06.02.12 CongoIndépendant – Questions directes à Wina Lokondo
Wina Lokondo, conseiller en communication de la Fédération-Equateur du MLC. Photo CIC
Journaliste et historien, ancien membre du MPR fait privé, Wina Lokondo a adhéré au MLC (Mouvement de libération du Congo) où il assume les fonctions de conseiller en communication à la Fédération MLC-Equateur à Mbandaka. En séjour en Belgique, «Wina» jette un regard critique sur la « gouvernance » de la province de lEquateur au cours du quinquennat finissant.
«Il y a un complot contre la province de lEquateur. Ce complot est ourdi par des autorités nationales non-originaires de cette région»
Il y a quelques temps vous aviez, depuis Mbandaka, alerté la rédaction de Congo Indépendant sur des ennuis judiciaires auxquels vous faisiez face. Que sest-il passé exactement ?
Jai travaillé au cabinet du gouverneur José Makila en qualité de conseiller principal. Jai assumé les mêmes fonctions auprès de son successeur Jean-Claude Baende qui «était» un ami. Ces deux personnalités ont été élues respectivement gouverneur et vice-gouverneur sur un même ticket sous le label du MLC. Après la destitution de Makila, Baende a été promu gouverneur grâce au soutien de la majorité présidentielle. Des députés provinciaux – une soixantaine – ont été «motivés» pour ce faire. Certains dentre eux assurent avoir reçu six mille dollars. Cest donc sur base de la corruption que Baende, un homme très intolérant, a été élu gouverneur de lEquateur. Cest ici que nos chemins se sont séparés dautant plus que je suis resté membre du MLC.
Quen est-il de vos ennuis judiciaires ?
Lors dun précédent séjour en Belgique, je reçois un appel téléphonique depuis Mbandaka mapprenant que le gouverneur Baende venait de déposer une plainte contre moi. Quelques temps après, il retire sa plainte et déposa une nouvelle à Kinshasa alors que je suis domicilié à Mbandaka. De retour au chef-lieu de lEquateur, un matin vers 5 heures, je suis réveillé par le gardien qui me dit : «Il y a des gens qui vous cherchent». Je perçois, à travers la fenêtre, cinq personnes en tenue civile. «Nous avons un mandat damener contre vous», me dit lun deux qui était un inspecteur judiciaire. Il faut dire que la veille, javais fait une intervention à la radio au cours de laquelle javais dénoncé la mauvaise gestion de la province par le gouverneur Baende. «Si vous venez marrêter à cause de mes déclarations, je ne vous laisserai pas entrer», ai-je répondu à linspecteur judiciaire. Jai aussitôt alerté mon avocat et quelques amis. Tenez-vous bien, le mandat émis par le parquet de Mbandaka était signé… à Kisangani. Motif : «abus de confiance».
Que voulez-vous dire ?
Bien quémis par le parquet général à Mbandaka, le mandat était daté et signé à Kisangani…Jai profité de la confusion pour quitter ma résidence et aller me mettre en un lieu sûr. Après vérification, japprendrai que cest le gouverneur Baende qui était derrière ce «coup». Le 9 août 2011, Baende est arrivé à Mbandaka avec un inspecteur judiciaire, un certain Kitambala, en provenance de Kinshasa. Le but était de se saisir de ma personne.
A vous entendre parler, on est tenté de croire que les gouverneurs de province se comportent en roitelets disposant au gré de leurs caprices des droits et libertés de leurs administrés…
Cest le cas particulièrement de Baende. En fait, linspecteur Kitambala devait me convoyer à Kinshasa. Kitambala est rentré bredouille à Kinshasa. La lettre que jai fait parvenir à Congo Indépendant est une copie de la correspondance que javais adressée au procureur général de la République (PGR) pour dénoncer les tentatives de Baende à instrumentaliser la justice. Le PGR a aussitôt instruit le procureur général près la Cour dappel à Mbandaka darrêter laction judiciaire engagée à mon encontre. Ce qui a été fait. Jai été notifié.
Vous êtes entrain de dire que la justice congolaise reste inféodée au pouvoir politique au niveau tant national que provincial ?
Effectivement ! La justice nest pas indépendante. A titre dexemples, le gouverneur Baende a fait détenir un député provincial étiqueté MLC, pendant une année. Lhomme a été faussement accusé dêtre de mèche avec les insurgés Enyele. Il a été libéré, sans jugement. Il y a également le cas du ministre provincial Thierry Mbuze qui est à Makala. En fait, Baende accuse tout le monde de «détournement». Guy Inenge, ancien ministre provincial de lIntérieur, a été mis en prison à Mbandaka. Son crime est davoir fustigé la gestion de lactuel gouverneur.
Que répondez-vous à ceux qui pourraient vous accuser de régler vos comptes avec lex-ami «Jean-Claude» ?
Je nai aucun compte à régler. Je suis né à Mbandaka. Je ne peux pas accepter que quelquun mempêche de vivre paisiblement dans le seul endroit que Dieu ma destiné. Je ne peux pas accepter – quaprès avoir critiqué la gestion de ceux qui ont gouverné notre pays depuis 50 ans – quun homme de ma génération puisse se comporter de la même façon en sillustrant par la mauvaise gestion et la violence. A Mbandaka, Baende a recruté des «gros bras».
Certains parlent carrément de milice…
Il sagit bien dune milice avec pour mission dagresser les contradicteurs du gouverneur. Rémunérés mensuellement, ces «miliciens» sont bien connus de la police provinciale et de lANR (Agence nationale de renseignements).
Que peut-on mettre à lactif de Jean-Claude Baende en tant que gouverneur de lEquateur?
Des conflits. Dabord avec son vice-gouverneur, Vincent Mokako. Ensuite avec le directeur provincial, M. Adoula. Enfin, avec tous les parlementaires nationaux originaires de la province. Inutile de parler des opérateurs économiques.
Daucuns affirment ici et là que la province de lEquateur ressemble à un «chantier» …
Il ny aucun chantier dans la province de lEquateur. Je lai dit et redit au cours de mes interventions radiophoniques. Je lai dit en présence de Baende. Je vis à Mbandaka. Je vais y rentrer bientôt pour déposer ma candidature en qualité de député provincial. Un exemple. Jai été rencontré le directeur provincial de la Regideso afin quil mexplique la cause profonde de la pénurie deau courante dans la ville. Selon lui, quatre produits chimiques sont nécessaires pour assainir leau. «Ces produits nous sont livrés par la direction générale de la Regideso à Kinshasa», ma-t-il dit. Il faut également du carburant pour faire fonctionner le groupe électrogène. Combien coûte tout cela ? Réponse : 5.000 $ par mois pour desservir quelques quartiers et 20.000 pour toute la ville. Soit : 240.000 $ par an. Un député provincial gagne +/-3.200 $ par mois. Pour se mettre à labri dune motion de défiance, Baende corrompt mensuellement une cinquantaine de députés provinciaux en leur accordant à une «prime» de 1.300 $. Le gouvernement provincial ne fait rien pour permettre à la population de satisfaire leur besoin en eau courante. Je vous signale en passant quil ny a pas deau courante à la résidence officielle du gouverneur. Le personnel de la Résidence va puiser leau dans des puits.
Quen est-il de la santé et léducation ?
La situation nest pas plus engageante. A titre dexemple, la bibliothèque de lInstitut supérieur pédagogique (ISP) a la dimension dune chambre à coucher. Elle ne contient que des vieux ouvrages. A lhôpital, les équipements les plus élémentaires sont introuvables. Le patient doit mettre la main dans la poche avant que le personnel médical soccupe de lui.
Ce tableau sombre na pas empêché Jean-Claude Baende de voir son nom figurer parmi ceux des députés nationaux élus. Comment lexpliquez-vous?
Je vous renvoie sur «You tube» pour visionner le bourrage des bulletins de vote sur lesquels le nom «Baende» était déjà coché. Baende a envoyé des «gens» dans la soirée. Après avoir sorti le président du Centre, les gens dont question ont bourré les urnes. Le président du Centre a été tabassé. Les images en témoignent. Japprends que la Ceni a cité Baende parmi les prétendants à la députation nationale qui devraient être invalidés.
Sans vouloir faire lavocat du diable, nest-il pas surprenant que la même Ceni qui est chahutée suite aux dysfonctionnements ayant émaillé le processus électoral tente de se présenter en organisation vertueuse ?
En vérité, le «cas Baende» est plus que flagrant ! Jajouterai quà Mbandaka, plusieurs bureaux ne disposaient pas dassez de bulletins de vote. Un bureau na reçu que 300 bulletins alors que les électeurs inscrits sélevaient à 500. Lobjectif était manifestement de minorer le nombre des votants en faveur des candidats de lopposition. Jai fait du bruit. Jai vu par la suite trois officiers de larmée venir vers moi. Lun deux voulait sans doute mintimider. Sans succès. Comme je lai dit précédemment, Baende a développé une terrible capacité de corruption à lEquateur. Il a corrompu tous ceux qui exercent une parcelle de responsabilité dans la province.
Des «mauvaises langues» soutiennent que le gouverneur aurait également quelques «obligés» au niveau des instances nationales. Quen dites-vous?
Il sagit de la fameuse «opération retour». Baende a soudoyé des personnalités travaillant «tout autour» du président de la République. Cest le cas notamment au ministère de lIntérieur. Grâce à un «homme de main» travaillant dans ce département, le gouverneur Baende a procédé à une épuration de ladministration publique de la province de lEquateur. Les commissaires de district, les maires et les chefs de secteur qui nappartenaient pas à la majorité présidentielle ont été dégommés. Le directeur provincial, Monsieur Adoula, devait subir le même sort suite à quelques divergences avec Baende. Fort heureusement, le ministre de lIntérieur Adolphe Lumanu Mulenda a pris soin dentendre deux sons de cloche avant de décider.
Selon vous donc, le quinquennat qui sachève na généré aucun progrès à lEquateur. Cest donc un bilan négatif tant pour José Makila que pour Jean-Claude Baende…
Comme vous le savez, Makila a été destitué suite à une affaire de détournement dargent public. Baende, lui, a fait pire.
Makila était donc «mauvais». Baende, lui, est «pire». Que faire pour trouver des dirigeants «meilleurs» ou vertueux ? Où se situe, selon vous, lépicentre du problème ?
Le problème est quau Congo tout le monde na quune ambition : amasser des biens matériels ; senrichir le plus vite possible et massivement. Très souvent, cet enrichissement est acquis au détriment du bien commun.
Voulez-vous dire que les structures de contrôle et de sanction sont inopérantes ?
Ces structures ne fonctionnement plus.
Que faire pour changer la société congolaise ?
Pour changer la société congolaise, il faut quelques préalables. Dabord, des dirigeants démocrates et instruits…
Devient-on démocrate par «génération spontanée»?
Certes, la démocratie sapprend. Tout comme la tolérance et la transparence. Il nous faut des dirigeants visionnaires, cultivés…
Des dirigeants «cultivés». Ce nest pas ça qui manquent avec tous ces «professeurs» …
Je continue. Il nous faut des gouvernants soucieux de lintérêt général et de la transparence.
Par transparence, voulez-vous parler des structures de contrôle ? Ces structures nexistent-elles pas au niveau provincial ?
Elles existent. Mais, les «contrôleurs» sont corrompus.
Que faire pour que le «gendarme» soit incorruptible?
Il faut que les responsables à tous les niveaux soient intègres. Il nous faut des chefs exemplaires. Aujourdhui la Chine est citée en exemple.
La Chine, comme vous le savez, est passée par une «révolution culturelle» avant datteindre son niveau de développement actuel…
Les Mao et autre Chou En Lai sont morts sans sêtre enrichis.
Etes-vous entrain de suggérer que le Congo a besoin dune «révolution culturelle» pour mettre hors détat de nuire tous ceux constituent lobstacle au progrès?
Nous avons besoin de dirigeants capables de se comporter autrement. Notre société est ruinée par cette obsession d«avoir ». Avoir plusieurs villas. Avoir plusieurs véhicules 4×4…
Nous revenons encore une fois au diagnostic. Que faire pour éradiquer le «mal» ?
Il nous faut des gens capables de prendre la distance avec largent…
Cest donc un problème de leadership…
Absolument ! Le «mal» dont souffre notre pays est essentiellement un problème dhomme. Il nous faut un leadership éclairé. Désintéressé. Un leadership dévoué à lintérêt national.
Le pays fait face aussi à un problème structurel : il lui manque une justice indépendante pour éradiquer limpunité…
A propos de limpunité, voici une anecdote. Il y a quelques temps, la direction générale de la SNEL avait envoyé un montant de 100.000 $ pour permettre à sa direction provinciale de rétablir léclairage public à Mbandaka. La somme en question a atterri dans le compte bancaire de la province. Le gouverneur Baende émis aussitôt un chèque au nom de la SNEL-Equateur. Largent a été encaissé par M. Mohamed, un sujet libanais, qui dirige la société «Soficom» à Mbandaka. La somme a été remise à Baende qui, seul, connaît à ce jour la destination qui en a été donnée. Ce fait est contenu dans le rapport établi par une Commission ad hoc du Sénat. Voilà un cas patent dimpunité totale. Revenons à la Ceni. Si Baende nétait pas sanctionné par la Ceni, la preuve sera ainsi faite que cet homme bénéficie dun soutien aveugle au sommet de lEtat. Je lai dit au cours dune intervention à Mbandaka. En fait, il y a un complot contre la province de lEquateur.
Complot ourdi par qui? Pourquoi?
Ce complot est ourdi par des autorités nationales non-originaires de cette région. Le soutien apporté à Baende na pour but que de fragiliser lEquateur. Un exemple. Il y a quelques mois, Baende rentre dun voyage privé en Europe. La journée en question a été décrétée «fériée et payée». Arrivé en sa résidence, le gouverneur sadressa à la foule venue laccueillir : «Je reviens dEurope suite à quelques problèmes de santé. Avant de prendre mon avion pour lEurope, jai été reçu par le président de la République qui ma donné beaucoup dargent. Jai été aussi voir M.Boshab qui est un ami. Il ma donné de largent. Largent qui ma été donné par le président était tellement énorme quil men reste encore. Jai pensé envoyer un peu dargent à quelques catcheurs de Mbandaka et quelques maillots pour les sportifs. Je vais partager avec vous le reliquat». Baende faisait cette déclaration au moment où la ville était paralysée par une grève des enseignants et des médecins. Le gouverneur na fait aucune allusion à cette cessation de travail. Ces faits sont tout simplement révoltants. Avant moi, plusieurs personnalités «équatoriennes» ont dit leur déception sur la manière dont cette entité est administrée. Cest le cas notamment de Louis Koya Gialo et de Jeannine Mabunda. De deux choses lune. Soit, le chef de lEtat nest pas au courant des agissements de Baende. Ce qui serait grave de la part du premier magistrat du premier. Soit, le chef de lEtat est au courant et laisse faire…
Propos recueillis par Baudouin Amba Wetshi
© Congoindépendant 2003-2012