique générale

Rien d'anormal donc, en ce mardi 16 janvier. Devant la porte du
bureau présidentiel, quelques militaires devisent tranquillement avec un
fonctionnaire du protocole. Peu avant 14 heures, un jeune soldat de la
garde – selon nos informations, un caporal du nom de Rachidi – arrive et
demande à aller « présenter ses civilités » au président. En d'autres
termes, il veut aller saluer Kabila. Ailleurs, pareille chose est
peut-être impensable. Ici, comme dans beaucoup d'autres pays africains,
n'importe quel quidam peut pénétrer dans le bureau présidentiel, pour
peu qu'il compte des amis ou des parents au sein de la garde ou du
protocole. « C'était un vrai foutoir autour de Kabila, raconte ainsi
Jean-Claude Vuemba, qui préside le Mouvement du peuple congolais, un
parti d'opposition. On y entre et on en sort comme on veut. Les
conseillers, les ministres, voire de simples plantons, entrent à leur
guise, interrompent de manière tonitruante les audiences pour faire
parapher des documents, pour annoncer un autre visiteur ou, simplement,
pour saluer le maître des lieux. »

Les soldats de faction devant le bureau présidentiel laissent donc
Rachidi, un kadogo, un simple soldat de base, pénétrer dans le saint des
saints. Il se dirige calmement vers Kabila, en pleine conversation avec
son conseiller, dégaine son arme et lui tire dessus. Le chef de l'État
s'écroule, atteint au cou et au bas-ventre. Mota se met à hurler pour
rameuter la garde. L'aide de camp (qui est, en même temps, le chef
d'état-major particulier du président), le colonel Eddy Kapend, un «
Katangais » formé en Angola, et quelques soldats font irruption dans le
bureau. Ils découvrent le président allongé par terre, « en plein
délire » et se vidant de son sang. À ses côtés, accroupi, le conseiller
économique essaie de le soulager par un massage. Le caporal Rachidi
tente de s'enfuir. Il est aussitôt abattu par la garde. Selon une
indiscrétion, ce jeune soldat semble avoir mal vécu l'exécution pour « 
indiscipline », quelques jours plus tôt, d'un de ses meilleurs amis,
kadogo comme lui. « C'est un soldat originaire du Kivu [flanc oriental
du pays occupé par les troupes rwandaises et ougandaises] qui a tiré sur
le président », explique pour sa part au téléphone le ministre de la
Communication, Dominique Sakombi, en affirmant tout ignorer de la
personnalité et des motivations de l'auteur de l'attentat.

Les militaires bouclent aussitôt le périmètre autour du palais de
Marbre. Dans une atmosphère de panique générale, ils font venir un
hélicoptère de l'aéroport de Ndjili pour transporter le blessé à la
clinique Ngaliema (ex-clinique Reine-Elisabeth), située dans le quartier
résidentiel de la Combe, où les médecins lui prodiguent les premiers
soins. Pendant ce temps, au palais, les politiques essaient de reprendre
la situation en main. Arrivé au pouvoir par les armes, Laurent-Désiré
Kabila avait été investi président en vertu d'un simple décret-loi pris
pour les besoins de la cause et qui ne prévoyait pas – on comprendra
aisément pourquoi – de vacance du pouvoir exécutif. En présence de ce
vide juridique, Gaëtan Kakudji, le ministre d'État chargé des Affaires
intérieures, prend les opérations en main. Dans l'ordre protocolaire, ce
cousin et proche parmi les proches de Kabila est, en effet, le numéro
deux du régime.

« Nous sommes en guerre »

Il organise donc, selon nos informations, une « réunion de crise» à
laquelle prendront part le colonel Eddy Kapend, le ministre d'État
Pierre Victor Mpoyo (l'homme de Luanda auprès de Kabila), l'ambassadeur
angolais en République démocratique du Congo (ROC), ainsi que les chefs
des détachements militaires angolais et zimbabwéens. « Le président est
en train de mourir et nous sommes en guerre, explique d'emblée Kakudji à
l'assemblée. Il sera difficile, dans ces conditions, à un civil de
faire face à la situation et de maintenir la continuité de l'État. »

Le représentant de l'Angola suggère alors au colonel Eddy Kapend de «
prendre ses responsabilités ». L'intéressé décline l'offre, craignant,
semble-t-il, de passer aux yeux de l'opinion, dans la confusion
ambiante, pour l'inspirateur du régicide. Tout au plus consent-il à
aller, après la réunion, lancer un appel au calme à la télévision et à
la radio. Il s'y rendra d'ailleurs, encadré par des soldats angolais,
pour annoncer la fermeture des frontières terrestres et de l'aéroport de
Kinshasa, l'instauration d'un couvre-feu et la mise en état d'alerte
des forces armées.

Après la renonciation de Kakudji et le « niet » du colonel Kapend, un
des participants à la réunion de crise évoque alors, comme possible «
président intérimaire », le général Denis Kalume Numbi, ministre du Plan
et de la Reconstruction nationale. Mais, après une longue discussion,
Pierre Victor Mpoyo sortira de son chapeau le nom du général-major
Joseph Kabila, resté, lui, aux côtés de son père à la clinique Ngaliema.
Outre qu'il porte le même patronyme que ce dernier, il présente
l'avantage d'être un militaire et d'incarner une certaine continuité.

Mince, fine moustache, plutôt beau gosse, timide, l'aîné des Kabila
a, selon les sources, entre 29 et 32 ans. Sa maman est une Tutsie
rwandaise, qui a vécu avec Laurent-Désiré Kabila en Tanzanie et en
Ouganda. Elle y vivrait toujours avec deux de ses filles. Kabila Junior
serait même le demi-frère (du côté de sa mère) du général James Kabare,
chef d'état-major adjoint des… Forces armées rwandaises, les FAR. Et
il serait très proche de Deogratias Bugera, ancien secrétaire général de
l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL,
opposition armée à Mobutu) et ex-ministre d'État de Kabila, qui a,
depuis, fait dissidence et rejoint la rébellion.

Kabila fils n'est pas vraiment un officier, du moins au sens
classique de la fonction. Par la volonté de son père, qui l'a récupéré
peu avant le début de la marche triomphale sur Kinshasa de l'AFDL, en
1996, il a commencé sa carrière comme « commandant ». Envoyé par la
suite en formation en Chine, il a été bombardé, à son retour, général,
nommé chef d'état-major adjoint des Forces armées congolaises (FAC),
puis, devant la multiplication des mouvements de rébellion armée,
responsable des forces terrestres. Petit détail qui a son importance, il
ne parle ni le lingala, la langue la plus utilisée à Kinshasa, ni
vraiment bien le français, et s'exprime de préférence en anglais, en
kinyarwanda et en kiswahili. « Si l'on tient compte de nos traditions
matrilinéaires, il est tutsi », relève un ancien mobutiste.

« Sa mort est sûre à 101 % »

En cet après-midi du 16 janvier, les nouvelles qui parviennent de la
clinique Ngaliema sont contradictoires. Selon la rumeur, qui court les
rues désertées de la capitale, le président serait mort, de même que son
fils, le général-major Joseph Kabila, qui tentait de le protéger. De
Tripoli, où il est en visite officielle, le ministre délégué à la
Défense, Godfroid Tchamlesso, croit même savoir que Kabila serait mort «
deux heures après avoir été blessé par l'un de ses gardes du corps ».
Il ne fournit pas pour autant de détails sur les circonstances du drame.
Pour sa part, le ministre de la Communication, Dominique Sakombi,
indique qu'il a été blessé mais reste en vie. Son collègue, le ministre
d'État Gaëtan Kakudji, y va de son couplet en affirmant, sans rire, sur
les ondes que c'est Kabila lui-même qui, peu après l'agression, a
décrété le couvre-feu et mis les troupes en état d'alerte.

La première indication sérieuse de la « mort » du Mzee (le « Vieux »)
congolais viendra d'une capitale ennemie, plus précisément de Kampala.

Les services secrets de Museveni, l'ancien parrain de Kabila,
annoncent aux agences de presse, dans l'après-midi même du mardi 16
janvier, sa mort « sûre à 101 % ». Les Ougandais prennent ainsi de
vitesse le ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, qui
confirmera plus tard, dans la soirée, la disparition du président
congolais. « Il est mort, abattu par l'un de ses gardes qui,
semble-t-il, a tiré deux balles en présence de généraux que le président
venait de limoger. » Bruxelles, on le sait, est généralement bien
informé des affaires de son ancienne colonie, jadis considérée comme une
propriété personnelle du roi des Belges. Le département d'État
américain, ajoutant à la confusion, ne confirme pas le décès, du moins
dans un premier temps, tout en le tenant « pour probable ».

Évacué vers un « pays voisin »

Kinshasa, de son côté, persiste et signe. Le président est blessé
mais bel et bien vivant. Le lendemain du drame, Sakombi admettra
néanmoins qu'il a été évacué, avec plusieurs membres de sa famille, dans
la nuit du 16 au 17 janvier, vers «  un pays voisin », en fait le
Zimbabwe, qui entretient un important corps expéditionnaire en RDC. Il
annonce, dans la foulée, la réunion d'un Conseil « extraordinaire » des
ministres à la Cité de l'OUA, pour confirmer dans ses nouvelles
fonctions le général-major Joseph Kabila. Ce dernier devient le
coordonnateur de l'action gouvernementale et le patron du haut
commandement de l'armée, autrement dit le président par intérim.
L'annonce de cet  ensemble de mesures contribue à accentuer le malaise.

L'ambassadeur de RDC à Harare, Kikaya Bin Karubi, interviendra à la
télévision pour « confirmer » que Kabila était effectivement soigné à la
base aérienne de Manyame, située près de l'aéroport de Harare, où il
était arrivé à bord de l'avion présidentiel congolais avec une partie de
sa famille : « Il se trouve dans un état critique, mais n'est pas
encore décédé. » Apprenant la nouvelle, le président zimbabwéen, Robert
Mugabe, quitte précipitamment le sommet Afrique-France de Yaoundé et
rentre au pays. Pendant ce temps, les Kinois semblent avoir
définitivement refermé la parenthèse Kabila Ier, qu'ils surnomment déjà,
dans les quartiers, le « mort-vivant» ou « le président-fantôme ».

À Yaoundé, surprise ! Dans la matinée du jeudi 18 janvier, et sans
attendre le feu vert de Kinshasa, le président togolais Gnassingbé
Eyadéma demande une minute de silence à la mémoire de son « frère et ami
Kabila ». Comme un seul bloc, toutes les délégations se lèvent, y
compris celle de la RDC. La confirmation officielle, tant attendue,
interviendra quelques heures plus tard par la voix de l'inénarrable
Sakombi, ex-chantre du mobutisme rallié à Kabila : « Le Congo est en
deuil, dira-t-il d'une voix solennelle, et le Gouvernement de salut
public a la profonde douleur et le douloureux devoir d'annoncer la mort
du président Laurent-Désiré Kabila, ce jeudi 18 janvier à 10 heures. »
Il annonce trente jours de deuil national.

Des funérailles grandioses devaient se tenir à Kinshasa, ce 23
janvier. Les Congolais ont perdu Kabila Ier. Tout indique qu'ils ne sont
pas pour autant sortis de l'ornière …

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