09.04.11 Le Climat Tempéré – Interview/Entretien avec M. François Lumumba, président du MNC/L, sur les événements dans les pays arabes
Le Climat Tempéré : Monsieur Lumumba, vous connaissez bien lEgypte et la Tunisie. Comment interprétez-vous les derniers événements qui ont conduit au changement dans ces deux pays ?
François Lumumba : En ce qui concerne lEgypte, après 32 ans de règne de Moubarak, le régime a été usé et il ny avait pas de remède face à la situation sociale: le chômage, le pouvoir dachat, la corruption. De plus, lEgypte a perdu le leadership dans le Moyen-Orient. Pendant que lon a constaté lémergence des pays comme lIran, la Turquie…
Des pays, certes musulmans, mais non arabes. Des élites égyptiennes ont considéré cette position comme une frustration. Surtout quand on réalise que la Turquie, le Brésil, la Chine, la République Sud-Africaine, lInde, sont, tout dun coup, devenus des pays émergeants et commencent à peser sur le changement planétaire. Cette mutation est en train de sopérer sur le plan économique mondial, sur le changement climatique, diplomatique…
Pendant que lEgypte possède toutes les infrastructures nécessaires pour atteindre le niveau des pays émergeants. Mais, limmobilisme du régime Moubarak a paralysé lessor du secteur socio-économique susceptible de rehausser lEgypte au rang des pays émergeants. Bref, tous les ingrédients, toutes les conditions objectives et subjectives étaient réunies. Il fallait simplement un déclic pour souffler sur les braises pour que ça déclenche. Les événements en Tunisie étaient un exemple de mobilisation pacifique de la population jusquà certains leaders. Alors, certains leaders égyptiens sen sont saisis. «Si ça a marché en Tunisie, pourquoi pas en Egypte ?», ont-ils réfléchi. Encore une fois, les nouvelles technologies (internet, facebook et dautres moyens de communication) étaient au rendez-vous des événements historiques. Le peuple égyptien nattendait que ça.
On redoutait larmée et les intégristes musulmans. Comment justifier la passivité de linstitution armée ?
Tout dabord, en Egypte, le service militaire est obligatoire. Deuxièmement, larmée est aussi composée dun secteur de production extrêmement important, qui pèse plusieurs milliards de dollars. Par exemple, larmée en Egypte est trop impliquée dans le domaine des infrastructures et de logement… Donc, économiquement, elle pèse énormément en termes de création demplois. Vous constaterez ainsi linterdépendance entre le peuple et linstitution armée. Il existe une sorte dinterconnexion entre les deux parties. Pour être plus clair, disons que tout le monde se retrouve. Dans chaque secteur, chaque Egyptien compte sur un ami ou un frère, à côté des militaires. Larmée a compris.
Même si des officiers ont participé à la gestion de la période de Moubarak, ils ont compris, face à des milliers et des milliers de manifestants dans tous les coins du pays, quils navaient pas dautre choix. Ils devaient se ranger du côté du peuple. Car les aspirations du peuple sont aussi les leurs. Larmée a refusé dintervenir. Cétait le coup fatal. Si les généraux étaient intervenus, ils auraient affronté les jeunes officiers, qui nétaient pas impliqués dans la gestion de Moubarak. Voilà pourquoi, ils se sont dédouanés.
Une parenthèse. Ce genre de mouvement peut-il inquiéter la RDC. Apparemment on salarme autour de la date du 24 Avril. Selon vous, le 24 avril, date de la commémoration de la journée de la démocratisation effective, en cas dempêchement ou de débordement, cette manifestation peut-elle constituer un élément déclencheur dun mouvement comme dans les pays arabes ?
Dans toutes les hypothèses, le pouvoir en place a intérêt à ne pas gêner lorganisation de cette manifestation, tout en faisant respecter lordre public. Voilà pourquoi, je demande aux organisateurs de bien encadrer les manifestants afin de ne pas donner le prétexte au pouvoir pour saboter le jour où la démocratie a été décrétée officiellement. A défaut de retenue de la part du pouvoir, le risque de dérapage peut nous amener vers linconnue.
Dans ce cas, quelle pourra alors être lattitude du président américain, Barack Obama, qui vient de définir sa doctrine face à ce genre dévénement ?
Bref, on verra si le président Obama va respecter le slogan quil a lancé jusquà présent: la retenue du pouvoir face aux manifestants.
Revenons à lEgypte. Tout le monde avait peur des intégristes musulmans…
Cest comme en RDC dans les années 1960, et avec Mobutu, qui se présentait comme le rempart de lOccident contre le communisme. Cest la même chose pour les dictateurs des pays arabes, qui se présentent comme des boucliers face aux intégristes musulmans. Cette campagne a marché pendant des décennies. Exactement, comme chez nous, les mêmes puissances ont fermé les yeux sur le respect des droits de lHomme, la corruption, le népotisme, la monarchie républicaine… Jusquà limpasse totale, la société a été bloquée.
A défaut davoir la démocratie totale, ce système a également bloqué la démocratie sociale. Le peuple égyptien a compris que la démocratie devait venir par laccession au pouvoir par les urnes, à la suite des élections libres, transparentes et équitables, par le recensement et la vérification des fichiers électoraux. Cette opération ne devra pas souffrir déquivoque. La population a considéré cet argument comme sa raison de combat. Et les intégristes musulmans ont réalisé que par la voie démocratique, ils peuvent arriver au changement.
Comme en Turquie où le courant réformateur est en train dimposer sa vision. Imaginons que les intégristes musulmans appliquent leur ancien programme en interdisant, par exemple, le tourisme, qui représente plus ou moins 10% du produit national brut de lEgypte. Que de pertes demplois et de manque à gagner ? Quand la population, qui en souffre, constate ces pratiques rétrogrades dans certaines régions, elle réfléchit deux fois. Car, ils sont nombreux, qui pensent que la religion est une affaire de lindividu et non une affaire dEtat.
Vous donnez au courant islamique moderne plus de chance que dautres ?
A lheure actuelle, ce courant réunit plus de chance pour arriver au pouvoir par la voie démocratique, sil brandit son programme réformiste.
Et les autres forces ?
Elles sont en retard sur le plan organisationnel. Elles éprouvent un déficit pour la formulation de leur programme socio-économique afin de montrer leur différence avec les réformistes musulmans. Elles connaissent une crise de leadership susceptible de capter laspiration profonde de la population pour une Egypte-leader du « Proche-Orient», une Egypte avec une armée qui peut protéger le monde arabe, surtout pour lOrient.
Un leader qui arrive à clarifier sa position vis-à-vis dIsraël. Surtout, en ce qui concerne laccord de Camp David, de nombreuses dispositions sont devenues obsolètes. Au plan économique et social, lambition de lEgypte est davoir un programme, qui puisse lui permettre de rattraper au plus vite les pays émergeants et daméliorer le vécu quotidien de la population par le pouvoir dachat, la création des emplois et loctroi des salaires décents. Et voilà, la face de laspiration de lEgypte profonde.
Quels sont vos projections pour les élections futures en Egypte ?
Je ne suis pas Madame Soleil.
Dautres points qui intéressent lAfrique: la Libye, la Côte dIvoire et les rapports entre les deux Congo.
En ce qui concerne la Côte dIvoire, nous sommes tous en train de suivre cette situation dramatique. Peu importe lissue. Je minterroge sur certains aspects dialectiques auxquels je nai pas de réponse. On connaît les circonstances de laccession de Laurent Gbagbo au pouvoir. Celui-ci a passé tous ses dix ans de pouvoir à manœuvrer, à négocier avec ses adversaires et il a réussi à résister. Car, il a montré ses capacités manœuvrières. Il y a un autre aspect à ajouter à ces éléments: lenvironnement extérieur.
Il est clair que les ex-colonisateurs nont jamais accepté larrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir pour plusieurs raisons. Je mabstiens dentrer dans les détails là-dessus. Ensuite, il y a eu le coup dEtat, qui a porté Robert Gueï au pouvoir, puis le coup des Forces Nouvelles, jusquà la nomination de Guillaume Sorro en qualité de Premier ministre. Pendant ce temps, il sest arrangé avec ses adversaires, qui lont reconnu. Il a continué de se cabrer. Et il y a eu blocage. La voie, qui est restée: les élections.
Un autre coup fatal pour lui: il na pas pu mettre Konan Bédié de son côté. Or, le ticket Bédié-Gbagbo était plus créatif pour lui que Ouattara-Bédié au vu de leur passé. Cétait une erreur dappréciation. Lhistoire nous en dira beaucoup. En constatant les pressions diplomatiques et militaires, qui étaient exercées sur lui, Laurent Gbagbo na pas pu élaborer une stratégie de repli. A défaut davoir dautres stratégies et des moyens de résistance…
Si vous étiez le conseiller de Laurent Gbagbo…
Probablement, jutilise bien le mot, jallais explorer la possibilité dun gouvernement dunion, qui a été proposé par lUnion Africaine. Là, il devait rentrer dans le jeu quil maîtrise bien : les négociations, les manœuvres… Jusquà nouvel ordre.
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