17.11.11 Questions directes à Michel Moto
Michel Moto Muhima. Photo CIC
Que savez-vous sur ce qui est arrivé le vendredi 4 novembre au chanteur Fabrice Mufiritsa Masumbuko?
Fabrice Mufiritsa est un jeune chanteur bien connu dans la province du Nord Kivu. Il appartient à la tribu Hunde. Il a disparu le vendredi 4 novembre. Avant sa disparition, il avait composé une chanson en lhonneur de lancien président de lAssemblée nationale Vital Kamerhe qui est comme chacun le sait candidat à lélection présidentielle. «Fabrice» a été par la suite approché par des membres du parti présidentiel. Ils lui avaient demandé de faire de même pour le «candidat n°3» au scrutin présidentiel, en loccurrence Joseph Kabila.
Comment avez-vous appris lexistence de ce contact avec des «gens» du PPRD ?
En fait, Fabrice a été enlevé avec deux de ses amis qui nont pas encore été retrouvés. Leurs proches étaient au courant de la démarche du PPRD. Ils savaient également que le chanteur avait décliné cette offre. Il y a eu des tractations durant les jours qui ont précédé le rapt. Le vendredi 4 novembre, des militaires de la garde présidentielle lont enlevé en plein jour dans un quartier populaire. Des riverains ont vu le chanteur prendre place à bord dune Jeep de la garde présidentielle. Après plusieurs dattente, la famille sest mise par la suite à sa recherche dans tous les lieux de détention de la ville. En vain. Le samedi 5 novembre, des rumeurs faisant état de lassassinat de Fabrice ont commencé à courir. La tension est aussitôt montée dun cran dans la ville de Goma. Le dimanche 6 novembre, la population est descendue dans la rue. Des stations dessence et autres biens appartenant aux personnalités civiles et militaires ont été vandalisés. Scandant des chansons hostiles au chef de lEtat, les protestataires ont détruit des symboles du pouvoir dont des affiches électorales du président-candidat Joseph Kabila. Des éléments de la police et de larmée sont par la suite intervenus pour disperser la manifestation.
Y a-t-il eu des victimes?
Jusquici, on a pu dénombrer plusieurs blessés.
Et après ?
Après la tombée de la nuit ce dimanche, les gens sont rentrés chez eux. Ce nest que lundi 7 novembre vers 3 heures du matin quune nouvelle sest répandue à travers la ville selon laquelle Fabrice a été retrouvé dans les faubourgs de Goma plus précisément à Kibumba, un champ de bananeraie situé à quelques encablures de laéroport. Il a été immédiatement admis à lhôpital «Heal Africa». Ce centre hospitalier est spécialisé pour soigner des personnes ayant subi des mauvais traitements.
Vous confirmez donc que le chanteur Fabrice a été torturé ?
Effectivement. Le fait ma été certifié par une source médicale. Le chanteur avait les yeux bandés, les mains et les pieds ligotés. Selon les informations en ma possession, il se porte beaucoup mieux. Le moins que lon puisse dire est quil a échappé. Et que neut été lindignation exprimée bruyamment par les Gomatraciens, il aurait «disparu» à linstar dArmand Tungulu Mudiandambu.
Qui, selon vous, a pu commanditer cette "opération" ?
Les «représentants de Kabila» sur place sont décidés à faire miroiter à Joseph Kabila que les provinces du Kivu lui sont toujours «acquises». Et que rien na changé depuis lélection présidentielle de 2006. Et pourtant, la vérité est tout autre : depuis trois ou quatre ans, Kabila nest plus le bienvenu au Kivu.
Jimagine que vous parlez de la province du Nord Kivu…
Je parle non-seulement du Nord mais aussi du Sud Kivu. Vous vous souviendrez, il y a quelques années, que le cortège présidentiel a été caillassé lors des passages de Kabila dans les deux Régions…
Il se raconte pourtant que «Joseph Kabila» a reçu un «accueil chaleureux» mercredi 9 novembre à Uvira…
Quil sagisse de la province du Maniema ou du Sud Kivu, il est aisé dorganiser ce genre d"accueil chaleureux". Il est de notoriété publique que les personnes mobilisées le long des routes empruntées par le cortège présidentiel sont généralement «réquisitionnées» dans des camps des déplacés. Il sagit de ces Congolais qui vivent comme «réfugiés» dans leur propre pays. En cas de refus, les récalcitrants sont chassés des campements. En réalité, les visites de Kabila ne suscitent plus de liesse populaire. Aujourdhui, la population du Kivu est consciente de léchec du mandat présidentiel qui sachève. Cette population est déçue. Elle est totalement déçue suite aux promesses non-tenues. Daucuns parlent simplement de mensonges dEtat. La population a attendu en vain linstauration de lEtat de droit, de la justice et de la paix. Sans omettre, la lutte contre limpunité. Ce sont là les promesses faites en 2006. A Goma, on voit parader un homme tel que Bosco Ntaganda. Celui-ci est non seulement libre de ses mouvements mais surtout assume des fonctions de commandement. Lhomme toise les gens lorsquil circule avec un convoi impressionnant. Il y a dautre part, Laurent Nkunda qui vit un exil doré au Rwanda. Il y a tant dautres criminels moins connus qui se baladent dans les deux provinces du Kivu. Voilà pourquoi, la population a dit : Non. Elle a compris quelle ne pouvait plus rien espérer de Joseph Kabila.
Le gouverneur de la province du Nord Kivu a contesté la mise en cause des éléments de la garde présidentielle dans lenlèvement de Mufiritsa. Quen dites-vous ?
Je persiste et signe que ce sont des membres de la garde présidentielle qui ont exécuté ce rapt. Des riverains les ont vus. Tout sest passé en plein jour. Depuis plusieurs années, les éléments de la garde présidentielle sème la terreur à Goma.
Que pensez-vous de la visite que le ministre de lIntérieur Adolphe Lumanu a rendu, mardi 8 novembre, au chanteur Fabrice à lhôpital?
Cette visite pour le moins insolite me fait dire que «la citadelle est tombée». La citadelle est tombée et il y a des répercussions au niveau du premier cercle du pouvoir à Kinshasa. Le pouvoir sattendait certainement à un échec électoral dans le Kivu. Il nimaginait cependant pas de faire face à une telle fronde. La population est descendue dans la rue pour défier la police et larmée en exigeant à cor et à cri la libération dun citoyen. Elle a finalement obtenu cette libération après avoir malmené tout ce qui symbolisait le pouvoir en place. Certains manifestants criaient des propos hostiles demandant à Kabila de sen aller. Le pouvoir est sous le choc.
"Joseph Kabila" poursuit sa campagne électorale à lEst comme si de rien nétait…
Je peux vous dire que la tournée que Kabila vient deffectuer à lEst nentre nullement dans le cadre de la campagne électorale. A preuve, il na dit pas un seul mot sur son bilan encore moins sur son programme pour les cinq années à venir. En réalité, lhomme a mené une discrète "opération de marketing" destinée à redorer son image pour la "consommation extérieure". Lobjectif est de démontrer à la communauté internationale en général et au monde occidental en particulier que la partie orientale du Congo reste son «fief». En fait, Kabila na plus de projet à proposer aux Congolais. Partout où il est passé, il na fait ressasser les promesses annoncées en 2006. Aujourdhui, lEst de la RD Congo est passé dans le camp de lopposition.
Une opposition qui affiche une désunion cordiale…
Cest une situation qui préoccupe la population congolaise à lEst. Il est plus que temps que le personnel politique prenne conscience quaucune personnalité – brillante soit-elle -, aucun parti politique, ne pourrait gagner, tout seul, les consultations politiques majeures du 28 novembre face à Kabila. Un Kabila qui nest pas seul. Derrière lui se cache un réseau maffieux au niveau tant national, régional quinternational. Je lance un appel à nos leaders politiques afin quils se ressaisissent. Il est temps que les prétendants à la magistrature suprême – se réclamant de lopposition – relancent, sans délai, le dialogue pour trouver un compromis, au nom de lintérêt national.
Nest-il pas trop tard ?
Il reste encore deux semaines pour la campagne électorale. Malgré le peu de jours qui reste avant le vote, une union de dernière minute est encore possible pour permettre au candidat de lopposition de battre le président sortant.
Que pensez-vous de "linstrumentalisation" par le parti présidentiel des fameux «Pomba» pour intimider les partisans des autres partis politiques ?
Nous avons vu ce genre de phénomène lors des manifestations à la Place Tahrir au Caire. Des maifestations ayant précédé la chute du président Hosni Moubarak. Le président égyptien dalors avait déployé des villageois juchés sur des chameaux pour affronter les manifestants. Le pouvoir congolais tente sans doute de reproduire ce qui sest passé en Egypte. On connaît le résultat…
A Kinshasa, les «Pomba» se déplacent en moto…
Certains ont reçu des motos. Dautres ont des armes blanches. Ils ont manifestement reçu pour mission de terroriser la population. Il faut espérer que les instances judiciaires internationales suivent cette dérive aux conséquences incalculables. Au Katanga, il y a eu mort dhommes. Les initiateurs de lépuration ethnique de 1992 sont revenus aux affaires. A la lumière de ce qui sest passé à Kinshasa, à Mbuji-Mayi, à Lubumbashi et à Goma, il me semble que la peur a changé de camp. Le pouvoir a peur. Cest ainsi quil recourt à la terreur pour simposer et conserver le pouvoir par la force. Mon souhait le plus cher est que lélection présidentielle du 28 novembre tienne lieu de «référendum populaire» contre Joseph Kabila. En attendant, jinvite notre peuple à arrêter de stigmatiser la population de lEst par rapport au scrutin présidentiel de 2006. Nous sommes engagés daans un même combat…