08.08.11 Les Dépêches de Brazzaville – Jean Marie Kilonda : « Un pays sans réserves agricoles est un pays moribond »

Les Dépêches de Brazzaville : Pourquoi dites-vous dans votre livre que disposer des réserves stratégiques est une impérieuse nécessité pour la RDC ?

Jean-Marie Kilonda : Chacune des circonscriptions de production agricole une fois dotée de réserves stratégiques, le gouvernement n'aura plus besoin d'élaborer toute une feuille de route et d'inviter les expatriés importateurs à des concertations pour baisser les prix des denrées alimentaires. En cas de pénurie de maïs à Kinshasa, par exemple, Kaniamakasese peut ravitailler la ville- province et vice versa. Il s'agit de la meilleure façon de luter contre la surenchère des prix. Mais nous n'avons pas de réserves agricoles. Un pays sans réserves reste fébrile et balloté à tout vent par les puissances prompts à y déverser des produits parfois interdits à la consommation chez eux. L'enjeu économique est important. Lors des pénuries, les privés disposent encore de stocks mais ils cherchent juste à en profiter. Nous proposons la création d'une direction générale des circonscriptions agricoles pour prendre la relève de la direction générales des douanes et accises car la RDC a ratifié certaines conventions relatives à l'Union douanière. Notre marge de manœuvre se retrouvera davantage réduite lors de leur exécution. Il faut donc se tourner vers l'agriculture pour se préparer en conséquence.

LDB : Peut-on constituer des réserves agricoles à la lumière de vos recommandations ?

JM.K. : L'application du contenu de ce livre peut, dès la première année, donner satisfaction aux besoins de la population. Mais pour les réserves agricoles, il faudra attendre la deuxième ou la troisième année. À ce moment, nous allons tendre vers l'agro-industrie car nous aurons les matières premières, notamment le maïs, le manioc, le riz, le café, l'huile de palme, les avocats, les orangers, etc. Il sera possible de monter une usine de production de jus d'orange grâce à un stock d'oranges disponibles. La production du chocolat est également tributaire de la production du cacao. Ainsi de suite.

LDB : Êtes-vous descendu sur le terrain pour faire le constat de la situation des agriculteurs ?

JM.K. : Je ne suis pas allé dans chacune des provinces mais les problèmes restent les mêmes un peu partout sur l'étendue du territoire national. J'ai fait une observation participante sur mon terrain situé au Katanga. Les difficultés sont les mêmes que chez mes voisins directs. Lors de ma visite à la périphérie de Kinshasa, j'ai rencontré les mêmes difficultés. Je pourrais les présenter sommairement de la manière suivante : pas d'encadrement, pas d'équipements, pas d'assistance ou de subventions du gouvernement. Dans ces conditions, les agriculteurs ne peuvent pas atteindre l'autosuffisance alimentaire. Le chef de l'État, Joseph Kabila, a eu la bonne idée d'acheter 2600 tracteurs. L'on annonce aussi qu'il y a une nouvelle commande de 2000 engins. Mais le déficit organisationnel demeure.

LDB : C'est-à-dire ?

JM.K. : Quatre facteurs importants jouent en faveur de la RDC : la main- d'œuvre, le potentiel ou la nature, le capital immobilier (tracteurs, par exemple) et l'argent. Il est possible de créer un autre facteur : le travail. Bien exploitée, l'agriculture est un secteur capable de générer beaucoup de ressources et de ce fait accélérer le développement durable. Or, les critères objectifs n'ont été pris en compte lors de la distribution des tracteurs. L'un de ces critères aurait dû être la densité démographique de chaque circonscription de production agricole. En adressant mes félicitations au ministère de l'Agriculture et au premier agriculteur du pays, Joseph Kabila, pour l'acquisition de ces tracteurs, je n'ai pas manqué d'inviter les autorités à une distribution en fonction de la capacité de remboursement des bénéficiaires.

LDB : Que reprochez-vous exactement à la méthode utilisée pour distribuer ces tracteurs ?

JM.K. : Aucun pays ne s'est développé par des dons. Il revient au gouvernement d'apprendre à sa population à travailler pour ne plus avoir faim. Il faut l'inciter à travailler. L'on a remis à chaque territoire un tracteur de manière expérimentale sans mesures d'encadrement, ni politique de suivi. Les 70 hectares prévues pour la production après la remise d'un tracteur n'ont pas été réalisées faute justement de contrôle. Avec cette structure d'encadrement efficace, le gouvernement aurait pu ensuite passer à d'autres phases : subvention de l'agriculture, octroi des microcrédits agricoles, etc. L'on doit sentir que chaque circonscription est réellement occupée par le gouvernement. Il faut aussi relever le défi de la construction des routes de desserte agricole pour permettre l'évacuation de la production.

Propos recueillis par Laurent Essolomwa

Photo 1 : Une attitude de Jean-Marie Kilonda lors de l'entretien

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