Létonnante admiration des observateurs étrangers (Guy De Boeck )
Nombre dentre eux y voient une raison de
plus pour considérer que tout qui vient de lextérieur, surtout sous laile dune
organisation internationale ou accrédité par lun ou lautre média, arrive de
propos délibéré avec lintention de regarder la réalité à travers des verres
déformants afin de voir – ou dimaginer – une RDC conforme aux vues dun vaste
complot visant à la reconduction de Joseph Kabila. Arrivés à, ils se divisent
entre deux opinions : certains sont assez indulgents pour considérer que
chacun a droit au bénéfice du doute et que sans doute il doit y avoir parmi ces
gens pas mal de naïfs abusés complices par ignorance ; dautres qui
inclinent à la sévérité et voient en eux des participants conscients,
volontaires et sans doute rémunérés de la fameuse conspiration.
Sans doute nest-ce là quun exemple de plus du fait que,
dune part, le langage diplomatique, à force de peaufiner les nuances à linfini
en arrive facilement à rater son but et à être compris à lenvers et dautre
part – sans doute plus essentiellement – quentre des peuples ordinairement
séparés par quelques milliers de kilomètres, les rencontres ont beaucoup de
chances dêtre entachées de quelques malentendus.
Celui qui circule dans les rues en RDC a parfois limpression
de circuler entre deux murs faits de panneaux publicitaire à la gloire de
Kabila, tant on en a mis partout. Cest là de la très mauvaise publicité :
ce que lon met partout finit par ne plus retenir lattention. Ce que lon voit
chaque jour, lon finit par ne plus le voir car tout se banalise dans la quotidienneté,
même lhorreur. Un étranger sera donc
frappé par certains aspects de la vie congolaise, tout simplement parce que, ne
les voyant pas tous les jours, il conserve une faculté de sétonner et dadmirer
qui, chez les Congolais, sest émoussée parce quils voient ces choses tous les
jours.
Il y a plus de cent ans, et déjà à propos du Congo, qui
était alors celui, de Léopold II et du « caoutchouc rouge », Félicien
Cattier écrivait que «… la pitié humaine
a besoin, pour se mettre en mouvement, de faits précis et concrets. La
constatation des crimes les plus atroces, faite en termes généraux, nexcite
point démotion ». Il est vrai quun étranger peut être naïf, mais il
a raison de ressentir un choc en découvrant, dans sa réalité tristement
vivante, ce quil y a dans la description très générale et trop abstraite :
« la RDC est
un pays riche à la population misérable ». Savoir abstraitement est une
chose, voir, sentir et toucher en est une autre. Il en résulte tout naturellement
de ladmiration pour le courage humble et quotidien dune population qui ne sait même pas quelle est héroïque.
Quand lon voit de vieillards maladifs et mal nourris sappuyer
néanmoins une marche de vingt kilomètres et une longue file dattente pour
venir voter, on ne peut pas ne pas être impressionné. Quand lon voit u agent
de police faire preuve de courtoisie et dune patience inlassable pour tenter
de mettre un semblant dordre dans une foule énervée, quand on constate que les
agents de la CENI
ont travaillé des journées entières, sans repos, pratiquement sans boire ni
manger, ont dépouillé dans des
conditions invraisemblables, à la lueur de bougies ou de lampes torches, souvent
à même le sol faute de tables où étaler les bulletins, on ne peut pas ne pas être
admiratif. Et lon est dautant plus admiratif et impressionné lorsque,
pratiquement dans le même temps, lon vient de toucher du doigt la misère congolaise
dans toute sa réalité. Lémotion devant un homme capable dun grand et long
effort est dautant plus intense lorsque lon voit sur lui les stigmates qui
montrent quil accomplit cet exploit en étant mal nourri.
Mais il faut bien sentendre ! Admirer le courage, lactivité
et lengagement de petits employés de la CENI, ce nest pas applaudir à tout ce que fait
Ngoy Mulunda ; évoquer la patience et la gentillesse de lagent de police
Lambda, ce nest pas féliciter John Numbi ou Jean de Dieu Oleko. Applaudir la grand-mère
qui a fait, appuyée sur son bâton, une marche qui, en Europe, passerait pour
sure même parmi de jeunes athlètes, ce nest pas affirmer que son vote ne sera
pas manipulé. Lorsque lon admire le
peuple congolais, il sagit bien du peuple, non de ses dirigeants. Pour mettre
les choses en termes clairs, il ne faut pas prendre tout cela pour autre chose
que lexpression dun sentiment sincère de sympathie teintée destime. Il ne
fau surtout pas y voir lexpression dune
quelconque caution accordée par ces observateurs au processus électoral.
Bien plus, lorsquon lit les descriptions quils font, de
a manière dont la CENI
fait travailler son personnel « au finish » (sans bien sûr se soucier
de broutilles comme de savoir comment ces gens pourront bire et manger), on trouve
souvent la remarque que « cela ne
peut que multiplier les erreurs et nuire aux capacités dattention et de concentration ».
Autrement dit : cela crée des circonstances favorables à la fraude…
Il faut parfois lire entre les lignes, sous peine de perdre
lessentiel.