15.03.11 Le Potentiel – Cinq questions à Tun Musa bin Hiltam

1. Quel est, au fond, le moteur de la réussite économique de la Malaisie?

Cette réussite tient en plusieurs points. À l’indépendance, nous avions une élite de technocrates qui avait le soutien du peuple et qui était tournée vers l’avenir. Dans les pays en voie de développement, il n’est pas rare que les élites, une fois l’indépendance acquise, oublient le peuple et ne pensent que de manière égocentrique. Je suis fier de vous dire que ce comportement n’a pas existé en Malaisie. Pendant ces années, nous avons mis en place un programme économique sur le long terme grâce à l’argent provenant du caoutchouc et de l’étain. Notre pays était le premier producteur et exportateur de ces matières premières dans le monde. Dans une première étape, nous avons utilisé cet argent pour diversifier notre économie. Nous sommes devenus, par exemple, comme le sultanat de Brunei, un pays producteur de gaz, Nous ne sommes que deux en Asie du Sud-Est. Par la suite, nous avons développé le secteur de l’industrie. Pour y arriver, nous avons recherché des investisseurs avec pour leitmotiv : « Venez chez nous, ouvrez vos usines et donnez-nous du travail, rien de plus!». Les salaires étaient bas, mais la population pouvait travailler et subvenir ses besoins. Avec le temps, nous sommes devenus plus sélectifs. C’était l’étape ultime de cette vision à long terme : pouvoir produire par nous-mêmes ».

2. Comment avez-vous pu attirer des capitaux étrangers avec un système dissuasif pour les investisseurs?

C’est très simple. Pour attirer les investisseurs étrangers en Malaisie, nous avons mis en place un régime fiscal qui les exemptait d’impôts pendant une période de dix ans, Les emplois sont notre priorité absolue. J’ai été amené à diriger ta première mission de recherche d’investisseurs étrangers. Nous avons beaucoup voyagé. Nous sommes allés en Europe. Et nous avons trouvé de nombreux investisseurs qui étaient attirés par cette non-imposition.

3. Quels enseignements avez-vous tiré des crises économiques que vous avez traversées?

La première crise économique était partie d’Asie. Nous avons réussi à la contenir, car nous avons suivi notre propre route. Alors que tout le monde nous demandait d’ouvrir notre marché, nous avons préféré, au contraire, le fermer. Tout le monde nous est tombé dessus. Nous étions unanimement critiqués. Mais lorsqu’on y regarde de plus près, nous nous apercevons que nous étions les seuls à avoir fait ce qui était nécessaire. Nous avons ainsi pu survivre à ce « tremblement de terre » économique. Nous avons aussi imposé un contrôle du capital dans les entreprises. Cette prise de contrôle ne nous a pas effrayés, Tout l’argent que nous avions récolté a été réinvesti chez nous. Ces mesures ont bien sûr creusé 1e déficit. Vous utilisez l’argent que vous n’avez pas pour générer du développement, mais notre déficit n’est rien en comparaison de celui des autres pays du monde. Après ces crises, nous sommes maintenant encore meilleurs, car nous sommes préparés, et nous avons acquis suffisamment d’expérience.

4. Le pluralisme ethnique en Malaisie a-t-il joué un rôle économique important dans cette dynamique?

Historiquement, la Malaisie était un sultanat très fermé, mais le pays a dû s’ouvrir avec le temps. Les Britanniques ont amené les Indiens pour construire les routes et travailler dans les plantations; vinrent par la suite les Chinois qui travaillèrent dans les mines. Des liens commerciaux ont également existé avec l’étranger. Le monde politique a dû rapidement s’en mêler, car nous étions face à un paradoxe: les Chinois étaient riches, mais sans pouvoir politique, tandis que les Malais étaient au pouvoir, mais n’avaient pas d’argent. C’est pourquoi, un «programme» fut mis en place. C’est officiel. II peut être critiqué par certains aspects, mais il permit des échanges culturels. Nous avons appris à nous connaître. Malgré cela, nous avons toujours eu un problème radai en Malaisie. Oui, l’origine ethnique est une réalité. Les Français, les Américains, les Britanniques… doivent le prendre en considération. Dire le contraire serait un non-sens. Malais, Chinois, indiens cohabitent en Malaisie et les gens ont des préjugés.

5. Vous avez réussi à mettre en pratique une vision d’un islam moderne dans une société moderne, comment avez-vous tait?

Tout d’abord, en raison de la nature multiethnique dont je viens de parler, cela nous a poussés à apprendre à nous connaître. Les Chinois et les Malais ne sont pas stupides. Nous apprenons parce que nous sommes éduqués. L’islam est devenu, pour des raisons historiques, la religion officielle en Malaisie. Mais le gouvernement ne force personne à se convertir. Tout le monde sait que notre pays est un pays musulman. Les musulmans qui y vivent apprécient la modernisation du pays. Tout simplement parce que le gouvernement leur dit: «Arrêtez d’être heureux en vous préparant à votre prochaine vie, vivez déjà celle-ci». Si vous allez en Malaisie, le profil-type du musulman est un modéré, travaillant dur et qui est conscient de ses devoirs de citoyen. Preuve de cette ouverture d’esprit: le pouvoir des femmes.

TIREES DE AFRICAN BUSINESS

(*) Ancien vice-Premier ministre de Malaisie

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