17.11.11 Questions directes à Michel Moto

La population du Kivu est déçue par les promesses non-tenues par Joseph Kabila»


Michel Moto Muhima. Photo CIC

Agé de 34 ans, ancien représentant des Patriotes-résistants Maï-Maï (PRM) en Europe, Michel Moto Muhima évolue désormais dans le monde associatif. Il est le secrétaire général et porte-parole du Mouvement de solidarité pour la survie du Kivu (MSS-Kivu). Natif du Sud Kivu, «Michel» est issu de la tribu Lega. On ne peut mieux avoir comme observateur pour éclairer l’opinion sur la situation socio-politique dans le «Grand Kivu». Il a bien voulu répondre aux questions de Congo Indépendant sur «l’affaire Fabrice». Il s’agit de ce jeune chanteur du Nord Kivu qui a été enlevé vendredi 4 novembre par des «inconnus» avant d’être retrouvé quarante-huit heures après les yeux bandés, les pieds et les mains liés.

«La population du Kivu est déçue par les promesses non-tenues par Joseph Kabila» 

Que savez-vous sur ce qui est arrivé le vendredi 4 novembre au chanteur Fabrice Mufiritsa Masumbuko?

Fabrice Mufiritsa est un jeune chanteur bien connu dans la province du Nord Kivu. Il appartient à la tribu Hunde. Il a disparu le vendredi 4 novembre. Avant sa disparition, il avait composé une chanson en l’honneur de l’ancien président de l’Assemblée nationale Vital Kamerhe qui est comme chacun le sait candidat à l’élection présidentielle. «Fabrice» a été par la suite approché par des membres du parti présidentiel. Ils lui avaient demandé de faire de même pour le «candidat n°3» au scrutin présidentiel, en l’occurrence Joseph Kabila.

Comment avez-vous appris l’existence de ce contact avec des «gens» du PPRD ?

En fait, Fabrice a été enlevé avec deux de ses amis qui n’ont pas encore été retrouvés. Leurs proches étaient au courant de la démarche du PPRD. Ils savaient également que le chanteur avait décliné cette offre. Il y a eu des tractations durant les jours qui ont précédé le rapt. Le vendredi 4 novembre, des militaires de la garde présidentielle l’ont enlevé en plein jour dans un quartier populaire. Des riverains ont vu le chanteur prendre place à bord d’une Jeep de la garde présidentielle. Après plusieurs d’attente, la famille s’est mise par la suite à sa recherche dans tous les lieux de détention de la ville. En vain. Le samedi 5 novembre, des rumeurs faisant état de l’assassinat de Fabrice ont commencé à courir. La tension est aussitôt montée d’un cran dans la ville de Goma. Le dimanche 6 novembre, la population est descendue dans la rue. Des stations d’essence et autres biens appartenant aux personnalités civiles et militaires ont été vandalisés. Scandant des chansons hostiles au chef de l’Etat, les protestataires ont détruit des symboles du pouvoir dont des affiches électorales du président-candidat Joseph Kabila. Des éléments de la police et de l’armée sont par la suite intervenus pour disperser la manifestation.

Y a-t-il eu des victimes?

Jusqu’ici, on a pu dénombrer plusieurs blessés.

Et après ?

Après la tombée de la nuit ce dimanche, les gens sont rentrés chez eux. Ce n’est que lundi 7 novembre vers 3 heures du matin qu’une nouvelle s’est répandue à travers la ville selon laquelle Fabrice a été retrouvé dans les faubourgs de Goma plus précisément à Kibumba, un champ de bananeraie situé à quelques encablures de l’aéroport. Il a été immédiatement admis à l’hôpital «Heal Africa». Ce centre hospitalier est spécialisé pour soigner des personnes ayant subi des mauvais traitements.

Vous confirmez donc que le chanteur Fabrice a été torturé ?

Effectivement. Le fait m’a été certifié par une source médicale. Le chanteur avait les yeux bandés, les mains et les pieds ligotés. Selon les informations en ma possession, il se porte beaucoup mieux. Le moins que l’on puisse dire est qu’il a échappé. Et que n’eut été l’indignation exprimée bruyamment par les Gomatraciens, il aurait «disparu» à l’instar d’Armand Tungulu Mudiandambu.

Qui, selon vous, a pu commanditer cette "opération" ?

Les «représentants de Kabila» sur place sont décidés à faire miroiter à Joseph Kabila que les provinces du Kivu lui sont toujours «acquises». Et que rien n’a changé depuis l’élection présidentielle de 2006. Et pourtant, la vérité est tout autre : depuis trois ou quatre ans, Kabila n’est plus le bienvenu au Kivu.

J’imagine que vous parlez de la province du Nord Kivu…

Je parle non-seulement du Nord mais aussi du Sud Kivu. Vous vous souviendrez, il y a quelques années, que le cortège présidentiel a été caillassé lors des passages de Kabila dans les deux Régions…

Il se raconte pourtant que «Joseph Kabila» a reçu un «accueil chaleureux» mercredi 9 novembre à Uvira…

Qu’il s’agisse de la province du Maniema ou du Sud Kivu, il est aisé d’organiser ce genre d’"accueil chaleureux". Il est de notoriété publique que les personnes mobilisées le long des routes empruntées par le cortège présidentiel sont généralement «réquisitionnées» dans des camps des déplacés. Il s’agit de ces Congolais qui vivent comme «réfugiés» dans leur propre pays. En cas de refus, les récalcitrants sont chassés des campements. En réalité, les visites de Kabila ne suscitent plus de liesse populaire. Aujourd’hui, la population du Kivu est consciente de l’échec du mandat présidentiel qui s’achève. Cette population est déçue. Elle est totalement déçue suite aux promesses non-tenues. D’aucuns parlent simplement de mensonges d’Etat. La population a attendu en vain l’instauration de l’Etat de droit, de la justice et de la paix. Sans omettre, la lutte contre l’impunité. Ce sont là les promesses faites en 2006. A Goma, on voit parader un homme tel que Bosco Ntaganda. Celui-ci est non seulement libre de ses mouvements mais surtout assume des fonctions de commandement. L’homme toise les gens lorsqu’il circule avec un convoi impressionnant. Il y a d’autre part, Laurent Nkunda qui vit un exil doré au Rwanda. Il y a tant d’autres criminels moins connus qui se baladent dans les deux provinces du Kivu. Voilà pourquoi, la population a dit : Non. Elle a compris qu’elle ne pouvait plus rien espérer de Joseph Kabila.

Le gouverneur de la province du Nord Kivu a contesté la mise en cause des éléments de la garde présidentielle dans l’enlèvement de Mufiritsa. Qu’en dites-vous ?

Je persiste et signe que ce sont des membres de la garde présidentielle qui ont exécuté ce rapt. Des riverains les ont vus. Tout s’est passé en plein jour. Depuis plusieurs années, les éléments de la garde présidentielle sème la terreur à Goma.

Que pensez-vous de la visite que le ministre de l’Intérieur Adolphe Lumanu a rendu, mardi 8 novembre, au chanteur Fabrice à l’hôpital?

Cette visite pour le moins insolite me fait dire que «la citadelle est tombée». La citadelle est tombée et il y a des répercussions au niveau du premier cercle du pouvoir à Kinshasa. Le pouvoir s’attendait certainement à un échec électoral dans le Kivu. Il n’imaginait cependant pas de faire face à une telle fronde. La population est descendue dans la rue pour défier la police et l’armée en exigeant à cor et à cri la libération d’un citoyen. Elle a finalement obtenu cette libération après avoir malmené tout ce qui symbolisait le pouvoir en place. Certains manifestants criaient des propos hostiles demandant à Kabila de s’en aller. Le pouvoir est sous le choc.

"Joseph Kabila" poursuit sa campagne électorale à l’Est comme si de rien n’était…

Je peux vous dire que la tournée que Kabila vient d’effectuer à l’Est n’entre nullement dans le cadre de la campagne électorale. A preuve, il n’a dit pas un seul mot sur son bilan encore moins sur son programme pour les cinq années à venir. En réalité, l’homme a mené une discrète "opération de marketing" destinée à redorer son image pour la "consommation extérieure". L’objectif est de démontrer à la communauté internationale en général et au monde occidental en particulier que la partie orientale du Congo reste son «fief». En fait, Kabila n’a plus de projet à proposer aux Congolais. Partout où il est passé, il n’a fait ressasser les promesses annoncées en 2006. Aujourd’hui, l’Est de la RD Congo est passé dans le camp de l’opposition.

Une opposition qui affiche une désunion cordiale…

C’est une situation qui préoccupe la population congolaise à l’Est. Il est plus que temps que le personnel politique prenne conscience qu’aucune personnalité – brillante soit-elle -, aucun parti politique, ne pourrait gagner, tout seul, les consultations politiques majeures du 28 novembre face à Kabila. Un Kabila qui n’est pas seul. Derrière lui se cache un réseau maffieux au niveau tant national, régional qu’international. Je lance un appel à nos leaders politiques afin qu’ils se ressaisissent. Il est temps que les prétendants à la magistrature suprême – se réclamant de l’opposition – relancent, sans délai, le dialogue pour trouver un compromis, au nom de l’intérêt national.

N’est-il pas trop tard ?

Il reste encore deux semaines pour la campagne électorale. Malgré le peu de jours qui reste avant le vote, une union de dernière minute est encore possible pour permettre au candidat de l’opposition de battre le président sortant.

Que pensez-vous de "l’instrumentalisation" par le parti présidentiel des fameux «Pomba» pour intimider les partisans des autres partis politiques ?

Nous avons vu ce genre de phénomène lors des manifestations à la Place Tahrir au Caire. Des maifestations ayant précédé la chute du président Hosni Moubarak. Le président égyptien d’alors avait déployé des villageois juchés sur des chameaux pour affronter les manifestants. Le pouvoir congolais tente sans doute de reproduire ce qui s’est passé en Egypte. On connaît le résultat…

A Kinshasa, les «Pomba» se déplacent en moto…

Certains ont reçu des motos. D’autres ont des armes blanches. Ils ont manifestement reçu pour mission de terroriser la population. Il faut espérer que les instances judiciaires internationales suivent cette dérive aux conséquences incalculables. Au Katanga, il y a eu mort d’hommes. Les initiateurs de l’épuration ethnique de 1992 sont revenus aux affaires. A la lumière de ce qui s’est passé à Kinshasa, à Mbuji-Mayi, à Lubumbashi et à Goma, il me semble que la peur a changé de camp. Le pouvoir a peur. C’est ainsi qu’il recourt à la terreur pour s’imposer et conserver le pouvoir par la force. Mon souhait le plus cher est que l’élection présidentielle du 28 novembre tienne lieu de «référendum populaire» contre Joseph Kabila. En attendant, j’invite notre peuple à arrêter de stigmatiser la population de l’Est par rapport au scrutin présidentiel de 2006. Nous sommes engagés daans un même combat…

Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi

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