16.04.11 Élections présidentielles en RD Congo : un double enjeu (REMY K. KATSHINGU)
À moins dun revirement inattendu, les Congolais seront appelés aux urnes en novembre prochain. Quelle quen soit lissue, lenjeu de ce scrutin est à la mesure des attentes dune population forte de 68 millions dhabitants dont 51 millions sont quotidiennement confrontés aux affres de la faim et de la misère. En faisant lhypothèse que léquipe élue soit profondément motivée par lintérêt collectif et non privé (enrichissement personnel) et dans la conjecture la plus heureuse et souhaitable de la non « ivoirisation » du climat postélectoral, quels seront les choix économiques et institutionnels à faire pour mieux combler les besoins de la population ?
En observant la scène politique préélectorale en RDC et lagitation manifeste de la « communauté internationale » entourant léchéance électorale, on peut penser que laprès élection sera encore beaucoup plus déterminant que le scrutin lui-même, tant les questions socioéconomiques semblent reléguées loin derrière les enchères purement politiciennes.
Et pourtant, ce ne sont pas les arguments qui manquent, tant du côté de léquipe sortante tenue par le tandem Kabila-Mozito que dans celui de lopposition, qui cherche à se cristalliser autour de la figure emblématique de Tshisekedi.
Par exemple, léquipe sortante pourrait soutenir quau chapitre économique, elle a réussi là où tous les gouvernements précédents ont échoué : la stabilisation du cadre macroéconomique. Un exploit qui a remis le Congo sur le chemin de la croissance. En effet, entre 2004 et 2008, léconomie congolaise aurait enregistré un taux de croissance du PIB réel de lordre de 5,7% en moyenne, une performance remarquable si on compare ce chiffre aux taux négatifs et à létat piteux de léconomie durant les décennies précédentes. De plus, après un repli de 3,9% en 2009, les projectionnistes du FMI entrevoient une poussée de la production réelle de 6,1 – 6,9% pour 2010 – 2011, et même de 10,6 – 8,7% si lon inclut la rente pétrolière. Avec un taux dinflation révisé à 9,8% en 2010, il faut remonter bien loin dans le temps pour retrouver pareille prouesse.
En revanche, lopposition pourrait objecter quil ne sagit là que dune série de « bons » chiffres au contenu quasi nul : une performance économique se mesure à laune de lamélioration des conditions de vie des populations. Entre 2004 et 2008, laccroissement moyen du revenu réel par habitant na été que de 1,4%, un chiffre qui est loin de soustraire les 3/4 des congolais de la sous-alimentation, de la sous-scolarisation et de la sous-médication.
De plus, au chapitre de la gouvernance économique, contrairement au satisfecit affiché par les experts du FMI, le classement 2011 de Heritage Fondation et du Wall Street Journal place la RDC à la 174ème position sur 179 pays avec un score de 40.7 à lindice de liberté économique, qui englobe la gestion des dépenses publiques, la facilité dentreprendre ou la flexibilité du marché du travail.
Mais dans un pays où les gens élisent leurs représentants non pas sur base dun projet de société et encore moins de lidéologie économique (libérale ou social-démocrate) du parti, il nen demeure pas moins que les enjeux liés aux choix économiques et institutionnels postélectoraux couvent des risques élevés que seule une élite probe et nantie dun sens profond de lÉtat peut arriver à évaluer afin de mieux préparer les conditions de décollage économique.
Au plan macroéconomique, il sera impératif, à court terme, dopter pour une politique visant à préserver le juste équilibre entre, dune part, la nécessité de soutenir et détirer dans le temps le rythme de croissance appréhendé et, dautre part, celle de restaurer léquilibre budgétaire qui, probablement, aurait été fragilisé par le relâchement de la politique monétaire à des fins purement pré- et post électoralistes comme on la observé lors des élections de 2006. En plus de cette menace, la hausse historique des cours mondiaux des produits alimentaires de consommation courante et ceux des produits énergétiques ouvre une brèche doù pourrait se profiler une hyperinflation aux effets dévastateurs, au risque deffacer les gains de stabilisation des équilibres intérieurs et extérieurs obtenus au prix dénormes sacrifices.
À court terme, la stabilisation du cadre budgétaire et financier est sans doute un des facteurs facilitateurs de la croissance, mais face à lamplitude de la paupérisation de la population congolaise, il faut réunir et raviver les conditions dune croissance soutenue à long terme. Or une telle croissance nest possible que grâce aux effets combinés de linvestissement et de la productivité du travail dans les petites et moyennes entreprises manufacturières et agricoles, aptes à donner un emploi rémunéré à des millions des chômeurs urbains et de garantir aux paysans des revenus réguliers.
Au Congo, ces unités productives ont été, comme dans un tsunami, rasées du paysage économique dans les années 70 suite aux mesures de « zaïrianisation-radicalisation » initiées par Mobutu. Confrontés à linsécurité et à labsence de confiance, les « entrepreneurs » locaux et étrangers orienteront désormais leurs ressources plutôt vers les activités spéculatives (extraction et commerce des minerais) que productives. Le processus de désindustrialisation du pays et la chute du taux daccumulation trouvent leur origine dans cette bévue.
La restauration du cadre institutionnel, cest-à-dire les règles et normes sociales formelles et informelles censées assurer la confiance, la coordination dans les mécanismes dallocation des ressources, de production et déchange entre les acteurs économiques devrait inverser cette tendance. Elle devrait également inciter le gouvernement à investir dans linfrastructure, la santé et léducation les revenus tirés de lexploitation et de lexportation des ressources énergétiques et minières ainsi que les économies réalisées dans le cadre de lI-PPTE.
Lenjeu est donc double : économique et institutionnel. Lamélioration des conditions de vie des Congolais passe par une croissance soutenue minimale de 7%, susceptible de venir à bout dune pression démographique annuelle de 3%; mais aussi par des institutions pro-développement pour vaincre la dynamique corruption-prédation qui empêche les mécanismes de création de richesses et de redistribution dagir équitablement.
REMY K. KATSHINGU
Professeur déconomie au Collège de Saint-Jérôme, Canada. Publié avec la collaboration de unmondelibre.org
© Le Potentiel, 16.04.11