Conflits Congo/Rwanda précoloniaux. Deux études histriques.
NOTES
SUR LES CONFLITS ARMES ENTRE LE RWANDA ET LE BUSHI
PENDANT
LA PERIODE PRECOLONIALE
par
1. Mugaruka
bin Mubibi, Assistant au CERDAC, Université de L'shi
2. Rubwindi
Obwinja Bube, Bibliothécaire de IIe Classe, ISP/Bukavu
INTRODUCTION
Les récits
sur les guerres qui ont opposé le Rwanda au Bushi (son rival de l'Ouest du Lac
Kivu en territoire zaïrois) nous ont été présentés pour la première fois par
notre Oncle BASAKA CHUMUGABO (mort à Mbiza-Kabare en 1972 à l'âge de ±80 ans).
Ces récits étaient destinés seulement à prouver la force de l'armée shi dont
notre conteur vantait les mérites au cours des ans, notamment les victoires sur
RWABUGIRI KIGELI IV du Rwanda et sur les Bahavu que le prince shi BIGOMOKERO,
fils de NABUSHI MAKOMBE, avait repoussés au-delà de la Nyabarongo (1).
Alors que
nous débutions nos études universitaires à la Faculté des Lettres (Lubumbashi),
notre souci de connaître davantage cette région s'accrût grâce à l'analyse faite
par l'Abbé KAGAME Alexis sur les expéditions rwandaises au Bushi, laquelle nous
permit d'être en présence de deux versions différentes de ces conflits armés qui
ont, de longue date, opposé ces deux formations (2).
L'Abbé KAGAME
a été le premier à écrire sur ces conflits armés mais il n'a présenté que la
version rwandaise du problème. La version shi n'a jamais été donnée sauf
quelques références à la question qu'on retrouve dans les oeuvres du R.P. COLLE
et Paul MASSON (3).
David S.
NEWBURY a, en 1974 et 1975, présenté deux travaux sur les campagnes de RWABUGIRI
(4). Dans le premier travail, NEWBURY, dont le terrain de recherches reste l'île
IDJWI, donne seulement une chronologie des événements et la bibliographie sur
les campagnes de RWABUGIRI KIGELI IV en insistant plus sur le BUHAVU (pays des
Bahavu). Son deuxième article complète le premier et apporte des détails sur sa
vision des attaques rwandaises à Idjwi.
Notre souci,
dans ce travail, est d'apporter des correctifs et une lumière à la description
des expéditions rwandaises au Bushi (pays des Bashi), telles qu'elles sont
présentées par l'Abbé KAGAME dans ses oeuvres (5).
Nous nous
limiterons aux seules expéditions organisées contre le Bushi (pays des Bashi)
que nous présenterons d'abord avant de donner des correctifs aux analyses de
KAGAME d'après la version shi de la question.
PRESENTATION
DES EXPEDITIONS
1. La
première expédition
Les
traditions orales shi retiennent que la première expédition armée du Rwanda
contre le Bushi date du règne de Mwami NSORO Ier SAMUKONDO, 7e Roi de la
dynastie présentée par l'Abbé KAGAME. Nsoro Ier aurait régné vers 1388 après
J.-C. Il aurait organisé une expédition contre le Bushi entre 1388 et 1390,
quand le Mwami NNABUSHI KAMOME régnait sur le Bushi (6). La version shi de cette
première expédition est présentée par Paul MASSON qui donne des détails des
traditions orales shi sur l'enlèvement de la Princesse shi NYIBUNGA, fille du
Mwami KAMOME du Bushi, par les guerriers du Roi NSORO.
"… vint une
invasion des nobles tutsi du Chef NSORO qui franchirent la RUZIZI et razzièrent
le Bushi jusqu'à Cirunga.
KAMOME et ses
guerriers eurent la bonne fortune de repousser rapidement les envahisseurs. Ils
achevèrent tous ceux qui s'étaient installés à leur suite, même ceux qui, cachés
dans les forêts, n'en ressortirent que quelques mois plus tard tenaillés par la
faim. A la faveur d'un coup de main, NSORO emmena parmi ses prises la propre
fille de KAMOME, la belle NYIBUNGA aux seins ronds et au ventre joliment
tatoué…"
Cette version
shi de la première expédition armée du Rwanda au Bushi n'a pas été retenue par
la tradition rwandaise présentée par l'Abbé KAGAME. Les causes de l'enlèvement
de NYIBUNGA sont à chercher dans le souci des rois du Rwanda d'étendre leur
domination sur tous les peuples voisins. KAGAME retient que ces rois voulaient à
tout prix agrandir leur territoire par la soumission des royaumes voisins
(7).
Concernant
cet enlèvement, les traditions orales shi ne rapportent pas les réactions qui en
découlèrent. Cependant, nous savons que, suite à son comportement indigne à la
cour du Rwanda, NYIBUNGA a été renvoyée au Bushi. Voici ce que nous dit P.
MASSON à ce sujet:
"… or donc,
les aristocrates rwandais, un jour, offusqués par une attitude peu respectueuse
de l'esclave NYIBUNGA, fille captive du Mwami du Bushi, décidèrent de la mettre
à mort.
Mpanga-wa-Lusango
les détourna de leur projet en faisant justement remarquer les conséquences
qu'il pourrait avoir…
NYIBUNGA,
dépouillée, fut renvoyée à Chirunga, chez Kamome, son père.
Elle y
fréquenta la hutte de son frère Chifundangombe et en conçut.
Lorsque son
père la vit boire le lukombe ou boisson rituelle des femmes enceintes, il se mit
en colère et la répudia. Elle s'enfuit au-delà de Murhundu, chez le Chef LUKARA,
fils de Mbeba-eri-Maza, ce qui signifie testicule de rat, à Igobegobe. Ce
dernier, bien que possesseur de nombreuses femmes, n'avait pas d'enfants.
Il les
renvoyait parce qu'elles ne lui donnaient pas d'héritier et voyait devenir le
dernier chef des Bahande. Il profita de l'aubaine et reçut NYIBUNGA qui enfanta
chez lui. Le garçon reçut le nom de NSIBULA – orphelin de père – et succéda à
son père adoptif et donna son nom à la dynastie BASIBULA (8). C'est ainsi qu'au
Bahavu, la dynastie Basibula succède à celle des Bahande.
Nsibula ya
Nyibunga serait, selon les traditions orales rwandaises, un Chef du Bunyabungo
qui aurait organisé une expédition contre le Rwanda vers 1460. Cette hypothèse
peut se vérifier si nous nous joignons à la généalogie des Bami du Buhavu, qui
retient pour les dynasties Bahande et Basibula les Bami suivants:
BAHANDE
BASIBULA
– Muhande –
Nsibula ya Nyibunga
– Mbera eri
Maza – Nsibula ya Niebutatire
– Bihako –
Bamanyirwe
– Lukara –
Kimirogosa
–
Ntale
– Nsibula
Kihunga
– Ndale II
Bashumbire
–
Lushombo
– Bahole
Sangara
– Kamirogosa
André
– Ntale
Kamirogosa
Ce conflit
dans lequel Nsibula ya Nyibunga se trouve impliqué est Havu. Cependant, si nous
le mentionnons ici, c'est simplement parce que la tradition orale rwandaise
retient que c'est un mwami du Bunyabungo qui l'avait organisé. Ensuite,
puisqu'il a été à la base de l'expédition organisée par le fils et successeur de
NDAHIRO II, RUGANZU II contre le Bushi.
Une remarque
est à faire sortir sur la conception rwandaise de l'espace shi. En effet, les
Banyarwanda (habitants du Rwanda) pour les Shi appellent les Bashi "Banyabungo"
et leur pays ""Bunyabungo". Ils confondent ainsi toutes les populations habitant
l'ouest du Lac Kivu qu'ils groupent dans un ensemble territorial. Pour eux,
l'UBUNYABUNGO comprend le Bushi, le Buhavu et le Buhunde.
Il est à
noter qu'à cette époque le Rwanda n'est pas encore unifié dans ses dimensions
actuelles.
2. La
deuxième expédition (C. 1604-1610)
Le règne du
Roi MUTARA Ier SEMUGESHI était très pacifique. Cela se justifie même par le
choix qui a été porté au nom du monarque, dicté par le souci d'abandonner le nom
de RUGANZU qui signifiait pour les Rwandais "Trouble, guerre, etc.". Il fallait
pour le nouveau Roi, afin de ne pas perpétuer les guerres qui ont jalonné les
règnes de ses prédécesseurs, abandonner les appellations dynastiques usuelles et
choisir celle de MUTARA qui incarnait alors la paix et la tranquillité
(11).
Son
successeur au trône, KIGELI II NYAMUHESHERA, prenant une attitude contraire,
voulut à tout prix venger les défaites qui avaient été infligées à ses
grands-parents par les BANYABUNGO, surtout l'assassinat de NDAHIRO II et de
RUGANZU II, sans oublier l'emblème du pouvoir royal rwandais (le tambour)
emporté par les hommes de Nsibula.
KIGELI II
organisa son armée appelée "IZIRUGURU", c'est-à-dire les palatins, force de
frappe de la garde royale, afin d'attaquer le Bushi. Mais l'armée fut encerclée
et entièrement anéantie par les KABERA de Nabushi (12).
Quelques
rescapés, sous la conduite de leur Chef, rentrèrent honteux dans leur pays en
passant par le KINYAGA. La tradition rwandaise retient que 4 règnes se seraient
passés après l'aventure du 16e Roi KIGELI II NYAMUHESHERA sans que les Bami
puissent songer à attaquer encore le Bushi où chaque fois ils étaient battus. Il
fallait pour les monarques du Rwanda chercher à soumettre les pays situés au
Nord de leur territoire, qui avaient des souverains qui tremblaient seulement à
l'annonce de l'arrivée de l'armée du Rwanda (13).
3. La
troisième expédition (C. 1766-1770)
Si on s'en
tient au récit de l'Abbé KAGAME, c'est MIBAMBWE III SENTABYO, 21e Roi dynastie
du Rwanda, qui aurait repris alors la politique de conquête en commençant par
l'invasion du BUGESERA. MIBAMBWE III a accédé au trône du Rwanda en 1741. Cette
datation a été vérifiée car le monarque a été intronisé au cours d'une éclipse
solaire. Une autre éclipse a été observée à la fin de son règne. Le premier
s'est déroulé le 13 mars 1741, alors que le second a été observé le 3 avril 1763
(14).
La politique
de conquête de MIBAMBWE III a été suivie par son fils et successeur YUHI IV
GAHINDIRO, dont le règne se situerait entre 1785 et 1789, si on prend toujours
la moyenne de ±24 ans par règne proposée par KAGAME, VANSINA et P.
DELMAS.
YUHI IV
organisera une expédition contre le Bushi quelques années seulement après son
accession au trône du Rwanda. KAGAME retient que l'armée rwandaise avait subi un
échec retentissant et le Commandant en chef de l'expédition, le nommé KIMANA,
fils de KABAJYONJYA, fut tué.
Cependant,
YUHI IV réussira au nord du Bushi à tuer le Roi du BUHUNDE qui deviendra un Etat
tributaire du Rwanda (15).
Cette
expédition se serait passée au cours du règne de NABUSHI BIRHENJIRA, car la
tradition orale shi retient que les guerriers venant du Rwanda avaient razzié le
Bushi sous son règne et que quelques temps après un calme était observé dans les
relations entre le Bushi et le Rwanda dont le Roi BUHONGERA avait hébergé le
fils du Mwami Birhenjira, MAKOMBE, qui fuyait les menaces de sa marâtre, Mwa
MURHWA, décidée à tout prix à assurer l'héritage certain de son fils BUJOKA au
détriment du prince "NKEBE" retenu par la coutume (16).
La tradition
rwandaise vient confirmer notre hypothèse quand elle retient le nom de MUTARA II
RWOGERA comme 23e Roi du Rwanda et successeur de YUHI IV GAHINDIRO. MUTARA II
aurait accédé au trône vers 1790, en remplacement de son père YUHI qui est mort
vers 1789 si l'on respecte la chronologie établie par l'Abbé KAGAME et P. DELMAS
(17).
Le Roi
RUHONGERA des traditions orales shi serait donc le Roi MUTARA II RWOGERA. C'est
le nom RWOGERA qui a été déformé par les Shi pour devenir RUHONGERA. Le Mwami
NABUSHI BIRHENJIRA aurait donc régné entre 1760 et 1799si on s'en tient au récit
qui renseigne que MAKOMBE se serait réfugié au Rwanda durant les dernières
années du règne de son père qui allait déjà succomber à la vieillesse. NABUSHI
MAKOMBE a donc été intronisé seulement après 1800 puisqu'il fallait attendre la
décision des BAJINJI et l'exil de Mwa MURHWA, ainsi que de ses fidèles loin de
la cour royale (18).
4.
Les expéditions de RWABUGIRI KIGELI IV au Bushi
Nous avons
souligné que le règne de MUTARA II RWOGERA a connu un calme et un développement
des relations pacifiques (notamment dans le domaine politique) entre le Bushi et
le Rwanda. La paix acquise à cette période fut respectée durant tout le règne de
NABUSHI MAKOMBE (C. 1809-1859) qui avait tout intérêt à mieux vivre avec son
hôte (19).
Nous pensons
que l'initiative de cette paix avait été prise par NABUSHI MAKOMBE. En effet, à
cette époque, il perdait une partie de son territoire au sud au profit de
Ngweshe. Ainsi il se tourna vers le nord où, avec l'aide de son fils BIGOMOKERO,
il se mit à repousser les Bahavu qui, eux aussi, se tournaient contre les
Bahunde (20).
Les
dissensions intérieures qui minaient la vie politique de Bashi nous semblent
être la cause principale qui a fait que ce peuple n'avait pas pris l'initiative
de la guerre contre le Rwanda. Néanmoins, il se laisse attaquer et se défend
héroïquement parce que la solidarité naissait quand il s'agissait de repousser
les voisins belliqueux qui convoitaient leurs champs et leurs pâturages
(21).
Le successeur
et fils de MAKOMBE, NABUSHI Byaterana, qui a régné pendant 30 saisons sèches,
soit environ entre c. 1859 et c. 1889, ne connaîtra pas cette paix car déjà le
successeur de MUTARA II RWOGERA, le Roi KIGELI IV Rwabugiri, préparait des
expéditions contre tous ses voisins dont les causes principales étaient:
1. La
conquête des terres et la soumission des chefs rivaux du Rwanda à son
pouvoir.
2. La
vengeance des défaites subies par ses ancêtres et la recherche de l'emblème
royal jadis emporté par les Banyabungo. Pour Rwabugiri, cela était une honte
pour le peuple rwandais qu'il fallait laver par tous les moyens (22).
L'Abbé KAGAME
ajoute que l'objectif rwandais consistait en une conquête des terres et en une
installation, partout où passerait l'armée de Rwabugiri, des Banyarwanda qui
devaient, petit à petit, soumettre et dominer les populations
rencontrées.
"… le
Bunyabungo devrait être conquis petit à petit par les pisés d'habitations. La
masse rwandaise devrait venir s'installer sur telle colline, ensuite sur la
suivante et ainsi de suite, de sorte que finalement le pays soit submergé et
vaincu…" (23)
Ainsi défini,
l'objectif principal de Rwabugiri était d'abord la conquête du Bushi qu'il
considérait comme étant le grand rival qui pouvait, une fois conquis, permettre
la soumission de tous les Etats de l'Ouest du Lac Kivu. On comprend alors les
raisons qui auraient poussé le monarque rwandais à multiplier des expéditions
contre le Bushi.
RUTAGANDA,
successeur et fils de NABUSHI Byaterana, connaîtra aussi les expéditions de
Rwabugiri, mais son règne a été surtout perturbé par la pénétration européenne
et l'installation des premiers Blancs au Bushi. Jusqu'à la fin de sa vie,
RUTAGANDA se montrera hostile à la conquête de ses terres par des étrangers et
sa résistance ne prendra fin qu'avec sa mort subite en 1919 provoquée par la
grippe espagnole "CIHUSI", même si déjà en 1916 il avait fait acte de soumission
à l'administration coloniale (24).
Les
expéditions de Rwabugiri débutent en 1873. Cette date a été vérifiée car une
année après, une comète se fit voir. C'était la comète de COGGIA, de 1874, dont
la première phase avait une tête, la deuxième deux têtes et la troisième trois
têtes. La première expédition contre le BUTEMBO serait en fait une
contre-attaque. Le Chef MUVUNYI du BUHUNDE avait razzié un troupeau de vaches
qui était en transhumance dans le KAMARONSI en territoire rwandais. En guise de
revanche, Rwabugiri entreprit d'attaquer la région que KAGAME appelle "Butembo"
(25).
Les armées
rwandaises: INGANGURA-RUGO, INSHONZI-MIHIGO et les IBISHUMIZI attaquèrent les
BUHUNDE et traversèrent la Nyabarongo jusqu'au Butembo (26).
Il y a lieu
de faire remarquer une confusion dans la dénomination des lieux du territoire
zaïrois par la tradition rwandaise. En effet, en traversant la Nyabarongo, on
entre directement au Bushi et pas au Butembo car cette rivière constitue la
limite nord de la région shi de Katana (IRHAMBI) avec le BUHAVU (Kelehe). La
thèse rwandaise peut être vérifiée si dans l'avenir des récits prouvaient
l'existence d'une présence des Batembo vers la Nyabarongo qu'ils ignorent
d'ailleurs. Rwabugiri n'a pas attaqué directement le Bushi après l'invasion du
Buhunde. L'Abbé KAGAME retient qu'après avoir anéanti toutes les résistances
Hunde, Rwabugiri était rentré au Rwanda où il devait protéger son butin de
guerre dans sa nouvelle résidence de RUHEGERA (27).
1 La
première expédition vers le Bushi en 1879 ou l'expédition du
KU-BUNTUBUZINDU (capitale du Bushi où résidait Byaterana)
NABUSHI-Byaterana
régnait sur le Bushi. Son frère BIGOMOKERO contrôlait la région d'Irhambi
jusqu'à la Nyabarongo. Le calme régnait partout sauf à IBINJA où Rwabugiri
venait de débarquer avec toute son armée composée des INGANGURA-RUGO (=
assaillants d'avant-garde) et des INSHONZIMIHIGO (= les provocateurs de hauts
faits). C'est là où il organisa ses hommes et où il arrêta le plan d'attaque du
Bushi.
Le haut
commandement de l'expédition fut confié à NDIBYALIYE, fils de MBAGALIYE, et
l'attaque devait se faire en deux directions. La première colonne, dirigée par
RUDAKEMWA, devait attaquer par le Nord, alors que la seconde, commandée par
RWANYONGA, fils de MUGAGWAMBERE, devait occuper le sud du Bushi en passant par
le site de l'actuelle ville de Bukavu (28).
La colonne
sud s'était organisée à KUMUHALI, près de Kamembe au bord du Lac Kivu, région
rwandaise voisine du Bushi qui devait permettre une rapide traversée de la
Ruzizi. La guerre éclata non loin de l'actuelle ville de BUKAVU où l'armée
rwandaise se trouvait en face des guerriers shi conduits par MUTARUSHWA, fils de
NAMINANI, commandant les "MAHEMBE" (les cornes) et BIHOGO, commandant les
"BIRUSHA" (les surpasseurs) (29).
Le commandant
rwandais RWANYONGA triomphera des Shi qui reculeront les uns vers la forêt de
bambous, les autres vers le marais de Lushanja. Les Banyarwanda vont installer
leur quartier général dans le Bushi central à KU-MBIZA (l'actuelle localité de
MBIZA à KABARE). C'est de là que partiront toutes les attaques contre les
fuyards Shi vers la forêt de la Lushanja. Dans une clairière aménagée, les
Banyarwanda perdront grand nombre de leurs soldats (dont RWANYONGA) dans une
embuscade que les Bashi leur avaient tendue (30).
La colonne
nord, qui avait débarqué au Bushi à partir de l'île IBINDJA à son passage par la
région de BIRAVA, fut exterminée par les "NVUZA-RUBANGO" de NABUSHI Byaterana
qui étaient partis secourir le Prince shi RUTEBUKA avant de descendre anéantir
le reste des résistants Banyarwanda de la colonne sud à Mbiza, Bugobe et vers
Nyarukemba (31).
La riposte
rwandaise fut vaine, car les Shi tenaient à venger la mort du Prince RUTEBUKA
tué par les guerriers rwandais de la première colonne (Nord). KAGAME retient
qu'un seul survivant rwandais a pu atteindre Rwabugiri qui attendait ses hommes
vers le lac. Celui-ci, voyant qu'il était incapable d'arrêter l'avance des Shi
par les sons de tambours, traversa le Lac Kivu et s'en alla organiser chez lui,
au Rwanda, une année de deuil en mémoire de ses soldats tués au Bushi
(32).
Une remarque
est à tirer des récits ayant trait à cette expédition de 1879:
1.- Du côté
shi, les traditions retiennent de belles descriptions de cette guerre et
décrivent aisément la victoire shi qui est aussi attestée par les récits
rwandais. Cependant, P. MASSON, qui a essayé de commenter les récits shi, y
ajoute des contradictions qui méritent d'être corrigées.
Le Mwami
Rwabugiri du Rwanda n'a jamais combattu le Mwami NABUSHI Makombe qui est mort
vers l'année 1859.
2.- Les noms
shi présentés dans les récits rwandais prêtent à confusion.
Nous sommes
arrivés à trouver les correspondances pour certains noms retenus seulement dans
les récits shi. Des travaux ultérieurs pourront permettre peut-être d'apporter
une lumière à ce problème.
Le nom de
RUTEBUKA, fils du NABUSHI Byaterana, par exemple, se retrouve dans les récits de
deux peuples et désigne le même personnage, c'est-à-dire un Prince shi et le
meilleur guerrier du Bushi qui avait été tué par le Roi RWABUGIRI du
Rwanda.
2 La
deuxième expédition vers le Bushi (C. 1881-1885)
L'EXPEDITION
DU MU-KANYWIRIRI (KANYWIRIRI)
Cette
expédition avait été préparée une année durant par RWABUGIRI dans le but de
venger ses soldats tués par les Bashi lors de son expédition de Ku-Buntubuzindu.
La préparation semblait être trop sérieuse du côté rwandais où plusieurs armées
étaient mobilisées pour attaquer le Bushi en passant par l'historique marais de
Kanywiriri où les Shi étaient concentrés et attendaient de pied ferme les
Banyarwanda. Le Mwami NABUSHI Byaterana avait, de son côté, estimé qu'il fallait
mobiliser plusieurs hommes qui furent groupés en cinq armées dirigées par
MUZUKA, NFIZI, CIRABA, KAKIRA et CIRHUZA (33).
CIRABA, fils
de NABUSHI Byaterana, était le commandant en chef des armées shi, alors que
ZIMURINDA (Mibambwe Mutabazi), fils de SEMULINA, était le commandant de
l'expédition de MU-KANYWIRIRI.
Les
Banyarwanda avaient attaqué en deux groupes. Le premier (sud), composé de
INVEJURU, NYAKARE, NYARUGURU, INDARA, ABASHUMBA, INTARA, URUYANGA, était dirigé
par NYILIMIGABO et les ITANGAZWA par NYAMUSHANJA, fut exterminé par les Bashi
sur une colline près de Kanywiriri. Le second groupe, qui voulait attaquer par
le nord du marais, ne connut pas de succès malgré la mort du Commandant shi
CIRABA qui avait été percé par une flèche tirée par NYAMUKEBA, un guerrier de
Rwabugiri, originaire du Burundi. Dans ce second groupe, on note la présence de
NKUNDIYE, Mwami d'Idjwi, qui dirige les Inziraboba (34).
Comme il
avait perdu bon nombre de ses hommes, Rwabugiri retourna honteux au Kinyaga afin
d'y préparer une autre expédition (35).
3. La
troisième expédition vers le Bushi (C. 1890-1892) ou l'Expédition du Rusozi
(RUZIZI)
Il est bon de
débuter ce paragraphe par un correctif au récit de l'Abbé KAGAME qui a présenté
cette expédition du RUZIZI après celle de CIRHOGOLE en plein coeur du Bushi. En
effet, nous avions signalé plus loin que Rwabugiri, vaincu au Bushi, avait fixé
sa cour (provisoirement) dans le Kinyaga afin de préparer une vengeance contre
le Bushi. Il ne pouvait donc pas par conséquent aller attaquer le Bushi vers
Irhambi (Nord) et laisser la frontière sud qui était proche de Kamembe dans le
Kinyaga.
Notre
constatation se vérifie aussi car c'est sous cette expédition du RUZIZI que
furent tués NGWESHE-LIRANGWE et la Reine-mère MUGENYI qui venaient de s'unir en
mariage après la mort de Nabushi Byaterana.
L'expédition
de Rusozi a été décrite dans une version shi vraisemblable présentée par Paul
MASSON aux pages 97-102 de son livre. Selon MASSON, cette expédition a été
précédée par des luttes d'influences au Bushi après la mort de Nabushi
Byaterana. Rutaganda étant mineur, sa mère Mugenyi devait diriger le pays.
Celle-ci était jalousée par sa rivale Namutoko qui voulait placer son fils
Ruhangara sur le trône du Bushi et devenir ainsi la Reine-mère incontestée des
Bashi.
Elle se mit
alors à comploter pour faire disparaître Rutaganda et sa mère et eut gain de
cause auprès de sa soeur Nakesa (fille de Niganda, originaire du Rwanda), épouse
du Chef Ngweshe-Lirangwe, qui venait d'épouser la reine-mère Mugenyi. Nakesa
trouva aussi une raison de se venger et de porter vite son fils Ruhongeka au
trône de Ngweshe. Il fallait, pour réussir ce coup, se tourner du côté du Rwanda
où elles pouvaient recevoir l'aide de Rwabugiri qui venait d'essuyer de grandes
défaites au Bushi. Le récit de P. MASSON nous semble confus quand il dit que
Nakesa et sa soeur s'étaient plutôt adressées à Rukabya, leur parent du Rwanda
qui aurait envoyé le commando qui tua Lirangwe et Mugenyi à Bugobe (Kabare)
(36).
Nous trouvons
au contraire le récit du vieux Bujimbi vraisemblable quand il nous parle de
Rwabugiri qui aurait reçu des présents de ces deux reines shi et qui voyait en
cette demande une occasion d'annexer purement et simplement le Bushi en
acceptant l'investiture de Ruhangara et de Ruhongeka dont le grand-père était
Munyarwanda d'origine (37).
Cette version
se marie avec celle présentée par l'Abbé KAGAME dans son cours d'ethnohistoire
du Rwanda. Certains éléments de cette thèse comme les présents à Rwabugiri, la
volonté d'annexer le Bushi, se retrouvent dans la version de P. MASSON (à la
page 99 de son livre).
Rwabugiri
aurait alors demandé à Lirangwe de lui livrer le Mwami Rutaganda et sa mère et
que son refus signifierait une déclaration de guerre contre le Rwanda. KAGAME
retient que:
"Ce prince
Katabirhurhwa des Bishugi (Ngweshe) avait épousé la mère de Rutaganda. Ce
dernier était alors devenu le tuteur du Mwami.
Rwabugiri lui
demanda de lui livrer le jeune mwami et sa mère afin de se venger de la mort de
ses soldats tués par Nabushi Byaterana. Katabirhurhwa refusa et Rwabugiri
attaqua le Bugweshe où il tua la Reine-mère et Katabirhurhwa. Le Mwami Rutaganda
avait pris la fuite et rentra après le départ de Rwabugiri pour organiser son
armée, les Akabera." (38)
Le nom
"Katabirhurhwa" désigne dans ce récit "Lirangwe" pour les Banyarwanda. Nabushi
Rutaganda, très jeune au cours de cette expédition, avait réussi à se cacher
sous la protection de ses gardiens Nkunguli et Nyabyale, chez le Chef
Naluhwinja, d'où il partira après sa majorité pour organiser son armée et lutter
contre le Rwanda.
P. MASSON
soutient qu'au cours de cette expédition, Rwabugiri aurait réussi à emporter le
tambour royal du Bushi mais les Bashi le nient catégoriquement. KAGAME affirme
aussi dans ces récits que cette expédition a été la seule que les Banyarwanda
ont gagnée au Bushi. Ce qui serait pour lui une confirmation des faits rapportés
par MASSON (39).
La
conséquence de cette expédition serait l'annexion du Bushi par Rwabugiri, une
annexion qui n'était pas totale parce que ce sont des princes Luzi, ici les deux
familles régnantes à Ngweshe et à Kabare, qui vont régner (Ruhangara au Buhaya
et Ruhongeka à Ngweshe). Aussi, il faut dire que les Bashi restaient toujours
fidèles au nouveau mwami que Nabushi Byaterana leur avait désigné, à savoir le
jeune Rutaganda qui était toujours en exil à Luhwinja.
Ruhangara
n'avait pas d'audience auprès des Bahaya qui ne lui pardonnaient pas la mise à
mort de la reine-mère Mugenyi et l'invasion de leurs terres par les Banyarwanda.
Cette prise de position des Bashi avait conduit à une rébellion ouverte contre
Ruhangara qui se sauva de l'autre côté de la Ruzizi, fuyant ainsi les guerriers
Bahaya et Bishugi qui le pourchassaient de colline en colline (40). P. MASSON
ajoute à son récit sur la fuite de Ruhangara que Rwabugiri, pris de colère
devant l'avance des Bashi, avait ordonné la mise à mort de son vassal malheureux
qui n'avait pas su organiser le territoire laissé sous son administration
(41).
Cette fuite
de Ruhangara a été suivie par le retour de mwami rutaganda qui devait alors
prendre la tête de son armée et combattre les corps expéditionnaires de
Rwabugiri dans le nord du Bushi.
4 La
quatrième expédition vers le Bushi (C. 1894-1895) ou l'expédition de Ku-Kidogoro
(Cirhogole)
La quatrième
expédition de Rwabugiri au Bushi a été précédée par une expédition contre l'île
Idjwi. Ceci explique même l'emplacement du champ de bataille "CIRHOGOLE" qui se
trouve dans le Bushi-nord, non loin de la paroisse de Murhesa (±25 km de la
ville de Bukavu).
Rwabugiri,
dont les troupes étaient jusque-là stationnées dans le sud (Kinyaga), venait
d'apprendre le soulèvement du Chef Nkundiye d'Idjwi, son ancien vassal qui,
ayant vécu les défaites des Banyarwanda devant les Bashi, s'était décidé de
lutter afin de reconquérir son indépendance.
Nous sommes
vers l'année 1894, quand les troupes de Rwabugiri se replient vers le Nord,
fixant leur quartier général à Nyamirundi près du lac. Là, il était facile de
surveiller les pirogues de Nkundiye et d'arrêter un plan de guerre qui devait
permettre une invasion rapide de l'île Idjwi. Les Banyarwanda craignaient une
guerre navale dont les Bahavu étaient réputés spécialistes.
Ils eurent
une raison de débarquer clandestinement sur l'île où ils mirent l'armée Havu en
débandade. Nkundiye s'enfuit vers le Bushi et fut tué entre la région d'Irhambi
et l'îlot Ishovu (42).
Son
territoire fut annexé par Rwabugiri qui avait profité des luttes d'influences
entre les familles TABARO et NKUNDIYE. Ainsi Idjwi devient un lieu stratégique
pour les conquêtes de Rwabugiri vers d'autres régions (Bushi, Buhunde).
L'EXPEDITION
DE CIRHOGOLE (1895)
Rwabugiri
poursuivant les fuyards Havu dont Nkundiye au Bushi, se trouva en face d'une
résistance farouche organisée par le Chef d'Irhambi, CIKO-BARAMBA. Il s'agit du
Chef KARHANA Nciko, fils de Bigomokero Bya Makombe, qui fut rapidement défait
par les Banyarwanda. Au sud vers CIRHOGOLE, le notable Kabi s'opposa à l'arrivée
de guerriers de Rwabugiri. Ses hommes avaient réussi à faire reculer l'ennemi
jusque vers cishoke avant l'arrivée du renfort envoyé par Nabushi Rutaganda sous
le commandement de Rwabika, Nfizi, Chirusha et Makungu ga Mwendo (43). Les Bashi
se groupèrent en 3 colonnes et adoptèrent la tactique de guerre en 3 lignes
"EMIBIBI" qui consistait à encercler l'ennemi de tout côté sans lui laisser le
temps de fuir (44). A la première attaque, les Bashi furent repoussés par les
Banyarwanda qui tentaient de gagner le lac en direction probablement d'Idjwi en
passant par Birava.
A la seconde
attaque, les Bashi attaquèrent la nuit. Un de leurs commandants, "MAKUNGU", fut
tué et les Banyarwanda remportèrent une nouvelle victoire "éphémère". A la
troisième attaque de CIRHOGOLE, les Bashi, qui combattaient toujours en 3 lignes
sous la conduite de Nabushi Rutaganda lui-même, massacrèrent les Banyarwanda qui
se repliaient vers la rivière Mpungwe. Une partie de l'armée rwandaise, sous la
conduite de Rwabugiri, réussit à gagner IBINDJA car les Bashi étaient incapables
de les poursuivre sur le lac, ne sachant ni nager, ni ramer (45).
C'est dans
l'île d'Ibindja que Rwabugiri fut empoisonné par des hommes de sa cour.
Toutefois les traditions rwandaise, Shi et Havu n'ont pas retenu leur
appartenance ethnique ou tribale. On sait tout simplement que ses guerriers
avaient ramené son corps à Nyamasheke au Rwanda, où devait se tenir le deuil
(46). Les circonstances de sa mort ne sont pas encore clarifiées. Nous les
présenterons dans un travail ultérieur. C'est avec cette mort de Rwabugiri que
prirent fin les conflits armés entre le Bushi et le Rwanda.
Murhebwa L.K.
souligne qu'à Idjwi, après la mort de Rwabugiri, les Banyarwanda qui cherchaient
à coopérer avec les Bany'Idjwi restèrent, tandis que ceux qui voulaient encore
dominer furent tués ou se virent expulser de l'île (47). Newbury S.D. ajoute que
les chefs Banyarwanda Muhigirwa, Rwidegembya… tâchèrent de s'y maintenir
durant quelques temps mais finalement ils furent refoulés et l'île Idjwi
reconquit son indépendance… Une délégation fut envoyée au Bushi pour appeler
le Mwami MIHIGO NDOGOSA, fils de KABEGO, qui fut intronisé en (C. 1896)
(48).
Au Bushi, la
population avait appris avec beaucoup de satisfaction la mort de
Rwabugiri.
Au Buhaya, un
esprit d'indépendance se développe dans la noblesse depuis la scission de
Karhana (Katana). Cet esprit est encore accentué par la faiblesse des débuts du
règne du Mwami Rutaganda. Les partisans de Rutaganda ont subsisté et leur
anarchie se perpétuera jusqu'à la période coloniale.
Au Bugweshe,
c'est la régente Nakesa qui fait la loi. Sa déchéance provoquera une mésentente
entre ses partisans et les partisans de son fils Ruhongeka (49).
Au moment où
intervient le phénomène colonial belge au Bushi et allemand à Idjwi, Kabare
Rutaganda (Buhaya), Ngweshe Ruhongeka (Budweshe) et MIGIGO Ndogosa (Idjwi) (tous
trois de la nouvelle génération), ont pris les rênes de leur administration en
main.
La conférence
de Bruxelles du 16 juin 1910 délimita les possessions de l'Etat indépendant du
Congo (EIC) et de l'Allemagne de la manière suivante: une ligne qui, partant de
la RUZIZI, aboutit à un point d'égale distance entre Goma et Gisenyi. En outre,
elle attribua à l'Etat indépendant du Congo belge les îles ci-après: Idjwi,
Kirshanga, Nyamarongo et Ibindja (50). Ainsi le Rwanda devint une possession
allemande et le Bushi et Bukavu un territoire belge.
CONCLUSION
GENERALE
Nous venons
de présenter à travers ces pages des détails sur les conflits armés qui ont
opposé les Bashi et les Banyarwanda avant la pénétration européenne.
Cette étude
nous a permis d'établir une première estimation approximative de la chronologie
des Bami du Bushi dont l'installation sur les terres qu'ils dirigent aujourd'hui
remonterait très loin dans les temps (11e et 12e s.).
Nous pouvons
remarquer à la lumière de notre travail que les Banyarwanda n'ont pas su
conquérir le Bushi ni soumettre les Bashi comme semble l'affirmer l'Abbé KAGAME
quand il dit que seule l'expédition de CIRHOGOLE a eu raison des Banyabungo et a
sonné le triomphe de Kigeli IV sur ce pays coriace (51). Dans son oeuvre, il
s'en tient plus aux récits officiels des événements.
En effet,
l'Abbé Kagame, qui n'a pas su analyser toutes les expéditions contre le Bushi,
oublie que c'est au cours de cette expédition de Cirhogole que Rwabugiri
trouvera la mort dans sa fuite vers l'île Ibindja. Notre remarque peut se
confirmer, car l'Abbé Kagame ajoute que "Les Rwandais appellent ce pays
'Bunyabungo' et les habitants 'Banyabungo' pour dire 'Pays fort' et 'guerriers
courageux'" (52).
Il termine
par cette phrase prononcée par Rwabugiri en réponse à ses guerriers qui lui
demandaient de rentrer chez lui après sa défaite sur les Bashi: "… Moi, être
battu par les Bashi" (53).
Il semble que
Rwabugiri répétait cette phrase car il avait honte de sa défaite devant les
Bashi. Ceci prouve bien que Rwabugiri n'a pas réussi à soumettre ce peuple qu'il
devait encore combattre s'il n'avait pas été empoisonné.
La
classification de ces conflits armés mérite donc des études fouillées allant
au-delà d'un simple article, qui pourront, nous l'espérons, apporter une lumière
à l'histoire ancienne du Bushi et du Rwanda et pourquoi pas de toute la région
interlacustre.
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Guerres rwandaises contre le Congo: interrogeons l'histoire
Mme Mulegwa Kinja
La guerre que le Rwanda conduit en
République démocratique du Congo interpelle vivement tous les patriotes
congolais de faire montre d'un esprit de clarté, de
fermeté, de vigilance et de détermination dans les actions de
résistance contre les envahisseurs. Nous ne devons pas nous tromper
d'adversaires ni d'objectifs visés.
La confusion et la propagande des
dirigeants rwandais et leurs relais médiatiques sur les motivations de
cette guerre doivent être dénoncées et déjouées par tous
les moyens en rétablissant la vérité et le droit.
C'est dans cette double motivation que j'évoque l'expérience vécue par le Bushi et le peuple Shi qui ont été confrontés, dans un
passé lointain (avant la colonisation européenne), à des conflits armés avec les Banyanrwanda. Cette expérience historique peut éclairer nos lanternes sur
l'expédition actuelle et ses buts inavoués.
Cette étude, intitulée "NOTES SUR LES CONFLITS ARMES ENTRE LES BANYRWANDA ET LE BUSHI PENDANT LA PERIODE PRECOLONIALE"*,
effectuée en 1985 par deux
chercheurs congolais, analyse et compare des données historiques, à
travers divers écrits anciens, pour mettre en lumière les constatations
suivantes:
– L'intention guerrière des Banyarwanda ne date pas d'aujourd'hui, elle est ancienne et fait partie de l'histoire du Rwanda.
– La volonté et l'obsession maladive d'annexer le Bushi sont permanentes.
– L'instinct des Tutsi de dominer les voisins, tant à l'intérieur de leur pays qu'à l'extérieur, est dans leur sang.
– Le peuple Shi, vaillant et
discipliné, à travers diverses expéditions et campagnes dans un passé
lointain, a réussi à tenir en respect l'envahisseur
Tutsi.
– Contrairement aux fausses
affirmations répandues ici et là sur les relations et les liens entre
les Bashi et les Tutsi, le territoire des Bashi (Kabare,
Walungu, Kalehe, Idjwi-Buhavu…), une grande partie de la province
du Sud-Kivu avec Bukavu pour chef-lieu, n'a jamais fait partie du
Rwanda.
– Le peuple Shi et les peuples apparentés sont différents des Banyarwanda.
Ce travail publié en 1985, les ouvrages et auteurs (dont le Rwandais Abbé Alexis KAGAME)
auxquels il se réfère, constituent un vivier de
témoignages et d'arguments objectifs basés sur l'histoire et peuvent
aider beaucoup les Congolais, et surtout les étrangers, à se faire leur
propre opinion sur la motivation profonde et les
visées réelles des Banyrwanda dans cette guerre contre la République démocratique du Congo et les autres ethnies des provinces du Nord et
Sud-Kivu.
La récidive des petits-fils des Banyarwanda
d'avant la colonisation européenne – dans l'ambition démesurée
d'occuper par la force et la ruse une
partie du territoire congolais, en l'occurrence le Kivu, doit être
condamnée par tous car contraire à la vérité et au droit international.
Les populations du Kivu ont assez
souffert des conséquences de drames exportés à répétition par les
pouvoirs successifs du Rwanda et du Burundi, par une présence
massive et prolongée des réfugiés Tutsi et Hutu.
Cette étude pour la compréhension de
la crise congolaise actuelle sous l'angle historique mérite d'être notée
et largement diffusée pour servir d'éclairage et de
témoignage.
C'est ma modeste contribution, en tant que femme Mushi, fière de mon identité, de mes origines, et révoltée par tous les mensonges et
contre-vérités qu'on entend ici et là sur cette aventure guerrière rwandaise en terre congolaise.
Madame MULEGWA Kinja
* par Mugaruka bin Mubibi, Assistant
au CERDAC, Université de L'shi et Rubwindi Obwinja Bube, Bibliothécaire
de IIe Classe, ISP/Bukavu
Tiré de Cahiers du CERP, No 2, 1985
ISDR/BUKAVU/ZAÏRE
NOTES SUR LES CONFLITS ARMES ENTRE LE RWANDA ET LE BUSHI
PENDANT LA PERIODE PRECOLONIALE
par
1. Mugaruka bin Mubibi, Assistant au CERDAC, Université de L'shi
2. Rubwindi Obwinja Bube, Bibliothécaire de IIe Classe, ISP/Bukavu
INTRODUCTION
Les
récits sur les guerres qui ont opposé le Rwanda au Bushi (son rival de
l'Ouest du Lac Kivu en territoire zaïrois) nous
ont été présentés pour la première fois par notre Oncle BASAKA
CHUMUGABO (mort à Mbiza-Kabare en 1972 à l'âge de ±80 ans). Ces récits
étaient destinés seulement à prouver la force de l'armée shi
dont notre conteur vantait les mérites au cours des ans, notamment
les victoires sur RWABUGIRI KIGELI IV du Rwanda et sur les Bahavu que le
prince shi BIGOMOKERO, fils de NABUSHI MAKOMBE, avait
repoussés au-delà de la Nyabarongo (1).
Alors
que nous débutions nos études universitaires à la Faculté des Lettres
(Lubumbashi), notre souci de connaître
davantage cette région s'accrût grâce à l'analyse faite par l'Abbé
KAGAME Alexis sur les expéditions rwandaises au Bushi, laquelle nous
permit d'être en présence de deux versions différentes de
ces conflits armés qui ont, de longue date, opposé ces deux
formations (2).
L'Abbé
KAGAME a été le premier à écrire sur ces conflits armés mais il n'a
présenté que la version rwandaise du problème.
La version shi n'a jamais été donnée sauf quelques références à la
question qu'on retrouve dans les oeuvres du R.P. COLLE et Paul MASSON
(3).
David
S. NEWBURY a, en 1974 et 1975, présenté deux travaux sur les campagnes
de RWABUGIRI (4). Dans le premier travail,
NEWBURY, dont le terrain de recherches reste l'île IDJWI, donne
seulement une chronologie des événements et la bibliographie sur les
campagnes de RWABUGIRI KIGELI IV en insistant plus sur le
BUHAVU (pays des Bahavu). Son deuxième article complète le premier
et apporte des détails sur sa vision des attaques rwandaises à Idjwi.
Notre souci, dans ce travail, est d'apporter des correctifs et une lumière à la description des expéditions rwandaises au
Bushi (pays des Bashi), telles qu'elles sont présentées par l'Abbé KAGAME dans ses oeuvres (5).
Nous nous limiterons aux seules expéditions organisées contre le Bushi (pays des Bashi) que nous présenterons d'abord avant
de donner des correctifs aux analyses de KAGAME d'après la version shi de la question.
PRESENTATION DES EXPEDITIONS
1. La première expédition
Les
traditions orales shi retiennent que la première expédition armée du
Rwanda contre le Bushi date du règne de Mwami
NSORO Ier SAMUKONDO, 7e Roi de la dynastie présentée par l'Abbé
KAGAME. Nsoro Ier aurait régné vers 1388 après J.-C. Il aurait organisé
une expédition contre le Bushi entre 1388 et 1390, quand le
Mwami NNABUSHI KAMOME régnait sur le Bushi (6). La version shi de
cette première expédition est présentée par Paul MASSON qui donne des
détails des traditions orales shi sur l'enlèvement de la
Princesse shi NYIBUNGA, fille du Mwami KAMOME du Bushi, par les
guerriers du Roi NSORO.
"… vint une invasion des nobles tutsi du Chef NSORO qui franchirent la RUZIZI et razzièrent le Bushi jusqu'à
Cirunga.
KAMOME
et ses guerriers eurent la bonne fortune de repousser rapidement les
envahisseurs. Ils achevèrent tous ceux qui
s'étaient installés à leur suite, même ceux qui, cachés dans les
forêts, n'en ressortirent que quelques mois plus tard tenaillés par la
faim. A la faveur d'un coup de main, NSORO emmena parmi ses
prises la propre fille de KAMOME, la belle NYIBUNGA aux seins ronds
et au ventre joliment tatoué…"
Cette
version shi de la première expédition armée du Rwanda au Bushi n'a pas
été retenue par la tradition rwandaise
présentée par l'Abbé KAGAME. Les causes de l'enlèvement de NYIBUNGA
sont à chercher dans le souci des rois du Rwanda d'étendre leur
domination sur tous les peuples voisins. KAGAME retient que ces
rois voulaient à tout prix agrandir leur territoire par la
soumission des royaumes voisins (7).
Concernant
cet enlèvement, les traditions orales shi ne rapportent pas les
réactions qui en découlèrent. Cependant, nous
savons que, suite à son comportement indigne à la cour du Rwanda,
NYIBUNGA a été renvoyée au Bushi. Voici ce que nous dit P. MASSON à ce
sujet:
"… or donc, les aristocrates rwandais, un jour, offusqués par une attitude peu respectueuse de l'esclave NYIBUNGA, fille
captive du Mwami du Bushi, décidèrent de la mettre à mort.
Mpanga-wa-Lusango les détourna de leur projet en faisant justement remarquer les conséquences qu'il pourrait
avoir…
NYIBUNGA, dépouillée, fut renvoyée à Chirunga, chez Kamome, son père.
Elle y fréquenta la hutte de son frère Chifundangombe et en conçut.
Lorsque
son père la vit boire le lukombe ou boisson rituelle des femmes
enceintes, il se mit en colère et la répudia. Elle
s'enfuit au-delà de Murhundu, chez le Chef LUKARA, fils de
Mbeba-eri-Maza, ce qui signifie testicule de rat, à Igobegobe. Ce
dernier, bien que possesseur de nombreuses femmes, n'avait pas
d'enfants.
Il
les renvoyait parce qu'elles ne lui donnaient pas d'héritier et voyait
devenir le dernier chef des Bahande. Il profita
de l'aubaine et reçut NYIBUNGA qui enfanta chez lui. Le garçon reçut
le nom de NSIBULA – orphelin de père – et succéda à son père adoptif et
donna son nom à la dynastie BASIBULA (8). C'est ainsi
qu'au Bahavu, la dynastie Basibula succède à celle des Bahande.
Nsibula
ya Nyibunga serait, selon les traditions orales rwandaises, un Chef du
Bunyabungo qui aurait organisé une
expédition contre le Rwanda vers 1460. Cette hypothèse peut se
vérifier si nous nous joignons à la généalogie des Bami du Buhavu, qui
retient pour les dynasties Bahande et Basibula les Bami
suivants:
BAHANDE BASIBULA
– Muhande – Nsibula ya Nyibunga
– Mbera eri Maza – Nsibula ya Niebutatire
– Bihako – Bamanyirwe
– Lukara – Kimirogosa
– Ntale
– Nsibula Kihunga
– Ndale II Bashumbire
– Lushombo
– Bahole Sangara
– Kamirogosa André
– Ntale Kamirogosa
Ce
conflit dans lequel Nsibula ya Nyibunga se trouve impliqué est Havu.
Cependant, si nous le mentionnons ici, c'est
simplement parce que la tradition orale rwandaise retient que c'est
un mwami du Bunyabungo qui l'avait organisé. Ensuite, puisqu'il a été à
la base de l'expédition organisée par le fils et
successeur de NDAHIRO II, RUGANZU II contre le Bushi.
Une
remarque est à faire sortir sur la conception rwandaise de l'espace
shi. En effet, les Banyarwanda (habitants du
Rwanda) pour les Shi appellent les Bashi "Banyabungo" et leur pays
""Bunyabungo". Ils confondent ainsi toutes les populations habitant
l'ouest du Lac Kivu qu'ils groupent dans un ensemble
territorial. Pour eux, l'UBUNYABUNGO comprend le Bushi, le Buhavu et
le Buhunde.
Il est à noter qu'à cette époque le Rwanda n'est pas encore unifié dans ses dimensions actuelles.
2. La deuxième expédition (C. 1604-1610)
Le
règne du Roi MUTARA Ier SEMUGESHI était très pacifique. Cela se
justifie même par le choix qui a été porté au nom du
monarque, dicté par le souci d'abandonner le nom de RUGANZU qui
signifiait pour les Rwandais "Trouble, guerre, etc.". Il fallait pour le
nouveau Roi, afin de ne pas perpétuer les guerres qui ont
jalonné les règnes de ses prédécesseurs, abandonner les appellations
dynastiques usuelles et choisir celle de MUTARA qui incarnait alors la
paix et la tranquillité (11).
Son
successeur au trône, KIGELI II NYAMUHESHERA, prenant une attitude
contraire, voulut à tout prix venger les défaites qui
avaient été infligées à ses grands-parents par les BANYABUNGO,
surtout l'assassinat de NDAHIRO II et de RUGANZU II, sans oublier
l'emblème du pouvoir royal rwandais (le tambour) emporté par les
hommes de Nsibula.
KIGELI II organisa son armée appelée "IZIRUGURU", c'est-à-dire les palatins, force de frappe de la garde royale, afin
d'attaquer le Bushi. Mais l'armée fut encerclée et entièrement anéantie par les KABERA de Nabushi (12).
Quelques
rescapés, sous la conduite de leur Chef, rentrèrent honteux dans leur
pays en passant par le KINYAGA. La tradition
rwandaise retient que 4 règnes se seraient passés après l'aventure
du 16e Roi KIGELI II NYAMUHESHERA sans que les Bami puissent songer à
attaquer encore le Bushi où chaque fois ils étaient
battus. Il fallait pour les monarques du Rwanda chercher à soumettre
les pays situés au Nord de leur territoire, qui avaient des souverains
qui tremblaient seulement à l'annonce de l'arrivée de
l'armée du Rwanda (13).
3. La troisième expédition (C. 1766-1770)
Si
on s'en tient au récit de l'Abbé KAGAME, c'est MIBAMBWE III SENTABYO,
21e Roi dynastie du Rwanda, qui aurait repris
alors la politique de conquête en commençant par l'invasion du
BUGESERA. MIBAMBWE III a accédé au trône du Rwanda en 1741. Cette
datation a été vérifiée car le monarque a été intronisé au cours
d'une éclipse solaire. Une autre éclipse a été observée à la fin de
son règne. Le premier s'est déroulé le 13 mars 1741, alors que le second
a été observé le 3 avril 1763 (14).
La
politique de conquête de MIBAMBWE III a été suivie par son fils et
successeur YUHI IV GAHINDIRO, dont le règne se
situerait entre 1785 et 1789, si on prend toujours la moyenne de ±24
ans par règne proposée par KAGAME, VANSINA et P. DELMAS.
YUHI
IV organisera une expédition contre le Bushi quelques années seulement
après son accession au trône du Rwanda. KAGAME
retient que l'armée rwandaise avait subi un échec retentissant et le
Commandant en chef de l'expédition, le nommé KIMANA, fils de
KABAJYONJYA, fut tué.
Cependant, YUHI IV réussira au nord du Bushi à tuer le Roi du BUHUNDE qui deviendra un Etat tributaire du Rwanda
(15).
Cette
expédition se serait passée au cours du règne de NABUSHI BIRHENJIRA,
car la tradition orale shi retient que les
guerriers venant du Rwanda avaient razzié le Bushi sous son règne et
que quelques temps après un calme était observé dans les relations
entre le Bushi et le Rwanda dont le Roi BUHONGERA avait
hébergé le fils du Mwami Birhenjira, MAKOMBE, qui fuyait les menaces
de sa marâtre, Mwa MURHWA, décidée à tout prix à assurer l'héritage
certain de son fils BUJOKA au détriment du prince "NKEBE"
retenu par la coutume (16).
La
tradition rwandaise vient confirmer notre hypothèse quand elle retient
le nom de MUTARA II RWOGERA comme 23e Roi du
Rwanda et successeur de YUHI IV GAHINDIRO. MUTARA II aurait accédé
au trône vers 1790, en remplacement de son père YUHI qui est mort vers
1789 si l'on respecte la chronologie établie par l'Abbé
KAGAME et P. DELMAS (17).
Le
Roi RUHONGERA des traditions orales shi serait donc le Roi MUTARA II
RWOGERA. C'est le nom RWOGERA qui a été déformé par
les Shi pour devenir RUHONGERA. Le Mwami NABUSHI BIRHENJIRA aurait
donc régné entre 1760 et 1799si on s'en tient au récit qui renseigne que
MAKOMBE se serait réfugié au Rwanda durant les
dernières années du règne de son père qui allait déjà succomber à la
vieillesse. NABUSHI MAKOMBE a donc été intronisé seulement après 1800
puisqu'il fallait attendre la décision des BAJINJI et
l'exil de Mwa MURHWA, ainsi que de ses fidèles loin de la cour
royale (18).
4. Les expéditions de RWABUGIRI KIGELI IV au Bushi
Nous
avons souligné que le règne de MUTARA II RWOGERA a connu un calme et un
développement des relations pacifiques
(notamment dans le domaine politique) entre le Bushi et le Rwanda.
La paix acquise à cette période fut respectée durant tout le règne de
NABUSHI MAKOMBE (C. 1809-1859) qui avait tout intérêt à
mieux vivre avec son hôte (19).
Nous
pensons que l'initiative de cette paix avait été prise par NABUSHI
MAKOMBE. En effet, à cette époque, il perdait une
partie de son territoire au sud au profit de Ngweshe. Ainsi il se
tourna vers le nord où, avec l'aide de son fils BIGOMOKERO, il se mit à
repousser les Bahavu qui, eux aussi, se tournaient contre
les Bahunde (20).
Les
dissensions intérieures qui minaient la vie politique de Bashi nous
semblent être la cause principale qui a fait que ce
peuple n'avait pas pris l'initiative de la guerre contre le Rwanda.
Néanmoins, il se laisse attaquer et se défend héroïquement parce que la
solidarité naissait quand il s'agissait de repousser
les voisins belliqueux qui convoitaient leurs champs et leurs
pâturages (21).
Le
successeur et fils de MAKOMBE, NABUSHI Byaterana, qui a régné pendant
30 saisons sèches, soit environ entre c. 1859 et
c. 1889, ne connaîtra pas cette paix car déjà le successeur de
MUTARA II RWOGERA, le Roi KIGELI IV Rwabugiri, préparait des expéditions
contre tous ses voisins dont les causes principales
étaient:
1. La conquête des terres et la soumission des chefs rivaux du Rwanda à son pouvoir.
2. La vengeance des défaites subies par ses ancêtres et la recherche de l'emblème royal jadis emporté par les Banyabungo.
Pour Rwabugiri, cela était une honte pour le peuple rwandais qu'il fallait laver par tous les moyens (22).
L'Abbé
KAGAME ajoute que l'objectif rwandais consistait en une conquête des
terres et en une installation, partout où
passerait l'armée de Rwabugiri, des Banyarwanda qui devaient, petit à
petit, soumettre et dominer les populations rencontrées.
"…
le Bunyabungo devrait être conquis petit à petit par les pisés
d'habitations. La masse rwandaise devrait venir
s'installer sur telle colline, ensuite sur la suivante et ainsi de
suite, de sorte que finalement le pays soit submergé et vaincu…" (23)
Ainsi
défini, l'objectif principal de Rwabugiri était d'abord la conquête du
Bushi qu'il considérait comme étant le grand
rival qui pouvait, une fois conquis, permettre la soumission de tous
les Etats de l'Ouest du Lac Kivu. On comprend alors les raisons qui
auraient poussé le monarque rwandais à multiplier des
expéditions contre le Bushi.
RUTAGANDA,
successeur et fils de NABUSHI Byaterana, connaîtra aussi les
expéditions de Rwabugiri, mais son règne a été
surtout perturbé par la pénétration européenne et l'installation des
premiers Blancs au Bushi. Jusqu'à la fin de sa vie, RUTAGANDA se
montrera hostile à la conquête de ses terres par des
étrangers et sa résistance ne prendra fin qu'avec sa mort subite en
1919 provoquée par la grippe espagnole "CIHUSI", même si déjà en 1916 il
avait fait acte de soumission à l'administration
coloniale (24).
Les
expéditions de Rwabugiri débutent en 1873. Cette date a été vérifiée
car une année après, une comète se fit voir.
C'était la comète de COGGIA, de 1874, dont la première phase avait
une tête, la deuxième deux têtes et la troisième trois têtes. La
première expédition contre le BUTEMBO serait en fait une
contre-attaque. Le Chef MUVUNYI du BUHUNDE avait razzié un troupeau
de vaches qui était en transhumance dans le KAMARONSI en territoire
rwandais. En guise de revanche, Rwabugiri entreprit
d'attaquer la région que KAGAME appelle "Butembo" (25).
Les armées rwandaises: INGANGURA-RUGO, INSHONZI-MIHIGO et les IBISHUMIZI attaquèrent les BUHUNDE et traversèrent la
Nyabarongo jusqu'au Butembo (26).
Il
y a lieu de faire remarquer une confusion dans la dénomination des
lieux du territoire zaïrois par la tradition
rwandaise. En effet, en traversant la Nyabarongo, on entre
directement au Bushi et pas au Butembo car cette rivière constitue la
limite nord de la région shi de Katana (IRHAMBI) avec le BUHAVU
(Kelehe). La thèse rwandaise peut être vérifiée si dans l'avenir des
récits prouvaient l'existence d'une présence des Batembo vers la
Nyabarongo qu'ils ignorent d'ailleurs. Rwabugiri n'a pas
attaqué directement le Bushi après l'invasion du Buhunde. L'Abbé
KAGAME retient qu'après avoir anéanti toutes les résistances Hunde,
Rwabugiri était rentré au Rwanda où il devait protéger son
butin de guerre dans sa nouvelle résidence de RUHEGERA (27).
1 La première expédition vers le Bushi en 1879 ou l'expédition du KU-BUNTUBUZINDU (capitale du Bushi où
résidait Byaterana)
NABUSHI-Byaterana
régnait sur le Bushi. Son frère BIGOMOKERO contrôlait la région
d'Irhambi jusqu'à la Nyabarongo. Le calme
régnait partout sauf à IBINJA où Rwabugiri venait de débarquer avec
toute son armée composée des INGANGURA-RUGO (= assaillants
d'avant-garde) et des INSHONZIMIHIGO (= les provocateurs de hauts
faits). C'est là où il organisa ses hommes et où il arrêta le plan
d'attaque du Bushi.
Le
haut commandement de l'expédition fut confié à NDIBYALIYE, fils de
MBAGALIYE, et l'attaque devait se faire en deux
directions. La première colonne, dirigée par RUDAKEMWA, devait
attaquer par le Nord, alors que la seconde, commandée par RWANYONGA,
fils de MUGAGWAMBERE, devait occuper le sud du Bushi en passant
par le site de l'actuelle ville de Bukavu (28).
La
colonne sud s'était organisée à KUMUHALI, près de Kamembe au bord du
Lac Kivu, région rwandaise voisine du Bushi qui
devait permettre une rapide traversée de la Ruzizi. La guerre éclata
non loin de l'actuelle ville de BUKAVU où l'armée rwandaise se trouvait
en face des guerriers shi conduits par MUTARUSHWA,
fils de NAMINANI, commandant les "MAHEMBE" (les cornes) et BIHOGO,
commandant les "BIRUSHA" (les surpasseurs) (29).
Le
commandant rwandais RWANYONGA triomphera des Shi qui reculeront les uns
vers la forêt de bambous, les autres vers le
marais de Lushanja. Les Banyarwanda vont installer leur quartier
général dans le Bushi central à KU-MBIZA (l'actuelle localité de MBIZA à
KABARE). C'est de là que partiront toutes les attaques
contre les fuyards Shi vers la forêt de la Lushanja. Dans une
clairière aménagée, les Banyarwanda perdront grand nombre de leurs
soldats (dont RWANYONGA) dans une embuscade que les Bashi leur
avaient tendue (30).
La
colonne nord, qui avait débarqué au Bushi à partir de l'île IBINDJA à
son passage par la région de BIRAVA, fut
exterminée par les "NVUZA-RUBANGO" de NABUSHI Byaterana qui étaient
partis secourir le Prince shi RUTEBUKA avant de descendre anéantir le
reste des résistants Banyarwanda de la colonne sud à
Mbiza, Bugobe et vers Nyarukemba (31).
La
riposte rwandaise fut vaine, car les Shi tenaient à venger la mort du
Prince RUTEBUKA tué par les guerriers rwandais de
la première colonne (Nord). KAGAME retient qu'un seul survivant
rwandais a pu atteindre Rwabugiri qui attendait ses hommes vers le lac.
Celui-ci, voyant qu'il était incapable d'arrêter l'avance
des Shi par les sons de tambours, traversa le Lac Kivu et s'en alla
organiser chez lui, au Rwanda, une année de deuil en mémoire de ses
soldats tués au Bushi (32).
Une remarque est à tirer des récits ayant trait à cette expédition de 1879:
1.-
Du côté shi, les traditions retiennent de belles descriptions de cette
guerre et décrivent aisément la victoire shi qui
est aussi attestée par les récits rwandais. Cependant, P. MASSON,
qui a essayé de commenter les récits shi, y ajoute des contradictions
qui méritent d'être corrigées.
Le Mwami Rwabugiri du Rwanda n'a jamais combattu le Mwami NABUSHI Makombe qui est mort vers l'année 1859.
2.- Les noms shi présentés dans les récits rwandais prêtent à confusion.
Nous sommes arrivés à trouver les correspondances pour certains noms retenus seulement dans les récits shi. Des travaux
ultérieurs pourront permettre peut-être d'apporter une lumière à ce problème.
Le nom de RUTEBUKA, fils du NABUSHI Byaterana, par exemple, se retrouve dans les récits de deux peuples et désigne le même
personnage, c'est-à-dire un Prince shi et le meilleur guerrier du Bushi qui avait été tué par le Roi RWABUGIRI du Rwanda.
2 La deuxième expédition vers le Bushi (C. 1881-1885)
L'EXPEDITION DU MU-KANYWIRIRI (KANYWIRIRI)
Cette
expédition avait été préparée une année durant par RWABUGIRI dans le
but de venger ses soldats tués par les Bashi
lors de son expédition de Ku-Buntubuzindu. La préparation semblait
être trop sérieuse du côté rwandais où plusieurs armées étaient
mobilisées pour attaquer le Bushi en passant par l'historique
marais de Kanywiriri où les Shi étaient concentrés et attendaient de
pied ferme les Banyarwanda. Le Mwami NABUSHI Byaterana avait, de son
côté, estimé qu'il fallait mobiliser plusieurs hommes qui
furent groupés en cinq armées dirigées par MUZUKA, NFIZI, CIRABA,
KAKIRA et CIRHUZA (33).
CIRABA, fils de NABUSHI Byaterana, était le commandant en chef des armées shi, alors que ZIMURINDA (Mibambwe Mutabazi),
fils de SEMULINA, était le commandant de l'expédition de MU-KANYWIRIRI.
Les
Banyarwanda avaient attaqué en deux groupes. Le premier (sud), composé
de INVEJURU, NYAKARE, NYARUGURU, INDARA,
ABASHUMBA, INTARA, URUYANGA, était dirigé par NYILIMIGABO et les
ITANGAZWA par NYAMUSHANJA, fut exterminé par les Bashi sur une colline
près de Kanywiriri. Le second groupe, qui voulait
attaquer par le nord du marais, ne connut pas de succès malgré la
mort du Commandant shi CIRABA qui avait été percé par une flèche tirée
par NYAMUKEBA, un guerrier de Rwabugiri, originaire du
Burundi. Dans ce second groupe, on note la présence de NKUNDIYE,
Mwami d'Idjwi, qui dirige les Inziraboba (34).
Comme il avait perdu bon nombre de ses hommes, Rwabugiri retourna honteux au Kinyaga afin d'y préparer une autre expédition
(35).
3. La troisième expédition vers le Bushi (C. 1890-1892) ou l'Expédition du Rusozi (RUZIZI)
Il
est bon de débuter ce paragraphe par un correctif au récit de l'Abbé
KAGAME qui a présenté cette expédition du RUZIZI
après celle de CIRHOGOLE en plein coeur du Bushi. En effet, nous
avions signalé plus loin que Rwabugiri, vaincu au Bushi, avait fixé sa
cour (provisoirement) dans le Kinyaga afin de préparer une
vengeance contre le Bushi. Il ne pouvait donc pas par conséquent
aller attaquer le Bushi vers Irhambi (Nord) et laisser la frontière sud
qui était proche de Kamembe dans le Kinyaga.
Notre constatation se vérifie aussi car c'est sous cette expédition du RUZIZI que furent tués NGWESHE-LIRANGWE et la
Reine-mère MUGENYI qui venaient de s'unir en mariage après la mort de Nabushi Byaterana.
L'expédition
de Rusozi a été décrite dans une version shi vraisemblable présentée
par Paul MASSON aux pages 97-102 de son
livre. Selon MASSON, cette expédition a été précédée par des luttes
d'influences au Bushi après la mort de Nabushi Byaterana. Rutaganda
étant mineur, sa mère Mugenyi devait diriger le pays.
Celle-ci était jalousée par sa rivale Namutoko qui voulait placer
son fils Ruhangara sur le trône du Bushi et devenir ainsi la Reine-mère
incontestée des Bashi.
Elle
se mit alors à comploter pour faire disparaître Rutaganda et sa mère et
eut gain de cause auprès de sa soeur Nakesa
(fille de Niganda, originaire du Rwanda), épouse du Chef
Ngweshe-Lirangwe, qui venait d'épouser la reine-mère Mugenyi. Nakesa
trouva aussi une raison de se venger et de porter vite son fils
Ruhongeka au trône de Ngweshe. Il fallait, pour réussir ce coup, se
tourner du côté du Rwanda où elles pouvaient recevoir l'aide de
Rwabugiri qui venait d'essuyer de grandes défaites au Bushi. Le
récit de P. MASSON nous semble confus quand il dit que Nakesa et sa
soeur s'étaient plutôt adressées à Rukabya, leur parent du Rwanda qui
aurait envoyé le commando qui tua Lirangwe et Mugenyi à
Bugobe (Kabare) (36).
Nous
trouvons au contraire le récit du vieux Bujimbi vraisemblable quand il
nous parle de Rwabugiri qui aurait reçu des
présents de ces deux reines shi et qui voyait en cette demande une
occasion d'annexer purement et simplement le Bushi en acceptant
l'investiture de Ruhangara et de Ruhongeka dont le grand-père
était Munyarwanda d'origine (37).
Cette
version se marie avec celle présentée par l'Abbé KAGAME dans son cours
d'ethnohistoire du Rwanda. Certains éléments
de cette thèse comme les présents à Rwabugiri, la volonté d'annexer
le Bushi, se retrouvent dans la version de P. MASSON (à la page 99 de
son livre).
Rwabugiri aurait alors demandé à Lirangwe de lui livrer le Mwami Rutaganda et sa mère et que son refus signifierait une
déclaration de guerre contre le Rwanda. KAGAME retient que:
"Ce prince Katabirhurhwa des Bishugi (Ngweshe) avait épousé la mère de Rutaganda. Ce dernier était alors devenu le tuteur
du Mwami.
Rwabugiri
lui demanda de lui livrer le jeune mwami et sa mère afin de se venger
de la mort de ses soldats tués par Nabushi
Byaterana. Katabirhurhwa refusa et Rwabugiri attaqua le Bugweshe où
il tua la Reine-mère et Katabirhurhwa. Le Mwami Rutaganda avait pris la
fuite et rentra après le départ de Rwabugiri pour
organiser son armée, les Akabera." (38)
Le
nom "Katabirhurhwa" désigne dans ce récit "Lirangwe" pour les
Banyarwanda. Nabushi Rutaganda, très jeune au cours de
cette expédition, avait réussi à se cacher sous la protection de ses
gardiens Nkunguli et Nyabyale, chez le Chef Naluhwinja, d'où il partira
après sa majorité pour organiser son armée et lutter
contre le Rwanda.
P.
MASSON soutient qu'au cours de cette expédition, Rwabugiri aurait
réussi à emporter le tambour royal du Bushi mais les
Bashi le nient catégoriquement. KAGAME affirme aussi dans ces récits
que cette expédition a été la seule que les Banyarwanda ont gagnée au
Bushi. Ce qui serait pour lui une confirmation des faits
rapportés par MASSON (39).
La
conséquence de cette expédition serait l'annexion du Bushi par
Rwabugiri, une annexion qui n'était pas totale parce que
ce sont des princes Luzi, ici les deux familles régnantes à Ngweshe
et à Kabare, qui vont régner (Ruhangara au Buhaya et Ruhongeka à
Ngweshe). Aussi, il faut dire que les Bashi restaient toujours
fidèles au nouveau mwami que Nabushi Byaterana leur avait désigné, à
savoir le jeune Rutaganda qui était toujours en exil à Luhwinja.
Ruhangara
n'avait pas d'audience auprès des Bahaya qui ne lui pardonnaient pas la
mise à mort de la reine-mère Mugenyi et
l'invasion de leurs terres par les Banyarwanda. Cette prise de
position des Bashi avait conduit à une rébellion ouverte contre
Ruhangara qui se sauva de l'autre côté de la Ruzizi, fuyant ainsi
les guerriers Bahaya et Bishugi qui le pourchassaient de colline en
colline (40). P. MASSON ajoute à son récit sur la fuite de Ruhangara que
Rwabugiri, pris de colère devant l'avance des Bashi,
avait ordonné la mise à mort de son vassal malheureux qui n'avait
pas su organiser le territoire laissé sous son administration (41).
Cette fuite de Ruhangara a été suivie par le retour de mwami rutaganda qui devait alors prendre la tête de son armée et
combattre les corps expéditionnaires de Rwabugiri dans le nord du Bushi.
4 La quatrième expédition vers le Bushi (C. 1894-1895) ou l'expédition de Ku-Kidogoro (Cirhogole)
La
quatrième expédition de Rwabugiri au Bushi a été précédée par une
expédition contre l'île Idjwi. Ceci explique même
l'emplacement du champ de bataille "CIRHOGOLE" qui se trouve dans le
Bushi-nord, non loin de la paroisse de Murhesa (±25 km de la ville de
Bukavu).
Rwabugiri,
dont les troupes étaient jusque-là stationnées dans le sud (Kinyaga),
venait d'apprendre le soulèvement du Chef
Nkundiye d'Idjwi, son ancien vassal qui, ayant vécu les défaites des
Banyarwanda devant les Bashi, s'était décidé de lutter afin de
reconquérir son indépendance.
Nous
sommes vers l'année 1894, quand les troupes de Rwabugiri se replient
vers le Nord, fixant leur quartier général à
Nyamirundi près du lac. Là, il était facile de surveiller les
pirogues de Nkundiye et d'arrêter un plan de guerre qui devait permettre
une invasion rapide de l'île Idjwi. Les Banyarwanda
craignaient une guerre navale dont les Bahavu étaient réputés
spécialistes.
Ils eurent une raison de débarquer clandestinement sur l'île où ils mirent l'armée Havu en débandade. Nkundiye s'enfuit
vers le Bushi et fut tué entre la région d'Irhambi et l'îlot Ishovu (42).
Son territoire fut annexé par Rwabugiri qui avait profité des luttes d'influences entre les familles TABARO et NKUNDIYE.
Ainsi Idjwi devient un lieu stratégique pour les conquêtes de Rwabugiri vers d'autres régions (Bushi, Buhunde).
L'EXPEDITION DE CIRHOGOLE (1895)
Rwabugiri
poursuivant les fuyards Havu dont Nkundiye au Bushi, se trouva en face
d'une résistance farouche organisée par le
Chef d'Irhambi, CIKO-BARAMBA. Il s'agit du Chef KARHANA Nciko, fils
de Bigomokero Bya Makombe, qui fut rapidement défait par les
Banyarwanda. Au sud vers CIRHOGOLE, le notable Kabi s'opposa à
l'arrivée de guerriers de Rwabugiri. Ses hommes avaient réussi à
faire reculer l'ennemi jusque vers cishoke avant l'arrivée du renfort
envoyé par Nabushi Rutaganda sous le commandement de
Rwabika, Nfizi, Chirusha et Makungu ga Mwendo (43). Les Bashi se
groupèrent en 3 colonnes et adoptèrent la tactique de guerre en 3 lignes
"EMIBIBI" qui consistait à encercler l'ennemi de tout
côté sans lui laisser le temps de fuir (44). A la première attaque,
les Bashi furent repoussés par les Banyarwanda qui tentaient de gagner
le lac en direction probablement d'Idjwi en passant par
Birava.
A
la seconde attaque, les Bashi attaquèrent la nuit. Un de leurs
commandants, "MAKUNGU", fut tué et les Banyarwanda
remportèrent une nouvelle victoire "éphémère". A la troisième
attaque de CIRHOGOLE, les Bashi, qui combattaient toujours en 3 lignes
sous la conduite de Nabushi Rutaganda lui-même, massacrèrent
les Banyarwanda qui se repliaient vers la rivière Mpungwe. Une
partie de l'armée rwandaise, sous la conduite de Rwabugiri, réussit à
gagner IBINDJA car les Bashi étaient incapables de les
poursuivre sur le lac, ne sachant ni nager, ni ramer (45).
C'est
dans l'île d'Ibindja que Rwabugiri fut empoisonné par des hommes de sa
cour. Toutefois les traditions rwandaise, Shi
et Havu n'ont pas retenu leur appartenance ethnique ou tribale. On
sait tout simplement que ses guerriers avaient ramené son corps à
Nyamasheke au Rwanda, où devait se tenir le deuil (46). Les
circonstances de sa mort ne sont pas encore clarifiées. Nous les
présenterons dans un travail ultérieur. C'est avec cette mort de
Rwabugiri que prirent fin les conflits armés entre le Bushi et le
Rwanda.
Murhebwa
L.K. souligne qu'à Idjwi, après la mort de Rwabugiri, les Banyarwanda
qui cherchaient à coopérer avec les
Bany'Idjwi restèrent, tandis que ceux qui voulaient encore dominer
furent tués ou se virent expulser de l'île (47). Newbury S.D. ajoute que
les chefs Banyarwanda Muhigirwa, Rwidegembya…
tâchèrent de s'y maintenir durant quelques temps mais finalement ils
furent refoulés et l'île Idjwi reconquit son indépendance… Une
délégation fut envoyée au Bushi pour appeler le Mwami MIHIGO
NDOGOSA, fils de KABEGO, qui fut intronisé en (C. 1896) (48).
Au Bushi, la population avait appris avec beaucoup de satisfaction la mort de Rwabugiri.
Au
Buhaya, un esprit d'indépendance se développe dans la noblesse depuis
la scission de Karhana (Katana). Cet esprit est
encore accentué par la faiblesse des débuts du règne du Mwami
Rutaganda. Les partisans de Rutaganda ont subsisté et leur anarchie se
perpétuera jusqu'à la période coloniale.
Au Bugweshe, c'est la régente Nakesa qui fait la loi. Sa déchéance provoquera une mésentente entre ses partisans et les
partisans de son fils Ruhongeka (49).
Au
moment où intervient le phénomène colonial belge au Bushi et allemand à
Idjwi, Kabare Rutaganda (Buhaya), Ngweshe
Ruhongeka (Budweshe) et MIGIGO Ndogosa (Idjwi) (tous trois de la
nouvelle génération), ont pris les rênes de leur administration en main.
La
conférence de Bruxelles du 16 juin 1910 délimita les possessions de
l'Etat indépendant du Congo (EIC) et de l'Allemagne
de la manière suivante: une ligne qui, partant de la RUZIZI, aboutit
à un point d'égale distance entre Goma et Gisenyi. En outre, elle
attribua à l'Etat indépendant du Congo belge les îles
ci-après: Idjwi, Kirshanga, Nyamarongo et Ibindja (50). Ainsi le
Rwanda devint une possession allemande et le Bushi et Bukavu un
territoire belge.
CONCLUSION GENERALE
Nous venons de présenter à travers ces pages des détails sur les conflits armés qui ont opposé les Bashi et les Banyarwanda
avant la pénétration européenne.
Cette étude nous a permis d'établir une première estimation approximative de la chronologie des Bami du Bushi dont
l'installation sur les terres qu'ils dirigent aujourd'hui remonterait très loin dans les temps (11e et 12e s.).
Nous
pouvons remarquer à la lumière de notre travail que les Banyarwanda
n'ont pas su conquérir le Bushi ni soumettre les
Bashi comme semble l'affirmer l'Abbé KAGAME quand il dit que seule
l'expédition de CIRHOGOLE a eu raison des Banyabungo et a sonné le
triomphe de Kigeli IV sur ce pays coriace (51). Dans son
oeuvre, il s'en tient plus aux récits officiels des événements.
En
effet, l'Abbé Kagame, qui n'a pas su analyser toutes les expéditions
contre le Bushi, oublie que c'est au cours de cette
expédition de Cirhogole que Rwabugiri trouvera la mort dans sa fuite
vers l'île Ibindja. Notre remarque peut se confirmer, car l'Abbé Kagame
ajoute que "Les Rwandais appellent ce pays
'Bunyabungo' et les habitants 'Banyabungo' pour dire 'Pays fort' et
'guerriers courageux'" (52).
Il termine par cette phrase prononcée par Rwabugiri en réponse à ses guerriers qui lui demandaient de rentrer chez lui
après sa défaite sur les Bashi: "… Moi, être battu par les Bashi" (53).
Il semble que Rwabugiri répétait cette phrase car il avait honte de sa défaite devant les Bashi. Ceci prouve bien que
Rwabugiri n'a pas réussi à soumettre ce peuple qu'il devait encore combattre s'il n'avait pas été empoisonné.
La
classification de ces conflits armés mérite donc des études fouillées
allant au-delà d'un simple article, qui pourront,
nous l'espérons, apporter une lumière à l'histoire ancienne du Bushi
et du Rwanda et pourquoi pas de toute la région interlacustre.
NOTES
(1) La rivière Nyabarongo constitue aujourd'hui la limite entre les Shi et les Havu, soit la limite entre les régions du
Chef NIALE à Kalehe et celles de KAJANA dans le nord du Bushi.
(2) KAGAME A., Cours d'ethnohistoire du Rwanda, UNAZA/L'shi, 1973-1977 (Notes manuscrites).
(3) R.P. COLLE, Essai de monographie des Bashi, Bukavu, Libreza, 1977 (la première édition polycopiée date de
1933).
MASSON P., Trois siècles chez les Bashi, Tervuren, MRAC, 1960.
(4) NEWBURY D.S., "Les campagnes de Rwabugiri, chronologie et bibliographie", in Cahiers d'Etudes Africaines, XIV
(1974) I, pp. 181-191.
"Rwabugiri and Idjwi", in Etudes d'Histoire africaine, VII (1975), pp. 155-173.
(5) Les analyses de l'Abbé KAGAME sont présentées dans son Cours d'ethnohistoire du Rwanda, ainsi que dans son
article "La documentation du Rwanda sur l'Afrique interlacustre des temps anciens", in La civilisation ancienne des peuples des Grands Lacs, Karthala-CBB, 1987 (Actes du Colloque de
Bujumbura), pp. 300-331).
Dans ces travaux, l'auteur s'est inspiré surtout de ses oeuvres principales sur l'histoire du Rwanda:
– La notion de généalogie appliquée à la généalogie dynastique et à l'histoire du Rwanda des Xe-XIe siècles à nos
jours, Mémoire in 8e de l'ARSC, tome IX, 5, Bruxelles, 1959.
– La poésie dynastique du Rwanda, Bruxelles, IRCB, Mémoire in 8-X II, 1 (1951).
– Introduction aux grands genres lyriques de l'ancien Rwanda, Editions Universitaires du Rwanda, Butare,
1969.
– Un abrégé de l'ethnohistoire du Rwanda, Ed. Universitaires du Rwanda, Butare, 1972.
(6)
En effet, en partant des estimations de j. VANSINA, A. KAGAME et
P. DELMAS, selon lesquelles CIHANGA serait le
premier roi dynastique du Rwanda dont le règne remonterait vers 1220
et en prenant une moyenne de ±24 ans pour chaque règne, nous remarquons
que NSORO Ier, qui est séparé de CIHANGA par 7 rois,
aurait alors régné vers ±1388, soit une différence de 168 ans entre
les deux souverains. Cette classification a été établie en partant du
règne du 28e roi de la dynastie, YUHI V MUSINGA, qui
a accédé au trône du Rwanda en 1898, ainsi que celui du 21e roi,
MIBAMBWE III SENIABYO, dont le règne, marqué par l'observation de deux
éclipses solaires, a pu être daté (13 mars 1741 & 13
avril 1763).
En prenant toujours la moyenne de ±24 ans par règne, ces deux datations absolues ont permis d'établir une chronologie de
tous les rois du Rwanda.
– KAGAME A. & P. DELMAS, "Chronologie des Rois du Rwanda" in Historique et chronologie du Rwanda, S.L. SD., p.
9.
– VANSINA J., Evolution du royaume du Rwanda des origines à 1900, Bruxelles, SD., p. 51-55.
N.B.: La chronologie de VANSINA diffère de celle de KAGAME de ±10 ans par règne.
– MUGARUKA B.M., Histoire de l'organisation politique et administrative du territoire de Kabare-Kivu (1935-1960),
mémoire de licence en Histoire, UNAZA/lUBUMBASHI, 1977, PP. 32-33.
(7) KAGAME A., op. cit., p. 4.
(8) MASSON P., op. cit., p. 24.
(9) KAGAME A., La documentation…, p. 318.
(10) Nous avions fait ressortir cette remarque dans notre mémoire déjà cité à la page 17.
(11) Pour comprendre cette différenciation sous le règne de Rwabugiri, il faut se référer à Newbury S.D., Rwabugiri and
Idjwi, op. cit., p. 160.
(12) Idem, p. 318.
Nous n'avons pas trouvé le nom dynastie de ce Nabushi mais nous croyons qu'il s'agit bien d'un petit-fils du Mwami NABUSHI
CHILEMBEBWA, notamment le NNABUSHI NSHULILUDJO.
Cfr. les généalogies de P. MASSON et du R.P. COLLE présentées par BASHIZI Cirhagarhula dans son article "Origine et
établissement des Bashi du Bushi (Kivu)" in Likundoli, enquêtes d'histoire zaïroise, 1 (1973), 1-2, pp. 42-43.
(13) KAGAME A., Cours d'ethnohistoire du Rwanda, UNAZA-L'shi, 1973-1974, p. 5.
(14) Idem, p. 6 (bis).
(15) Se rapporter à la chronologie et au récit présentés par l'Abbé KAGAME dans La documentation…, op. cit.,
p.
315 et dans son cours à la page 6 (bis). Nous n'acceptons pas ce
fait car le Buhunde n'a jamais été tributaire du Rwanda et a toujours
conservé son indépendance.
(16) Traditions rapportées par P. MASSON, op. cit., pp. 59-63.
(17) KAGAME A. & P. DELMAS, op. cit., pp. 10-12, Vansina lui propose l'année 1785 comme indiquant l'avènement
de YUHI IV. Cfr. chronologie des règnes in Récits historiques du Rwanda, Tervuren, MRAC, 1962, p. 58; Oeuvres de A. COUPEZ & Th. KAMANZI.
(18)
Le récit que nous a raconté notre grand-père maternel BUJUMBI (±90 ans)
à Lugulu (Kabare), sur les Bami du Bushi en
1980, retrace aisément les règnes de Birhenjira et de son fils
Makombe. Bajinji = les anciens chefs de clans au Bushi et gardiens des
traditions.
(19) Notre informateur BUJIMBI dit que Makombe a régné pendant 50 saisons sèches contrairement à son fils Byaterana qui
fera 30 byanda. CANDA (pluriel Byanda) = saisons sèches en Mashi. Celui-ci n'a fêté que 26 fois le MUBANDE.
(20) MASSON P., op. cit., p. 71.
(21) NJANGU C.C., La résistance shi à la pénétration européenne (1900-1920), mémoire de licence en Histoire,
UNAZA-L'shi, 1972-1973, p. 49.
(22) Dans son cours déjà cité, p. 7, KAGAME présente ces causes, parmi lesquelles nous ne retenons que les deux
principales.
(23) KAGAME A., "La documentation…", in Actes du Colloque de bujumbura, p. 319.
(24) Lire NJANGU C.C., op. cit., p. 81.
(25) KAGAME A., Cours d'ethnohistoire du Rwanda, p. 5. Les récits sur les expéditions de Rwabugiri sont aussi
présentées par A. COUPEZ & TH. KAMANZI, op. cit., pp. 319-327.
(26) Idem, p. 4.
(27) Ibidem.
(28) KAGAME A., "La documentation…", op. cit., p. 929.
(29) Idem, p. 320.
(30) Nous nous référons au récit de BASAKA complété par notre père MUHIRHWA à Moiza Kabare en 1975-1976.
(31) KAGAME A., "La documentation…", pp. 321-322.
(32) KAGAME A., Cours d'ethnohistoire du Rwanda, p. 5.
(33) KAGAME A., op. cit., p. 324. Cfr. aussi les récits de BASAKA complétés par mUHIRHWA
en 1976 à Moiza.
(34) KAGAME A., idem, pp. 319-324.
L'île Idjwi était à cette époque soumise à l'autorité de Rwabugiri et le Chef NKUNDIYE lui payait tribut.
(35) Lire les cours de l'Abbé KAGAME déjà cité.
(36) MASSON P., op. cit., p. 99.
(37) Information de Bujimbi, déjà cité.
(38) KAGAME A., op. cit., p. 6 (bis).
(39) MASSON P., idem, pp. 37-101.
(40) CHOMACHOMA interrogé à Mbiza, août 1980.
(41) MASSON P., idem, p. 102.
(42) Nous nous référons au récit de l'Abbé KAGAME dans son Cours d'ethnohistoire du Rwanda déjà cité, p. 7.
(43) L'orthographe de ces noms a été corrigée par nous-mêmes en nous basant sur les récits déjà cités de Kagame et
Basaka.
(44) Se rapporter au cours de l'Abbé KAGAME déjà cité à la page 6.
(45) Récit de BUJIMBI déjà cité.
(46) A nos constatations s'ajoutent les réflexions de KAGAME dans son cours cité à la page 6 (bis).
(47) MURHEBWA L.K., Histoire politique d'Idjwi sous les Basibula: Essai de périodisation (début IXIe s. – 1960),
travail de fin d'études de Graduat en Histoire, ISP/B,v, 1976, p. 34.
(48) NEWBURY, S.D., "Rwabugiri and Idjwi" in Etudes d'Histoire africaine, VII, 1975, pp. 155-173.
(49) NJANGU C.C., op. cit., p. 49.
(50) MURHEBWA L.K., op. cit., p. 34.
(51) KAGAME A., "La documentation…", op. cit., p. 34.
(52) KAGAME A., idem, P. 322.
(53) Ibidem.