20 12 12 Jeune Afrique – Thierry Vircoulon : "On assiste à une régression démocratique" en RDC

"Des

Des manifestants affrontent les forces de l'ordre, le 7 décembre à Kinshasa.© Gwenn Dubourthoumieu/AFP

Jeune Afrique :  La rentrée du Parlement congolais
a eu lieu jeudi 16 février. Selon certaines sources au sein de l’UDPS,
après avoir récemment évoqué l'idée de ne pas siéger, certains députés
UDPS ont finalement décidé de valider leur mandat et de suivre une
stratégie d'opposition républicaine. Pourquoi un tel revirement ? La
stratégie de Tshisekedi est-elle mise en cause ?

Thierry Vircoulon (en photo ci-contre) : Je ne pense
pas qu’une décision ait été arrêtée, les députés de l’UDPS sont
toujours en grande discussion. Selon mes informations, une majorité
d’entre eux n’était pas présente à l’Assemblée. Le parti est très divisé
entre d’un côté ceux qui aimeraient bien siéger et de l’autre, ceux qui
autour d'Étienne Thisekedi sont dans une position de boycott total. La
stratégie de l’UDPS n’est pas encore bien définie. À ce stade de la vie
politique, Tshisekedi ne va quant à lui pas modifier sa stratégie. La
question est de savoir si le pouvoir va le laisser rester à Kinshasa.

Quelles conséquences le choix de l’UDPS aura sur l’opposition, notamment sur l’Union pour la Nation Congolais (UNC) de Vital Kamerhe ?

L’UDPS est le premier parti de l’opposition. S’il ne siège pas, les
autres partis seront clairement affaiblis au Parlement. Dans le cas
contraire, cela peut créer un fond d’opposition significatif (une
centaine de député). L’enjeu est donc de savoir si l’opposition sera
parlementaire ou extra-parlementaire. Mais, il serait souhaitable qu’il y
ait une opposition parlementaire en RDC.

La majorité présidentielle sort-elle renforcée du scrutin ?

Bien qu’un nombre important de sièges soient contestés, la majorité
est clairement définie. À côté du Parti du peuple pour la reconstruction
et la démocratie (PPRD) de Kabila, se trouve le Parti du peuple pour la
paix et la démocratie (PPPD), le Mouvement social pour le renouveau
(MSR) de Pierre Lumbi et le Parti lumumbiste unifié (Palu). On connaît
donc la configuration de la majorité. Elle sera dominante, voire
surdominante si l’UDPS ne siège pas. Dominante au Parlement mais fragile
dans la rue, comme le montre la répression de la manifestation de jeudi
16 février.

Ce qui s’est passé le 16 février montre qu'il est maintenant impossible pour l’opposition de manifester à Kinshasa.

En effet, la manifestation de l’Église catholique, interdite par les autorités de Kinshasa, a été violemment réprimée. Vous attendiez-vous à un tel tour de vis de la part du régime de Kabila?

Oui, bien sûr. Ce n’est en rien étonnant. Rappellez-vous dans quelle
ambiance sécuritaire tendue se sont déroulés la fin de la campagne et le
dépouillement des votes. Ce qui est le plus inquiétant, c’est que l’on
assiste à un scénario de régression démocratique caractérisé par un
climat de répression et une absence d’opposition. Une répression qui
touche les manifestants, mais aussi directement l’opposition : deux
membres de l’UDPS ont récemment été arrêtés et détenus arbitrairement
par les services de sécurité du régime de Kabila.

Ce qui s’est passé le 16 février montre que la capacité de mobilisation
de l’opposition est largement dépassée par les ressources des forces de
l’ordre. Il est maintenant impossible pour l’opposition de manifester à
Kinshasa.

À l’occasion de la compilation des résultats des
législatives, la Ceni a modifié ses équipes et fait état d’un nombre
d’irrégularités bien supérieur à ce qui avait été constaté pour la
présidentielle. Cela donne-t-il une plus grande crédibilité à son
travail, ou cela montre-t-il a contrario l'incohérence des résultats entre les deux scrutins ?

Cela ne lui donne pas une once de crédibilité supplémentaire. L’enjeu
des législatives était moins important que celui de la présidentielle.
La seule chose que cela montre, c’est que l’opacité du dépouillement des
votes de la présidentielle a été la même pour les législatives.

Quel a été le travail des observateurs dépêchés par les États-Unis et l’Union européenne (UE) ?

Nul. Les États-Unis ont bien dépêché des experts électoraux mais ils
n’ont pas réussi à trouver un accord avec la Ceni qui a déclaré qu’elle
souhaitait que personne ne mette les pieds dans le dépouillement.

La communauté internationale a pris l’option de geler les problèmes
au lieu de les régler et est ainsi renvoyée à ses contradictions.

Les États-Unis ont appelé mercredi 15 février à la formation d’un « gouvernement de large union ». Est-ce une option réaliste ?

Non, je ne vois pas comment quelqu’un qui vient d’être élu accepterait
de partager le pouvoir. Ce ne sont que des paroles diplomatiques qui
révèlent l’embarras de la communauté internationale vis-à-vis d’une
élection qu’elle a en partie financé, et dont elle a participé à
l’organisation logistique.

La communauté internationale a pris l’option de geler les problèmes
au lieu de les régler et est ainsi renvoyée à ses contradictions. Par
exemple, lors de l’élection de 2006, la mission électorale de l’Union
européenne a rendu un rapport en vue des élections de 2011. Aucune de
ces recommandations n’a été mise en œuvre par Kinshasa. Malgré cela,
l’UE a quand même financé les scrutins de novembre dernier.

L’ambassadeur américain à Kinshasa, bien que pointant les
nombreuses irrégularités constatées, a reconnu Joseph Kabila comme
président légitime. Pourquoi les États-Unis se rangent-ils derrière
Kabila ?

Les États-Unis sont confrontés aux mêmes contradictions que la
communauté internationale. Après avoir appuyé le processus et penché du
côté du pouvoir établi, les USA ont reconnu les fraudes constatées par
tous lors du vote. Ils sont maintenant gênés. D’où ce double discours.

______

Propos recueillis par Vincent Duhem

Laissez un commentaire

Vous devez être connectés afin de publier un commentaire.