21.05.11 RDC : Les Obstacles à lever lors des échéances électorales
Voici la synthèse de la Journée de Réflexion « RDC : Les Obstacles à lever lors des échéances électorales » organisée le 17 mai 2011 par les Jeunes membres du RESEAU GENRE ET ELECTIONS du Quartier NDENDERE, Commune dIBANDA à Bukavu, en Province du SUD KIVU , RDCONGO.
A la veille de la fin de lactuelle législature en RDC et des prochaines élections prévues pour la fin de lannée en cours, toutes les organisations de la société civile congolaise sont appelées à réfléchir sur la contribution concrète quelles ont à apporter à la préparation et lorganisation de cette échéance, de manière à en assurer le caractère libre, démocratique et transparente.
Conformément aux exigences et aux implications de sa mission essentielle et spécifique dévangélisation, la société civile se doit, dans un souci patriotique et non dambition politique, de sengager à participer à la préparation, au bon déroulement et à lissue heureuse de ce processus électoral.
Cest donc par les élections que le peuple exerce et exprime sa souveraineté première et sa volonté comme fondement de lautorité des pouvoirs publics. En choisissant ses dirigeants, le peuple leur confère la légitimité, sans se départir lui-même de ses droits et de ses prérogatives comme souverain premier. Les dirigeants choisis demeurent donc comptables devant le peuple dont ils sont les représentants et les mandataires. Ce peuple garde, à tout moment et selon les règles convenues, le droit de les soumettre au contrôle, à la reddition des comptes et à la sanction. (….)
A la fin de cette journée, nous avons tendu notre micro à JEAN BERNARD MUNZIHIRWA, Modérateur du Réseau.
Laurent : Bonjour Jean Bernard.
Jean Bernard(JB): Bonjour monsieur le Journaliste.
Laurent : Selon vous quels sont les obstacles à lever lors des élections libres, démocratiques et transparentes en RDCONGO ?
JB: De nombreux obstacles sont à lever en RDC pour arriver à assurer de manière satisfaisante lorganisation des élections libres, démocratiques et transparentes. Certains dentre eux ne pourront être contournés ou surmontés. Il nen demeure pas moins quil faille en prendre conscience afin dessayer de les gérer autant que faire ce peut afin dassurer au scrutin le minimum de conditions indispensables pour sa transparence et sa fiabilité. De ces obstacles, nous relevons les plus importants en RDC.
Laurent : Lesquels
JB : Dabord, la « particratisation » de la vie politique. Par ce néologisme « particratisation » nous entendons et visons à décrire trois phénomènes :
– Dabord le phénomène observable depuis la fin du monopartisme le 24 avril 1990, de la prolifération des partis politiques que nous qualifions de « coquilles vides » ou « alimentaires ». Il sagit de partis artificiels, sans base conséquente, comptant moins de quelques centaines de membres, sans projet de société précis et particulier, rigoureusement pensé en fonction de la situation et des besoins réels du pays, et donc incapables dorganiser un quelconque débat politique qui serait dailleurs sans objet. Ces partis, sans membres effectifs en nombre significatif, réduits à un directoire composé dun club familial ou de copains, se réunissent, chacun autour de son initiateur autocratique, qui se sert de lagrément juridique souvent monnayé, pour aller négocier des postes politiques dans les officines et les conciliabules parallèles aux institutions officielles. Ces officines sont gérés par des leaders de lombre, souvent créés et entretenus par le pouvoir en place pour fragiliser les factions politiques rivales par le débauchage des personnalités émergentes et influentes qui en sont issues . Tenez ! Les élections de 2006 ont connu la participation de 267 partis politiques et le ministère de la justice a récemment annoncé lexistence de 383 partis officiellement enregistrés et reconnus. En principe, ces 383 partis politiques sont censés présenter des projets de société différents. Comment les électeurs peuvent-ils opérer le discernement nécessaire dans une telle pléthore de propositions et les distinguer les unes des autres en vue dun choix judicieux ? Ne serait-il pas plus rationnel, logique et pratique dédicter une loi obligeant les partis politiques ayant des projets de société globalement similaires, de se regrouper sous un seul et même label et de limiter leur nombre à une dizaine au maximum ? Plus de 90% de ces partis nont pas dimplantation nationale, et disposent, comme sièges, des mallettes de leurs initiateurs. Dans ces conditions comment éviter que les élections virent à un mimétisme collectif irresponsable et finalement stupide, qui na de démocratique que le nom et qui ne répond et ne correspond pas aux standards et aux normes régissant toute vraie démocratie !
– Par le vocable « particratie » nous entendons et visons ensuite, le fait que lespace politique est occupé par les partis politiques, alors que la grande majorité de la population des électeurs congolais ne milite au sein daucun deux et quelle appartient à la société civile organisée ou non organisée politiquement. Lorsque les partis politiques tiennent des meetings, cest à peine quils rassemblent un pour cent de la population des électeurs. Bien plus, ces partis politiques nont aucun programme déducation civique ou de débat politique et ne se manifestent quau moment des élections. A défaut de projet de société adéquat, ces partis fonctionnent sur base du tribalisme, du régionalisme, de discours politiciens démagogiques centrés sur les frustrations ou les intérêts immédiats locaux, et, surtout, de la corruption des consciences et de pots de vins. Pour réunir des assemblées, les leaders politiques distribuent des dons en nature et quelques fois en espèce, ou alors, offrent des loisirs gratuits accompagnés de musique, de danse et de boissons. Pour le reste, les leaders politiques monologuent… La classe politique en RDC tend à disqualifier la société civile comme actrice politique et à linstrumentaliser à son profit.
– Par le vocable « particratie » nous entendons et visons, enfin, le culte de la personnalité qui fait des partis politiques des organisations à caractère individuel, dictatorial et à pensée unique. Les chefs des partis politiques se comportent comme des gourous despotiques et autocrates auxquels les partisans doivent allégeance et soumission intellectuelle. Multipartisme ne rime pas avec pluralisme idéologique, ni avec un débat politique contradictoire autour de projets de société en compétition. Il se réduit à la rivalité des « egos » au sein des partis et dune classe politique alimentaire aux reflexes dictatoriaux et aux ambitions égoïstes surdéterminées par la boulimie du pouvoir et des privilèges sociaux, matériels et financiers y afférents et dérogatoires au droit commun. Les partis semblent personnalisés au point de se confondre avec leurs initiateurs. En labsence de ces derniers, aucun mécanisme nest prévu pour les remplacer ou de les représenter pour poursuivre le projet de société ou le programme politique commun. Or le sort du pays et du peuple ne peut se confondre ou se réduire à celui dun individu. En effet, les individus passent, tandis que le peuple et le pays demeurent. Un vrai homme politique cest quelquun qui se pense, se situe et se projette dans un au-delà de lui-même, au service dun idéal, dune cause et dune vision qui le dépassent.
Laurent : La misère populaire et lignorance sont-ils parmi les obstacles des bonnes élections en RDCONGO ?
JB : La misère populaire et lignorance aggravée par lanalphabétisme. Voilà un deuxième obstacle pendant les échéances électorales dans notre pays. C'est-à-dire, la démocratie, à linstar de la stabilité politique, na pas de pires ennemies que la misère populaire et lignorance qui, en RDC, se traduit à un taux fort élevé danalphabètes. On ne peut pas demander à une population affamée de réfléchir et de débattre sur un quelconque projet de société. Bien plus, la précarité nexpose souvent le peuple à la vulnérabilité morale et à la corruptibilité.
Laurent : Dans ce cas despèce, quest-ce quil faut ?
JB : Il faut, en effet, un minimum de bien être matériel pour pratiquer la vertu et sintéresser aux valeurs sociétales.
Laurent : Linsécurité à lest de la RDC est-elle un obstacle pour un bon déroulement des élections dans cette partie du Pays ?
JB : Tout à fait…… la persistance de linsécurité à lEst de la RDC demeure une réalité susceptible de dérégler, par endroit, le mécanisme du processus électoral.
Laurent : Vous venez de donner un troisième obstacle, que pourrait être un quatrième obstacle pour ces élections en RDCONGO ?
JB : La corruption et limpunité généralisées. Dans un pays où tout, y compris les consciences, sont achetables et à vil prix, et ce, même des institutions publiques, comment les élections pourraient-elles échapper à la règle? Comment endiguer la tricherie, la manipulation des électeurs et la démagogie, dans un pays où la corruption et limpunité persistent. Depuis linstauration, par le dialogue intercongolais, de la pratique antidémocratique de la prime au crime et à la violence comme moyens daccéder au partage du pouvoir politique, tout repère moral a disparu de lespace politique congolais et des mœurs publiques. Labsence dun mécanisme légal de réglementation et de contrôle du financement des partis et des campagnes électorales, ouvre la voie aux inégalités et à la tentation, pour les détenteurs du pouvoir, dutiliser les moyens publics, et même le budget de lEtat, au profit de leur camp politique.
Laurent : En 2006, il ny avait pas délections locales ou municipales….Une bonne gouvernance ou une anti constitutionnalité ? Pour vous, un obstacle ou pas ?
JB : Un cinquième obstacle volontairement institutionnalisé….. Le non organisation des élections locales et communales qui devaient parachever le processus électoral de 2006, a entraîné la nomination prohibée des autorités politico administratives de ces niveaux. La désignation effectuée de manière anticonstitutionnelle de ces autorités ; alors quelles auraient dû être élues, risque de mettre à mal le caractère apolitique de ladministration publique et de perturber la transparence, la liberté et légalité des chances indispensables à léquité dans le déroulement des prochaines élections.
Laurent : Monsieur JB, y a-t-il recensement de la population avant les élections en RDCONGO ? Que peuvent occasionner des simples enrôlements ou inscriptions des électeurs ?
JB : Pour moi cest un sixième obstacle à épingler lors échéances électorales en RDCONGO. Labsence dun recensement mis à jour de la population et de lidentification des nationaux prêtent le flanc à la fraude et, partant, à la contestation et aux conflits post électoraux. Dautre part, faute des statistiques démographiques fiables, on ne saura jamais prendre la mesure exacte de labstentionnisme qui comporte toujours un message et une signification politiques.
Laurent : pensez-vous que la Commission Electorale Nationale Indépendante(CENI) serait-elle « LEglise au milieu du village » avec toute sa crédibilité ? La Société Civile dont vous êtes membre est-elle membre du Bureau Nationale de la CENI ?
JB : Un septième obstacle à ne pas négliger pendant les élections en RDCONGO. Les critères légaux de la composition de la CENI risquent de mettre à mal son indépendance et sa crédibilité, si ce nest pas encore le cas. Après avoir écarté la société civile de toute présence au sein de la CENI, la loi a prévu la désignation des membres de cet organe sur base du choix de la majorité et de lopposition à raison de quatre membres pour la première et de trois pour lopposition. Cela a hypothéqué non seulement lindépendance et donc la fiabilité de la CENI mais encore son caractère impartial et sa neutralité. Lhistoire du pays démontre, que même les trois membres de lOpposition pourraient être un jour de la Majorité par contrainte(…).
Laurent : En cas de divergence et de vote au sein de la CENI, qui y aurait-il ?
JB : Les membres désignés par la majorité au pouvoir lemporteront toujours. Or la Société Civile pourrait départager en cas de vote ou de divergence.
Laurent : Le 24 avril 2011 ; Onzième anniversaire du multipartisme en RDCONGO. Les Partis politiques de lopposition ont-ils vraiment accès aux médias en cette période préélectorale ? Pour vous un autre obstacle….
JB : Un sérieux obstacle. A voir clair et entendre vrai les partis politiques sont muselés. Les intimidations des partis politiques de lopposition et laccès inégal aux médias pour la campagne électoral, outre quils portent atteinte à la liberté dexpression et à légalité des chances dans la compétition électorale, constitue une violation de la constitution.
Laurent : La CENI a réellement du temps pour préparer les élections en cours ?
JB : Déjà elle accuse un retard selon la Constitution de 2006. Le retard accusé dans les préparatifs techniques et administratifs des élections, -retard imputable à la navigation à vue et à limprévoyance du pouvoir en place-, ne laisse plus à la CENI un temps suffisant pour lenrôlement régulier et satisfaisant des électeurs et lorganisation sereine du scrutin dans les délais constitutionnels. Cela constitue une sérieuse menace pour la transparence et la fiabilité du scrutin et de ses résultats.
Laurent : Que faire pour quil y ait des élections apaisées? Qui doivent se retirer lors échéances électorales en RDCONGO ?
JB : Il est impérieux pour la RDC de tourner la page de la belligérance, de mettre fin à limmoralité publique et à la pratique de la prime au crime et à la violence pour laccès au pouvoir politique. Il faudra que la loi électorale impose, parmi les principaux critères à léligibilité, la compétence, et surtout, la probité et le souci du bien commun.
Personne nest obligé de briguer un mandat public : devraient sen abstenir, tous ceux qui sont incapables de résoudre les problèmes du peuple. Et les incapables qui occupent des postes politiques devraient rendre le tablier. Le pouvoir politique a pour objet lutilité sociale et lorsquil ne peut réaliser cet objectif, il devient sans objet et donc perd sa raison dêtre et toute justification.
Laurent : Votre mot de la fin ?
JB : Le rôle de la Vraie Société Civile dans laccompagnement de la population aux échéances électorales consiste donc à :
1°- Veiller à ce que la conception et lorganisation des élections respectent les droits fondamentaux de lhomme qui consacrent légalité de tous les hommes, les libertés fondamentales, la souveraineté du peuple comme unique source de lémanation du pouvoir. Les hommes politiques sont appelés à être au service du peuple, à gérer le pays conformément à sa volonté et à lui rendre compte, et non linverse. Cest cela la culture et la mentalité démocratiques.
2°- Veiller aux préalables éthiques dans la mise en œuvre des élections qui doivent être ;
– justes et honnêtes, cest-à-dire loyales et transparentes
– libres et compétitives cest-à-dire pluralistes et périodiques
– se dérouler au scrutin secret et sans manipulation des résultats.
3°- Veiller à léducation et à lencadrement civiques et politiques du peuple pour lui permettre dassumer de manière responsable et éclairée sa souveraineté et la citoyenneté responsable dans le choix de ses dirigeants. Il sagit de former le peuple à savoir analyser et apprécier le bilan du pouvoir sortant et à évaluer objectivement les projets de société qui lui sont présentés par les candidats et les partis politiques en compétition. La compétence et lhonnêteté publique devraient occuper une place de choix dans les critères de léligibilité aux fonctions politiques et faire lobjet dune loi.
4°- Veiller sur les préalables législatifs, administratifs, techniques et financiers indispensables à lorganisation et à la réussite des élections démocratiques, libres et transparentes.
5°- Dénoncer les dérives et les pratiques antidémocratiques susceptibles dentacher lorganisation et le déroulement du scrutin ou den compromettre lissue heureuse et pacifique.
Même là où la Société Civile na ni compétence politique et légale, ni responsabilité administrative et financière, elle garde, cependant, en sa qualité dorganisation de la société civile, le droit et le devoir de jouer un rôle critique de proposition ainsi que déducation et dencadrement civiques des masses populaires.
La politique étant lart du possible, il faudra essayer de gérer, au mieux de lintérêt général, les obstacles et les déficiences impossibles à surmonter ou à contourner, dans la préparation et lorganisation des élections. Il nen demeure moins impératif de sassurer du minimum indispensable, sans lequel le scrutin risque de tourner à un mimétisme collectif et irresponsable, et, surtout, de déboucher sur les contestations et les conflits post électoraux, aux conséquences imprévisibles. Ce minimum ne semble, hélas, pas au rendez-vous. Gouverner cest prévoir. Merci.
Laurent : Cest moi qui vous remercie.
Bukavu, le 20 mai 2011.
KURHENGAMUZIMU Laurent
Journaliste Correspondant de SUD KIVU RDCONGO.