14.09.11 Le Potentiel – Cinq questions à Florence Elie (*)
1. Comment vous est venue la vocation de la protection des droits des citoyens haïtiens ?
Le « virus » du droit et, dune manière plus générale, celui des droits de lHomme, ma saisie relativement tard, au fil de mon itinéraire personnel. Jai commencé ma carrière comme enseignante, suivant en cela la voie tracée par ma mère, qui était professeur de français. Mon père, lui, était militaire. Peu à peu, je me suis passionnée pour la justice. Il y a quelques bonnes raisons à cela. Jétais dans lopposition politique suite au coup dEtat militaire de 1991 et jai dû prendre le maquis dabord pour un an et ensuite lexil en rejoignant le gouvernement constitutionnel séjournant à Washington D.C. Le temps de lexil aux Etats-Unis dAmérique ma beaucoup appris, beaucoup apporté, mais ce fut aussi une période vraiment dure dautant plus que mon mari devenu entre-temps ministre de la Justice en Haïti était assassiné en 1994. Dès mon retour en 1995 en Haïti, jai été nommée chef du protocole puis conseillère au ministère de la Justice. Enfin en octobre 2009, je suis devenue protectrice du citoyen, fonction que jexerce aujourdhui, pour un mandat de sept ans.
2. Comment est née une telle fonction en Haïti ?
Cette création institutionnelle a reçu une consécration au plus haut niveau puisquelle figure dans la Constitution de 1987. Comme je lai dit dans mon discours inaugural lorsque jai été nommée, je mesure limmensité des défis auxquels fait face lOffice de la protection du citoyen dHaïti, même si je connaissais bien cette fonction pour avoir été, auparavant, protectrice adjointe puis protectrice par intérim. Il nempêche quil est évidemment très lourd davoir pour tâche, comme le dit notre Constitution, « de protéger tout individu contre toutes les formes dabus de ladministration publique». En dautres termes, il sagit de protéger les citoyens haïtiens contre les abus de pouvoir, les violations des droits, les erreurs et négligences, les décisions injustes et la mauvaise gestion. Mais aussi daméliorer ladministration publique, de rendre plus limpides les actions gouvernementales et dassurer que le gouvernement et ses employés répondent de leurs actes…
3. A la tête de cet organisme, lOffice de la protection du citoyen, quelles sont les priorités que vous vous êtes données ?
Il y en a beaucoup! Notre mandat nous donne des pouvoirs très larges : enquête, auto-saisine, recommandations, propositions de réformes, etc. Il sy ajoute la mission, à laquelle jattache beaucoup dimportance, de coordonner les rapports périodiques que notre pays doit remettre au Conseil des droits de lHomme des Nations unies ainsi quaux organes de traités des Nations unies, qui portent aussi bien sur les droits économiques, sociaux et culturels que civils et politiques, le droit à lidentité, le droit des groupes vulnérables, comme les femmes, les mineurs, les handicapés, les personnes âgées… En Haïti même, jestime que notre institution doit tout faire pour accompagner la réforme du droit et de la justice et en accélérer le rythme. De ce point de vue, jadresse aux jeunes un appel pressant pour quils se sentent partie prenante de cet effort national. Cest dans cet esprit que je fais de la formation mon cheval de bataille. Chacun doit savoir quil est titulaire de droits, de manière à se prémunir contre les abus et violations. Jadresse aussi cet appel aux parlementaires comme aux fonctionnaires de lEtat.
4. Quels sont vos attentes à légard de lOIF ?
Elles sont considérables, à la hauteur de la solidarité que lOIF nous a manifestée lors de la catastrophe que chacun conserve en mémoire. Je peux dire que lOIF est notre principal soutien sur les questions de justice et de droits de lHomme. La déclaration de Bamako est le texte de référence dans ce domaine, en quelque sorte notre charte commune. Nous comptons beaucoup sur le soutien de lOIF, dans la durée. Nous avons en effet une communauté de systèmes juridiques, des affinités claires et importantes et mon bureau en a beaucoup bénéficié.
5. Existe-t-il un domaine particulier dans le quel vous souhaiteriez recevoir le soutien des autres réseaux liés à la Francophonie ?
Si je pouvais vous donner un exemple du domaine dans lequel nous aurons vraiment besoin du soutien des réseaux affiliés à la Francophonie, je citerais celui des problèmes liés à lidentité, à létat civil. Cest une question très importante pour nous. En effet, beaucoup dHaïtiens n « existent pas », c'est-à-dire quils nont pas dacte de naissance. En outre, cest un secteur dans lequel règne le plus grand désordre car nous navons pas le même système dinscription pour les listes électorales, pour les questions fiscales, pour les assurances. Il faut accomplir ces démarches distinctes pour chaque type dinscription, et ces démarches sont payantes. En outre, ces certificats dinscription ont des durées de vie variables, et plus souvent très brèves. Ces formalités donnent lieu à un véritable enchaînement de corruption. Nous voudrions absolument que lordre soit mis dans un système, mais, là encore, nous avons besoin daide. Le droit dexister légalement nest-il pas lun des tout premiers parmi les droits de lHomme ?
Tirées de Regards sur lEtat de droit
Protectrice du citoyen dHaïti