Ladministration de la justice en RDC : un défi à relever (Norbert YAMBAYAMBA SHUKU)
Face à cette situation alarmante qui est
intervenue à la fin des années 60 et qui sest aggravée avec linstallation
dun pouvoir fortement centralisé et autoritariste dans les années 70, il a été
plusieurs fois diagnostiqué que la cause principale de la crise relève de la
privatisation des affaires publiques par lélite au pouvoir qui profitent au
maximum des ressources de lEtat dans un système dimpunité quasi-totale au
détriment des populations urbaines et rurales écartées de la gestion de la
chose publique.
Daucuns pensent que la régulation des
comportements des congolais passe par la mise en place des structures de
dissuasion telles que le Parlement, la justice, les services des renseignements
etc. pour dissuader tous les contrevenants. A ce titre, le rôle de la justice paraît primordial dans la construction
dun Etat de droit où il fait beau vivre dans un processus de responsabilité et
de solidarité intergénérationnelle.
Ce
faisant, depuis la mise en place des institutions élues démocratiquement, il n
y a pas eu des textes spécifiques qui régissent ladministration de la justice
en Province à la différence des textes antérieurs adapté à lancien contexte. A
ce jour, le Ministre Provincial de la Justice na pas un droit de regard vis-à-vis des
cours et tribunaux. La collaboration nest pas bien structurée et est teintée
dincompréhension. Labsence dune loi spécifique pour cette matière
concurrente avec le Gouvernement Central ne peut pas faire avancer la justice
dans les Provinces.
Le budget national de la justice est de 0,6 %,
incapable de couvrir les besoins de
fonctionnement. Si dans lhypothèse que le découpage se réalisait, on va passer
de 11 à 26 provinces, soit de 12 Cours dAppel à 27, de 39 Tribunaux de Grande
Instance à 145, même si actuellement 1/3
ne fonctionnent pas, de 53 Tribunaux de
Paix à 180 dont le 2/3 ne fonctionnent pas. Cette augmentation des tribunaux va
entraîner laccroissement des ressources matérielles, financières et humaines
qui tardent encore à venir. Conséquence : ladministration de la justice sera
rendue difficilement. Dabord dans les endroits où ils nexistent pas des
tribunaux et en suite par le faible taux dallocation budgétaire qui est très
maigre par rapport aux besoins en la matière.
Le Gouvernement a procédé par le recrutement denviron 1000
magistrats pour couvrir le territoire national. Ce qui est une bonne chose.
Nombreux avaient déjà rejoints leurs postes dattaches. La plupart sont encore
à Kinshasa cherchant comment rejoindre leurs nouveaux postes de travail. Ceux
qui y sont déjà, non seulement, ils sont mal logés , mal payés, mais nont pas,
ni fournitures, ni mobiliers ou meubles pour travailler. Daucuns se lamentent
que leurs salaires ne suivent pas.
Pour ceux qui
sont opérationnels, les juges et les magistrats travaillent dans des conditions
extrêmement difficiles. Leurs maigres salaires ne leur permettent pas de
boucler les deux bouts de mois et ils sont donc très vulnérables à la
corruption. Ils sont très mal équipés et la plupart dentre eux manquent même
la documentation de base sur les lois du pays. Appauvris et démoralisés, ils
ignorent les innombrables violations des droits humains, les arrestations et
détentions arbitraires, les meurtres extra-judiciaires, les tortures et autres
crimes. Lorsque certaines affaires sont réellement jugées, cest souvent de
façon expéditive avec un mépris total de la procédure, et les rapports sont
falsifiés ou les gens injustement condamnés.
Bien que
larticle 147 de la
Constitution de la République stipule que la justice est indépendante
par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif, en réalité le Ministère de la Justice dirige le secteur
judiciaire comme sil sagit dun service de son ministère. Non seulement le Ministre
nomme tous les juges et magistrats, mais il peut aussi les rétrograder, les
muter ou les renvoyer à volonté. Les ingérences de la part du Ministre, du Bureau
présidentiel ou des nombreux services de renseignements sont une monnaie
courante contre laquelle les juges et les magistrats nont aucun recours. Cette
situation à des répercussions réelles dans toutes les Provinces. Au Kasaï
Oriental par exemple, la justice est
administrée de façon aléatoire dans les Districts de Kabinda , Sankuru et à
Mbuji Mayi. On compte 6 magistrats dans la Cour dAppel de Mbuji-Mayi pour une population de
plus dun million, 3 magistrats au Tribunal de Grande Instance de Kabinda, un
magistrat au Tribunal de Grande Instance de Lusambo et un magistrat au Tribunal
de Paix de Lodja, de Mwene Ditu et de Mbujimayi. La qualité de la justice est
déplorable. La plupart des magistrats sont vieillissants, amortis, sans
motivation à lâge de la retraite et sans moyens de travail et de mobilité pour
mieux faire le travail.
Pour les ruraux , la
justice actuelle est comparable à une toile daraignée qui arrête seulement les
mouches et fait passer les oiseaux. Cest la justice du plus offrant. La
plupart des conflits constatés sur le terrain sont fonction du comportement
malveillant des agents de la justice. Les dénonciations se font sans suite. Il
y a des juges qui ont fait plus de 15 ans dans un même endroit sans être mutés.
La justice est presque absente et les gens se font eux même la justice avec
toutes les conséquences y afférentes.
Les magistrats sont très
insuffisants. Le tribunal devient ambulatoire. Ils vont dans des endroits réputés
rentables en termes des revenus où ça paye mieux. Cest le cas par exemple du
choix de Mwene Ditu par rapport à Kabinda, siège du Tribunal de Grande Instance
dans la Province
du Kasaï Oriental. La justice ne suit que là où il y a des potentiels clients
qui sont susceptibles de satisfaire les intérêts des magistrats.
Lorsque
les magistrats commettent des abus du pouvoir et si la population se plaint
auprès des autorités politiques, celles-ci, ont tendance à répondre que la
justice est indépendante de lExécutif et elles ne peuvent interférer à leur
décision. Et pourtant, le Commissaire de District ou lAdministrateur du
territoire sont chacun selon le cas, Président du Conseil de Sécurité dont
siège le Responsable de la justice. Il peut profiter pendant la réunion à
formuler des remarques aux violateurs des droits de lhomme pour que les
injustices et exactions cessent dans sa juridiction. Ce silence frise une
certaine complicité plusieurs fois dénoncée par la population.
Les
Avocats sont pour la plupart aux Chefs-lieux des Provinces. Avec le découpage,
les tribunaux de paix se retrouveront dans tous les territoires. La défense des
paisibles citoyens se fera difficilement parce que non seulement les
déplacement des avocats coûtera chers, mais aussi, ils sont très insuffisants
pour couvrir toutes les entités administratives. Ainsi les citoyens démunis ne
seront pas à mesure de supporter ce coût et leur sort est connu davance faute
de la défense.
Les
conditions darchivage des documents au niveau des palais de la justice sont
très mauvaises, à la merci de tout le monde y compris les intempéries. Les
archives disparaissent et sont généralement vendus aux petits vendeurs des ca
couettes ou des pains. Les dossiers ne sont pas enfermés. Nimporte qui peut
avoir accès et soutirer ces documents sans que personne ne puisse se rendre
compte.
Malgré
la volonté déclarée des autorités politiques, il sied de constater que
ladministration de la justice reste encore et toujours un défi à relever sans
lequel tous les slogans liés à la tolérance zéro ne pourront avoir des
répercussions dans la vie des populations congolaises. Il faut donc revisiter
la justice pour que les présomptions négatives qui pèsent sur la justice en
prévision des échéances électorales puissent être dissipées.