22 08 11 Le Potentiel – Cinq questions à Bokomba Kassa-Kassa
Vous venez de publier, sur votre site www.Bokomba.com le
3ème dossier axé sur l'oubli du patrimoine onomastique congolais et ses
conséquences, alors que lattention des politiques congolais est de nos
jours focalisée sur les élections de 2011. Ne marchez¬-vous pas à
contre-courant en proposant un sujet qui n'est pas d'actualité?
La tenue d'élections au Congo suppose l'existence d'un certain nombre
de conditions et préalables qui ne sont pas remplis. Ils ne le seront
pas avant le prochain scrutin. La condition souveraine, le premier
préalable pour organiser une consultation électorale dans un pays porte
sur la paix et la sécurité. Au Congo, nous en sommes fort éloignés. Pour
avoir oublié ce principe, pour avoir accepté l'organisation des
scrutins électoraux alors que la guerre n'était pas terminée et que la
paix et la sécurité n'étaient pas encore restaurées dans leur pays, les
Irakiens et les Afghans le payent désormais et chaque jour au prix fort.
2. Mais quen est-il du Congo et des Congolais ?
Il en va de même pour les Congolais qui, de toute évidence, n'ont
pas tiré les leçons irakiennes et afghanes. Pour rappel, le Congo a été
ravagé par une guerre en septembre 1996. Les flammes de ce conflit armé
sont loin d'être éteintes, le sang congolais n'a jamais cessé de couler
et la situation sest s'aggravée durant ces quinze dernières années.
3. Avez-vous une crainte ?
Pendant cinq ans, la situation militaire et sécuritaire du Congo est
allée en s'aggravant. Depuis cinq ans, les Congolais goûtent aux fruits
vénéneux mûris au lendemain du scrutin de 2006. Dans moins de quatre
mois, au surlendemain des élections de novembre prochain, ils vont boire
jusqu'à la lie la coupe amère remplie de leur inconscience, de leur
amnésie… Tout comme en 2006, les Congolais semblent ne pas comprendre
aujourd'hui les véritables défis qui se dressent devant eux. Sans une
véritable refondation de l'Etat congolais, je n'hésite pas à vous dire
et, au besoin, à répéter que, comme cela fut le cas lors des élections
de 2006, celles de 2011 vont déboucher sur une confusion politique.
5. Comment justifiez-vous la primauté de l'onomastique sur les élections ?
Pas tant que cela. De même que la restauration de la paix et de la
sécurité doit précéder la tenue des élections, de même que la
refondation de l'Etat congolais doit comporter comme principale
innovation la création d'une chambre des autorités traditionnelles, de
même, le patrimoine onomastique congolais est d'une importance capitale
pour la libération spirituelle des congolais et pour l'avenir de notre
pays, une fois la paix revenue et la refondation de l'Etat accomplie.
Tout se tient. Tout procède d'une même logique. De nos jours, les
esclaves ne sont plus attachés avec de grossières chaînes de fer comme à
l'époque de la traite négrière, mais ligotés à l'aide d'entraves
spirituelles, invisibles, sournoises et d'autant plus efficaces. Il en
va du nom d'un pays comme de celui de chaque être humain. Chez les
Wallons, les Flamands, les Gallois, les Bretons, les Basques, les
Bavarois et les Toscans ; l'attribution d'un nom a toujours pris une
importance primordiale, dès leur naissance. Les Congolais ont non
seulement négligé les appellations de leurs entités communautaires
devenues de simples références culturelles et folkloriques vidées de
tout pouvoir politique ; ils ont également adopté, pour leurs propres
personnes, des prénoms étrangers, pour la plupart abusivement dits
chrétiens depuis plus de 500 ans et musulmans à partir du début de
l'esclavage au 16e siècle. Dès lors, rien ne va plus. Ayant perdu leurs
repères existentiels, ils sont devenus les naufragés de l'histoire. Nous
porterions donc fièrement aujourd'hui des prénoms chinois, indiens,
japonais, coréens ou des habitants de Kuala Lumpur si nous avions été
colonisés par eux?
5. En quoi le patrimoine onomastique est-il important pour les Congolais ?
C'est un réservoir de forces mentales et d'énergies spirituelles
inépuisables pour les Congolais, jadis réduits en esclavage avant de
gémir ensuite sous le joug de la colonisation. C'est une source
intarissable pour puiser la volonté, trouver les ressources mentales et
forger les ressorts physiques nécessaires dans la lutte contre
l'oppression politique et l'exploitation économique. De tout temps, les
maîtres esclavagistes, les colonisateurs, les despotes et les tyrans ont
toujours commencé par s'en prendre aux identités des peuples qu'ils
cherchent à assujettir et donc, à modifier leurs noms pour mieux altérer
leurs personnalités. De notre appellation individuelle, chez nous les
Bantous congolais dépendent notre essence humaine, nos liens avec le
monde invisible, notre identité sociale, nos origines familiales, la
filiation avec nos ancêtres, nos valeurs culturelles, les circonstances
de notre naissance, nos qualités individuelles et même notre destin.
Noter, une fois de plus, que tous ces sujets procèdent d'une suite
logique et que les propositions inédites mais cohérentes que j'ai
avancées pour sortir le Congo du marasme dans lequel il gît depuis plus
de 50 ans mériteraient qu'on s'y penche au plus près, qu'au moins on en
discute avant de les rejeter ou de les prendre en sérieuse
considération. Je ne marche donc pas à contre-courant. Les problèmes du
Congo doivent être traités à la base, en les prenant à leurs racines et
non par des discours démagogiques, superficiels ou par des mesures
cosmétiques. Depuis un demi-siècle, le Congo a réalisé un grand bond en
arrière, s'est enfoncé dans les ténèbres (le courant électrique s'étant
raréfié, même à Kinshasa !) et semble avoir basculé dans le 17e siècle.
La faute en incombe aux dirigeants congolais qui marchent à reculons, ce
qui vous donne à vous, la fausse impression que c'est moi qui rame à
contre-courant alors que c'est la barque congolaise qui, en réalité,
navigue dans le mauvais sens en étant emportée au gré des caprices du
temps, des courants de l'histoire et des intérêts de puissances
politiques étrangères.
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Potentiel