09.04.11 Le Climat Tempéré – Interview/Entretien avec M. François Lumumba, président du MNC/L, sur les événements dans les pays arabes

Il commence par l’Egypte, où il a fait ses études primaires et secondaires, avant de gagner l’Europe pour y suivre les études des sciences politiques et économiques. Depuis lors, François Lumuba dit avoir toujours gardé des contacts en Egypte. Il s’y rend régulièrement. Depuis 1960, François Lumumba a connu trois régimes égyptiens: Gamal Abdel Nasser, Anouar El Sadate et Hosni Moubarak. Par ailleurs, actualité de l’heure oblige, François jette aussi un regard sur un point chaud en Afrique Occidentale: la Côte d’Ivoire.

Le Climat Tempéré : Monsieur Lumumba, vous connaissez bien l’Egypte et la Tunisie. Comment interprétez-vous les derniers événements qui ont conduit au changement dans ces deux pays ?

François Lumumba : En ce qui concerne l’Egypte, après 32 ans de règne de Moubarak, le régime a été usé et il n’y avait pas de remède face à la situation sociale: le chômage, le pouvoir d’achat, la corruption. De plus, l’Egypte a perdu le leadership dans le Moyen-Orient. Pendant que l’on a constaté l’émergence des pays comme l’Iran, la Turquie…

Des pays, certes musulmans, mais non arabes. Des élites égyptiennes ont considéré cette position comme une frustration. Surtout quand on réalise que la Turquie, le Brésil, la Chine, la République Sud-Africaine, l’Inde, sont, tout d’un coup, devenus des pays émergeants et commencent à peser sur le changement planétaire. Cette mutation est en train de s’opérer sur le plan économique mondial, sur le changement climatique, diplomatique…

Pendant que l’Egypte possède toutes les infrastructures nécessaires pour atteindre le niveau des pays émergeants. Mais, l’immobilisme du régime Moubarak a paralysé l’essor du secteur socio-économique susceptible de rehausser l’Egypte au rang des pays émergeants. Bref, tous les ingrédients, toutes les conditions objectives et subjectives étaient réunies. Il fallait simplement un déclic pour souffler sur les braises pour que ça déclenche. Les événements en Tunisie étaient un exemple de mobilisation pacifique de la population jusqu’à certains leaders. Alors, certains leaders égyptiens s’en sont saisis. «Si ça a marché en Tunisie, pourquoi pas en Egypte ?», ont-ils réfléchi. Encore une fois, les nouvelles technologies (internet, facebook et d’autres moyens de communication) étaient au rendez-vous des événements historiques. Le peuple égyptien n’attendait que ça.

On redoutait l’armée et les intégristes musulmans. Comment justifier la passivité de l’institution armée ?

Tout d’abord, en Egypte, le service militaire est obligatoire. Deuxièmement, l’armée est aussi composée d’un secteur de production extrêmement important, qui pèse plusieurs milliards de dollars. Par exemple, l’armée en Egypte est trop impliquée dans le domaine des infrastructures et de logement… Donc, économiquement, elle pèse énormément en termes de création d’emplois. Vous constaterez ainsi l’interdépendance entre le peuple et l’institution armée. Il existe une sorte d’interconnexion entre les deux parties. Pour être plus clair, disons que tout le monde se retrouve. Dans chaque secteur, chaque Egyptien compte sur un ami ou un frère, à côté des militaires. L’armée a compris.

Même si des officiers ont participé à la gestion de la période de Moubarak, ils ont compris, face à des milliers et des milliers de manifestants dans tous les coins du pays, qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Ils devaient se ranger du côté du peuple. Car les aspirations du peuple sont aussi les leurs. L’armée a refusé d’intervenir. C’était le coup fatal. Si les généraux étaient intervenus, ils auraient affronté les jeunes officiers, qui n’étaient pas impliqués dans la gestion de Moubarak. Voilà pourquoi, ils se sont dédouanés.

Une parenthèse. Ce genre de mouvement peut-il inquiéter la RDC. Apparemment on s’alarme autour de la date du 24 Avril. Selon vous, le 24 avril, date de la commémoration de la journée de la démocratisation effective, en cas d’empêchement ou de débordement, cette manifestation peut-elle constituer un élément déclencheur d’un mouvement comme dans les pays arabes ?

Dans toutes les hypothèses, le pouvoir en place a intérêt à ne pas gêner l’organisation de cette manifestation, tout en faisant respecter l’ordre public. Voilà pourquoi, je demande aux organisateurs de bien encadrer les manifestants afin de ne pas donner le prétexte au pouvoir pour saboter le jour où la démocratie a été décrétée officiellement. A défaut de retenue de la part du pouvoir, le risque de dérapage peut nous amener vers l’inconnue.

Dans ce cas, quelle pourra alors être l’attitude du président américain, Barack Obama, qui vient de définir sa doctrine face à ce genre d’événement ?

Bref, on verra si le président Obama va respecter le slogan qu’il a lancé jusqu’à présent: la retenue du pouvoir face aux manifestants.

Revenons à l’Egypte. Tout le monde avait peur des intégristes musulmans…

C’est comme en RDC dans les années 1960, et avec Mobutu, qui se présentait comme le rempart de l’Occident contre le communisme. C’est la même chose pour les dictateurs des pays arabes, qui se présentent comme des boucliers face aux intégristes musulmans. Cette campagne a marché pendant des décennies. Exactement, comme chez nous, les mêmes puissances ont fermé les yeux sur le respect des droits de l’Homme, la corruption, le népotisme, la monarchie républicaine… Jusqu’à l’impasse totale, la société a été bloquée.

A défaut d’avoir la démocratie totale, ce système a également bloqué la démocratie sociale. Le peuple égyptien a compris que la démocratie devait venir par l’accession au pouvoir par les urnes, à la suite des élections libres, transparentes et équitables, par le recensement et la vérification des fichiers électoraux. Cette opération ne devra pas souffrir d’équivoque. La population a considéré cet argument comme sa raison de combat. Et les intégristes musulmans ont réalisé que par la voie démocratique, ils peuvent arriver au changement.

Comme en Turquie où le courant réformateur est en train d’imposer sa vision. Imaginons que les intégristes musulmans appliquent leur ancien programme en interdisant, par exemple, le tourisme, qui représente plus ou moins 10% du produit national brut de l’Egypte. Que de pertes d’emplois et de manque à gagner ? Quand la population, qui en souffre, constate ces pratiques rétrogrades dans certaines régions, elle réfléchit deux fois. Car, ils sont nombreux, qui pensent que la religion est une affaire de l’individu et non une affaire d’Etat.

Vous donnez au courant islamique moderne plus de chance que d’autres ?

A l’heure actuelle, ce courant réunit plus de chance pour arriver au pouvoir par la voie démocratique, s’il brandit son programme réformiste.

Et les autres forces ?

Elles sont en retard sur le plan organisationnel. Elles éprouvent un déficit pour la formulation de leur programme socio-économique afin de montrer leur différence avec les réformistes musulmans. Elles connaissent une crise de leadership susceptible de capter l’aspiration profonde de la population pour une Egypte-leader du « Proche-Orient», une Egypte avec une armée qui peut protéger le monde arabe, surtout pour l’Orient.

Un leader qui arrive à clarifier sa position vis-à-vis d’Israël. Surtout, en ce qui concerne l’accord de Camp David, de nombreuses dispositions sont devenues obsolètes. Au plan économique et social, l’ambition de l’Egypte est d’avoir un programme, qui puisse lui permettre de rattraper au plus vite les pays émergeants et d’améliorer le vécu quotidien de la population par le pouvoir d’achat, la création des emplois et l’octroi des salaires décents. Et voilà, la face de l’aspiration de l’Egypte profonde.

Quels sont vos projections pour les élections futures en Egypte ?

Je ne suis pas Madame Soleil.

D’autres points qui intéressent l’Afrique: la Libye, la Côte d’Ivoire et les rapports entre les deux Congo.

En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, nous sommes tous en train de suivre cette situation dramatique. Peu importe l’issue. Je m’interroge sur certains aspects dialectiques auxquels je n’ai pas de réponse. On connaît les circonstances de l’accession de Laurent Gbagbo au pouvoir. Celui-ci a passé tous ses dix ans de pouvoir à manœuvrer, à négocier avec ses adversaires et il a réussi à résister. Car, il a montré ses capacités manœuvrières. Il y a un autre aspect à ajouter à ces éléments: l’environnement extérieur.

Il est clair que les ex-colonisateurs n’ont jamais accepté l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir pour plusieurs raisons. Je m’abstiens d’entrer dans les détails là-dessus. Ensuite, il y a eu le coup d’Etat, qui a porté Robert Gueï au pouvoir, puis le coup des Forces Nouvelles, jusqu’à la nomination de Guillaume Sorro en qualité de Premier ministre. Pendant ce temps, il s’est arrangé avec ses adversaires, qui l’ont reconnu. Il a continué de se cabrer. Et il y a eu blocage. La voie, qui est restée: les élections.

Un autre coup fatal pour lui: il n’a pas pu mettre Konan Bédié de son côté. Or, le ticket Bédié-Gbagbo était plus créatif pour lui que Ouattara-Bédié au vu de leur passé. C’était une erreur d’appréciation. L’histoire nous en dira beaucoup. En constatant les pressions diplomatiques et militaires, qui étaient exercées sur lui, Laurent Gbagbo n’a pas pu élaborer une stratégie de repli. A défaut d’avoir d’autres stratégies et des moyens de résistance…

Si vous étiez le conseiller de Laurent Gbagbo…

Probablement, j’utilise bien le mot, j’allais explorer la possibilité d’un gouvernement d’union, qui a été proposé par l’Union Africaine. Là, il devait rentrer dans le jeu qu’il maîtrise bien : les négociations, les manœuvres… Jusqu’à nouvel ordre.

parJose B.le 08/04/2011
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