30 11 11 L'Express – "Kabila craint d'être pris à son propre piège"
Quatre candidats à la présidentielle au Congo ont
demandé mardi l'annulation des scrutins présidentiel et législatifs de
lundi en dénonçant des "irrégularités" et des "fraudes".
REUTERS/Finbarr O'Reilly
Les Congolais ont voté lundi pour élire le président de la République démocratique du Congo et 500 députés, au cours d'un scrutin marqué par des violences
et des fraudes. Anicet Mobe, chercheur en sciences sociales et
historien, revient pour LEXPRESS.fr sur les origines de la situation
complexe du pays le plus grand et le plus peuplé de l'Afrique
subsaharienne.
En quoi la campagne électorale au Congo a-t-elle manquée d'impartialité?
La
préparation des élections a eu lieu dans de mauvaises conditions. Il
n'y a pas eu de recensement crédible; des cartes d'électeurs ont été
distribuées, mais pas de cartes d'identité. Les moyens de l'Etat ont été mis à la disposition du président Joseph Kabila,
et la Commission électorale nationale indépendante est tout sauf
indépendante. Le principal candidat de l'opposition Etienne Tshisekedi, a
été par exemple empêché de tenir un meeting le week-end dernier.
Et en janvier, pour parer au risque de perdre les élections, Kabila a acheté des voix de députés pour faire réviser la Constitution:
il a mis en place une élection présidentielle à un tour, destinée à
éliminer l'opposition, traditionnellement divisée et désavantagée
puisqu'elle ne dispose pas des moyens de l'Etat pour mener campagne,
contrairement à Kabila. La révision constitutionnelle dans des
conditions juridiques hautement contestables est le dernier avatar d'une
volonté politique clairement affichée de s'emparer de tous les leviers
du pouvoir. Rappelons les tentatives, contrées par l'opposition dès
2008, d'abroger la limitation du nombre de mandats présidentiels et de
prolonger le mandat présidentiel à 7 ans, ce qui aurait conduit à ne pas
organiser les élections de 2011. Par ailleurs, le travail
gouvernemental est parasité par des circuits obscurs et parallèles de la
présidence de la République.
Le gouvernement de Kabila a du mal a accepter la voie des urnes?
Nous
sommes toujours dans une logique de seigneurs de la guerre. Déjà en
2006, lors de la première élection post-guerre -tant vantée- par la
communauté internationale, Kabila avait refusé de débattre avec son
challenger Jean-Pierre Bemba,
et avait préféré lancer un assaut contre la résidence de ce dernier,
alors même que celui-ci recevait des ambassadeurs occidentaux. Les urnes
ne sont pas pour Kabila le moyen privilégié pour accéder au pouvoir.
Les électeurs peuvent imposer dans les urnes l'union de
l'opposition, que les egos sur-dimentionnés des candidats ont empêché de
se réaliser
Pourtant, le clan présidentiel est inquiet. Il craint d'être
pris à son propre piège. Les électeurs peuvent imposer dans les urnes
l'union de l'opposition, que les egos sur-dimentionnés des candidats ont
empêché de se réaliser, prenant ainsi à contre-pied le pouvoir. Il en
fut ainsi en 1957 et en 1960: les majorités issues de ces consultations
ont clairement indiqué qu'elles étaient déterminées à libérer le Congo
du joug colonial et à engager le pays sur la voie d'une réelle
indépendance.
Certaines chancelleries espèrent que la fraude serait limitée à
Kinshasa afin d'éviter d'enflammer la capitale. Et le soutien de Louis
Michel -l'ancien ministre belge des Affaires étrangères, qui s'est
beaucoup investi dans le dossier congolais- n'est plus aussi fort qu'à
l'occasion des élections de 2006.
Depuis la fin officielle de la guerre en 2002, où en est le Congo?
Le
pouvoir actuel prétend avoir restauré la paix, mais le pays n'est pas
sorti de l'instabilité. Il est toujours confronté à la violence dans les
provinces, notamment contre les femmes, dans plusieurs régions (l'ONU
a, à plusieurs reprises dénoncé des viols de masse au Congo). Aux violences politiques -plusieurs opposants ou défenseurs des droits de l'homme
ont été assassinés, en toute impunité. Mais aussi aux violences
sociales: les deux tiers des Congolais vivent en dessous du seuil de
pauvreté, alors que le pays est assis sur des réserves minérales
colossales.
Un certain nombre d'infrastructures ont bien été mises en
chantier, mais il s'agit souvent de constructions de prestige. Et par
ailleurs, la construction de routes et de ponts ne garantit pas en soi
que ceux-ci soient utilisés au profit des Congolais. Le passif colonial
nous invite à la prudence. A l'époque du Congo belge, le pays était
plutôt bien doté en infrastructures, mais celles-ci ne servaient qu'au
pillage de ses ressources.
Quelle est l'origine de cette crise?
L'indigence de la classe politique congolaise trouve son origine dans le particularisme du colonialisme belge
qui a marginalisé les élites locales. Ainsi, il a fallu attendre 1957
pour que le pays élise pour la première fois des "mandataires
communaux", sans pouvoir, alors qu'au même moment, il y avait des
députés africains qui représentaient les colonies françaises dans
l'Hexagone. Et quand, au moment de la décolonisation,
la Belgique a senti qu'elle perdait la main sur des élites qui comme
Lumumba refusaient d'être soumises à l'ex-puissance coloniale, elle a
encouragé les revendications régionalistes et poussé à la sécession du
Katanga. Puis, les Congolais ont subi 32 ans du régime corrompu de
Mobutu. En pleine guerre froide, les grandes puissances se sont appuyées
sur ce régime inique, d'une part parce qu'il leur était inféodé, et
d'autre part pour accéder aux ressources stratégiques dont le Congo est
si richement doté.
La chute de Mobutu n'a pas mis fin à cette situation?
Non,
la mise sous tutelle du pays a continué après la chute du tyran. Quand
la rébellion de l'est a lancé son offensive pour renverser Mobutu en
1996, L'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo
(AFDL) de Laurent-Désiré Kabila, le père du président actuel, n'était
qu'un paravent fabriqué par l'Ouganda et le Rwanda voisin. Face à une
armée incapable (elle avait été conçue comme un outil de répression
intérieure, plus que de défense de l'intégrité territoriale), les
rebelles ont conquis l'immense Congo comme une bouchée de pain. Et
l'Ouganda et surtout le Rwanda ont commencé à s'emparer des richesses
minière de l'est du Congo. Aujourd'hui encore, le Congo n'a pas d'armée
nationale capable de défendre l'intégrité territoriale.
Quid du Congo après les élections?
Les
péripéties chaotiques qui ont marqué ce scrutin ne doivent pas occulter
les véritables enjeux de ces consultations électorales: se servir du
vote pour faire émerger une nouvelle classe politique qui rompe avec les
logiques de parrainage qui depuis 1960 ont donné à la Belgique et aux
Etats-Unis -plus tard la France et aujourd'hui le Rwanda, l'Ouganda et
l'Angola, grâce à leurs interventions militaires depuis 1996- de
régenter la constitution de l'échiquier politique congolais. Seule une
classe politique indépendante peut réinventer le politique, reconstruire
l'Etat afin de soustraire la gestion des ressources économiques de
convoitises étrangères pour les exploiter au bénéfice des Congolais.
C'était aussi l'occasion pour les Congolais de renouer -comme
en 1960- une alliance privilégiée des classes avec la fraction de
l'intelligentsia congolaise déterminée à utiliser ses compétences
scientifiques au profit du peuple. Ce n'est qu'à ce prix que nous
pourrions nouer des relations diplomatiques et économiques en
partenariat avec d'autres pays afin de donner un sens significatif à
notre détermination exprimée il y a 51 ans de revendiquer contre les
desseins d'un pouvoir colonial belge rétrograde, notre indépendance.