26.01.12 L'Observateur – Pelé : « J’ai joué au Congo, la guerre civile s’est arrêtée «

* J’ai affranchi tous les footballeurs brésiliens de l’esclavage

Pelé ne serre pas la main, il vous prend dans les bras en serrant si fort qu’on entend battre son coeur. Au lendemain de la remise du Ballon d’or à Zurich, le 10 janvier dernier, Edson Arantes do Nascimento a reçu longuement Le Monde. A 71 ans, toujours aussi coquet, le «roi» Pelé parle de… Pelé, du Brésil et de la Coupe du monde, qu’il a remportée à trois reprises (1958, 1962 et 1970) et qui sera organisée dans son pays en 2014.

Le journal l’Observateur publie cette interview parce que non seulement elle est intéressante mais Pelé parle également de son passage au Congo avec l’équipe de Santos.

Que représente le Mondial brésilien dont vous êtes l’ambassadeur ?

Je ne veux pas incarner à moi seul la Coupe du monde. Le plus important, ce n’est pas le nombre de buts que j’ai pu marquer dans cette épreuve, c’est l’image de mon pays et son rayonnement à travers le monde. Je me rappelle qu’en Europe, en 1958, personne ne connaissait vraiment le Brésil. Lorsque je suis arrivé au camp d’entraînement en Suède, où se déroulait le Mondial, le drapeau du Brésil n’était pas le bon : à la place du losange, c’était un rond. Depuis, je n’ai eu qu’un seul désir à travers la Coupe du monde : aider mon peuple, aider mon pays.

Quelle image du Brésil désirez-vous montrer ?

Le Brésil est la cinquième puissance mondiale ! Mais je voudrais qu’il y ait moins de pauvreté et plus d’égalité sociale. Après le Mondial, il y aura les Jeux olympiques, en 2016. Le gouvernement et le peuple doivent tirer profit de ces moments très forts pour moderniser le pays. Ces deux événements vont consolider les évolutions déjà en cours. Nous sommes soucieux d’une redistribution plus équitable des revenus tirés des Jeux et du Mondial. Nous devons bien les gérer. Cela donnera confiance aux investisseurs qui souhaiteraient venir chez nous : le Brésil a beaucoup d’espace, de terre, de minéraux. C’est le moment de venir investir !

Qu’est-ce qui pourrait empêcher les investisseurs de croire au Brésil ?

Ce qui nous préoccupe, ce sont les divergences politiques qui existent dans notre pays. Elles peuvent mettre en danger le travail qui est fait pour la réussite de la Coupe du monde. Ces problèmes politiques internes peuvent amener à de la corruption et à des dépenses excessives. Il est hors de question de dilapider des fortunes pour la construction des stades parce que l’argent vient du peuple. On ne peut pas se retrouver avec des «éléphants blancs» qui ne serviront plus après le Mondial. Il faut en profiter pour bâtir des écoles et des universités qui, elles, resteront.

Comment lutter contre la corruption ?

J’ai énormément confiance en la présidente Dilma Rousseff. Ça fait un peu moins d’un an qu’elle est en poste et elle a déjà eu la tête de six ministres. C’est la première fois dans l’histoire du Brésil qu’autant de responsables politiques ont été exclus du gouvernement pour corruption. Le combat doit continuer…

Le football brésilien est également miné par les affaires de corruption…

Il y a un nettoyage à faire mais pas seulement dans le foot brésilien. C’est le bon moment pour faire le ménage de la tête de la FIFA jusqu’en bas.

L’avenir du foot brésilien doit-il s’écrire sans Ricardo Teixeira, président de la fédération depuis 1989 et lui-même impliqué dans des affaires ?

Si c’est prouvé, je le regretterai. J’attends les preuves. Ce que je veux, c’est que l’administration de tout le football soit saine, du Japon au Brésil. Le football est quelque chose d’inné au peuple brésilien et il va continuer. Avant Teixeira, il y avait un autre président et le foot marchait. Après lui, il marchera aussi.Une autre image colle au Brésil, celle de la violence…

Les trois forces armées du pays, l’armée de terre, la marine et l’aviation, sont en train d’éliminer la violence dans les Morros (habitations des collines autour de Rio) et les favelas. Des actions de nettoyage sont entreprises pour éradiquer le banditisme dans les quartiers difficiles. Ce sont des décisions qui ont été prises en haut lieu pour la tranquillité du pays, et les familles de ces quartiers sont très contentes.

Comment expliquez-vous que le foot brésilien ne soit plus au sommet de la hiérarchie mondiale ?

Les meilleurs joueurs brésiliens évoluent en Europe. Les clubs brésiliens ont vendu beaucoup trop de joueurs : tous les grands sont à l’étranger. Du coup, en équipe nationale, les garçons n’ont pas assez de temps pour jouer ensemble. C’est la preuve d’une mauvaise administration du football par les dirigeants. Si les grandes équipes comme Flamengo, Corinthians ou Vasco avaient une meilleure gestion, elles n’auraient pas besoin de vendre leurs joueurs tout le temps. La formation fonctionne pourtant bien. On devrait garder les jeunes plus longtemps au pays.

Vous avez été ministre des sports entre 1995 et 1998. Que retenez-vous de votre expérience ?

J’en suis très fier car j’ai affranchi tous les footballeurs brésiliens de l’esclavage. Avant mon arrivée au ministère, le joueur était la propriété absolue du club : il n’était pas libre de son transfert, même à la fin de son contrat. Et quand certains clubs n’avaient plus d’argent, ils allaient voir la banque en leur disant : «Je te donne mon joueur.» Ils les marchandaient comme des esclaves. Heureusement, grâce au président Henrique Cardozo, cette situation a pris fin dès 1996. Mais il faut aller plus loin encore. Il faut encadrer davantage le rôle des agents, qui prennent trop d’importance.

Y a-t-il trop d’argent dans le foot moderne ?

Non. La seule différence avec mon époque, c’est qu’il y a aujourd’hui des sponsors. La vraie question, ce n’est pas l’argent, mais qui est le meilleur joueur au monde.

Et qui est le meilleur joueur ?

Aujourd’hui ? J’aime beaucoup Messi. C’est un très grand joueur.

Qu’est-ce qui vous différencie de lui ?

Il y a de grandes différences. Techniquement, on est pratiquement du même niveau. Moi, personne ne savait de quel pied j’allais tirer, je jouais des deux. J’ai aussi marqué beaucoup de buts de la tête. Messi, son pied gauche est bon, mais son pied droit est meilleur. C’est un très grand joueur à Barcelone, mais quand il joue en sélection avec l’Argentine, il n’a plus le même succès. Je pense aussi à ce joueur de Santos, Neymar. Il a la possibilité de devenir un grand joueur, il est très habile des deux pieds, très intelligent. Cette comparaison de styles me fait penser à Platini, qui était un très bon joueur, mais Cruyff était plus rapide.

Alors, Messi est-il plus fort que vous ?

C’est difficile à dire : l’amoureux du football dirait qu’»il est du moment». Certains diront que Beethoven ne savait pas jouer du piano, d’autres diront que Michel-Ange ne savait pas peindre et que Pelé ne savait pas jouer au football. Mais on a tous reçu un don de Dieu. Quand Messi aura marqué 1 283 buts comme moi, quand il aura gagné trois Coupes du monde, on en reparlera. On n’a pas besoin de comparer. Le football change, les records sont faits pour être battus, mais ça va être dur de battre les miens. Les gens me demandent tout le temps : «Quand est-ce que va naître un nouveau Pelé ?» Jamais ! Mon père et ma mère ont fermé l’usine.

Vous avez été le premier Noir à devenir ministre au Brésil. Problème de racisme ?

Ça n’existe pas au Brésil. Il est absurde aussi de dire qu’il y a du racisme dans le foot. Combien y a-t-il de matches joués dans le monde chaque semaine ? C’est énorme, le foot est multicouleur : Jaunes, Noirs, Blancs…

Pourtant, vous avez été insulté sur les terrains ?

De nombreuses fois, et je me vengeais en marquant deux buts de plus à chaque insulte. Les joueurs s’excusaient après coup. Moi aussi j’ai insulté des joueurs, mais ça n’avait rien de raciste. Avec la médiatisation et Internet, on en parle beaucoup plus.

Pensez-vous avoir contribué à changer le regard sur les Noirs ?

Oui, je pense. Il y a eu deux moments forts. Lors du Mondial 1958, quand le roi de Suède est descendu sur le terrain. Pour la première fois de l’histoire, il a été pris en photo serrant la main d’un homme noir. Cette photo a fait le tour du monde. Le second événement, c’est quand la reine Elizabeth m’a fait «Sir» du Royaume-Uni : là encore, c’était un énorme symbole. Une autre chose m’est arrivée. En 1975, mon contrat avec Santos étant terminé, Henry Kissinger, l’ancien secrétaire d’Etat américain, est venu me voir pour me dire : «Il faut que tu viennes aux Etats-Unis pour développer le football.» Et, aux Etats-Unis, il y avait du racisme. Je pense que ma présence au Cosmos de New York a dû contribuer à changer les choses. Une dernière anecdote : je suis parti jouer au Zaïre en 1969 avec Santos. Pour notre match, la guerre civile s’est arrêtée. A l’époque, il n’y avait pas Internet mais tout le monde le savait.

Que souhaitez-vous que l’on retienne de vous ?

Vous savez, Pelé, c’est le plus grand nom connu dans le monde. Je peux aller n’importe où ; si je cherche du travail, j’en trouverai. Plus sérieusement, après ma mort, j’aimerais que les gens se rappellent que j’ai été une bonne personne qui a toujours voulu unir les gens et rassembler les peuples. Et qu’ils se souviennent aussi que j’ai été… un bon joueur.

Propos receuillis par Mustapha Kessous/Le Monde

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