30.11.11 L e Potentiel – Cinq questions à Ferdinand Lufete (*)

1. Maintenant que les élections présidentielle et législatives sont passées, quel regard portez-vous sur ce mois de campagne ?

Avant la semaine du 20 novembre, la campagne s’est déroulée normalement en dépit de quelques incidents inhérents à toute jeune démocratie qui se consolide. Il y a eu, c’est vrai, des violences à Lubumbashi, Kikwit et Mbuji –Mayi où une fillette a été tuée par une balle perdue qui aurait été tirée par un policier. Mais le pire, et c’est cela qui m’attriste et m’inquiète pour mon pays, c’est la tournure prise par la campagne à la fin. Une campagne qui s’est achevée dans la violence et la confusion à Kinshasa. Je ne vous apprends rien des violences qui ont éclaté samedi 26 novembre dans la capitale entre corps rivaux ou avec les forces de l’ordre. Des affrontements qui ont fait au moins 10 morts. Tous les meetings ont été interdits à Kinshasa. Déjà, à quelques jours de la fin de la campagne électorale, le mardi 22 novembre, pour des raisons non encore élucidées, le député provincial du Mouvement de Libération du Congo, Marius Gangale, a été assassiné à Selembao. C’est un crime grave. J’espère qu’une enquête rigoureuse et transparente sera conduite pour faire toute la lumière sur les circonstances de ce crime qui ne peut rester impuni. Sommes-nous dans une jungle ou dans un pays civilisé ? Voire le 28 novembre, le scrutin a été émaillé des violences. Des incidents multiples ayant entraîné des pertes de vie humaine. A Lubumbashi, par exemple, on a enregistré entre 7 et 11 morts ; des bureaux de vote incendiés… Pour ma part, ces violences n’augurent rien de bon. Je suis inquiet surtout pour l’après-publication des résultats, car cela sent mauvais, très mauvais.

2. Des doutes planent sur l’impartialité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), les Congolais doutent de l’équité du scrutin. Quel est votre sentiment ?

Il convient de rappeler que cette instance de régulation électorale est au bon vouloir du président de la République. Le mandat, l’organisation, le fonctionnement et le financement qui devraient être détaillés dans un code électoral sont soumis à la volonté du pouvoir. Le pasteur Ngoy Mulunda qui préside la CENI se doit donc d’être au-dessus des partis. Mais l’est-il vraiment ? Rien n’est moins sûr. Je comprends le doute qu’émettent mes compatriotes sur l’impartialité de la CENI. En juin dernier, l’opposition politique et de nombreuses ONG, dont l’Association africaine pour la défense des droits de l’Homme, dénonçaient déjà les irrégularités constatées dans le processus électoral en cours : le fichier électoral jugé incomplet, l’inscription retardée des électeurs sur les listes, l’enrôlement des mineurs, les cas des personnes enrôlées plus d’une fois… Récemment, on a parlé d’insertion, par la CENI, de bureaux de vote fictifs sur sa cartographie et on aurait trouvé des bulletins cochés au nom du président candidat. Si c’est vrai, cela s’appelle de la fraude.

3. Ne croyez- vous donc pas à la crédibilité de ce scrutin présidentiel ?

Au sein de l’Alliance pour le développement et la République, nous sommes pour un scrutin libre, juste et équitable. Le président François Muamba l’a martelé à plusieurs occasions. Nous ne sommes pas pour une République bananière. Notre pays ne doit pas être régi par des intérêts privés. Sinon, où va-t-il ? Peut-on parler d’un scrutin présidentiel crédible quand on a relevé des insuffisances et des atteintes graves qui ne sont pas de nature à encourager la démocratie et la bonne gouvernance ? Tout pour faire élire un candidat choisi par un clan, une bande, une faction ne peut être acceptée comme une élection crédible.

4. Quel est votre pronostic ?

Il est difficile d’émettre un quelconque pronostic sur une élection verrouillée d’avance par le changement du mode de scrutin. Ce coup de force constitutionnel n’avait pour unique objectif que de favoriser le président candidat. C’est ce à quoi nous risquons d’assister lors de la publication des résultats dans les prochains jours. Il faut bien dire aussi que la pléthore de candidats de l’opposition n’a pas non plus arrangé les choses.

5. Aujourd’hui, selon vous, la désunion de l’opposition joue contre elle ?

La finalité de l’opposition congolaise est le changement, c’est-à-dire l’instauration d’une véritable démocratie et d’une bonne gouvernance dans notre pays. L’Alliance pour le développement et la République l’a toujours proclamé. Je pense que l’union de l’opposition était un moyen par lequel nous pouvions atteindre cette finalité. Malheureusement, l’opposition congolaise était incapable de s’accorder autour d’un candidat commun à la présidentielle. Toutes les négociations ont échoué. Nous sommes malades de nos divisions. La politique est un art du compromis. Tout peut arriver en politique. Tout ! Rien n’est figé, rien n’est campé. La roue tourne, dit-on. La roue a tourné sans aucun compromis entre les candidats de l’opposition congolaise. Chacun voit midi à sa porte. Nous risquons de le payer cher.

Propos recueillis par Robert Kongo, correspondant en France (*) Coordinateur de l’ADR/France

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