Regard sur les élections de novembre 2011 en République démocratique du Congo: que peut-on attendre d'elles ? ( Paul Lukunku Kanyama)

Au sein d'une Communauté moderne et très fortement organisée par
des instruments juridiques, la constitution et la loi électorale
notamment, les élections des dirigeants de manière libre et
transparente, font partie du jeu démocratique.

La démocratie est définie par le même dictionnaire précité comme
une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au
peuple. Il existe d'autres formes de gouvernement où la souveraineté est
incarnée et exercée soit par le monarque qui peut être un roi, on parle
ainsi de la monarchie, soit par un groupe de gens de la noblesse qui
constitue l'oligarchie.

En ce qui concerne le régime démocratique, étant donné que le
peuple souverain ne pourra pratiquement pas exercer lui-même directement
sa souveraineté, les juristes européens de diverses époques ont imaginé
un système politique de représentation dans lequel le peuple souverain
exercera son pouvoir au sein de l'Assemblée nationale par
l'intermédiaire de ses représentants qu'il aura lui-même préalablement
désignés.

Il n'est pas non plus inutile de rappeler également que les
juristes français ont mis sur pied un régime politique où l'exécutif est
bicéphale c'est-à-dire l'un des trois pouvoirs de l'Etat, à savoir le
pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, en
l'occurrence le pouvoir exécutif est assuré par deux têtes: le chef de
l'Etat ou le président de la République d'une part. Et d'autre part, il y
a le chef du gouvernement ou le Premier ministre. Le Premier ministre
sera issu du parti ou de la coalition des partis politiques qui sera
majoritaire à l'Assemblée nationale.

C'est pourquoi les élections politiques, présidentielle et
législatives, de novembre 2011 en République démocratique du Congo,
seront vitales et méritent toute notre attention car elles permettront
au peuple souverain grâce aux différents suffrages de désigner son
président de la République ainsi que ses représentants à l'Assemblée
nationale et le Premier ninistre.

Mais il convient de relever que la démocratie n'est pas une
panacée. Il ne s'agit pas d'une recette miracle pour assurer le bonheur
du peuple. Certains auteurs, voire même des hommes politiques ont dû
affirmer que la démocratie est la pire forme de gouvernement. Ainsi,
l'affirmait le britannique Churchill.

A coté de ces formes des démocraties dites démocratie bourgeoise,
on peut citer aussi ce que l'on a appelé les démocraties populaires qui
existent dans un régime à parti unique d'inspiration marxiste,
supprimées pour la plupart dans les années 1990 à la suite de
l'écroulement des régimes communistes et socialistes. Dans ces régimes
c'est la dictature d'une seule classe sociale, la classe des
prolétaires, qui est proclamée. Tel fut le cas en URSS ou encore en
Chine populaire. Aujourd'hui, ces démocraties populaires ont révélé
leurs limites dans le domaine politique.

Ainsi, la démocratie qui est assise sur le concept suivant : «Le
pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple» pour être mieux
assurée nécessite qu'au bout d'un des dirigeants, en accordant de
nouveaux mandats après avoir éventuellement sanctionné certains de ses
mandataires à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire les députés qui n'ont
pas été à la hauteur de leurs tâches ou des attentes de la population.

Nous devons néanmoins épingler sur ce registre l'hommage mérité
de nos honorables représentants dans l'exercice de leur mandat en ce qui
concerne essentiellement la fonction de légiférer.

En effet, beaucoup de nombreux textes de lois ont été votés dans
les délais, et dans l’exercice de leur mandat, nos représentants n’ont
même pas hésité à utiliser l’arme suprême de motion de censure que la
Constitution leur reconnait pour censurer les actes de gouvernement. De
ce point de vue, il nous faudra reconnaître que le travail de nos
honorables députés a été globalement positif.

Ils ont voté
beaucoup des textes des lois. Mais le problème ici n'est pas tellement
l'édiction de nombreux textes des lois, c’est plutôt leur applicabilité,
leur effectivité, leur respect. Et c’est là que le bât blesse. C'est
comme on a souvent dit, s'agissant de la République démocratique du
Congo, le problème ne se pose pas au niveau des textes de lois. Au
contraire, il y en a même eu pléthore. C’est plutôt leur applicabilité
qui pose problème.

L'opération à caractère sacré qu'est l'élection politique peut être divisée en trois grandes parties qui sont:

les opérations préélectorales telles gue:
– le recensement;
– l'enrôlement des électeurs et celui des candidats aux élections;
– le dépôt des candidatures aux différents échelons.

la campagne électorale au cours de laquelle les différents candidats s'expriment, voire s'expliquent auprès de leurs électeurs.

C'est au cours de la campagne électorale que les candidats
présentent et font connaître leurs projets de société ainsi que leurs
programmes politiques. Cette phase de la campagne électorale est assez
atypique en République démocratique du Congo comme nous allons avoir à
le démontrer ultérieurement.

l'expression des suffrages dans les urnes: C'est au cours de
cette phase des élections que le peuple aura à manifester le degré de sa
maturité et de sa responsabilité.

I. Les opérations préélectorales : la Commission électorale nationale
indépendante.

En effet, les différentes opérations préélectorales précitées
sont assurées et supervisées par la «CENI» qui veut dire Commission
Electorale Nationale Indépendante qui vient de remplacer la «CEI»,
Commission électorale indépendante qui avait officié lors des élections
2006 en République démocratique du Congo.

La Commission électorale nationale indépendante, supposée être
libre et indépendante, est composée des membres représentant le pouvoir
et l'opposition politique.

Aujourd'hui, la Commission électorale nationale indépendante fait
l'objet de fortes contestations en ce qui concerne sa gestion des
opérations préélectorales. En effet, il est reproché à cette Commission
de n'avoir pas procédé à un recensement en bonne et due forme. Mais à
une simple mise à jour du fichier électoral de 2006, encore que très
contestée au moyen des griefs suivants:
– Enrôlement des mineurs c’est-à-dire de ceux qui n’ont pas encore
atteint l’âge exigé pour être électeur ;
– Enrôlement des militaires, des policiers, ainsi que de tous ceux qui
sont frappés d’incompatibilités à cause de leur statut en vertu de la
Constitution ;
– Des cas d'enrôlement double, triple ou plus d'un même individu ou
d'enrôlement sans empreinte digitale;
– Des cas de cartes électeur découvertes par milliers entre les mains
des particuliers.
– L’enrôlement des étrangers, etc.

Partant de tous ces constats, les opposants crient au scandale et
à la préparation d'une fraude systématique, et refusent de signer le
code de la bonne conduite leur proposé par la Commission électorale
nationale indépendante.

Mais à ces allégations, le pouvoir en place rétorque que
l'opposition politique a une peur bleue d'aller aux élections car
convaincue de sa défaite certaine.
Qui a tort et qui a raison ? Seul l’avenir nous en dira plus.

II. Les campagnes électorales ou le marché des dupes

La campagne électorale est la période au cours de laquelle le
candidat aux postes à pourvoir va à la rencontre de ses électeurs pour
les conquérir, pour les convaincre du bien-fondé de sa candidature. A
cet effet, le candidat aux élections dévoile à ses électeurs son projet
de société ainsi que son programme politique. Sur base de ce programme,
les électeurs se prononcent par la voie des urnes. Voilà le vrai sens de
la campagne électorale et le schéma normal à suivre.

Voyons maintenant ce qu'il en est au Congo démocratique.
Rappelons d'abord que le deal qui s'effectue entre le candidat et ses
électeurs est un contrat social non solennel dans lequel les deux
parties ont des droits et des obligations respectivement.
Pour les mandataires publics, c'est le devoir de veiller sur le
bien-être de leurs électeurs. Et ne l'ayant pas fait une interpellation à
ranger au titre des droits naturels s'impose envers ces parlementaires
en ces termes : «Honorables, qu'as-tu fait de ton frère »,
interpellation qui rappelle celle faite par Dieu à l'égard de Caïn qui
avait maltraité son frère Abel: «L'éternel dit à Caïn: où est ton frère
Abel. Il répondit: je ne sais pas, suis-je le gardien de mon frère. Et
Dieu dit: qu'as-tu fait? La voix du sang de ton frère crie de la terre
jusqu'à moi. Maintenant, tu seras maudit de la Terre … » Sans nul
doute, cette interpellation divine demeure toujours valable, même de nos
jours, envers quiconque maltraite son frère, son compatriote, voire son
prochain.

Mais chez nous, il s'avère que seul le candidat a le droit d'être
élu sans contrepartie, c'est-à-dire sans être tenu de réaliser des
tâches bien spécifiques au profit de ses électeurs.

En République démocratique du Congo, le schéma classique est
biaisé. La campagne électorale semble être une période où les candidats
rivalisent en démagogie. Beaucoup brillent par un discours populiste.
Cela donne l'impression d'être un marché des voix où les uns achètent
moyennant qui un bol de riz, qui un demi-kilo des poissons chinchards
très affectionnés par les Congolais, qui un tee-shirt à l'effigie du
candidat, et les autres vendent leur voix. Et l'affaire s'arrête à ce
niveau. Ce que le candidat aura à faire une fois élu n'est pas l'affaire
de ces électeurs. Il ne s'agit pas d'un contrat gagnant-gagnant mais
d'un véritable marché des dupes.

A tel point qu'il y a lieu de s'interroger sur le comportement
mental des uns et des autres.
Est-ce que les candidats aux postes à pourvoir, lorsqu'ils vont
solliciter les voix des électeurs comprennent les enjeux politiques et
le sens de leur élection ?

De même, les électeurs savent-ils que les candidats, une fois
élus, sont liés vis-à-vis d'eux par leurs paroles, leurs promesses qui
font rêver. Sans toutefois tomber dans l'autre extrême qui consisterait à
considérer les candidats élus comme les travailleurs engagés au service
de leurs électeurs.

C'est une question de conscience de tout un chacun. En effet, du
coté des électeurs, ils doivent comprendre qu'ils jouent un rôle capital
dans le renouvellement du personnel politique lequel fait vivre la
démocratie. Par conséquent, compte tenu de leur importance dans le
fonctionnement de la démocratie, les électeurs doivent s'abstenir de se
prêter à des pratiques dénigrantes telles que transporter leur candidat
aux élections politiques sur un « TSHIPOYI», c'est-à-dire une chaise à
baldaquin dont on se servait pour transporter le colon à l'époque
coloniale. Aujourd'hui, c'est l'homme politique congolais qui en fait
usage à outrance lors des campagnes électorales surtout en milieu rural.

Tandis que du coté des candidats aux différentes élections, dont
la plupart n'ont pas pu intérioriser le sens des mandats politiques
qu'ils sollicitent, quasiment tous estiment qu'il s'agit d'une occasion
tant rêvée d'aller s'enrichir, de mener une vie des pachas grâce aux
mandats politiques reçus.

Ainsi, pas étonnant qu'après les élections, et durant leur
mandat, ils arrivent quasiment à les abandonner à leur triste sort comme
de vieilles chaussettes. Pendant ce temps, les nouveaux députés,
sénateurs ou ministres, voire gouverneurs se prélassent dans leurs
bureaux capitonnés, bardés d'adjectifs impressionnants qui rappellent
les attributs de la haute noblesse. C'est le moment de jouissance. C'est
le temps des cerises où il faut croquer la vie à grandes dents: « CARPE
DIEM», dira un latiniste, c'est-à-dire cueille ta rose, mangeons,
buvons car demain nous mourrons. Mais l'homme politique congolais qui se
croit éternel préfère transformer sans doute cet adage en ces termes :
«Mangeons à bouchée double/buvons jusqu’à la lie, car demain le
remaniement nous surprendra».

Et lorsque les échéances de prochaines élections approchent, les
«Honorables», les « Excellences» semblent se réveiller de leur beau
sommeil pour aller quémander des voix, pour aller affronter les
électeurs qu'ils avaient abandonnés sur la chaussée, dure exercice, pire
cauchemar. Ainsi pour y parvenir, ils entament des opérations de
charmes à la veille des élections, en tentant d'apporter des semblants
de solutions par des demi-mesures, qui en fournissant quelques dizaines
des mètres des câbles électriques pour essayer de remédier tant soit peu
aux récurrents problèmes de l'électricité.

III. L’expression des suffrages dans les urnes

Ici intervient le choix de la population à travers le vote des candidats manifesté dans les urnes.

Les élections de novembre 2011 concernent le choix du président
de la République et des députés nationaux et sénateurs. Il faudrait
renouveler la composition du Parlement.
Il s’agit d’un suffrage universel pour le chef de l’Etat et des députés.

Nos honorables députés, plus précisément ceux de la majorité ont
opté, s'agissant de la présidentielle, pour le scrutin majoritaire à un
tour contrairement à ce qui avait eu lieu en 2006 où le scrutin était à
deux tours.

A ce stade de réflexion, le problème qui occupe l'actualité est
celui des alliances politiques à conclure de part et d'autre, la
majorité présidentielle et ses futurs alliés d'une part, l'opposition
qui doit également s'organiser afin de présenter une candidature unique
qui devra affronter le chef de l'Etat sortant. Alors que le camp du
pouvoir semble parler le même langage pour son candidat unique,
l'opposition donne l'impression de tergiverser pour désigner son
candidat unique.

L'autre problème qui préoccupe les esprits lucides est celui lié
au caractère libre, transparent et démocratique de ces élections. Ici,
se pose la question de la sincérité des opérations électorales.
L'opposition, dans sa quasi-totalité, dénonce la préparation d'une
fraude massive de la part du pouvoir en place via la Commission
électorale nationale indépendante.

Les opposants relèvent de nombreuses irrégularités qui ont
accompagné les opérations préélectorales effectuées par cette même
Commission telles que l'enrôlement des mineurs, des policiers et
militaires, le manque de rigueur dans la vérification de l'identité des
enrôlés, etc.

Aussi, réclament-ils à cor et à cri leur participation au
toilettage du fichier électoral.
Ils soutiennent, en outre, que si les opérations préélectorales se
déroulent dans ce climat de suspicion, il ne faudrait pas s'attendre à
des élections apaisées. Ils promettent des troubles, des contestations
massives, voire le déluge.

A part cela, certaines chaînes de radio font état des Kits
électoraux qui auraient été confisqués en grand nombre, à l'intérieur du
pays, par des agents de la CENI qui réclament le paiement de leurs
salaires impayés par la Commission électorale nationale indépendante.
Ces urnes auraient pris une destination inconnue.

En définitive, quelle est la valeur de ces genres d'élections? Quel sens donner auxdites élections?

Enfin, peut-on parler sérieusement de l'ère de la démocratie en République démocratique du Congo ?

Certains analystes politiques congolais ont affirmé que la
démocratie chez nous, plus particulièrement les élections, est un jeu
qu'on joue pour la consommation extérieure, et que cela n'a aucun sens
sérieux pour notre société.
Si cette affirmation se confirme, il y a lieu de se demander jusqu'où
vont-ils privilégier leurs intérêts égoïstes, partisans, en sacrifiant
l'intérêt général de la Nation congolaise. Jusqu'où la frénésie de la
jouissance matérielle va-t-elle dicter leur comportement? Enfin,
jusqu'où vont-ils se prosterner devant « le veau d'or» qui incarne la
puissance de l'argent.

Quel malheur pour le peuple d'avoir de telles « Elites ». Mais le
brave peuple lui-même est-il vraiment à l'abri des reproches, car
finalement c'est lui qui se choisit ses dirigeants. Le fait-il en
connaissance de cause ? Est-ce que l'analphabétisme, je dirai plus
l'obscurantisme, le manque d'instruction de la majorité de la
population, ne sont-elles pas à la base de ces choix biaisés teintés
fortement de tribalisme ?
Le président Jacques Chirac n'avait-il pas raison lorsqu'il disait que
la démocratie est un produit de luxe qui ne convient pas aux Africains ?
Cependant, nous n'allons pas terminer notre sujet sans toutefois rendre
un hommage sincère au génie créateur du peuple congolais qui s'est
manifesté dans la création d'une multitude des partis politiques, plus
de 400 qui ont poussé comme des champignons sur le paysage politique
congolais.

Mais ce génie sera profitable à notre pays si les mêmes acteurs
politiques pouvaient également mettre sur pied des entités économiques
productrices de richesse matérielle pouvant contribuer non seulement à
la démocratie, mais également au développement du pays.

Ainsi, la démocratie à la congolaise, dans sa diversité et son
originalité pourra – t- elle démentir les prédictions pessimistes du
président français Jacques Chirac.

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