La Banque mondiale complice de la privatisation de l'électricité creuse à nouveau la dette congolaise, par José Mukadi et Renaud Vivien (CADTM)

Le barrage d’Inga a été mis en service en novembre 1972 avec la centrale
Inga 1. Lorsque Mobutu décide de lancer la centrale Inga 2 dix ans plus
tard, il entreprend également la construction d’une ligne électrique
Inga-Shaba à très haute tension de 1900 kilomètres reliant Inga à
Kolwezi alors qu’aucun besoin ne l’exigeait. Initialement prévue à 250
millions de dollars, cette ligne coûta finalement près d’un milliard de
dollars, soit quatre fois le montant initial. Entre 1973 et 1979, la
dette congolaise a été multipliée par 4, passant de 1,4 milliard à 4,5
milliards de dollars.

Loin d'améliorer les conditions de la population congolaise, ces
investissements n’ont fait qu'enfoncer les Congolais-e-s dans la
pauvreté. Alors que seulement 6% de la population est desservie en
électricité (d’une très mauvaise qualité), tout le peuple congolais doit
supporter le poids de la dette. Pis, le remboursement de cette dette
s'est accompagné de l'application des fameux plans d'ajustement
structurel (aujourd'hui rebaptisés « Cadre stratégique pour la
croissance et la réduction de la pauvreté ») dictés par la Banque
mondiale et le FMI, suite à l'éclatement de la crise de la dette du
tiers-monde en 1982. Conséquences : la part du budget destinée à
l’enseignement est passée brutalement de 25% à 3%, des milliers de
travailleurs des entreprises publiques ont été licenciés, les salaires
des fonctionnaires ont été gelés, etc. La priorité était le
remboursement de la dette, accaparant ainsi des ressources vitales pour
le développement de la population : jusqu'à 50% du budget du Zaïre
durant les années 1983-1989.

Au lieu d’éviter que le pays ne retombe dans le piège de la dette, les
autorités actuelles continuent à contracter des dettes, assorties de
conditionnalités qui violent la souveraineté de l'État congolais. Les
pouvoirs publics devraient, à la place, procéder à un audit permanent
des financements extérieurs (crédits, aides, investissements), en
associant des représentants des mouvements sociaux afin d'éviter la
reconstitution de nouvelles dettes illégitimes, évaluer l'impact social
et environnemental des projets, déterminer qui en seront les principaux
bénéficiaires, etc. Car on est en droit de se demander quelles seront
les retombées d’Inga 3 et du Grand Inga sur la population congolaise. Il
y a fort à craindre que ces projets ne génèrent que des dettes
illégitimes, sans aucun bénéfice pour la population.

En effet, la Banque mondiale, qui encourage le gouvernement congolais à
la construction d’Inga 3 et du Grand Inga, ne vise pas l'amélioration de
l'accès de la population à l'électricité. Il est de notoriété publique
que l'électricité produite par Inga 3 ne servira pas aux populations
locales, mais principalement à BHP Billiton, multinationale australienne
spécialisée dans la transformation de la bauxite en aluminium. La
fonderie qui sera construire aux abords du barrage consommera, en effet,
quatre cinquièmes de la production prévue d'électricité. Soulignons
également que la mise en place d'Inga III entraînera une avalanche de
nuisances écologiques, notamment des rejets en grandes quantités de
produits toxiques dans l'eau et les sols. Quant au Grand Inga, son
énergie servira en priorité à alimenter l'Égypte, les pays du
Moyen-Orient et le Sud de l’Italie. De plus, sa construction entraînera
des nuisances écologiques graves et des déplacements forcés de
populations.

Malgré cela, les autorités de Kinshasa ont sollicité le financement
partiel d'Inga 3 par la Banque mondiale, ce qui va encore alourdir la
dette congolaise. Ce financement s'ajoute aux 2 milliards de dollars
déjà prêtés par la Banque mondiale à la RDC depuis le point d'achèvement
dans le cadre de l’initiative PPTE. Au total, le gouvernement congolais
chercherait 22 milliards de dollars pour financer la construction
d’Inga 3 à l’horizon 2020 et de la première phase de Grand Inga en 2025.

En réalité, Inga 3 et le Grand Inga s'inscrivent tout deux dans la
stratégie de privatisation du secteur énergétique en RDC pilotée par la
Banque mondiale. Sur sa demande, le gouvernement congolais a mis en
place en 2004 le Comité de pilotage de la réforme des entreprises
publiques (COPIREP), structure destinée à conduire la politique de la
réforme des entreprises publiques. La Banque mondiale a débloqué 120
millions de dollars pour financer cette opération.

La SNEL (Société nationale d’électricité) compte parmi ces entreprises à
« réformer ». Le 21 mai dernier, le gouvernement congolais a posé un
nouvel acte vers la privatisation de la SNEL en présentant au Parlement
un projet de loi pour la libéralisation du secteur d’électricité en RDC,
profitant du moment où près de 80% de la ville de Kinshasa était
plongée dans le noir à cause de la vétusté des installations de la SNEL.
Par cette action, le gouvernement a soutenu que la SNEL était dans
l’incapacité d’assurer le monopole du secteur d’électricité et ainsi
justifié la nécessité d’ouvrir le secteur aux investisseurs privés. Dans
le même temps, les centrales Inga 1 et Inga 2 fonctionnent à seulement
25% de leurs capacités.

En réalité, cette situation de défaillance est due au tarissement des
ressources de la SNEL liée aux détournements de fonds opérés par les
élites dirigeantes congolaises. Rappelons que la SNEL est sous la
tutelle des ministères du portefeuille et de l’énergie, le premier
chargé de la gestion proprement dite et le second de la gestion
technique. Le gouvernement congolais, qui se charge du recouvrement des
recettes d’exportation de la SNEL, ne rétrocède rien à l’entreprise,
tandis que les recettes locales sont détournées par les politiciens à
tel point que l’entreprise éprouve des difficultés pour payer les
salaires de son personnel. La plupart des travailleurs des centrales
Inga 1 et Inga 2 sont obligés de parcourir plus de 9 km à pied pour se
rendre au travail par manque de moyen de transports alors qu’à Kinshasa,
les politiciens s’amusent avec l’argent de l’entreprise : le
gouvernement est le plus grand débiteur de la SNEL avec des factures
impayées datant de plusieurs années.

Comment la SNEL peut-elle se développer, améliorer la qualité de son
énergie, répondre aux besoins de la population, quand l’outil de
production n’est plus entretenu, quand le stock de pièces de rechange
est inexistant, quand la SNEL est privée des recettes d’exportation ?
Comment un gouvernement responsable peut laisser la dégradation des
installations atteindre le point où plus de 80% de la ville de Kinshasa
soit dans le noir durant plusieurs jours avec toutes les conséquences
que l'on connaît : manque d’eau potable dans une ville de près de 10
millions d’habitants, hôpitaux privés d’électricité, détérioration des
appareils électroménagers, etc.

Cette dégradation de l’outil de production par manque d’entretien était
en fait organisée car cette situation n’est pas arrivée en un jour :
avarie des transformateurs, défauts de protection des réseaux, mauvais
état des canalisations, ensablement du canal d’amené d’Inga qui dure
depuis plus d’une décennie. Le gouvernement congolais, encouragé par la
Banque mondiale, a asphyxié la SNEL pour justifier la privatisation de
cette entreprise, au profit des entreprises privées. En somme, il a
préféré sacrifier la population afin de répondre aux exigences d’une
institution internationale qui impose le néolibéralisme aux forceps. Il
est temps que les dirigeants congolais et la Banque mondiale rendent des
comptes au peuple congolais!

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