Les Villes Congolaises Deviennent des Grands Villages Dangereux (Mz’ee Mwembo PhD)

La majorité d’intellectuels congolais préfère travailler à
Kinshasa ou être chômeur dans une ville du pays. Ils disent : ‘Mieux vaut être
le dernier en ville plutôt que de travailler ou être le premier dans les
villages.’ Cette préférence de la vie en ville à celle du village crée l’exode
rural. Le mouvement volontaire ou forcé des habitants des villages vers les
villes est en train de produire deux phénomènes suicidaires dans notre pays: la
ruralisation des villes et la mort à
petit feu
des milieux coutumiers. Ces phénomènes peuvent un jour provoquer
l’effondrement du baobab, le Congo RDC. Peut-on dire que beaucoup d’intellectuels
congolais sont ignorants de cette situation ?

Regards Croisés a publié un rapport sur l’atelier de réflexion
sous-régional tenu à Goma en 2008, regroupant le Burundi, le Rwanda et la RD Congo. Les
participants ont examiné plusieurs points relatifs au développement et au
bien-être des habitants de pays membres. Les participants ont trouvé que le
fossé qui sépare les villes et les villages dans notre sous-région s’élargit au
jour le jour au point où les villages se vident et les villes elles-mêmes
deviennent des villages. Regards Croisés  accuse les intellectuels congolais, car ils
sont responsables de cette situation fort alarmante. Je suis inspiré de leur
article pour écrire ce petit article.

 

Sans risque de me tromper, la
majorité des intellectuels qui occupe des postes importants dans notre pays à
tous les nouveaux étaient nés et élevés aux villages. La majorité d’entre eux a
quitté les villages pour étudier dans les villes ou de grands centres.  Ceux qui sont nés en villes ont des parents
qui ont quitté leurs villages pour s’installer en ville afin que leurs enfants
aient l’occasion d’étudier. Les villages sont donc le point de départ ou la
source d’où sont venus les intellectuels ou leurs parents.

 

Une fois, les études terminées, certains occupent
des postes de commandement, ou des postes de prise de décisions et ils sont bien
rémunérés. Ces mêmes congolais ne veulent pas rentrer au village. Leurs parents
ou grands-parents qui ont consenti des sacrifices énormes pour les envoyer à
l’école croupissent dans la misère dans les villages sans hôpitaux, sans
écoles, sans accès à l’eau courante, sans habits ni habitation adéquate.

Certains congolais bien placés se contentent
d’envoyer de temps en temps un peu d’argent ou des habits. Ils préfèrent construire en Afrique du Sud ou
en occident au lieu de commencer à construire à ‘Jérusalem’, c’est-a-dire dans
leurs milieux d’origine. D’autres se décident d’amener leurs parents du village
à la ville. Mais en Afrique l’éducation de l’enfant c’est l’affaire et le
devoir de tout le village. Le village a investi dans les enfants en leur
donnant la protection, les habitudes de bonne conduite, et l’encouragement,
mais une fois en ville dans un bon poste, ces enfants ingrats oublient le
village natal et refusent de rentrer d’où ils étaient venus sous prétexte qu’il
n’y a pas de vie au village.

L’exode rural est en train de produire deux phénomènes
suicidaires de la ruralisation des villes et la mort à petit feu des milieux
coutumiers. Ces phénomènes peuvent un jour provoquer l’effondrement du baobab.
La faute incombe aux intellectuels congolais.

La Ruralisation des Villes Congolaises

Les villes du Congo reçoivent au jour le jour un
grand nombre d’habitants venant de villages. Ces citoyens viennent dans les
villes pour s’y installer, pour y vivre et y réaliser leurs rêves. Les habitants
des villages fuient le milieu traditionnel pour multiples raisons. Pour
certains ce sont ces contraintes tribales et le peu d’opportunités de s’épanouir
qui les poussent à quitter le milieu natal pour vivre dans les villes ou de
grands centres. Ces dernières années, les villages ne sont pas en sécurité.

Dans les villes, l’eau courante des robinets,
l’électricité, les marchés, les écoles, les dispensaires et les hôpitaux
attirent de nombreux citoyens des villages. Les promesses de ramener la vie aux
villages se fait toujours attendre. Une fois dans une ville, les nouveau-venus
abandonnent la langue, les coutumes, l’identité et les valeurs du village pour
éviter les railleries de citadins. Ces derniers se considèrent comme des
civilisés; ils se placent entre les muzungu
et son frère ou sa sœur qui a besoin de civilisation occidentale. L’homme ou la
femme de la ville sent une obligation de continuer l’œuvre de civilisation lui confiée
par le ‘mundele’, parti il y a
cinquante ans. Quelle fidélité au ‘maître’!

Avec un exode toujours croissant, les villes de
Kinshasa, Lubumbashi, Goma, Mbuji-Mayi, Kisangani et tant d’autres deviennent
de plus en plus volumineuses et bouillonnantes. Kinshasa est devenue une méga
ville ayant au moins sept millions d’habitants. Kinshasa, par exemple, n’a que
des structures d’accueil et les infrastructures d’un grand village, mais un
village sans âme, sans racines. Un grand
village qui grossit mais qui ne murit pas. Tous les congolais veulent habiter
Kinshasa à leurs risques et périls.

L’accroissement de la population n’est pas du
tout un progrès lorsque la qualité de la vie y est médiocre et problématique. La
population des villes augmente, mais les infrastructures se détériorent. L’eau
et l’électricité sont distribuées dans les quartiers d’habitation à tour de rôle
selon le principe connu sous le nom de délestage. Le transport en commun est
insuffisant et devient un casse-tête de chaque jour et coûteux pour la majorité
d’habitants de villes. Dans les villes congolaises, des piétons sont aussi
nombreux que dans les villages. Le logement est difficile à trouver et devient
de plus en plus cher. Une maison de deux ou trous chambres à coucher peut loger
une douzaine de personnes. Malgré toutes ces difficultés, tous les congolais
veulent habiter Kinshasa à leurs risques et périls.

La seule caractéristique qui distingue les
villes de villages de nos jours c’est l’étendue. A part quelques quartiers habités
par les privilégiés, les villes congolaises sont devenues de grands villages
avec une exception que les villages traditionnels sont encore paisibles. Dans les
villages traditionnels, le bien commun est plus important que le bien
individuel. Les vélos, les chèvres et les moutons des habitants dorment dehors
sans que le voleur ne vienne les voler. Mais dans les villes devenues de grands
villages, les portes de maisons doivent être verrouillées, cadencées. La méfiance,
l’insécurité y est toujours grandissante. Ce sentiment d’insécurité n’étonne
pas, car nos villes ressemblent aux villes occidentales dont le mode de vie
fascine et éblouit les congolais encore naïfs. Dans les villes, les voisins ne
se connaissent pas, ne se voient pas et parfois ne se parlent même pas. C’est
le chacun pour soi et Dieu pour tous.

Être Muté à l’Intérieur du Pays est une Condamnation

Lorsqu’un congolais qui habite Kinshasa,
Lubumbashi ou une ville est muté pour servir son pays à l’intérieur du pays
cela est perçu comme une punition. Ainsi certains congolais s’arrangent avec
les responsables pour rester en ville. De même certains dirigeants qui veulent
se débarrasser d’un subalterne gênant, il le menace et dit : ‘Tu
seras muté à l’intérieur ! »

A Kinshasa, les congolais qui viennent de
provinces sont considérés comme des citoyens non civilisés ou des
semi-barbares. Une fille de 18 ans née à Kinshasa refusait de recevoir les
conseils de son oncle venu du Katanga pour visiter la famille après plusieurs
années. La fille répondait à son oncle : « Vous n’avez rien à me dire, vous venez du village !»

Le Symbole de l’Arbre

Ave un exode massif qui ronge le pays de tous
les quatre coins de la nation, avec le mépris de servir les villages, le fossé
entre les villes et les villages s’agrandit au jour le jour. La vie, selon les
intellectuels, se trouve en ville. Mais ils oublient que la vie en ville
n’est qu’une illusion, une vie sans racine, sans âme, sans authenticité, une
copie en noir du blanc (Fanon).

Professeur Ki-Zerbo, expert exceptionnel en développement
endogène, et expert en histoire de l’Afrique dit que le développement d’un pays
est comparable à l’arbre. Les racines de l’arbre lui permettent de tirer dans
le sol les éléments nutritifs. Une arbre sans racines ne se développera pas et
ne résistera pas le vent et le poids posé sur lui par les oiseaux et même par
ses propres fruits. De même un pays dont les habitants n’ont pas de racines, de
traditions, de langue maternelle ou nationale ne pourra pas résister les
attaques extérieures. Disons que si l’Afrique a résisté l’esclavagisme venu des
occidentaux et des arabes, c’est grâce à ses traditions et coutumes enracinées
dans les cultures africaines, notamment la vie communale, la solidarité et le
respect de la nature. Perdre nos valeurs c’est nous exposer à l’effondrement de
notre pays surtout à cet âge ou le monde entier vient chercher la survie chez
nous.

L’arbre a des branches qui se déploient dans
l’air et se pointent à l’horizon. Un pays ne doit pas rester enraciné dans ses
coutumes et ses traditions, il doit chercher ailleurs les éléments qui lui
permettent de se développer, d’améliorer ses technologies et ainsi faire de progrès.
Les intellectuels congolais sont responsables de la ruralisation des nos
villes. Ils sont aussi responsables de la mort progressive des nos villages. La
mort de nos villages c’est aussi la mort du baob qui est le grand Congo. L’éducation
aujourd’hui doit être redéfinie. Elle doit viser à former les dirigeants
actuels et les générations à venir pour régénérer la vie dans les villages.

La survie des villages c’est la survie des
villes et par ricochet le développement du pays. Les villes se développaient en
s’approvisionnant dans les villages et non en exportant de la Zambie, de l’Afrique du Sud
ou de l’Inde ou de l’Europe ce que nous pouvons produire chez nous.

Pendant la période coloniale, les colonialistes
prenaient soin d’entretenir les villages sachant que les villages étaient leurs
sources de revenus. Bien que les colonialistes aient commencé une stratégie de
détruire les coutumes, les langues, et les traditions congolaises, ils
exerçaient quand même une autorité de l’administration belge pour que les
villages continuent de se reproduire. Les missionnaires [catholiques], les
agronomes, les agents de ‘Mbula Matadi’-L’Etat
Congolais-assuraient certains services périodiques dans les villages.

Pourquoi, les intellectuels congolais ne
peuvent-ils pas veiller à la survie des villages qui les ont vu naitre, qui les
ont vu grandir, qui les ont armés du courage et de la motivation pour
étudier ? Vraiment c’est ingrat ! C’est la ruine et l’effondrement du
pays.

Les Congolais qui Veulent Travailler dans les Villages sont Découragés

Les congolais qui veulent travailler dans les
villages sont découragés par les autorités du pays par des paiements des
salaires irréguliers, détournés, et par le manque d’investissements dans les
villages. Investir dans les villages peut décongestionner les villes. L’argent,
la sécurité, tous les biens de la nation sont concentrés à Kinshasa. Les
miettes sont envoyées dans les capitales des provinces. Le reste du pays n’est
visité que pendant les campagnes électorales pour obtenir les voix des pauvres
villageois qui sont autant naïfs que loyaux.

Que faire ?

L’expérience dans certains pays africains, tel
que la Tanzanie,
devait inspirer les autorités congolaises. Dans ces pays, les agents qui sont
envoyés en mutations reçoivent des primes régulières. Ils reçoivent aussi des
crédits pour faire les projets agricoles ou les projets d’élevage. Ainsi
faisant, l’agent en mutation non seulement sert les villages, mais aussi il
prépare son avenir et peut développer ses propres affaires au lieu de rester
dans la logique humiliant de quémandeur d’emploi perpétuel.

Tout est à refaire au Congo. Au lieu de
continuer voire amplifier les structures coloniales capitalistes dont une
poignée exploite la majorité des compatriotes, la politique du 21ème siècle
doit consister à revitaliser nos villages. Les villes congolaises ainsi que
tous les autres systèmes hérités de la colonisation honteuse ont été établis de
sorte qu’une classe composée d’un petit nombre exploite la majorité. Si les
congolais sont vraiment sincères et s’ils ont l’amour du prochain, ils doivent
se mettre ensemble pour refaire les systèmes de villes et faire une refonte de
tous les autres systèmes. Le status quo ne fait que perpétuer les injustices
sociales qui a la longue produiront une explosion difficile à contenir.
Commentaire à Mz’ee Mwembo lombem@msn.com

 

 

 

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