Le fond du débat sur les élections transparentes, le fichier électoral et la cartographie des centres d’enrôlement (J.P. Mbelu)

 
L’organisation des élections a un côté technique et technologique à prendre en compte. L’usage des machines (ordinateurs, téléphones, véhicules,
avions, etc.) et de la technologique y afférente sont des éléments
importants de cette organisation. Et toutes ces machines participent de
toute une conception, de toute une vision de la société sans laquelle
elles perdent un peu de leur efficacité et de leur valeur. Les questions
liées à l’usage des ordinateurs et à la demande de la localisation des
centres d’enrôlement des électeurs chez nous trahissent plus ou moins la
nature de la société dans laquelle nous vivons dans ses orientations fondatrices.

Comment est-il possible d’organiser des élections techniquement et technologiquement transparentes dans une société 
la question des énergies est restée sans réponse pendant toute une
législature ? Ceux et celles d’entre nous qui travaillent avec les
ordinateurs savent qu’une interruption du courant électrique peut causer
la perte des données non-sauvegardées pendant la saisie. Sans mauvaise
foi. Dans un pays où l’énergie électrique est rarissime ou connaît des
coupures intempestives, la perte des données non-sauvegardées doit être
une monnaie courante. Même quand ce sont des données liées à
l’enrôlement des électeurs.  Chercher à avoir accès à la banque de données citoyennes (dont le fichier électoral) ne devrait pas être interprétée comme un signe de mauvaise foi.

 
Vouloir organiser des élections en ayant recourt aux ordinateurs dans une société où l’obscurité est permanente peut
relever d’une imitation servile des sociétés bâties sur la recherche et
le développement. C’est-à-dire des sociétés ayant intégré, dans leurs
fondations, la question d’un développement humain axé sur la
connaissance. Ces sociétés financent à la fois les énergies, les
universités et la recherche innovante à coup des milliards de dollars.
Elles savent qu’il y a une interconnexion entre ces trois secteurs de la
vie publique.

Dans
ces sociétés, les ordinateurs ne sont pas d’abord un objet de luxe
(pour frimer). Elles en font un usage pluriel en privilégiant la
recherche et le développement. (Même si tout n’y est pas parfait. Même
si le triomphe de la cupidité y a causé beaucoup de tort à la recherche
et au développement.) Du point de vue du développement humain, l’accès à
une bonne information est capital. Internet, dans une certaine mesure,
permet cela.

 L’un
des pays pouvant être cité en exemple est le Japon. Depuis 1945, ce
pays a décidé de devenir « une société de la connaissance » et ses
innovations en informatique  et en électronique participent de cette vision basique.

Depuis 1945, le Japon a décidé de devenir « un empire de l’intelligence ». (Lire J.-F. SABOURET, L’empire de l’intelligence. Politiques scientifiques et technologiques du Japon depuis 1945, Paris, CNRS Editions, 2007)

Au
Japon ou dans d’autres sociétés fondées sur le savoir et la recherche
innovante, l’accès à la banque de données publiques tout comme les
questions cartographiques peuvent trouver leurs réponses sur des moteurs
de recherche mis à la disposition des usagers d’Internet (de plus en
plus nombreux). Localiser un lieu est un jeu d’enfant. Il suffit par
exemple d’aller sur Google et de taper le nom du lieu et la carte facilitant sa localisation apparaît. Le GPS facilite encore davantage les choses pour les chauffeurs. Dans ces sociétés, l’usage du Skype facilite les vidéoconférences et écourte les distances. Disons que la recherche innovante y
est mise au service des citoyens et du développement humain. De plus en
plus, elle participe de la culture ambiante. Elle chasse tant soit peu
« les ténèbres » et apporte « la lumière ».

 
En dehors de ces sociétés fondées sur le savoir et la recherche innovante, dans les pays comme le nôtre, la RDC,
il devient compréhensible que les questions liées aux cartes et à la
cartographie des centres d’enrôlement soulèvent des débats passionnés. Dans un pays vaste de 2.345. 000.000km2,
faciliter la localisation de nos villes et de nos villages pose
problème. Surtout en cette période probablement pré-électorale. Le
comble est que leurs excellences messieurs les ministres et les autres
« professeurs docteurs » participent à ce débat passionné
en disqualifiant la question. Et tout ce beau monde utilise, quand il y a
du courant électrique, Internet et Skype ! Cela signifie que pour
plusieurs d’entre nous, avoir un ordinateur à la maison, aller sur
Internet et sur Skype, posséder deux ou trois téléphones portables et un
écran plat au salon, avoir toutes ces machines est interprétée comme de signe extérieur de richesse. Sans plus. Elles ne sont  intégrées dans cette culture de la globalisation ayant permis que le
monde devienne « un petit village » que pour de petites communications
avec les proches ! Nous sommes plusieurs à n’avoir pas intégré toute
cette technique et cette technologie dans la culture de la recherche et
du développement pour notre pays. Et malgré cela, certains d’entre nous
prétendent que nous seront le Japon, la Chine ou le Brésil
de demain, sans qu’ils disent s’ils sont prêts à réformer l’université,
à financer la recherche innovante et les énergies et d’où viendront les
milliards que ces secteurs indispensables de notre vie publique
exigeront !

En
considérant le caractère obscurantiste des débats passionnés sur la
transparence technique et technologique des élections probables de
novembre 2011, le manque d’énergie et d’une politique de
développement humain intégrant les innovations technologiques et
scientifiques de l’ère de la globalisation, nous nous réalisons que le
Congo, notre pays, souffre d’un manque de savoir criant. Il est plus que
malade de plusieurs de ses élites. Ces dernières veulent le maintenir dans les conditions d’une société obscure, en faire un royaume des aveugles où elles peuvent, en tant que borgnes, régner en « rois » incontestables et incontestés. La qualité intellectuelle de certaines de nos élites pose sérieusement problème.

 
Dans un livre que plusieurs
d’entre nous devraient à tout prix lire, un philosophe Congolais, Ngoma
Binda, traitant des stratégies de stabilité politique d’une société qui
se veut bien ordonnée, mentionne parmi elles, en plus d’ « une haute
qualité culturelle des ressources humaines », l’ « amélioration maximale
des possibilités économiques et sociales ». Il estime (et
nous avec lui) qu’ « un aspect particulièrement important de
l’amélioration des conditions économiques et sociales concerne
l’exigence prioritaire de l’accélération du travail de construction des infrastructures de communion interpersonnelle généralisée.
Elles servent à écarter l’isolement ou la non-communication physique et
spirituelle des citoyens. La création des routes physiques et
électroniques doit être réalisée avec le maximum d’efforts et
d’urgence. » (P. NGOMA-BINDA, Une démocratie libérale communautaire. Pour la R.D. Congo et l’Afrique, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 213) Il continue : « Elle est une réalité visible
permettant de rallier et de convaincre les opinions sur la capacité des
dirigeants à s’occuper de l’intérêt commun. En plus, les routes et les
télécommunications permettent d’accélérer la convergence spirituelle,
l’intercompréhension et l’amour mutuel des citoyens grâce à la
circulation facile et généralisée des personnes et, avec elles, des
biens, des idées, des possibilités des échanges mutuellement éclairants
et bénéfiques. » (Ibidem)

Le
débat sur l’accès au fichier électoral et la cartographie des centres
d’enrôlement nous convainc que notre pays semble s’inscrire  en marge de la logique de la création des routes physiques et électroniques et empêcher ainsi  l’épanouissement
des idées et des possibilités des échanges mutuellement éclairants. Il
aurait opté pour la logique de l’isolement, du secret et de l’ignorance
profitant au réseau transnational de prédation opérant chez nous. S’il
avait fait un choix lucide des « infrastructures de communion
interpersonnelle généralisée » le fondement de sa politique économique
et sociale, il aurait sérieusement investi dans les énergies et dans
l’informatique de façon à permettre un accès facile à la banque des
données publiques (dont le fichier électoral et les centres
d’enrôlement) et d’établir des connexions (futures) entre les témoins des partis politiques se trouvant dans les bureaux de vote dans tous les coins de notre pays et leurs amis restés chez eux à la maison. L’usage du Skype (par exemple) faciliterait une telle opération dans un pays aussi vaste que le nôtre.

Dans
un tel pays, vouloir à tout prix utiliser les ordinateurs pour gérer
les votes des populations majoritairement ignorantes de la culture
porteuse des autoroutes de l’information, de la communication et de la
télécommunication, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Dans ce
pays, le vote et le comptage manuel des bulletins précédés
de l’affichage des listes d’électeurs seraient les mieux indiqués. Mais
demander cela au réseau transnational de prédation dont certains
membres sont aux commandes chez nous, c’est chercher à couper la branche
du mensonge et des faux-semblants sur laquelle il est assis.

 
Demain, nos petits-enfants et nous arrière- petits-enfants se moqueront de nous.
Ils se moqueront de notre analphabétisme informatique et électronique et de nos débats-bidons et passionnés sur l’accès à la banque des données publiques directement liée à l’information des citoyens et
des citoyennes en période pré-électorale. Nous supposons qu’eux, au
moins, auront intégré la recherche innovante et le développement humain
fondé sur les libertés dans leur culture générale. Tel est, à notre
avis, le fond du débat qui se déroule actuellement chez nous :
l’analphabétisme informatique et électronique dans une société obscure
et obscurantiste où un bon nombre d’élites aux affaires et leurs
parrains ont refusé d’intégrer la recherche innovante et le
développement humain dans une vison à court, moyen et long terme pour un
autre Congo. La politisation de ce débat porte quelques marques de
l’ignorance entretenue par ces élites, de leur mauvaise foi et de leur
choix pour des solutions expéditives donnant accès à la mangeoire.

 
J.-P. Mbelu

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